Duel fratricide entre deux motos de rêve
Publié le 1 octobre 2019
En septembre dernier, j’ai été invité à une journée VIP de Pro 6 Cycle, au circuit de Calabogie, afin de tester deux BMW d’exception, une HP4 Race 2019 et une S1000RR SBK 2020. Une invitation que j’ai acceptée avec empressement et une joie non dissimulée ! Et vous ? Vous auriez fait quoi à ma place ?
Photos © Didier Constant, Patrice Pinard, Patrick Laurin, Rob O’Brien, Adam Roberts
Avoir l’occasion d’essayer des machines du calibre de la sublimissime BMW HP4 Race et de l’ultraperformante BMW S1000RR SBK est un moment aussi rare que précieux. Nous n’étions en effet que deux journalistes conviés à cette présentation intimiste, Neil Graham du site The Blue Groove et moi-même. Un moment magique !
Pour cette prise de contact, Chris Duff et Tylor Donnelly de BMW Motorrad Canada avaient fait le déplacement au Calabogie Motorsports Park avec Ben Young, Champion canadien de Superbike 2019. En plus de la sublime HP4 Race, ils avaient apporté une S1000RR 2018 préparée pour la piste ainsi que la S1000RR SBK 2020 avec laquelle l’ex-pilote Alex Welsh, aujourd’hui responsable marketing chez BMW, a terminé 6e et 5e lors des deux dernières courses du Championnat CSBK 2019, au Canadian Tire Motorsport Park. De quoi s’amuser, mais aussi se mettre la pression.
Tête-à-tête avec une Diva !
À Motoplus.ca, nous avons eu l’insigne privilège de piloter la BMW HP4 Race à deux reprises déjà. Notre collaborateur Costa Mouzouris l’a découverte au circuit d’Estoril, au Portugal, en septembre 2017, à l’occasion de son lancement de presse international et moi, j’ai eu la chance de l’essayer au circuit de Thunderbolt Raceway, à Millville, New Jersey, à la fin du mois de juillet 2018.
Dire que nous avons été impressionnés par la HP4 Race serait un euphémisme. Dans mon cas, j’ai été subjugué et terrorisé à la fois. Subjugué par le niveau de performance incroyable de cette moto de rêve. Et terrorisé par la responsabilité de piloter une machine de 95 000 $, vendue à seulement six exemplaires au Canada. Une moto aussi chère que rare « avec laquelle il est interdit de chuter ». Et même si la remarque est faite avec le sourire, sur le ton de la plaisanterie, vous savez que ce n’est pas une blague ! Que l’état de vos relations futures avec la compagnie allemande dépend de votre aptitude à exploiter cette machine superlative sans la réduire en Rubik’s Cube. Boulette interdite !
Pour me préparer à cette expérience, j’ai passé la matinée à me refamiliariser avec le circuit ontarien, l’un des plus beaux en Amérique du Nord, au guidon d’une KTM 790 Duke, plus abordable, aussi bien en termes de pilotage que de coût. Une sage décision !
Illégale sur route, mais aussi en compétition — elle n’est pas homologuée pour disputer le championnat WSBK de la FIM (Fédération internationale de motocyclisme) ni aucun championnat national d’ailleurs —, la HP4 Race est fabriquée à la main, à l’usine BMW de Berlin. Elle est dérivée du Superbike qu’utilisait l’équipe Althea BMW en WSBK, l’an dernier et reprend la plupart de ses pièces spéciales, dont le moteur qui crache plus de 215 chevaux à 14 500 tr/min pour un couple maximal de 89 lb-pi à 10 000 tr/min. Sans oublier un cadre, des roues et un accastillage en fibre de carbone, un jeu de visserie en titane, un massif bras oscillant en aluminium réalisé par la firme suisse Suter (fabricant de châssis pour le Moto2), des suspensions Öhlins de course (fourche FGR300 et monoamortisseur GP TTX36), un arsenal électronique évolué et des slicks Pirelli Diablo Superbike SC2.
Pour cet essai hors norme, les responsables de BMW avaient sélectionné des réglages intermédiaires afin de faciliter la prise en main avec la Bête et la rendre plus docile. Une assurance tout risque en quelque sorte.
Je ne vais pas reprendre la description technique faite par Costa dans son article (lire ici »), ce serait redondant, mais je confirme que la HP4 Race est une moto superlative. Elle n’a pas d’équivalent sur le marché, en dehors peut-être de la Ducati Superleggera 1299. Malgré sa fiche technique pléthorique et son pedigree de compétition, elle est impressionnante de facilité et d’efficacité. Presque trop facile à maîtriser même, pour un poireau comme moi.
Dès qu’on s’installe à son bord, on est accueilli par un écran numérique à analyseur 2D et une série de commandes dignes d’un jeu vidéo. J’ai écouté les explications concernant leur usage, mais je me suis abstenu de découvrir leur fonctionnement en piste. Ça sera pour une autre fois. L’autre surprise vient de la légèreté bluffante de la HP4 Race (171 kg tous pleins faits) et de sa position de conduite radicale mais réglable (selle haut perchée, repose-pieds relevés et géométrie de direction agressive). Même l’angle de tête de fourche de 65,5° s’ajuste sur plus ou moins 1°, par incréments de 0,5°.
Pourtant, après quelques tours de piste, je commence à trouver mes marques sur la HP4 Race. À me sentir presque à l’aise. Elle est facile à manier et très affûtée. Particulièrement son train avant qui est un modèle de précision et qui nous pousse à explorer les limites de la BMW. Le freinage — étriers monoblocs à fixation radiale Brembo GP4-PR à l’avant et étrier à quatre pistons à l’arrière, dérivés du MotoGP — est d’une efficacité redoutable.
Très stable dans les grandes courbes rapides, la HP4 Race affiche une précision chirurgicale dans les virages serrés et dans les enfilades. Un vrai scalpel ! Sur la piste de Calabogie, c’est un régal !
En sortant du virage n° 4, en troisième, j’accélère à fond pour avaler « Rocky Road », la plus longue ligne droite du circuit, en un éclair. La roue avant lève à l’accélération, imperceptiblement, grâce à l’antiwheelie et le moteur vous propulse vers l’avant avec une force inouïe. J’ai à peine le temps d’enquiller la cinquième, à l’aide de l’excellent shifter, qu’il faut sauter sur les freins pour négocier les virages 5 et 6. Puis attaquer le 7 et la courte ligne droite qui mène à « Temptation », un des virages les plus techniques et exaltants de Calabogie. La commande de l’accélérateur électronique frise la perfection. Je contrôle le filet de gaz avec précision et je négocie « Temptation » avec maestria. Comme jamais auparavant. Aucune moto que j’ai pilotée n’arrive à ce niveau d’efficience. En sortant du 8, encore sur l’angle, j’ouvre les gaz en grand pour balancer tout à droite dans « Delivrance ». Et me régaler dans la succession des virages 9 b à 14, une section que j’adore tout particulièrement. L’antipatinage fonctionne à merveille. Tout comme les freins qui offrent un mordant infernal tout en faisant preuve d’une modularité exemplaire et d’une endurance difficile à prendre en défaut. Je garde la pression sur le levier jusqu’au point de corde pour la relâcher progressivement, au fur et à mesure que j’ouvre les gaz. Il reste à négocier la dernière série de virages du circuit (15 à 20), puis à avaler la ligne droite des stands à fond.
J’ai pu compléter trois séances d’une trentaine de minutes aux guidons de la HP4 Race et, chaque fois, j’en suis ressorti moins fatigué que sur la S1000RR, voire la KTM. Elle requiert moins d’efforts de la part du pilote pour dévoiler son potentiel. Et elle permet à ce dernier de hausser son niveau de pilotage. Légère, rigide, précise, elle déploie des performances époustouflantes tout en restant facile à appréhender. Un rêve !
Au guidon de la BMW S1000RR SBK d’Alex Welsh
Bâtie autour d’une S1000RR 2020, la moto d’Alex Welsh est l’un des Superbikes les plus performants du championnat CSBK, capable de lutter avec les BMW de Ben Young et Samuel Trépanier ou les Kawasaki de Jordan Szoke et Kenny Riedmann. À ses commandes, un pilote expérimenté du calibre d’Alex peut espérer faire un podium, voire remporter une course.
La base est une BMW S1000RR avec le groupe d’options M (dont les jantes en fibre de carbone). Le moteur est d’origine, tout comme la cartographie de l’injection. Il développe une puissance de 207 ch à 13 500 tr/min et un couple de 74 lb-pi pour un poids de 170 kg à sec (sans essence). Soit environ 185 kg avec le plein.
Les seules modifications apportées au quatre en ligne bavarois touchent l’allumage et le traction contrôle. La cartographie du frein moteur est d’origine. L’embrayage a été légèrement modifié par Willie Vass pour être plus doux et un échappement Hindle en fibre de carbone a été installé.
La moto est équipée des modes Pro (Race Pro, antipatinage ajustable, contrôle de wheelie, contrôle du frein moteur, contrôle de départ, limiteur de régime dans la ligne des puits). L’ABS est déconnecté.
Au niveau de la partie cycle, les modifications sont plus importantes sans pour autant être excessives. Elles touchent principalement la suspension (kit de fourche pressurisé Öhlins, monoamortisseur Öhlins TTX). L’assiette de la moto est ajustable, tout comme le pivot du bras oscillant. L’angle de tête de fourche est réglé à 66,9°.
Alex a également posé des commandes reculées Alpha Racing, des guidons bracelets ajustables et des maîtres-cylindres de frein Brembo. Voici pour les présentations d’usage.
Dès les premiers tours de roue, la différence avec la HP4 Race se fait sentir. On ressent immédiatement le surplus de poids de la SBK — même si elle reste légère comparativement au modèle d’origine —, particulièrement dans les enchaînements. La S1000RR SBK est plus physique lors des changements d’angle et demande plus d’implication de la part du pilote. Cependant, elle se révèle stable et bien plantée. Le train avant est précis et on peut prolonger le freinage tard dans les virages (trail braking) en toute sécurité. On atteint presque le niveau de sophistication et de précision du train avant de la HP4 Race.
La position de conduite est moins radicale et s’assimile rapidement. J’ai particulièrement adoré les commandes reculées Alpha Racing idéalement réglées pour moi.
Le freinage est efficace et la suspension, bien calibrée pour mon poids, fait du très bon boulot sur le tracé ontarien.
Quant aux slicks Dunlop, ils n’ont rien à envier aux Pirelli de la HP4 Race et se montrent rassurants. Ils permettent de faire passer la puissance au sol en toute sérénité et offrent une adhérence suprême.
L’électronique est légèrement en retrait, mais elle offre toutes les possibilités de réglages requises en course. À la sortie du virage 4, la roue avant décolle moins à l’accélération que sur la HP4 Race. Subtilités de réglage de l’électronique, sans doute.
Néanmoins, la plus grosse différence se situe au niveau du moteur. Le quatre cylindres d’origine de la S1000RR est puissant (sur papier, il ne rend que 8 chevaux à celui de la HP4 Race qui combine les versions 6.2 et 7.2 des moteurs utilisés en Superstock et en WSBK — cliquez ici pour plus d’information),. Cependant, il n’affiche pas le côté rageur du moulin de la HP4. Il est rempli à tous les régimes, grâce à la technologie ShiftCam et est facile à appréhender.
Comme la HP4 Race, la S1000RR SBK est dotée d’une boite inversée (GP Shift) et d’un quickshifter bidirectionnel très efficace. Chaque passage de vitesse s’accompagne d’un son envoûtant. Génial !
En rentrant aux puits lors de ma première sortie avec la S1000RR SBK, j’avais le sourire jusqu’aux oreilles, car, même si la HP4 Race est plus sophistiquée et performante, elle demande un niveau de pilotage que je n’ai pas pour l’exploiter au maximum. Et une situation financière très confortable qui me fait défaut pour la pousser dans ses derniers retranchements, sans arrière-pensée. Le Superbike d’Alex Welsh, quoiqu’onéreux, reste plus abordable pour le commun des mortels, en termes de pilotage et de coût. Il suffit d’acheter une S1000RR de série et de la préparer avec soin. Plus vite dit que fait, me direz-vous ? Il faut compter un peu plus de 30 000 $ pour une S1000RR M avec une préparation basique (suspensions, freins « Racing », échappement, commandes reculées, guidons bracelets, carénage et selle en fibre, électronique…). Plus le coût des pneus slicks. On peut, bien entendu, dépenser beaucoup plus, tout est question de budget et de but visé.
À l’inverse, la HP4 Race est un concentré de savoir-faire, de technologie, de sportivité, d’exotisme et de passion. Une machine de course exclusive, digne du Championnat WSBK, dont le moteur demande à être réexpédié à l’usine BMW, en Allemagne et remplacé aux 5 000 km, ce qui représente environ 4 à 5 ans d’usage régulier sur piste. C’est un pur sang construit à la main, qui incorpore le meilleur de la technologie moderne. À ce titre, elle se compare aux meilleures motos du plateau WSBK et aux prototypes de MotoGP.
Bilan des courses
Ce test a constitué une véritable révélation pour moi et j’en ai retiré un immense plaisir. Pendant l’espace d’une journée, j’ai eu le sentiment d’être un pilote d’usine, sautant d’une machine à l’autre à ma guise tandis que les représentants de BMW faisaient l’appoint en carburant, amenaient les pneus à température et peaufinaient les réglages des machines à ma convenance, entre deux séances.
Heureusement pour mon ego, je n’ai pas consulté les chronos que j’ai réalisés lors de cette journée et je ne les ai pas comparés avec ceux de Ben Young qui survolait les débats à Calabogie. À ce niveau de pilotage, l’écrémage se fait rapidement, surtout aux commandes de motos d’un tel calibre.
Pour votre information, si vous désirez acheter une HP4 Race, sachez que l’usine BMW a suffisamment de pièces en stock pour vous en construire une selon vos spécifications. Qu’attendez-vous ? Faites-vous plaisir ! Il s’agit d’une moto d’exception et d’une pièce de collection.
Équipement du pilote
- Casque Shoei X-Fourteen Bradley Smith Replica
- Combinaison Rev’It! Akira
- Bottes TCX Race Pro Air
- Gants BMW RR
- Sous-vêtements Forcefield Sport Suit
HP4 Race
S1000RR SBK