Ou comment de simples modifications transforment l’Urban G/S en routière...
Publié le 22 août 2018
Invité à un lancement de presse de deux jours, dans la région de Toronto, j’ai décidé de m’y rendre au guidon de l’Urban G/S en prenant le chemin des écoliers, par les Mille-Îles et le Comté de Prince Édouard, au sud de Belleville.
Photos © Didier Constant
Lundi 20 août, 9 heures. L’Urban G/S équipée de ses nouveaux pneus ContiRoad Attack3 et de ses rehausses de guidon Helibars trépigne d’impatience dans l’entrée du garage. Ses deux gamelles battent le rythme dans un cognement sourd magnifié par le superbe échappement deux-en-un d’origine dont la sonorité est divine. La G/S tremble de tous ses tubes, comme si elle cherchait à desserrer ses boulons pour mieux respirer. On dirait un mastiff qui tire sur son collier étrangleur, prêt à bondir sur le facteur qui passe, l’air faussement détendu.
Moi, je prends mon temps pour enfiler mon casque et mes gants. Pour l’agacer un peu. Je vérifie deux fois que la porte du garage est bien fermée et je branche mon Sena 30 K. La météo prévoyant de gros orages pour la deuxième journée de ce périple, j’ai enfilé mon ensemble Rev’It! Horizon 2 qui est parfaitement étanche et mes bottes Alpinestars Belize Drystar, également à l’épreuve de l’eau. Un sac marin Ortlieb de 35 L attaché sur la selle par deux sangles extensibles Rok Straps (les meilleures amies du motard aventurier) suffit à contenir mon équipement pour les deux jours. Sans oublier mon sac de réservoir Givi 3D603 qui m’accompagne partout et contient les objets auxquels je dois accéder rapidement et facilement : bloc-notes, stylo, portefeuille, appareil photo, bouchons d’oreille et menue monnaie. Sans oublier un chiffon humide et un autre en microfibre pour essuyer ma visière.
Le trafic roulant au ralenti sur l’autoroute 40, j’opte pour la 25 N, la 440 et la 13 S afin de sortir rapidement de Montréal. Je suis ensuite la 40 jusqu’à Coteau-du-Lac. Là, je prends la 338 O, qui devient la Route 2 (Kings Highway 2) en Ontario, l’ancienne route qui reliait jadis Windsor, en Ontario à Halifax, en Nouvelle-Écosse.
À Saint-Zotique, je fais une pause. J’ai parcouru près de 100 kilomètres depuis mon départ et, curieusement, je ne ressens aucune douleur au dos. Quelle que soit la vitesse à laquelle je roule, la position de conduite est parfaite. Au-dessus de 130 km/h, je ressens la pression du vent sur mes épaules, comme avec n’importe quelle moto non carénée. Normal donc ! Je n’en reviens pas. Avant d’installer les rehausses de guidon Helibars, je souffrais le martyre au bout de 50 kilomètres. C’était insupportable.
De plus, la moto est devenue plus facile à manœuvrer et plus agile. Une partie du mérite revient aux ContiRoad Attack3 qui sont tout simplement étonnants. Depuis ma première prise de contact avec les Road Attack, lors de l’essai de la BMW R1200R 2007 — mon tout premier test pour Motoplus.ca —, je suis en amour avec les gommes allemandes. Et la version 3 ne fait que renforcer ce sentiment. J’aime le profil des Conti, leur efficacité globale et leur tenue exemplaire en courbe. Avec eux, je n’ai pas peur d’explorer les limites de la moto. Leur adhérence est phénoménale. De plus, ils allègent la direction et accroissent la maniabilité de la moto, sans rendre la direction floue. Avec ces nouvelles bottines, la BMW R nineT Urban G/S est transfigurée. Finie la sensation de flou induite par les TKC80. Et l’impression de lourdeur du train avant. Là, on est en présence d’une ballerine qui fait des pointes sur l’asphalte. Gracieuse ! Aérienne ! Sensuelle ! Et éminemment sportive pour une moto de hipster aux allures de baroudeuse africaine.
Je poursuis mon chemin. Cornwall, Upper Canada Village, Brockville… Le long du Saint-Laurent, les routes sont bucoliques, les paysages magnifiques et les maisons coquettes. Sur la rive-sud, je devine les États-Unis.
À la sortie de Brockville, je prends la 137, la route panoramique des Mille-Îles. Et là, le décor devient carrément sublime. Les îles de l’archipel — au nombre de 1865, pour être exact —, s’égrènent comme les perles d’un chapelet. Certaines minuscules, juste assez grandes pour y planter un modeste chalet, d’autres plus vastes, abritant de somptueuses résidences d’été — comme l’île de Wellesley où trône le fameux château de Bolt et son somptueux garage à bateaux —, ou bien des hôtels. Certaines sont accessibles en bateaux, d’autres par des ponts, mais dans tous les cas, la conduite des véhicules à moteur y est prohibée.
Il est bientôt treize heures. La faim commence à me tenailler. À Ivy Lea, je quitte la route pour me sustenter au Donnelly’s On the River, un restaurant touristique situé près de l’embarcadère des croisières dans les Mille-Îles. Quand je m’arrête, je constate que je roule depuis plus de quatre heures. À un bon rythme, parfois. Et le tout dans un confort plus qu’acceptable. Je n’ai toujours pas de douleurs dans le bas du dos et la selle, décriée par plusieurs, est plutôt confortable, à mon humble avis. Assez bien rembourrée et accueillante. De plus, avec le guidon surélevé et reculé, on n’est plus obligé de s’asseoir collé au réservoir. On peut reculer un peu et apprécier le rembourrage épais de la selle de la pseudo-aventurière. Le confort y gagne.
Le restaurant est bondé de Chinois qui parlent fort en mangeant. La bouche ouverte. Ils s’interpellent d’une table à l’autre sans se soucier de la présence des autres clients. Ils sont en terrain conquis. Privilège des touristes. Si je n’avais pas si faim et s’il y avait plus de restaurants dans les alentours, je quitterais les lieux sans attendre. En fait, j’aurais dû le faire, car, comme je l’ai découvert en avalant la soupe de fruits de mer dont la description m’a fait saliver en lisant le menu, la bouffe est ordinaire. Et je suis gentil.
En regagnant la route panoramique, j’accélère fort. Les rochers à ma droite et le fleuve à ma gauche forment une caisse de résonance qui amplifie la mélodie de l’échappement deux-en-un qui est tout simplement sublime. Surtout à l’accélération. Mais aussi à la décélération. À la coupure des gaz, il pétarade mélodieusement. C’est addictif. On ne s’en lasse pas.
À l’approche de Gananoque, perle des Mille-Îles, la route serpente, se frayant un chemin entre les rochers de granit et le Saint-Laurent. Dans cet environnement à couper le souffle, la route décrit des sinuosités enchanteresses, terrain de jeu idyllique pour la G/S et ses bottines de sept lieues. La BMW danse d’un virage à l’autre avec maestria, se plaçant à la corde avec précision, ressortant avec force d’un gros coup de gaz. Solide et bien plantée. Moi, je ne pipe mot. Je savoure l’instant goulûment. Égoïstement. Je pourrais prolonger cette valse à mille temps pendant mille ans.
Après Kingston, je poursuis mon chemin par la route 33, vers Millhaven et Adolphustown où je prends le traversier pour le Comté du Prince Édouard, puis Glenora, Picton, Milford. Je fais une pause photo à Cherry Valley, puis je repique au nord vers Picton et Deseronto que je rejoins par la 49. Là, j’arrête faire le plein dans une station de la réserve indienne — le super y est vendu 1,11 $ — avant de risquer de tomber en panne. Il est 15 heures et je viens tout juste de passer le cap des 400 kilomètres. Je profite d’un peu d’ombre pour relaxer et me désaltérer. Machinalement, je consulte mes messages, question de voir s’il y en a auxquels je devrais répondre urgemment. C’est alors que je tombe sur un texto m’avisant que le lancement auquel je dois participer le lendemain est reporté à une date ultérieure en raison de la météo. J’appelle, je confirme l’information et je vérifie que je peux faire demi-tour sur le champ, n’ayant plus rien à faire à Toronto. Déçu, mais résigné.
En revanche, plus question de musarder. Si je veux être à la maison pour souper avec ma femme, il vaut mieux que je prenne l’autoroute. Surtout que c’est moi qui cuisine. Heureusement, j’ai préparé quelques plats à réchauffer avant mon départ. Faire le souper sera une formalité.
Originalement, je pensais faire un détour par Shannonville pour aller saluer Michel Mercier, le propriétaire de l’école de pilotage avancé FAST que je n’ai pas vu depuis quelques années. J’avais le temps, puisque je n’étais pas attendu à Toronto avant 20 heures. Ça sera partie remise à la semaine prochaine, lors de la reprise du lancement.
Je fais alors volte face et je rejoins la 401 à Napanee. La circulation est fluide. Je mets le cap sur les Pays de l’Est (c’est le nom donné par mon fils à Tétreauville à notre arrivée dans ce quartier, il y a plus de 30 ans). En espérant atteindre Montréal après l’heure de pointe. Compteur bloqué à 150, je scrute l’horizon à la recherche des gros corbeaux noirs tapis dans les hautes herbes qui bordent l’autoroute. Ce n’est pas le temps de prendre une prune. Chaque fois que je vois les feux d’arrêt des voitures s’allumer, au loin, je coupe légèrement les gaz. Même chose à l’approche des ponts et des voies d’urgence. Je m’arrange pour rester le plus possible dans la voie de droite, question de ne pas attirer l’attention sur mon fier destrier à la robe virginale. Là, je me dis qu’un régulateur de vitesse serait bien pratique, ne serait-ce que pour dégourdir ma main droite ankylosée par les vibrations du twin à plat qui sont assez présentes au-dessus de 130 km/h. Le support de mon téléphone en a le Parkinson.
La 401 est une plaie à moto. Une route longue, rectiligne, inintéressante, ennuyante. Sans parler des travaux omniprésents dont on ne peut s’échapper qu’en transgressant la loi. Alors, pour rompre la monotonie, je pense à voix haute dans mon casque. Perdu dans mes soliloques, j’ai parfois des éclairs de lucidité prémonitoire, instants passagers de clairvoyance aiguë durant lesquels je décortique ma vie selon les traces mémorielles qu’activent les sensations, les odeurs et les bruits qui m’envahissent. Je me projette dans l’avenir immédiat ou lointain, selon la nécessité ou l’histoire que je me raconte. Je rêve éveillé.
J’aime par-dessus tout les balades à moto en petits groupes de deux ou trois pilotes, des potes, de préférence. Ça permet de vivre des instants d’éternité ensemble, de partager les bons moments — lesquels deviennent éventuellement des souvenirs —, de s’entraider en cas de coup dur, de se tirer la bourre. Mais rouler seul a aussi ses charmes, dont le plus important est la liberté de penser et d’agir. De se rendre disponible aux autres — c’est plus facile seul qu’à plusieurs, croyez-en mon expérience — et de faire des rencontres que la dynamique de groupe rend difficiles, voire impossibles. C’est aussi une occasion unique de se remettre en question, de se retrouver en bonne compagnie, seul avec soi-même. Et de méditer en roulant. Faire d’une pierre deux coups en quelque sorte.
J’en étais là de mes pensées quand je suis arrivé à la dernière station On Route de la 401 Est, à Morrisburg. J’ai parcouru 200 km depuis mon dernier plein et il m’en reste 160 à faire avant d’atteindre ma destination. Je dois impérativement m’arrêter pour ravitailler. J’engloutis une bouteille d’eau minérale en deux gorgées et une barre Mars, puis je saute sur l’Urban G/S. Sans douleurs ni appréhensions. Je n’en reviens pas à quel point deux simples modifications ont métamorphosé ma moto de hipster en véritable routière. Deux sacoches latérales, un porte-paquet et une bulle de carénage accessoire suffiraient à compléter la mutation. Et, si on veut être pointilleux, on peut installer un monoamortisseur performant (Öhlins, K-Tech, Marzocchi) et un kit de fourche réglable (Andreani, Öhlins, Wilbers) pour obtenir une moto à la tenue de route inattaquable. Le reste est superflu… donc indispensable.
Il est 18 h 22 quand j’arrive à Montréal, au coin de la 40 et de la 520. Le gros du trafic est passé et je suis chez moi en moins de 20 minutes. Avant la fermeture du Rideau de fer. Ma femme est ravie de me voir rentrer si tôt (et en un seul morceau). On va pouvoir passer une soirée relax, en amoureux.
STATISTIQUES
- Kilométrage total : 2007 km
- Distance parcourue depuis la dernière sortie : 742 km
- Consommation moyenne : 5,45 L/100 km
- Autonomie : 312 km