Assis droit, le dos à peine penché vers l'avant, les jambes normalement repliées, je roule à bonne allure depuis trois heures déjà. Sans peine, ni douleur. En ce lundi de la fin du mois de juillet, la circulation, sur l'autoroute 17, au nord d'Ottawa, est fluide. Malgré l'absence de carénage, le vent ne me gêne pas trop. La selle est ferme, mais confortable. Du moins, pour l'instant. Le moteur, plein à tous les régimes, répond à la moindre sollicitation de l'accélérateur et me permet de m'extraire de la circulation en un clin d'œil. Ou de m'amuser à l'approche des sections sinueuses. Je taille la route en toute sérénité. Sans stress! Denis, le photographe qui m'accompagne dans ce voyage à Parry Sound, dans le nord de l'Ontario, me suit au guidon de la KTM SuperDuke 990. Dans quelques minutes, nous allons arriver à Renfrew et bifurquer vers l'ouest par la 60, une superbe route qui traverse le Parc Algonquin pour rejoindre Huntsville et la Baie Géorgienne où nous devrions arriver en fin d'après-midi.
Bien qu'elle soit chargée comme un mulet, la R1200R suit son rythme, imperturbable. En raison du manque d'espaces de rangement sur la KTM, tout notre équipement a trouvé place dans les valises et le porte-bagage de la BMW. Et malgré cette surcharge pondérale, elle fait preuve d'une grande agilité et d'une facilité de prise en main étonnante.
Depuis quelques années, les modèles standards de BMW passent un peu inaperçus dans une gamme où brillent les GS et les RT. Beaucoup de motocyclistes, mêmes Béhémistes convaincus, les considèrent à tort comme une option bon marché. Des machines simples et efficaces, mais sans saveur et sans l'attrait des machines précitées. Ayant conduit les modèles R des deux dernières générations (R1100R et R1150R), je m'attendais à une machine bonifiée, certes, mais très proche de ses devancières. Et je dois dire que j'ai été agréablement surpris. La nouvelle R1200R est l'un des secrets les mieux gardés du marché, et de la collection 2007-2008 de BMW.
Il faut dire que les ingénieurs n'ont pas lésiné sur les moyens en redéfinissant leur moto basique. Celle-ci pousse l'innovation encore plus loin que les GS et RT. Son poids à sec descend sous la barre des 200 kilos (198 kg) et son châssis possède une géométrie de direction plus sportive que ces dernières. La cure d'amaigrissement que les ingénieurs BMW lui ont fait subir est radicale. L'épaisseur et le diamètre des disques de frein ont été réduits, tout ce qui était inutile dans les parties non suspendues a été supprimé, et le cadre treillis dans lequel le moteur reste porteur a été allégé. Le nouveau système ABS intégral (offert en option) se montre lui aussi plus léger (50% de moins que sur la précédente version).
L'allure générale de la moto évolue quant à elle vers une plus grande finesse, sans toutefois trancher avec les lignes du modèle précédent. Avec sa déco noire soulignée d'un filet blanc, la R1200R n'est pas sans rappeler les mythiques R50 et R69S des années 60, des machines qui ont contribué à asseoir la réputation de routières infatigables que les motos de Munich se sont acquises au fil des générations. Malgré cette ligne passe-partout — banale diront les mauvaises langues —, le R attire l'œil et séduit par son classicisme bon ton. La 1200 est plus élancée, plus harmonieuse et plus contemporaine que la 1150.
Par rapport à cette dernière, qui était déjà très convaincante, la R1200R s’est bonifiée à tous les niveaux.
Le Boxer est exactement identique à celui qui équipe déjà les R1200RT et R1200GS. Avec ses nombreuses évolutions, comme une gestion électronique évoluée, un arbre d'équilibrage ou encore un régulateur anticliquetis, ce twin à plat de 1 170 cc délivre une puissance de 109 chevaux (24 de plus que celui de la 1150) et un couple plus généreux (en hausse de 13 lb-pi). Il se montre plus doux aussi et est quasiment exempt de vibrations. La transmission a elle aussi évolué en s'adoucissant. Sur la R1200R, la boîte de vitesses à six rapports est la même que celle qui équipe les RT et GS, mais la démultiplication secondaire est plus courte. Contrairement à la RT, le sixième rapport n'est pas surmultiplié et les accélérations sont plus franches. L’effet de couple de renversement, caractéristique des flat-twins allemands, qui fait osciller la moto de droite à gauche à l’accélération, a été considérablement réduit, tandis que le nouvel ensemble bras oscillant/cardan/ Paralever annule complètement l’effet de soulèvement et d’affaissement associé aux transmissions acatènes.
BMW R69S 1960-1969
La route buissonnière
Lorsque j'ai pris possession de la R1200R chez Moto Internationale, à Montréal, j'ai été surpris par l'impression immédiate de légèreté qu'elle dégageait. Très conviviale, elle se manœuvre facilement en ville, se faufile dans la circulation avec aisance et s'incline d'une légère pression sur le guidon. Un vrai jouet! Très agile, elle bénéficie de son poids réduit, judicieusement réparti entre l'avant et l'arrière, et de son centre de gravité bas. Toutes les commandes tombent bien sous la main et font preuve d'une grande douceur. Avec son réservoir échancré au niveau des genoux et des repose-pieds idéalement placés, la position de conduite frôle la perfection. Elle peut être modifiée selon le gabarit du pilote, grâce aux selles optionnelles proposées par BMW. La standard offre une hauteur d'assise de 800 mm idéale pour les pilotes de taille moyenne. Les petits gabarits préfèreront la selle basse (770 mm), alors que ceux qui mesurent 1,78 m et plus favoriseront la selle haute (830 mm) qui leur procurera plus de dégagement pour les jambes. La distance selle/guidon est un peu trop importante pour les pilotes de tailles petite ou moyenne qui, même en jouant avec les réglages des pontets du té de fourche, devront passer un peu de temps à chercher le réglage qui leur convient. Dans leur chasse aux kilos superflus, les ingénieurs ont grugé sur l'épaisseur de la selle monobloc qui, bien que confortable, est relativement ferme et n'offre pas le moelleux auquel on était habitué sur les roadsters de la gamme. Ce qui n'empêche pas la BMW d'être idéale pour tailler la route ou flâner.
En arrivant sur la 60, la R commence à faire étalage de ses aptitudes. Car, si elle s'avère une excellente routière, confortable et rapide sur l'autoroute, sur les petites routes secondaires, elle se révèle une superbe rouleuse. Joueuse, mais précise, relaxe, mais sportive, elle bénéficie d'un châssis rigoureux qui permet d'adopter un train rapide, même si la qualité du revêtement n'est pas parfaite. Les suspensions agissent comme une gomme qui effacerait les bosses et les trous sur votre passage. Magique! La BMW n'est jamais perturbée, jamais déstabilisée. Elle se joue des irrégularités avec une facilité outrancière. Elle ne bronche jamais, polie, efficace. Allemande, quoi... Seuls le jeu dans le rouage d'entraînement et le couple de renversement — toujours présent quoique mieux contrôlé —, vous rappellent occasionnellement que vous êtes sur un flat-twin de Munich. La R est facile à piloter, neutre et efficace. Son train avant semble rivé au sol. Même lourdement chargée, la Béhème se tire d’affaire comme une vraie GT. Se montrant capable de suivre un rythme carrément sportif à l’occasion, de flirter avec des angles d’inclinaison impressionnants (en passant, les pneus Continental Road Attack qui équipaient notre modèle d’essai sont vraiment géniaux) et de faire preuve d’une agilité et d’une maniabilité déconcertantes. Sans parler du confort. Un vrai Pullman! Au niveau de l'équipement, la R1200R est un peu dépourvue sans ses valises optionnelles ou un sac de réservoir. En effet, aucun espace de rangement n'est prévu pour transporter ne serait-ce qu'un cadenas ou une bouteille d'eau. On ne peut pas à la fois chasser les kilos superflus et ajouter une foule d'accessoires (à ce sujet, la liste de ceux qui sont offerts par BMW est vraiment exhaustive. De quoi faire grimper la facture de quelques milliers de dollars).
Sur ce genre de routes, le nouveau Boxer est vraiment surprenant. Un délice! Nettement plus coupleux et puissant que son prédécesseur, il gronde affectueusement en prenant ses tours, sans rechigner. Extrêmement doux, il s'ébroue sans cogner dès 1 500 tr/min. Entre le ralenti et 3 500 tr/min, il fait montre d'un couple étonnant et d'une grande linéarité. Puis, jusqu'à 6 500 tr/min, on le sent bâtir sa puissance. Les vibrations sont parfaitement contrôlées et ne sont jamais rédhibitoires. Passé ce cap, le twin offre une poussée remarquable, pour un Boxer, on s'entend, jusqu'à la zone rouge qui débute à 8 000 tr/min. Aucun de ces ancêtres ne faisait preuve d'une telle vigueur, ni d'une telle aisance dans les tours. Ni d'une douceur aussi importante. En pleine accélération, la moto a même tendance à se lever de l'avant... La présence d'un amortisseur de direction n'est donc pas fortuite. Qui vous a dit que la R était une moto pépère? De plus, le flat-twin doit son agrément remarquable à sa formidable disponibilité et à l'immédiateté de la réponse à la poignée des gaz. Un vrai charme sur les petites routes.
Quand la R se prend à jouer les S
Après une pause à Barry's Bay où nous arrivons à l'heure du lunch, nous attaquons la portion la plus sinueuse de notre parcours. Jusqu'à Huntsville, la route est ponctuée d'une suite de grands virages rapides que l'on pourrait prendre à fond de sixième si les voitures de l'OPP (la police provinciale de l'Ontario) ne patrouillaient pas dans le parc en permanence. Le genre de courbes qui mettent les qualités dynamiques du châssis à rude épreuve. Dans cet environnement, la R1200R est sur son terrain de jeu. Sa partie cycle est imperturbable. Précise, affûtée et intègre. La R1200R négocie ces virages avec aisance, sans bouger d'un poil et pourrait faire la nique à certaines sportives japonaises. Un rail! L'avant semble rivé au bitume, tandis que l'arrière vous guide sans bouger d'un poil. Impériale, je vous dis. Et tout ça, en douceur, sans taxer le pilote ni faire grimper son niveau de stress. Il est toujours en parfait contrôle.
De Huntsville à Parry Sound, on emprunte des routes secondaires très sinueuses, étroites où les virages rapides sont entrecoupés de virages lents qui se négocient en troisième, voire en seconde. À plusieurs endroits, on croise des enchaînements de virages qui rappellent les chicanes que l'on rencontre sur les circuits rapides. Grâce à sa maniabilité hors pair et à la bonne répartition de ses masses, le R s'amuse. Virevolte d'un virage à l'autre. Très précise, elle s'inscrit en courbe avec une facilité déconcertante, même à basse vitesse. Il suffit de regarder où l'on veut aller et on a l'impression que la R prend le relai, calcule la trajectoire idéale, le régime moteur optimal et le rapport approprié pour vous permettre de passer en douceur, sans forcer. Et ressortir en pleine accélération. Elle fait preuve d'une précision chirurgicale et d'une agilité insoupçonnable pour un twin de 1200 cc. À tout moment, le pilote éprouve une confiance totale dans sa monture. La garde au sol est amplement suffisante et lui permet de se prendre pour un as de la Boxer Cup dans les sorties d'autoroutes rapides.
Après huit heures de route, nous arrivons à destination, frais et dispos. Ce qui est tout un hommage à l’efficacité et au confort de la R1200R. Le soleil doré qui flirte avec la surface de la Baie Géorgienne réchauffe la campagne de ses chauds rayons. Nous profitons de l'occasion pour sortir de la ville et réaliser quelques photos dans le décor magnifique de cette région située à deux heures au nord de Toronto. Après quoi nous allons rejoindre un copain avec qui nous avions rendez-vous pour prendre un souper sympa dans un petit resto typique situé au bord du Horseshoe Lake, à côté de Rosseau. La grosse vie sale...
Au terme de cet essai, le seul reproche que je pourrais franchement faire à la BMW est la fermeté relative de sa boîte de vitesse. Cependant, elle est maintenant précise. Ce qui est une bonne nouvelle. Mais, à part ça, le bilan est extrêmement positif. J’aime la simplicité de la R. La façon particulière qu’elle a de synthétiser les qualités intrinsèques des RT et GS, sans leur côté tape-à-l'œil, sans leur sophistication, ni leur équipement pléthorique. La R est la routière ultime: simple, efficace, compétente. Elle propose un ensemble homogène qui privilégie l’efficience. Ce qui n’empêche pas son propriétaire de goûter au luxe germanique. La R offre une tenue de route impériale, des suspensions parfaitement calibrées, un confort royal, un freinage (avec ABS) impossible à prendre en défaut et tous ces petits plus (poignées et selle chauffantes, ensemble de bagages haut de gamme, ABS deux voies, prise accessoire 12 V, suspensions Telelever/Paralever...) qui font qu’une BMW est une routière incomparable, quel que soit le modèle choisi, une machine authentique qui se distinguera toujours des Japonaises de qualité et de prix équivalents. La R1200R redéfinit les standards de performance auxquels toute prétendante au trône de moto universelle par excellence devra se soumettre.
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