Aventures drômoises et autres escapades hexagonales
Publié le 17 février 2015
Depuis 2010, motoplus.ca organise un voyage annuel de 10 jours dans la Drôme auquel sont conviés quatre à six lecteurs. En 2014, le voyage s’est même prolongé d’une semaine pour l’un des participants qui a eu l’occasion de traverser la France d’est en ouest, jusqu’au Pays Basque et du sud au nord, jusque dans la vallée de la Loire, en compagnie de Didier Constant, notre rédacteur-en-chef et « gentil organisateur ». Retour sur cette escapade hexagonale mémorable.
Photos : Didier Constant, Nathalie Renaud, Patrick Laurin, Dave Beaudoin, Guy Parrot, Alain Leclaire, Denis Vayer, Wikimedia Commons
Le premier séjour en Drôme de motoplus.ca remonte à 2009. Il s’agissait d’un voyage exploratoire destiné à établir les bases de ce périple qui est devenu un événement signature pour le magazine. Lors des premières éditions, il se déroulait au début du mois de juin et marquait le lancement officiel de notre saison de roulage. En 2014, nous avons décidé de le déplacer à la mi-septembre et d’ainsi clore notre saison en apothéose. Cette année, cinq lecteurs m’accompagnaient : Patrick, Dave, Olivier, Robert et Alain, un ami français, propriétaire d’une magnifique KTM Superduke 1290R qui faisait l’envie de plusieurs. Patrick, le vétéran, a participé à toutes les éditions de ce voyage, Dave aux trois dernières et Olivier a pris part à celle de 2011. Robert et Alain, quant à eux, découvraient l’événement.
Sur l’autoroute des vacances
Patrick et Dave sont des amis et des compagnons de route fidèles. Ils ont tous les deux acheté une moto d’occasion en France afin de réduire le coût de leurs voyages. Elles sont entreposées avec la mienne, dans un garage que nous louons à l’année, près de chez ma sœur. C’est de là que nous sommes partis, deux jours avant l’arrivée d’Olivier et Robert qui ont pris un vol à destination de Lyon, point de départ officiel de cette expédition drômoise. Ces quelques jours supplémentaires nous offrent l’occasion de les rejoindre en faisant un détour par la Côte d’Azur et les cols des Alpes. Sorte de bonus d’ancienneté, en quelque sorte.
Notre première journée constitue une mise en jambe. Plus de 1000 km en 12 heures, dont la grande majorité par l’autoroute. De quoi mettre à l’épreuve notre résistance et notre forme physique (nous sommes arrivés la veille et nous ne sommes pas encore remis du décalage horaire). Si Pat et Dave bénéficient d’un confort tout relatif sur leurs motos respectives (une Kawasaki Z750 de 2006 et une Yamaha Fazer 600 de 2001), moi je voyage en classe Grand Luxe. En effet, BMW France a mis à ma disposition une BMW R1200GS 2014 tout équipée, avec valises. Régulateur de vitesse réglé à 137 km/h pour ne pas faire exploser les radars, je dévore l’autoroute sans forcer.
À notre départ d’Orléans, vers 8 h, il fait soleil, mais plutôt frais, une température typique de la mi-septembre. Sous mon manteau Bering Alias, je supporte facilement ma veste et mon sous-pull Scott. Et je ne regrette pas d’avoir mis ma cagoule. Plus nous descendons vers le sud, plus le mercure du thermomètre grimpe pour atteindre 25 degrés en après-midi. Malgré l’autonomie importante de ma monture (plus de 350 km), nous faisons une pause tous les 250 km, afin que mes compagnons de voyage ne tombent pas en panne sèche. L’occasion de se désaltérer un peu, de se vider la vessie et de se dégourdir les jambes.
À la sortie de Montélimar, la température change. Je sens l’air chaud de la Provence m’envelopper et j’entends le chant des cigales chatouiller mes tympans. « On dirait le Sud, le temps dure longtemps et la vie sûrement plus d’un million d’années et toujours en été »*. Nous continuons sur l’autoroute E80, jusqu’aux abords de Roquebrune, pas très loin de la frontière italienne. Lorsque nous arrêtons faire le plein à la dernière station essence du côté français, le soleil est bas et baigne la baie de Monaco. Il est 19 h. Il fait encore chaud. Au loin, on distingue Vintimille et la Riviera italienne. Des bateaux de croisière et des voiliers luxueux dansent sur les eaux calmes de la méditerranée tandis que des ombres tentaculaires enveloppent progressivement le paysage et l’attirent irrémédiablement du côté obscur.
Après ce bref intermède, il nous reste environ 30 minutes à parcourir avant d’atteindre notre hôtel à Sospel, dans les Alpes maritimes, où nous allons passer la nuit. La D2566, la route qui nous conduit à destination, se tortille dans tous les sens. Un vrai manège enchanté où nous nous amusons comme de grands enfants. Cette portion de départementale sinueuse, qui monte et descend au gré des accidents du relief, nous donne un aperçu des chemins que nous allons emprunter le lendemain. Déjà, j’ai l’eau à la bouche.
Nous arrivons à l’hôtel avant la tombée de la nuit, juste à temps pour nous restaurer et jeter un coup d’œil émerveillé au panorama qui s’offre à nous. Notre hôtel, situé à la sortie du village, surplombe la vallée et nous offre une vue imprenable sur Sospel et ses environs. À l’horizon, les Alpes délimitent notre point de vue. On devine le massif de l’Authion et le col de Turini dans la pénombre. La soirée est fraîche et silencieuse. Seuls les ronflements de mes compagnons de voyage viendront interrompre mes rêveries durant cette nuit magique.
Au sommet de l’Europe
Sospel est située à 20 km au nord de Menton, à environ 350 m d’altitude, aux portes du parc national du Mercantour. Avec son célèbre Pont Vieux à péage, un pont fortifié datant du XIIIe siècle, un des derniers d’Europe, Sospel est un bourg médiéval tranquille localisé sur le bord de la rivière Bévéra. C’est l’un des points de départ pour accéder au mythique col de Turini, qui culmine à 1 604 mètres et dont les motards raffolent, particulièrement ceux venus d’Italie qui en ont fait leur terrain de jeu privilégié.
Quand nous arrivons au col, des dizaines de motos, la plupart immatriculées dans le Piémont ou en Lombardie, sont stationnées devant l’hôtel-restaurant Le Ranch du col de Turini. Ça jase fort, à grand renfort de gestes et de mouvements de la main, ça se raconte des histoires dignes du Joe Bar Team, ça fume, ça rit et ça prend des photos à qui mieux mieux. Dans la montée, des fous furieux en sportives, dans leurs combinaisons de cuir multicolores, nous ont doublés, parfois en dépit des règles élémentaires de sécurité, pour baisser la cadence une fois devant nous. Un pilote local en KTM 690 Duke chaussé de pneus slicks, nous a même passé en plein virage aveugle, le genou frôlant l’asphalte, pour ensuite disparaitre à la faveur des nombreuses courbes. Bienvenue en France!
De Sospel au col de la Bonette, l’itinéraire de 225 km prend grosso modo cinq heures, notre moyenne horaire se situant aux alentours de 50 km/h dans cette zone montagneuse élevée et très sinueuse. Le chemin emprunte une partie de la légendaire route des Grandes-Alpes qui relie Menton, sur la Côte d’Azur, à Thonon-les-Bains, près du lac de Léman.
Après une balade improvisée autour du Col de Turini, en pleine campagne, à la suite d’une erreur d’aiguillage, nous nous dirigeons vers Utelle et Puget-Théniers où nous nous arrêtons pour le déjeuner. Il est midi. Le soleil plombe et il fait une chaleur agréable. Aujourd’hui, c’est jour de marché. La terrasse du restaurant est bondée et nous devons nous installer dans la salle climatisée. Même si nous sommes pressés par le temps — nous devons rejoindre Olivier et Robert à Valence pour 20 h —, nous profitons de cette pause repas pour relaxer. De toute façon, impossible de manger en moins de deux heures en France. Et il ne sert à rien de presser la serveuse, ce qui aurait pour effet de ralentir le service et de la mettre de mauvaise humeur.
En quittant Puget-Théniers, en direction de Guillaumes, puis de Saint-Sauveur-de-Tinée, je savais, pour l’avoir déjà empruntée auparavant, que nous nous dirigions vers une des plus belles portions de route de la journée, voire du voyage. Les gorges de Daluis, creusées par le Haut-Var dans des sols de pélite rouge, sont absolument magnifiques. Elles s’étendent sur dizaine de kilomètres. Elles débutent un peu avant l’entrée du village de Daluis pour se terminer à Guillaumes. On y accède par la D2202 qui suit le fleuve dans une succession de méandres et de lacets qui ne semble pas vouloir s’arrêter. Puis, de Guillaumes à Saint-Sauveur-de-Tinée, les départementales D28 et D30 sont un ravissement. Le paradis du motard sportif. Ces deux routes viroleuses zigzaguent dans les gorges, à flanc de montagne. Les virages en épingle se succèdent en cadence, entrecoupés par de grandes courbes rapides où l’on peut prendre des angles incroyables. Dans des panoramas grandioses. J’envie les motocyclistes locaux de vivre dans un tel environnement.
Ensuite, on monte tranquillement vers Jausiers, plus au nord, au pied du col de la Bonette (2 715 m), en passant par Isola, une station de ski réputée des Alpes du Sud. La section de route qui passe par le col de la Bonette relie la vallée de l’Ubaye à celle de la Tinée. Le col se situe entre la cime de la Bonette (2 860 m) et la cime des Trois Serrières (2 753 m). Cette route est considérée comme la plus haute d’Europe, même s’il existe une controverse à ce sujet, sur laquelle je ne m’étendrai pas.
La grimpette jusqu’au col reste un des temps forts de ce voyage. Dans ce paysage désertique, la route découpe une montagne aride, faite de roche grise qui donne au décor des allures lunaires. Malgré le soleil, il fait presque froid — on a perdu une dizaine de degrés par rapport à la vallée — et il vente à écorner les bœufs. Là, les motocyclistes se font plus rares. Au sommet, on peut admirer les versants nord, vers La Condamine-Châtelard et sud, vers Barcelonnette, où nous nous dirigeons. Le panorama est irréel. Féérique. Quand nous quittons le col, il est déjà 16 h 30. Et plus de 276 km nous séparent de Valence. Il va falloir se cracher dans les mains et mettre du gros gaz pour y arriver à l’heure prévue.
La descente vers Barcelonnette et Saint-Vincent-les-Forts est vertigineuse. La route à forte déclivité plonge dans la vallée, étroite et piégeuse. Elle tournicote sur elle-même, comme un ver de terre qui cherche à s’enfuir dans une tentative futile et vaine d’échapper à l’hameçon. En bas, elle poursuit son trajet sinueux jusqu’à Gap, sur le plat. Nous y arrivons vers 18 h 30. Le soleil baigne la vallée d’une lumière dorée, douce et magique. Si tout va bien, nous devrions arriver à Valence à temps, en passant par Aspres-sur-Buëch, Die, Saillans et Crest. Une superbe route que nous avons parcourue des dizaines de fois au cours de nos escapades drômoises. Elle est marquée par des dizaines de grands virages rapides qui se prennent à vive allure, dans une sorte de tango interminable. Au fur et à mesure que nous avançons, le soleil glisse derrière les montagnes. Quand nous arrivons à l’hôtel, à Valence, il fait nuit, mais nous sommes à l’heure. Après avoir rangé nos motos et défait nos bagages, nous rejoignons Olivier et Robert au restaurant, un peu plus loin. Ils viennent d’arriver et sont en train de siroter l’un une bière, l’autre un verre de vin rouge. L’odeur qui vient de la cuisine me chatouille les narines et m’ouvre l’appétit. Même s’il ne s’agit pas d’un restaurant étoilé du Guide Michelin, mais plutôt d’un boui-boui perdu dans une zone industrielle, ce soir, ça me convient tout à fait. Je ne ferai pas la fine bouche…
Home Sweet Drôme
Nous partîmes trois; mais par un prompt renfort, nous nous vîmes six en arrivant à bon port**. Cette phrase inspirée du Cid de Pierre Corneille m’est venue à l’esprit instantanément en retrouvant toute la bande au restaurant de l’hôtel, le matin, pour le petit-déjeuner. Vestige de mes cours de français, au lycée, elle est pourtant parfaitement adaptée à la situation. Nous sommes tous là, attablés devant un buffet copieux, prêts à attaquer les magnifiques routes de la région que nous connaissons tous par cœur, à l’exception de Robert pour qui c’est la première visite en Drôme. Je lui explique qu’il s’agit d’une région de rêve pour rouler. Un parc d’attractions grandeur nature pour motocyclistes, magique, grandiose! Disneyland version motards!
Mais il m’écoute d’une oreille distraite, tout comme Olivier. Ils ont juste une hâte : ramasser leur moto. Pascal, le propriétaire de l’agence, arrive fort à propos, quelques minutes plus tard, avec sa fourgonnette. Il vient les cueillir à l’hôtel pour les conduire à l’agence. Du grand service! Une heure plus tard, nous quittons Romans-sur-Isère à la queue leu leu. Olivier a loué une Ducati Monster 696 — il ne tardera pas à s’en mordre les doigts, ou plutôt les fesses, en l’occurrence — alors que Robert a fait un choix plus judicieux, jetant son dévolu sur une rutilante Triumph Tiger 800 blanche avec ses valises. Après avoir chargé nos bagages, nous allons retrouver Alain qui nous a donné rendez-vous à la gare de Valence — il est parti plus tôt d’Auxerre où il habite — puis nous partons pour Curnier et notre gîte pour la semaine, en empruntant des routes buissonnières. Nous y arrivons en milieu d’après-midi. Des retrouvailles agréables avec notre hôtesse Claudine, une Suissesse charmante et fort sympathique.
La Fenière est un havre de paix, localisé dans le bucolique village de Curnier. Il est situé non loin de Nyons, que l’on surnomme « la Nice des Alpes dauphinoises » ou « le Petit Nice » en raison d’un ensoleillement comparable à celui de la perle de la Cote d’Azur. La Fenière est une demeure que j’adore. C’est presque ma résidence d’été. Depuis les six dernières années à tout le moins. Ce n’est pas pour rien que j’y reviens année après année. Le gîte est superbe, confortable et très bien entretenu. C’est un endroit reposant. Le soir, on prend l’apéro sur la terrasse en regardant le soleil se coucher derrière les monts Essaillon, Garde-Grosse, Saint Jaumes et Vaux. Ces reliefs forment un cirque qui s’ouvre en éventail, au couchant, sur la vallée aval de l’Eygues. Ces contreforts confèrent à ce coin de paradis un microclimat exceptionnel dont nous jouissons sans retenue.
La Drôme est un département qui s’étend surtout en longueur du nord-ouest au sud-est, sur une distance de près de 150 kilomètres alors que sa largeur varie de 25 kilomètres à hauteur de Tain-l’Hermitage, l’endroit le plus étroit, à 90 kilomètres vers Saillans, au point le plus large. La majeure partie du territoire appartient au domaine alpin, le reste s’étendant sur une zone de transition avant la vallée du Rhône. Le fleuve sert de limite occidentale au département.
La Drôme est une contrée centrale qui donne accès au Vercors, aux Alpes, au Lubéron, à la Provence, aux Cévennes, ainsi qu’à l’Ardèche et à ses magnifiques gorges. Elle vit un peu dans l’ombre de ces régions réputées qui l’entourent et c’est ce qui fait son charme. Moins touristique que ces dernières, elle a su garder son caractère sauvage intact et propose des routes superbes, bien entretenues et dotées d’un revêtement allant de décent à parfait; elles se taillent un chemin à travers les collines ou les massifs des Alpes du Dauphiné et du Vercors grâce à des tunnels creusés à flanc de montagne ou serpentent simplement entre les obstacles naturels, comme le Claps, un site classé, situé à deux kilomètres au sud du village de Luc-en-Diois, et qui a été créé par l’éboulement d’une partie de la montagne, au 15e siècle.
La Drôme constitue une destination de choix pour les motocyclistes et compte une multitude de routes sur lesquelles se faire plaisir en toute sécurité. Les vallées se succèdent dans une variété de paysages incroyables et on passe de l’une à l’autre en empruntant des dizaines de cols qui dominent la contrée à plus de 1 100 mètres d’altitude (Col de la Machine, Col de St-Alexis, Col de la Chau, Col de l’Echarasson, Col de Carri, Col de la Bataille, Col de Vassieux, Col du Rousset, Col de Grimone, Col d’Ey…). Sans oublier le majestueux et mythique Mont-Ventoux, barrière naturelle qui délimite le département, au sud.
Du haut de ses 1 912 mètres, le Ventoux, comme l’appellent affectueusement les locaux, semble surveiller les environs, de tous côtés. Son sommet est constamment balayé par des vents violents. Véritable lieu de pèlerinage pour les cyclistes pour lesquels il constitue un sommet mythique, lieu de duels d’anthologie entre les légendes du Tour de France cycliste, c’est aussi un rendez-vous incontournable pour les motards européens qui mettent un point d’honneur à accéder à son sommet par tous les versants. Ce que nous ne manquerons pas de faire à répétition durant cette semaine. Si la montée du Ventoux est palpitante, la descente est tout simplement magique. Dangereuse aussi. Car faite de virages rapides, souvent en devers, où l’on atteint les limites d’adhérence du pneu avant. Ces courbes traîtresses sont bordées soit par des ravins vertigineux soit par une forêt dense et peuvent vous surprendre à tout moment. Dans un cas comme dans l’autre, la chute n’est pas une option. Personnellement, j’avoue avoir un faible pour la descente par la face sud, vers Malaucène. D’un côté la montagne, de l’autre le ravin. Entre les deux un mince ruban d’asphalte noir et lisse qui se tortille comme un alambic. Et le pur plaisir de rouler. À la limite! Au bord de l’extase…
Pendant toute une semaine, cet environnement idyllique va nous tenir lieu de terrain de jeu. Il me suffit de me remémorer certains tronçons de route pour retrouver le sourire et la bonne humeur. Mais lequel de ces moments me laisse le souvenir le plus prégnant? Est-ce que ce sont les multiples montées et descentes du Mont-Ventoux menées à un rythme très sportif, en compagnie d’Alain et de Pat? La mythique montée du col du Rousset, au nord de Die, avec ses virages en épingle et son bitume lisse comme de la peau de fesses de bébé? La grimpette de St-Jean-en-Royans vers le cirque de Combe Laval, par la forêt domaniale de la Sapine–Côte Belle et le Col de la Machine? Le cirque lui-même, avec son panorama grandiose, ses falaises à pic qui plongent dans la vallée, mille mètres plus bas et la route étroite en lacets qui creuse des tunnels sombres à flanc de montagne? La route nationale qui relie Gap à Aspres-sur-Buëch, puis à Curnier, avec ses longs virages rapides que l’on prend à fond de train, dans la fraîcheur de la fin de journée? La descente en zigzag sur Buis-les-Baronnies, à partir du Col d’Ey? Ou bien encore la route sinueuse entre Curnier et Nyons, négociée à un rythme d’enfer, plusieurs fois par jour et qui constitue mon TT personnel? À moins que ce ne soit un mélange de toutes ces balades? Je ne saurais le dire, mais ces instants magiques restent gravés dans mon cortex cérébral, héritage mnémonique qui me permet d’affronter les mauvaises passes de la vie… et l’interminable hiver québécois.
Les gorges de l’Ardèche : un détour incontournable
Durant cette semaine, nous n’avons quitté le territoire de la Drôme qu’à deux reprises. Pour aller visiter les sublimes gorges de l’Ardèche et pour nous promener dans les Hautes-Alpes. Et chaque fois, la pluie s’est invitée. Comme pour nous punir de nos infidélités.
Pour notre balade aux gorges de l’Ardèche, le soleil brillait à notre départ de Curnier. Il nous a accompagnés jusqu’à Pont-Saint-Esprit où il nous a laissés en plan à la sortie de la ville. La pluie s’est manifestée quelques kilomètres plus loin, alors que nous entamions la partie la plus palpitante du trajet, tout juste passé Saint-Martin-d’Ardèche. Là, dans un décor à couper le souffle, la D290 prend de la hauteur et surplombe les gorges de l’Ardèche, véritable canyon d’une trentaine de kilomètres creusé dans un plateau calcaire qui s’étend jusqu’à Vallon-Pont-d’Arc. Cette départementale sublime revêt alors des airs de serpentin magique. Elle forme des centaines de méandres plus ou moins ouverts afin de contourner les flancs rocheux du plateau de l’Ardèche et se révèle être une des routes les plus intéressantes de la région. Une des plus dangereuses aussi. Chaque année, des dizaines de motocyclistes s’y blessent ou y trouvent la mort. Il faut la traiter avec respect. Une sortie de route et c’est le saut de l’ange dans les gorges, plongeon mortel qui ne vous rapporte aucune note artistique ni éloge du jury. Carrément géniale quand il fait beau, cette départementale sinueuse se transforme en piège sous la pluie. Le plaisir disparait rapidement, faisant place à l’appréhension pour certains, au stress pour d’autres voire à la panique. On roule alors sur des œufs, en étant très doux sur les freins et en négociant les virages avec prudence.
Après avoir passé le pont d’Arc, une arche de calcaire de 60 mètres de haut creusée par l’Ardèche, sous laquelle la rivière continue à s’écouler, nous faisons halte à Vallon-Pont-d’Arc. Là, nous nous arrêtons dans un bon restaurant que j’apprécie particulièrement, judicieusement nommé « L’Ardéchois ». Il est situé derrière l’église, légèrement en retrait de la rue commerçante. et on y sert des spécialités de la région — le castagnou (apéritif à base de liqueur de châtaignes et de vin blanc), les charcuteries locales, dont la fameuse caillette, une délicieuse côte de bœuf, le picodon (fromage de chèvre) et le légendaire gâteau ardéchois, à base de châtaignes — le tout arrosé d’un délicieux vin du Pays des Coteaux de l’Ardèche. Le restaurant dispose d’une terrasse voutée ombragée où nous nous installons. Aujourd’hui, ce n’est pas le soleil qui nous dérangera. Ni la foule. La terrasse est déserte. Il faut dire que nous sommes un peu en avance sur l’horaire. Nous en profitons pour prendre l’apéro et discuter avec la serveuse qui est aussi charmante qu’aimable. Pendant ce temps, la terrasse se remplit tranquillement. Le repas est succulent et on n’est pas trop pressé de reprendre la route. Il bruine encore et le fond de l’air reste frais. Le dessert arrive, délicieux! On flâne un peu en prenant le café, puis on reprend enfin la route en direction de Saint-Agrève, puis de Lamastre. La pluie a cessé, mais la chaussée est encore légèrement humide par endroits.
Un peu après Lamastre, la D533 plonge en zigzag sur Valence, préfecture et principale commune de la Drôme. C’est une descente hallucinante, tout en virages serrés, sur près de 40 km. Calée en troisième, ma moto danse d’une courbe à l’autre à un rythme soutenu, sans que j’aie besoin de jouer du sélecteur, suivi comme mon ombre par Alain et Pat. Nous nous sommes rapidement détachés du groupe et nous en profitons pour savourer cet instant de pur bonheur. Arrivés à Saint-Péray, en bas de la cote, à quelques kilomètres de Valence, nous nous arrêtons pour attendre nos collègues. Je descends de la GS et je jette un coup d’œil à nos pneus. Wow! Ils commencent déjà à boulocher, comme lors d’une journée de roulage sur piste. Aucune trace de bande de peur (Chicken strip). Ils sont usés jusqu’au bord du pneu.
Une fois reconnectés avec le reste du groupe, nous contournons Valence pour rentrer à Curnier en passant par Crest, Saou, Dieulefit et Nyons, un autre itinéraire que nous connaissons comme le fond de notre poche. À notre arrivée au gîte, le soleil est ressorti pour nous accueillir. Tout comme Claudine qui nous gratifie d’un large sourire.
Escapade alpine
Deux jours plus tard, nous décidons d’aller rendre visite à mes amis Alice et Christophe, à Briançon. Christophe a pris congé afin de nous accompagner aux cols du Lautaret et du Galibier (plus tôt, en juin, lors de notre périple transeuropéen, j’avais promis à Patrick d’y retourner puisque la pluie nous avait empêcher d’en profiter). Là encore, la flotte viendra gâcher notre escapade alpine. Au départ de Curnier, très tôt le matin, le ciel est gris et menaçant. On a plus de 600 km à faire dans la journée, principalement en montagne, soit une bonne douzaine d’heures de route en comptant les arrêts. Pour gagner du temps, nous prenons la D994 jusqu’à Serres (une magnifique départementale roulante, avec de grandes courbes rapides) pour ensuite opter pour la N94 jusqu’à Briançon, notre première étape. À Savines-le-Lac, 50 km avant notre destination, une averse soudaine se déverse sur nos têtes, ruinant la plus belle section de ce parcours. Les derniers kilomètres de la montée se font à vitesse réduite. La pluie et le froid nous gèlent les os.
En arrivant à Briançon, nous faisons quelques courses au village, en prenant soin de ne pas oublier d’acheter des desserts à la boulangerie, et nous nous invitons chez nos hôtes pour un pique-nique improvisé. Christophe semble encore plus déçu que nous de cette température maussade. Il se faisait un plaisir de nous faire découvrir son coin de pays et ses routes sécrètes. Mais tout le monde fait contre mauvaise fortune bon cœur et retrouve rapidement son sourire. Nous prenons le temps d’enlever nos habits de pluie et de mettre notre équipement à sécher dans la remise avant de passer à table.
La cuisine de « la maison bleue » est soudainement remplie de motards. Tout le monde fait connaissance, échange anecdotes et expériences puis partage le repas en toute simplicité et en toute amitié. Au café, la pluie a cessé. Il fait encore gris. À l’est, le ciel semble vouloir se dégager. Nous décidons alors de faire un tour jusqu’à Susa, en Italie, par la route de montagne qui mène à Turin en traversant le Val de Suse, dans la partie occidentale du Piémont italien. Une boucle d’environ deux heures qui devrait nous permettre d’être de retour à temps à Curnier pour le souper.
En arrivant à Montgenèvre, à la frontière, le brouillard nous attend. Puis, quelques kilomètres plus loin, il disparait comme il était venu. La chaussée est encore humide et rendue glissante par le diesel qui remonte à la surface de l’asphalte. Sur cette section de route géniale par temps sec, nous redoublons de prudence, même si nous maintenons un rythme soutenu. Devant, Christophe ouvre le chemin. Alice, assise derrière la KTM 1190 Adventure R, prend des photos en roulant, imperturbable. Sans se soucier le moins du monde de ce qu’il se passe. Christophe adopte maintenant une allure sportive. Alain, sur sa Superduke le suit à la trace dans les multiples virages de la descente vers Susa. Sur la GS, je leur colle aux basques. Derrière, les autres nous suivent de loin, à leur rythme. De toute façon, il est impossible de se perdre. Il n’y a ni intersection ni changement de direction. À Susa, le temps maussade a chassé les badauds des rues. Les terrasses de café sont désertes. Nous nous arrêtons à l’une d’elles pour relaxer. L’occasion pour certains de siroter un espresso serré et pour d’autres de griller une cigarette savamment roulée à la main. Le temps file. Nous devons rentrer à Briançon, par la même route puis à Curnier où Claudine nous attend pour souper.
Quand nous quittons Christophe et Alice, à la sortie de Briançon, l’astre du jour est réapparu, comme pour nous narguer. Nous roulons vers l’ouest, à vive allure, le soleil dans les yeux. Ce dernier joue à cache-cache avec les montagnes et baigne toute la région d’une envoutante lumière orangée. C’est féérique. Une fin d’après-midi sublime. Une de ces journées d’automne chaude et ensoleillée typiques du sud-est de la France. En plein été, la chaleur ici est accablante. Mais aujourd’hui, on dirait le Paradis sur Terre.
À Verclause, la D994 s’élargit et devient D94. Elle se tord dans tous les sens, à flanc de montage, dans le fond de la gorge, suivant le cours tortueux de l’Eygues. À partir de Rémuzat, à 16 km du gîte, l’asphalte vient d’être refait. Le soleil est désormais couché. Le crépuscule a envahi la vallée de sa lueur magique. Il ne fait pas encore totalement sombre. Malgré la fatigue, j’augmente la cadence, décidé à battre un record sur cette portion de route que je connais par cœur pour l’avoir faite des dizaines de fois et toujours à fond. Je connais chaque virage par son prénom et je tutoie l’asphalte de la pointe de mes bottes. Le revêtement est parfait. D’un noir intense, comme le jais. Au loin, les lumières de Curnier me guident comme un phare dirige les marins, en pleine mer. Cette route est tout simplement sublime. Un vrai régal. Quand j’arrive enfin à la Fenière, je suis exsangue, mais heureux. Le temps d’ôter mon casque et mes compagnons d’aventure arrivent à leur tour au gîte. Ils rentrent leur moto dans le garage. Et malgré la fatigue qui se lit sur leur visage, eux aussi ont les yeux qui brillent de satisfaction. Quelle journée magnifique!
La fin d’une aventure
Pendant une semaine, nous avons sillonné la région dans tous les sens, visitant ses villages perchés (Montbrun-les-Bains, Le Poët-Laval, La Garde-Adhémar), ses villes provençales (Buis-les-Baronnies, Vaison-la-Romaine, Grignan, Suze-la-Rousse, Montélimar), le massif du Vercors, la forêt de Saou et une foule d’autres coins magnifiques. Nous avons emprunté des routes géniales, certaines grimpant sans fin dans une succession de virages en épingle jusqu’au sommet des cols des Alpes du Dauphiné pour plonger aussi rapidement dans des descentes vertigineuses. Peu de lignes droites au menu, ou alors très courtes. Des courbes à profusion au point où la tête nous tournait parfois comme si nous venions de passer la journée dans les manèges de La Ronde.
Puis, la fin du périple s’annonce. Le vendredi, Patrick est le premier à nous quitter. Il doit rentrer à Montréal pour reprendre le travail. Le samedi, c’est au tour d’Alain de regagner ses pénates. Il va retrouver sa femme et ses enfants. Avant ça, il nous accompagne jusqu’à Carpentras, ou nous déjeunons à la terrasse d’un restaurant sympa, après une ultime montée du Ventoux et une excursion dans les gorges de la Nesque, par une journée glorieuse.
De notre côté, nous poursuivons notre balade vers le Lubéron, en empruntant des routes secondaires étonnantes, quasiment désertes. Nous faisons un détour par le village classé de Venasque, une dizaine de kilomètres au sud de Carpentras. Venasque est situé sur un éperon rocheux aux flancs abrupts, au débouché des gorges de la Nesque. La route qui y mène se dirige ensuite vers Murs, la combe de Vaulongue, Gordes pour finalement rejoindre Roussillon, un autre patelin classé parmi les plus beaux villages de France. Roussillon est célèbre pour la richesse de ses ocres qui lui procurent un environnement et un point de vue uniques.
Le lundi, Olivier et Robert doivent rapporter leur moto à l’agence en début d’après-midi. Nous profitons de la matinée pour faire une virée dans la Drôme des collines, au nord de Valence, dernière escapade de cette semaine de rêve. Après les avoir laissés avec Pascal, Dave et moi reprenons la route. Il nous reste encore une semaine d’aventures à vivre. Et des centaines de kilomètres de routes enchantées à découvrir.
Et si on allait voir le viaduc de Millau?
Depuis sa première visite en Drôme, Dave veut voir le viaduc de Millau. Il faut dire que l’ouvrage vaut le détour. Malheureusement pour lui, chaque fois que nous décidons d’y aller, un imprévu nous en empêche. Personnellement, je l’ai emprunté souvent pour aller à Perpignan ou en Espagne. Le viaduc de Millau est un gigantesque pont à haubans qui franchit la vallée du Tarn. Portant l’autoroute A75, il fait la jonction entre le Causse Rouge et le Causse du Larzac en franchissant une brèche de 2 460 mètres de longueur et de 270 mètres de profondeur au point le plus élevé, dans un panorama grandiose. Il est souvent balayé par de forts vents susceptibles de souffler à plus de 200 km/h.
Quand on roule sur le viaduc, on ne voit pas vraiment la vallée en contrebas. Notre vue est bloquée par l’écran brise-vent qui protège les véhicules des rafales qui assaillent le pont, souvent de travers. Cependant, quand on l’observe à partir de la vallée, de Millau ou des alentours, l’ouvrage est majestueux. Impressionnant!
À partir de Valence, Millau est situé sur l’une des routes menant aux Pyrénées et au Pays Basque, notre destination des prochains jours. Ce n’est pas la voie la plus directe pour s’y rendre, mais elle est superbe et traverse des paysages sublimes. Je propose donc à Dave de faire un crochet et de nous y arrêter pour la nuit. Il acquiesce avec enthousiasme. Il va enfin pouvoir réaliser son rêve. D’autant que la température est superbe.
Environ 350 km nous séparent de Millau où nous devrions arriver en fin d’après-midi. Comme nous avons un peu de temps devant nous, je choisis un itinéraire bucolique passant par Aubenas et les plateaux de l’Ardèche, pour ensuite traverser le Parc National des Cévennes, via Florac et Mende, avec un crochet par les gorges du Tarn. Cette balade nous fait sillonner certains des plus beaux coins de la France, l’Ardèche, les Cévennes, la Lozère et l’Aveyron. Des endroits reculés auxquels on accède par des routes secondaires sinueuses. Un plaisir qui se mérite et se savoure.
C’est un après-midi merveilleux. Mais en arrivant à Mostuéjouls, une trentaine de kilomètres au nord de Millau, le ciel se couvre soudainement. De gros nuages noirs assombrissent la vallée. Quand nous entrons dans Millau, nous distinguons à peine le viaduc au loin, plus à l’ouest. Demain matin, nous irons le voir de plus près. Pour l’instant, la priorité est d’aller à l’hôtel et de trouver un bon restaurant pour la soirée.
Quand nous sortons pour souper, il pleut fort. Les quelques bars du centre-ville encore ouverts sont animés, mais les rues sont désertes. Les magasins ont fermé leurs portes. Dans la vieille ville historique, les terrasses des restaurants sont vides. Les quelques touristes qui sont encore présents dans la région en cette fin de saison sont restés à l’hôtel, chassés par la pluie. Nous nous installons à la terrasse d’un restau sympa qui propose à son menu une saucisse paysanne accompagnée d’un traditionnel aligot aveyronnais. Une vraie tuerie! L’aligot est une préparation faite avec une purée de pommes de terre à laquelle sont mélangés de la crème, du beurre et de la tome d’aligot, un fromage local. On ajoute un peu d’ail pilé ou haché finement. Cette préparation doit être longuement travaillée afin d’obtenir une texture très élastique. Délicieux, mais un peu lourd avant d’aller se coucher…
Direction les Pyrénées et les Landes
Le lendemain matin, au réveil, la vallée est enveloppée par le brouillard. Une bruine légère tombe. Éthérée et froide. Et bien entendu, impossible de voir le viaduc. Nous sortons de la ville pour grimper sur les hauteurs du Puncho D’Agast et accéder à un promontoire qui offre habituellement une vue imprenable sur la vallée et le pont. Là, seule la pancarte nous indiquant la présence du viaduc, droit devant, confirme que nous sommes au bon endroit. Mais on n’aperçoit ni silhouette ni ombre fantomatique du pont. Pourtant, l’ouvrage est là, gigantesque, imposant. Mais le brouillard est impénétrable. Nous abandonnons de guerre lasse et nous poursuivons notre route, déçus d’avoir fait un tel détour en pure perte. Je vais finir par croire que Dave nous porte la poisse.
Quelques dizaines de kilomètres plus loin, à la sortie de Sainte-Affrique, le brouillard se dissipe enfin et la pluie fait place au soleil. Nous poursuivons notre route, traversant Albi « la rouge », joyau du Tarn, avec sa légendaire cathédrale Sainte-Cécile et son Palais de la Berbie, siège du musée Toulouse-Lautrec. Puis nous continuons par Montauban, Auch et Mont-de-Marsan où nous retrouvons mon frère Marc. J’aperçois son indestructible Suzuki GSX-1400 avant de le voir lui-même. Il nous attend chez Vincent Motos, un de ses amis, concessionnaire Suzuki à Mont-de-Marsan et à Dax. Après une visite du magasin, un café et une rencontre sympa avec le maître des lieux, nous rejoignons Saint-Paul-lès-Dax et l’hôtel thermal Sourceo où nous passerons la nuit. Marc nous y accompagne. Une fois nos bagages rangés et bien installés, nous allons relaxer aux thermes. Au menu, spa nordique, hammam, piscine thermale. Un vrai plaisir après une grosse journée de route…
La soirée, quant à elle, est consacrée aux retrouvailles avec mes frères Marc et Gilles, ma belle-sœur Martine et toute la famille. Sans oublier Angelo, huit mois, le fils de mon neveu William et représentant de la nouvelle génération de Constant. Un moment délicieux! Trop rare et trop court cependant. Mais qui justifie pleinement ce détour éclair et cette traversée est-ouest du sud de la France.
Retour à la case départ
Quand nous nous levons, le soleil brille. Il s’est mis sur son 31. Comme pour célébrer notre départ. Même si j’en ai envie, nous ne pouvons pas vraiment nous attarder à Dax et je quitte la famille à regret. Nous devons rentrer à Orléans en soirée, puis déposer la R1200GS chez BMW France, le lendemain, avant le début du week-end. Pourtant, pas question de prendre l’autoroute pour rentrer. J’ai mon itinéraire personnel, celui que je réserve aux grandes occasions. Il passe par les Landes, le Lot-et-Garonne (Casteljaloux, Virazeil, Marmande), la Dordogne (Bergerac, Périgueux), la Haute-Vienne (Limoges), l’Indre (Châteauroux), le Cher (Vierzon) et le Loiret (Orléans). Soit près de 650 km de routes enchantées dans certains des plus beaux coins de France.
En adoptant un rythme relax, Dave et moi mettons environ huit heures, pause repas comprise, pour effectuer ce parcours que j’apprécie particulièrement et que je fais généralement seul. Depuis mon enfance, c’est ma route préférée pour aller dans le sud-ouest ou en Espagne. Elle traverse des paysages magnifiques, passant des plaines du Centre, aux monts du Limousin et de l’Auvergne, puis des monts du Périgord et ses sites exceptionnels aux forêts des Landes.
Nous arrivons chez ma sœur en fin d’après-midi, à temps pour l’apéro avec le clan et les potes. Un repas copieux s’en suit. Il fait bon être chez soi, du moins dans la famille.
Un voyage mémorable
Le vendredi matin, Dave et moi rapportons la GS dans la banlieue sud de Paris, comme prévu, puis nous nous dépêchons de rentrer avant la fin de la matinée. Nous mangeons sur le pouce et nous partons pour une balade sur les bords du Loiret et les Châteaux de la Loire, pèlerinage sur les traces de mon enfance. Je retrouve avec plaisir Rossinante, ma fidèle Suzuki Inazuma. Simple, efficace et toujours prête à partir à l’aventure. Aujourd’hui, nous n’accumulons pas beaucoup de kilomètres. Tout juste 150 à 200. Mais nous voyageons à rebours dans le temps. Je retrouve les chemins de mon adolescence, ceux qui longeaient le Loiret, quand j’allais au collège à Olivet par les routes de campagne. Je revis mes excursions en mobylette, avec mes potes, quand nous sillonnions les environs sans fin, dans la douce chaleur de l’été. Quand nous partions pour assister à des concentrations moto, des courses internationales (Grand Prix de France, 24 Heures du Mans moto, Bol d’or…) ou pour prendre nos premières vacances en deux roues. Tout me revient. Les couleurs des champs, les odeurs, le bruit des deux-temps dans la campagne assoupie, les sensations que j’éprouvais alors. Les copains aussi, dont certains ont disparu depuis. Je revois leurs visages d’ados émerveillés qui brulaient la vie par les deux bouts et profitaient de chaque instant comme si c’était le dernier. Qui goûtaient la vie avec délectation et insouciance. Temps béni de la jeunesse…
La moto est un formidable véhicule des émotions. Elle possède un incroyable pouvoir d’évocation et ce don particulier de transformer nos chaînes en voiles. Cette facilité à nous libérer de nos contraintes, à nous faire oublier nos soucis et à transmuter les aléas de la route en pur bonheur. Elle constitue un excellent remède contre le vieillissement de l’âme. À moto, j’oublie mon âge pour ne me souvenir que de mes rêves de gamin attardé, de mes envies, des bons moments passés avec ma famille et mes amis. À l’aulne de la soixantaine, je ne me sens pas prêt à arrêter de faire de la moto, à raccrocher mon cuir, comme le veut l’expression consacrée. Je me sens encore jeune et vaillant. Comme le dit ma maxime préférée : « On n’arrête pas de rouler parce qu’on devient vieux, on devient vieux parce qu’on arrête de rouler! » Personnellement, je vais tout faire pour ne pas vieillir trop rapidement. Et je vous invite à m’accompagner dans mon prochain périple en France. Vous êtes partants? Regardez bien les magnifiques photos qui accompagnent ce reportage et dites-moi que ça ne vous donne pas envie… La majorité des gens qui m’accompagnent en France reviennent, année après année. Parce que l’endroit est magique. Et aussi parce qu’ils carburent à la passion et à l’amitié, comme moi!