Le globe-trotter qui parcourt le monde seul à moto
Publié le 13 juin 2024
Un grand élan de liberté mène le parcours du maricourtois Gilles Picard. Son plus récent exploit : un voyage à moto en solitaire de 60 semaines à travers l’Amérique. Un périple de 37 000 kilomètres qui l’a mené du Québec jusqu’à la limite sud du continent, à Ushuaïa, en Argentine.
Par Sébastien Michon / Le Val-Ouest
Les liens tissés serrés entre Gilles Picard et les bécanes datent de loin. Il achète son premier motocross à l’âge de 16 ans. Inspiré par son frère, plus âgé, qu’il voit rouler depuis sa tendre enfance. « Mon frère était prof à Granby. À la fin de la session, il remettait ses notes, embarquait sur sa moto et disparaissait. »
Mais le véritable point tournant dans la vie de Gilles Picard est la lecture, à l’adolescence, du livre mythique « Pleins gaz », de John Pitt. « Dans les années 1970, cet homme, qui habitait à North Hatley, a voyagé en moto jusqu’en Argentine. En lisant ses articles et son livre, j’étais “crinqué”. Comme peut l’être un jeune. C’est mon inspiration première », reconnaît-il.
Bien qu’il adore enfourcher sa moto pour parcourir les routes, Gilles Picard décide, à l’âge adulte, de mettre sa passion sur la glace. « J’utilisais ma moto une fois par année parce que j’étais rendu père de famille. Ça a mis une pause. »
Vietnam, Laos, Europe… la passion redémarre
Tout redémarre pour lui en 2012. Son frère et des amis l’invitent à se joindre à eux pour un voyage à moto à travers le Vietnam. « Nous sommes partis cinq gars à Hanoï. Nous avons utilisé de vieilles motos pour voyager pendant trois semaines. C’était vraiment beau. Les billets d’avion étaient chers. Mais là-bas, ça ne coûtait presque rien. »
Quelques années plus tard, il prend cette fois la direction du Laos. « Nous y avons retrouvé un de nos amis, un Belge qui vivait au Vietnam et qui a déménagé au Laos. Nous avons à nouveau loué des motos et fait une grande tournée de trois semaines. »
Gilles Picard a désormais bel et bien la piqûre pour l’aventure et le voyage. Dès qu’il le peut, il multiplie les occasions de prendre la poudre d’escampette et de parcourir le monde : Allemagne, Autriche, Suisse, Italie, etc.
Certaines des routes qu’il parcourt lui laissent des souvenirs mémorables. Comme le Col du Stelvio, dans les Alpes. « C’est juste des lacets et ça monte dans des virages bien à pic. Quand la route fait un 180 degrés et qu’il y a un autobus qui s’en vient, tu dois t’arrêter et te tasser sur le bord. »
Ou encore la route alpine du Grossglockner, en Autriche. « Ça passe à travers les montagnes pour aller jusqu’en Italie. La première fois que nous y sommes allés, le chemin était fermé au mois de juillet parce qu’il y avait de la neige ! »
Un projet audacieux : jusqu’au bout de l’Amérique
En 2018, sa vie se réorganise. Gilles Picard quitte son employeur, BRP, après 38 ans de bons et loyaux services. Il consacre désormais beaucoup plus de temps à sa passion. « Depuis que j’ai pris ma retraite, je suis libre comme l’air ! », partage-t-il avec enthousiasme.
Un projet audacieux lui trotte alors dans la tête. Celui d’atteindre le « bout de la route » au nord et ensuite au sud du continent américain.
En 2019, il réalise la première partie de ce voyage en se rendant de Maricourt, en Estrie, jusqu’à Tuktoyaktuk dans les Territoires du Nord-Ouest. « C’est la seule route au Canada qui se rend jusqu’à l’océan Arctique. J’y suis allé la deuxième année après qu’on l’ait ouverte au complet. »
De Tuktoyaktuk, il descend ensuite vers le sud : Yukon, Colombie-Britannique, Alberta, Montana, Nevada. « Je me suis rendu jusqu’à la Vallée de la mort (Death Valley). Il y faisait très très chaud : 53,3 degrés Celsius. Et je devais garder mes rembourrages (“paddings”) sur ma veste et mes pantalons de moto pour que ce soit sécuritaire. J’ai vraiment souffert de la chaleur », avoue-t-il.
Il décide de se donner des conditions gagnantes pour changer sa chaîne et ses pignons (« sprockets »), qui sont usés. Il se lève ainsi à 5 h du matin pour faire la réparation derrière le motel où il loge. « J’étais ainsi assuré de ne pas avoir de pannes en route », marque-t-il.
Gilles Picard se rend ensuite jusqu’à Bahia de Los Angeles, en Basse-Californie. « J’ai installé ma tente sur le bord de la mer. Pensant qu’il y aurait du vent, mais il était inexistant. Il n’y avait personne dans ce camping, parce qu’il faisait trop chaud. Je n’avais même pas installé mon toit de tente. C’était la nuit, j’étais nu et je suais. Ça, c’est de la vraie chaleur ! »
Le lendemain, il change ses plans. « J’étais épuisé et déshydraté. J’ai décidé de me trouver un motel avec l’air climatisé. Lorsque j’y suis arrivé, mes mains tremblaient. J’ai passé deux jours couché. »
C’est là qu’il réalise à quel point son état de santé s’est détérioré. « J’ai fait une formation de pilote privé pour les avions. Il y a un chapitre de la formation qui s’appelle le “facteur humain”. Couché dans le motel, j’ai repensé à ça. Mon mental et mon physique étaient en train de dépérir. »
Retour précipité vers le nord…
Il reprend peu à peu du mieux et décide de rebrousser chemin. « Ma fille allait accoucher et j’ai voulu aller la rejoindre pour m’en occuper. Je suis donc remonté à San Diego, aux États-Unis. J’ai loué un pick-up, y ai mis ma moto. Je me suis rendu jusqu’à Chicago. À partir de là, j’étais assez en forme pour revenir en moto au Québec. »
Pendant la pandémie : découvrir les routes de l’Estrie
Ces quelques défis ne le font pas déroger de son objectif. Il souhaite dès que possible repartir pour atteindre Ushuaïa. Ses préparatifs tombent toutefois à l’eau à cause de la pandémie de COVID.
Gilles Picard a alors des fourmis dans les jambes. Puisqu’il ne peut sortir du pays, voire de la province, il en profite pour rouler dans la région. « Entre le lac Champlain jusqu’au lac Wallace, à Saint-Herménégilde, il n’y a pas un chemin de l’Estrie que je ne connais pas. J’ai parcouru toutes les routes et les chemins de terre de cette zone-là », partage-t-il.
… et les moustiques
Quand la « frontière » entre le Québec et les autres provinces est ouverte à nouveau, il se rend jusqu’à la centrale hydroélectrique de Manic 5 puis au Labrador. « La route est belle et tout asphaltée. Il y a peu de camions et de véhicules qui passent par là. On voit la taille des arbres rapetisser pour voir apparaître la toundra. »
Le « hic » de cette région du nord : les moustiques. « Lorsque j’arrêtais pour manger, je me dépêchais d’ouvrir mon casque pour prendre une bouchée et le refermer. Parce qu’il y a des nuages de moustiques. Malgré tout, certains entraient à l’intérieur du casque. Ce n’était vraiment pas agréable. »
Face à un ours
Il se rend jusqu’au bout de la route, à Cartwright, au Labrador. « C’est une région où il y a peu de stations d’essence. Et ma jauge descendait. À un moment donné, je suis arrivé face à un ours. Je me suis dit : si je ne connecte pas mon réservoir sur la réserve, je vais manquer d’essence. Et l’ours va avoir un lunch gratis. Heureusement, j’ai pu faire la connexion. Plus tard, lorsque je suis arrivé à Cartwright, il me restait environ un quart de litre. Ça m’a permis de tester la limite de mon réservoir d’essence », commente-t-il.
Un voyage qui continue de trotter dans la tête
Une fois la pandémie terminée, il fait des voyages en Norvège et en Australie. Mais son voyage « au bout de l’Amérique » continue de lui trotter dans la tête.
Le 4 février 2023, c’est enfin le grand départ. « Ce jour-là, il faisait -32 degrés Celsius à Maricourt. Ma gang de chums sont venus avec une remorque. Nous avons embarqué la moto, traversé la frontière et nous sommes rendus à Virginia Beach. Après quelques jours, mes amis sont remontés vers le nord et je suis parti vers le sud. »
Ainsi débute un voyage qui va durer un an et demi à travers l’Amérique du Nord, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud.
Une odyssée ponctuée de 1001 merveilles
Gilles Picard en a long à raconter sur son odyssée, ponctuée de 1001 merveilles. Visite en solitaire de ruines archéologiques dans la jungle du Yucatan. Excursion en canot dans une grotte renfermant des restes humains au Belize. Ski alpin dans les Andes. Parcours sur des routes de montagnes à plus de 12 000 pieds d’altitude…
Des règles pour assurer sa sécurité
N’a-t-il jamais eu peur de voyager seul ? « Oui, j’étais craintif. Mais je suivais des règles. Par exemple, quand le soleil était couché, je m’arrangeais pour avoir déjà trouvé un hébergement, avec un stationnement sécuritaire pour ma moto. Et je n’en sortais pas de la nuit. Ou encore, je m’arrangeais pour atterrir, après une journée de moto, à au moins 50 à 100 kilomètres d’une frontière. Parce que ce sont des zones de danger. »
Pendant tout son voyage, il ne s’est jamais senti menacé. « Même les policiers ou les militaires, qui faisaient des barrages, étaient contents de me voir. En voyant les drapeaux du Québec et du Canada devant ma moto, ils me posaient des questions. Ils étaient impressionnés de connaître mon histoire. C’est sûr que la première fois, c’est intimidant de les voir avec une grosse mitraillette en bandoulière, une veste pare-balle et un casque. Mais après, c’était toujours le même scénario. Ils étaient sympathiques et vraiment amicaux. Je pouvais même leur demander des indications routières. C’est comme si un gars en moto, comme moi, c’était quelque chose de valorisé. »
Voyager sans « flasher »
Il ajoute que sa façon de voyager y est aussi peut-être pour quelque chose. « Je ne me promenais pas avec une montre ou des bijoux. Mes vêtements et mes bottes étaient pleins de poussière. Et je ne me promenais pas avec une moto BMW. Je ne “flashais” pas. »
Dévalisé au Pérou
Un incident notable survient à Lima, au Pérou. Il doit changer ses pneus et le seul concessionnaire qui en vend se situe dans cette agglomération. Gilles Picard déroge alors d’une autre de ses règles d’or : se tenir loin des grandes villes. « J’étais sur la rue et homme m’interpelle : “Monsieur, monsieur ! Vous avez de la merde d’oiseau sur vos vêtements. Attendez, je vais vous aider. J’ai des serviettes”. Il m’a aidé à me nettoyer et il est reparti. Plus tard dans la journée, j’ai réalisé que je n’avais plus mon portefeuille. C’était lui qui me l’avait volé. Je ne m’étais rendu compte de rien. C’était un pro. Je lui aurais donné une médaille ! ».
Une « médaille » qui, toutefois, a un revers bien fâcheux. « J’ai tout perdu. Je n’avais plus d’argent comptant et plus de carte de crédit. Plus rien. Je savais qu’il ne fallait pas tout mettre dans mon portefeuille. J’ai été négligent. D’autant plus que le site du gouvernement du Canada décrit exactement le stratagème de ces “pickpockets” au Pérou. »
Après quelques péripéties et deux semaines d’attente, il réussit à obtenir une nouvelle carte de crédit et peut se remettre en route.
Atteindre Ushuaïa et ensuite revenir
Quelques mois plus tard, il atteint enfin Ushuaïa, en Argentine, en pleine tempête de neige. C’est ensuite le chemin du retour vers le Québec. Cette fois en avion.
« Quand je suis revenu, j’avais de la misère à dire mes phrases en français. Parce que je parlais beaucoup en espagnol. Même si, tout au long du voyage, je me chantais à moi-même des chansons en français. »
Ce voyage, Gilles Picard l’a principalement parcouru sur de petites routes ou des chemins de terre. « Rouler sur l’autoroute, je trouve ça plate. Je la prends lorsqu’il n’y a pas d’autres choix. Ce que je préfère, ce sont les petites routes de montagne. »
Il résume sa façon de voyager en deux mouvements. « Avant de partir : préparation, préparation et préparation. Et en route, c’est : improvisation, improvisation et improvisation. »
« Conduire une moto, c’est connecter à un esprit de liberté »
Pourquoi parcourt-il le monde en solitaire ? « Pour la liberté. Je pensais que j’étais un extraterrestre à voyager comme ça. Mais en route, j’ai rencontré plein d’autres extraterrestres comme moi. Des Finlandais, des Allemands, des Américains. Des gens d’un peu partout. »
Justement, qu’est-ce qui caractérise des « extraterrestres » comme lui ? « L’amour de conduire une moto et être libre. Dès que tu embarques sur une moto, tu connectes à un esprit de liberté. Je vais où je veux, quand ça me tente. Il n’y a personne pour me dire : peut-être qu’on pourrait aller là. »
Voyager en solo : une plus grande ouverture vers les autres
Selon lui, voyager en solo permet une plus grande ouverture vers les autres. « Lorsque tu arrêtes quelque part et que tu es seul en moto, quasiment 100 % du temps, il y a quelqu’un qui va venir te jaser. Pour te poser au moins deux questions : d’où viens-tu et où vas-tu ? »
Il avoue tout de même qu’il aurait aimé, de temps à autre, avoir à ses côtés un compagnon ou une compagne. « J’aurais pris des chemins plus difficiles. Mais ça ne me tentait pas de ramasser ma moto tout seul. Même si c’est arrivé une dizaine de fois pendant le voyage. »
La « chienne » de revenir au Québec
Après tout ce temps passé sur les routes, Gilles Picard avoue qu’il avait « la chienne » de revenir au Québec. « Vers la fin, j’avais hâte de revenir, mais pas de quitter mon aventure. »
Sa motivation pour le retour : acheter une maison bigénérationnelle pour y habiter avec sa fille. Une résidence qu’ils ont d’ailleurs trouvée et achetée récemment à Sainte-Anne-de-Beaupré. Après avoir vécu 44 ans dans la région, Gilles Picard déménagera le 1er juillet prochain.
« Mes deux filles sont dans la région Québec. J’ai trois petits-enfants et j’en aurai bientôt un quatrième. Je vais jouer au grand-père et bricoler », confie-t-il.
Toujours la passion pour le voyage
Sa passion pour les aventures et la moto ne le quittent pas pour autant. « Ce n’est pas fini ! Je serai un peu plus limité dans mon budget avec ces nouvelles obligations financières. Mais j’ai l’objectif, en octobre, d’aller voir avec ma sœur les aurores boréales à Radisson, dans la région de la Baie-James. Et en 2025, je veux rouler avec ma moto jusqu’au Labrador. Cette fois pour aller voir les icebergs. Je souhaite aussi visiter mon autre sœur en Australie. Et retourner en Allemagne voir mon frère… »
Oui, vraiment, Gilles Picard a le voyage dans le sang !