Aller au bout de ses rêves !
Publié le 17 octobre 2019
Le week-end de l’Action de grâce, au magnifique circuit Marco Simoncelli de Misano, en Italie, prenait fin le Championnat d’Europe d’endurance classique de la FIM — Europe Endurance Classic — dont j’ai disputé la manche inaugurale en France, au Paul Ricard, les 10 et 11 mai derniers. Ma première course internationale en endurance. Un rêve d'enfant que je caressais depuis des années.
Photos : Didier Constant, Olivier Wagner, Claude Privée, Bikerspix, Morgan Mathurin, Nate Photo, Christophe Hebting
Note préliminaire
Engagé par l’écurie V4 Project Team (15) d’Alain de Tollenaere, aux côtés du jeune pilote français Romain Morineau qui, tout comme moi, faisait ses premières armes en compétition officielle, je devais à l’origine disputer trois manches du championnat : Paul Ricard (France), Spa (Belgique) et Misano (Italie). Mais, boostée par les prestations honorables de la Honda VF1000R au Castellet, l’équipe décidait de faire appel à deux vieux briscards, le Belge Eric Brun et le Français Jean-Claude Jaubert, lors des deux dernières manches, avec l’espoir de réaliser une place d’honneur.
Mais l’endurance est une discipline exigeante et capricieuse. Il ne suffit pas d’avoir un avion de chasse et des pilotes rapides, il faut tenir quatre heures en course, dont deux de nuit, sans oublier les essais et les qualifications. Avec le minimum d’ennuis mécaniques et sans chute, de préférence. Pas facile avec une moto comme la VF1000R qui n’a jamais été réputée pour sa fiabilité. Du coup, l’équipe a enregistré deux abandons sur problèmes mécaniques, ne complétant que quelques tours en course à Spa et ne prenant pas le départ à Misano. Alain et son équipe vont profiter de l’hiver pour fiabiliser la Honda afin qu’elle puisse faire la démonstration de son potentiel la saison prochaine. En attendant, malgré notre inexpérience, Romain et moi avons enregistré le meilleur résultat du V4 Project Team en Europe Endurance Classic. Ça fait un petit velours !
Sur un nuage
Jeudi après-midi. J’arrive au contrôle technique FIM (Fédération internationale de motocyclisme) en compagnie de mon ami Claude qui a fait le voyage en France avec moi. Dans la file d’attente, je suis envahi par une vive excitation. Je connais bien le Paul Ricard. J’y viens régulièrement depuis sa création au début des années 70. Pour le Bol d’Or, le Grand Prix de France Moto et plus récemment pour la SRC (Sunday Ride Classic). C’est l’un de mes deux circuits préférés au monde. Mais, cette fois-ci, j’ai la gorge serrée par l’émotion. Je fais la file avec des pros de l’endurance classique, moi qui ne suis qu’un amateur, au sens étymologique du terme, « celui qui aime ». Christian Sarron, que je connais bien, vient me saluer en se dirigeant vers les paddocks. Devant moi, la famille Neate (Steven, Sam et John) de l’écurie britannique Neate Racing, deux fois Championne d’Europe d’endurance classique (2016-2017) est en grande discussion. Steven, que j’ai croisé à plusieurs reprises me fait un signe de la main. Derrière moi, les pilotes de l’équipe Belge Team Force, Championne d’Europe 2014, attendent, stoïquement. On discute, on échange nos coordonnées, on se donne rendez-vous sur la piste pour en découdre. Je suis sur un nuage !
Grosse pression
Soudain, au moment où le préposé de la FIM me fait signe d’avancer, je suis pris d’un doute. Je me demande ce que je fais là. En proie au syndrome de l’imposteur. Même si j’ai une licence en règle et que j’ai été adoubé par les organisateurs, il s’agit de ma première course internationale. Je n’ai pas mis les pieds sur un circuit depuis plus de six mois et j’ai très peu roulé en raison de l’hiver canadien. De plus, pour couronner le tout, lors de ma dernière balade au Colorado, en novembre, j’ai chuté lourdement en hors route et j’en ressens encore les séquelles. Sans compter que je n’ai roulé qu’une seule fois sur le grand circuit du Paul Ricard, en démonstration, lors de la SRC 2016.
En parlant avec plusieurs de mes amis dont Lionel Raviscioni, qui court sur la Yamaha n° 94 du Baloo Racing Team et qui a mon âge et ma condition physique, je me demande si je parviendrais à me qualifier, dans un premier temps et à tenir le coup pendant toute la durée de la course, spécialement lors des relais de nuit que je suis supposé faire. Nous avons convenu, avec l’équipe, que nous effectuerons six relais de 40 minutes. Romain prendra le départ de la course et j’effectuerai le dernier relais. Grosse responsabilité !
J’avance jusqu’à la table du préposé, j’ouvre mon sac Ogio Rig 9800 et je fais inspecter ma combinaison Forza, mon casque Shoei X-14, mes bottes TCX, mes gants Five et ma dorsale Forcefield. Tout est OK ! On peut passer aux choses sérieuses.
Une équipe sympathique
Quand j’arrive dans le garage n° 4 que nous partageons avec deux autres équipes Honda, dont l’écurie Power Racing Japauto, une pointure de la catégorie qui engage une Honda CB1100R Japauto affûtée, je ne connais personne au sein du V4 Project Team en dehors du chef mécanicien Thomas Gittermann que j’ai côtoyé lors du Bol d’or 1988. À cette époque, je dirigeais l’équipe Honda/Winners n° 17 qui avait engagé les Duhamel — Yvon, Mario et Miguel —, sur une Honda RC30 semi-officielle. Nous ressassons de vieux souvenirs et je fais alors connaissance avec le reste de la bande : Renaud Barthalon, le deuxième mécanicien, Didier Bertrand, le responsable des pneumatiques et du ravitaillement, ainsi que Jean-Yves Morineau, le père de Romain qui agit comme pompier du team.
La veille, Claude et moi avons soupé avec Alain, le propriétaire de l’équipe et sa femme Laurence, laquelle s’occupe de l’intendance. C’est la première fois que nous nous rencontrions, même si Alain et moi avons été en contact régulier depuis le début du mois de janvier. C’est Alain qui a eu cette idée folle de préparer une Honda VF1000R, une moto qui n’est à l’origine pas destinée à la compétition. Si le gros de la préparation a consisté à concevoir une partie cycle compacte et légère, le moteur est quasiment stock. Il développe grosso modo 125 chevaux, alors que les Suzuki GSX-R des cadors de la classe Open, dans laquelle nous sommes inscrits, flirtent avec les 160/180 chevaux, selon les évaluations. Autant dire qu’il va falloir assurer au niveau des ravitaillements et surtout ne pas tomber. Car, pour ce qui est d’aller vite, ni moi ni Romain ne sommes vraiment en mesure de rivaliser avec les tops pilotes. Nous manquons d’expérience sur ce circuit, mais surtout sur cette moto qui est en phase de développement.
Un rêve qui se réalise
Le vendredi matin, quand je me pointe au circuit pour les essais libres, il fait un froid de canard, malgré le soleil qui brille. Le vent s’est levé durant la nuit. Il fait tout juste 4°. Dans ma combinaison Forza abondamment ventilée, je grelotte un peu, même si je ne le montre pas. Je ne voudrais pas que l’on pense que je tremble de peur.
Je prends part à la première séance d’essais libres de 8 h 30. Sur une piste froide. Il s’agit de mes premiers tours de roue sur la VF1000R qui, pour l’occasion, est chaussée de pneus Dunlop GP Racer D212, un pneu de course homologué Route (DOT) que je connais bien pour l’avoir essayé à plusieurs occasions, particulièrement dans le cadre de mes roulages avec First On Track, en Europe.
La moto est extrêmement compacte. Trop peut-être. Et haute de selle. Avec un angle de braquage réduit. Grimper à bord n’est pas facile et bouger sur la selle plutôt ardu. Les premiers tours de roue sont hésitants. Les pneus sont neufs, l’asphalte est froid et la moto difficile à appréhender. Elle est réticente à tourner et demande un effort important pour prendre de l’angle. J’ai l’impression de rouler sur des œufs. En revanche, le V4 est sympa. Linéaire à défaut d’être puissant, avec une sonorité rauque, amplifiée par l’échappement fait sur mesure au Japon. Pour l’instant, je roule à un rythme sénatorial. Le moteur est encore en rodage et les chronos ne comptent pas. Heureusement !
Au fil des tours, je commence à assimiler le circuit et à prendre confiance en la machine. Mais il s’agit de ma seule séance d’essais libres. À ma prochaine sortie en piste, ce seront les qualifications. De jour d’abord. Puis de nuit.
Et elles ne se passent pas trop mal. Romain et moi améliorons notre rythme à chaque sortie. Personnellement, j’ai gagné une quinzaine de secondes entre les essais libres et la qualification de jour. Et mes temps de nuit sont proches de ceux de jour. Le circuit est bien éclairé. On se croirait un soir de pleine lune. Les phares de la VF1000R sont parfaits et permettent de bien lire la piste. La seule chose qui est déconcertante, ce sont les ombres portées causées par le système d’éclairage de la piste et les phares des motos qui nous suivent. On ne sait jamais ce qui se passe réellement derrière nous. Seul le bruit nous aide à savoir si une moto nous suit ou non.
Le plus important, en fin de compte, c’est que nous soyons qualifiés. Nous sommes 49e sur 50 — donc pas derniers — et autant Romain que moi avons une bonne marge de progression. En plus, aucun de nous n’a frôlé la chute. Ce qui est primordial, vu que nous n’avons aucune pièce de rechange.
Une super expérience
Ces séances m’ont réconforté. Le stress diminue progressivement. Pour moi, le plus dur est fait. Je sais dans mon for intérieur que l’on peut faire mieux en course. Il reste simplement à aligner les tours et croiser les doigts pour franchir l’arrivée, ce qui constituerait un exploit vu notre inexpérience commune. Autant en ce qui concerne les pilotes que l’équipe. Surtout que nous n’avons encore effectué aucun essai de ravitaillement. Ça risque d’être chaud.
Le départ approche. Romain est prêt. Tendu, mais confiant en même temps. Il marche nerveusement de l’autre côté de la piste. Puis l’officiel du départ lève le panneau « 1 minute ». En cette fin d’après-midi provençal, on peut sentir la tension parmi les pilotes alignés face aux paddocks. Puis la sirène sonne ! C’est le départ ! Romain est bien parti et remonte trois concurrents avant les esses de la Verrerie. Au deuxième passage devant les stands, il a gagné cinq places. Il est dans le rythme et le maintient pendant tout le premier relais, remontant sur les équipages qui nous précèdent. Le premier passage de témoin est long et fastidieux. Nous manquons de pratique. Le ravitailleur renverse un peu d’essence sur la moto et le mécano prend du temps à faire l’appoint d’huile. Romain me fait son rapport : « la moto tourne comme une horloge, mais le Mistral souffle fort. Fais attention en entrant dans Signes, ça glisse ! »
Le mécano me fait signe de monter. Mais je peine à embarquer sur la Honda qui est encore plus haute que d’habitude sur sa béquille arrière. Je parviens néanmoins à m’élancer en piste après de longues minutes d’arrêt. Nous n’avons pas perdu de places — nos adversaires directs éprouvant autant, voire plus de difficultés que nous lors des ravitaillements — et je me lance pour 40 minutes intenses. Dans mon casque, je sue à grosses gouttes. Et il ne fait que 20° dehors. Le soleil est rasant. Il commence peu à peu à descendre derrière le massif de Sainte-Beaume. La lumière est magique ! Je suis concentré et euphorique à la fois, faisant attention dans chaque virage. Après quelques tours à un bon rythme, je me sens bien, même si je me bats toujours avec la Honda. Je pose désormais le genou dans Sainte-Beaume, dans le double droit du Beausset et dans le virage du Pont. Grosse amélioration par rapport aux qualifs. Je parviens à retrancher une poignée de secondes à mes temps de la veille.
Lors du quatrième relais — mon deuxième —, la nuit est tombée. Je me rends compte que le panneau d’affichage est trop petit. Et comme il n’est pas éclairé, impossible de lire les indications. Pendant les premiers tours, ça n’est pas vraiment problématique ; je n’ai pas besoin de connaître mes temps. Mais au fur et à mesure que les tours passent, l’inquiétude monte en moi. « Combien de tours me reste-t-il à faire avant que je doive rentrer aux stands ? » « Vais-je tomber en panne sèche ? » Puis, au bout d’une trentaine de minutes, en me fiant à l’horloge numérique située au-dessus de la ligne d’arrivée, je commence à avoir la gorge sèche. J’ai soif et j’ai hâte de passer le guidon à Romain. Dans les derniers tours, le vent s’est levé. Dans la ligne droite, face au vent, la moto semble faire du surplace. Et dans le deuxième droit du Beausset, je me fais surprendre par une rafale. Je suis poussé de plusieurs mètres vers l’extérieur alors que j’ai le genou à terre. Je parviens à corriger la trajectoire avant la sortie du virage. De justesse ! La première fois, ça surprend. Ensuite, j’anticipe. Mais toujours avec une certaine appréhension, car le vent tourbillonne. Quand je passe le témoin à Romain, je ne manque pas de l’aviser. « Surveille-toi dans le Beausset, ça souffle très fort ! Fais attention à la boîte de vitesse aussi. J’ai eu plusieurs faux points morts, spécialement en rétrogradant. »
Là encore, le ravitaillement est compliqué. Mais, une fois de plus, on sauve les meubles. Plusieurs des équipages favoris ont abandonné, la plupart sur bris mécaniques. Parmi eux, l’équipe Neate Racing, le SCERT, le RST Edge et le Baloo Racing Team. Romain continue son beau boulot et quand il me redonne le guidon pour mon dernier relais, il est soulagé. « Tout va bien. À part la boîte qui déconne par moments. Et le moteur qui commence à s’essouffler. »
Quand je m’élance sur le circuit, il fait désormais nuit noire. Je ne m’occupe plus du panneau. De toute façon, je n’arrive pas à le lire. J’ai juste à attendre le drapeau à damiers. En espérant que la mécanique tienne jusque là. À quelques tours de l’arrivée, le moteur coupe en arrivant dans Sainte-Beaume. Il a le hoquet et broute furieusement. Je n’ai plus de puissance. Je descends alors deux rapports et, à la sortie du virage de l’école, il daigne repartir. Mais l’accélération n’est plus aussi franche. J’hésite un instant à rentrer aux stands pour voir ce qu’il a, mais j’y renonce. Ça serait un arrêt pour rien. On n’aurait ni le temps de réparer ni de repartir et on serait crédité d’un abandon. Je continue donc en tendant l’oreille. J’ai ralenti beaucoup, mais au moins j’avance. Et alors que je suis en plein questionnement, je vois le drapeau s’abaisser devant moi. On a réussi ! On est classé et plutôt bien dans les circonstances. En effet, on termine 29e sur 49 au scratch et 5e de la catégorie Open, sur 16 équipages. Au passage, nous marquons 23 points, dont 1 point de bonus. Je crie de joie dans mon casque. Je n’en reviens pas. La course a été éprouvante, mais elle s’est déroulée sans anicroche. Mis à part son hoquet en fin de course, la moto a tourné comme une horloge. Et Romain et moi avons accompli notre mission. Rallier l’arrivée, sans chuter. Un exploit !
Une aventure humaine incroyable
Durant le tour d’honneur, j’exulte. La pression retombe soudainement. Je me sens amorphe. Vidé, mais heureux. Dans les stands, tout le monde est extatique. Soulagé que nous ayons terminé. On se congratule, on s’embrasse, on se tape dans le dos. Puis on sabre le champagne. C’est bien mérité !
Pour moi, c’est l’accomplissement d’un rêve. J’adore l’endurance depuis ma plus tendre enfance. Et, depuis mon expérience comme gérant d’équipe, en 1988-1989, je n’avais qu’une envie : prendre part à une course. Ce n’est certes pas la Bol d’Or ni les 24 Heures du Mans, mais c’est une course officielle de 4 heures comptant pour un championnat d’Europe. Avec des motos performantes et des pilotes chevronnés. Dans les circonstances, je ne me sens ni ridicule ni déçu. J’ai terminé classé et mon nom figure sur les tablettes de la FIM. Ce n’est pas tout le monde qui peut s’en vanter. Je sais que certains de mes amis qui n’ont pas terminé la course ont tenté de minimiser notre performance en invoquant la veine du débutant. Mais c’est le résultat qui compte. Tous les experts vous le diront ! Personnellement, je peux dire que je suis allé au bout de mon rêve !
Et le vainqueur est…
Accessoirement, la course a été remportée par le Team Force, avec le Belge Gian Mertens et le Français Bruno Le Bihan, sur la Suzuki GSX-R1100 n° 56, qui s’adjuge également la première place en catégorie Open. En seconde place, on retrouve le Team Taurus Sages des Italiens Giorgio Lino Cantalupo, Sandro Caprara et Tommaso Tolti, sur la Suzuki GS1100 n° 44, qui gagne la catégorie Maxi Classic et l’équipe hollandaise Roadrunner Classic Endurance Racing Team de Henk van der Mark et Dirk Brand sur la Yamaha FJ1100 n° 5. La Moto Guzzi Le Mans III n° 9 de l’équipe Motobel constituée de Charles Artigues et Christian Haquin termine au pied du podium et remporte le classement de la catégorie Classic. La catégorie Formula a quant à elle été remportée par l’équipe française Central Moto, sur la Yamaha FZ-750 n° 17 pilotée par Oriol Martinell Palomo, Diego Rivière Miro-Sans et Alex Rivière Giro.
Au championnat, au terme des quatre épreuves, c’est le Team Taurus qui est couronné champion 2019, devant Roadrunner Classic Endurance Racing Team et Power Racing Japauto, tous les trois issus de la catégorie Maxi Classic. Notre résultat à la Sunday Ride Classic, au Castellet, la seule course que nous ayons complétée, nous permet d’être classés 38e sur 61 équipages au scratch et 13e en catégorie Open. Nous terminons devant plusieurs équipages amis, dont Dédé Moto Team, Central Moto (42e), Baloo Racing (44e), Team Neate Racing (45e) et GWCRT, l’équipe de mon ami Pascal Mutterer (53e).
Un gros merci à toutes les personnes qui nous ont soutenues ainsi qu’à nos commanditaires :
- Shoei North America
- Motovan
- TCX Boots
- Five Advanced Gloves
- Olympia
- Ogio
- Forza Canada
- Forcefield Body Armour
- Wiz Racing
Et à bientôt pour d’autres aventures !