« Le saviez-vous ?

La saga du contre-braquage

Le fait de réaliser qu’il faut tourner le guidon dans le sens contraire de la direction d’intention peut s’apprendre et être assimilé par déduction et rétroaction et ainsi devenir un automatisme.

Le cerveau fait face à une contradiction qui fait que dans la majeure partie des situations de la vie avec la plupart des véhicules, il faut orienter la direction dans le sens de la trajectoire choisie. Pour une enfant, le passage de la conduite d’un tricycle à une bicyclette équipée de roues de stabilité puis à une bicyclette sans roues de stabilité ne se fait pas sans problème. Sur un tricycle, il doit tourner le guidon dans la direction où il veut aller. Sur une bicyclette équipée des roues de stabilité, il obtient le même résultat à basse vitesse, mais le contraire à haute vitesse, quand aucune des roues de stabilité ne touche le sol et que l’ensemble se comporte comme un véhicule univoie.

À force d’expérimenter le déclenchement et le contrôle d’une inclinaison par le mouvement opposé du guidon, le schéma s’inscrit progressivement dans la partie du cerveau responsable de l’apprentissage et finit par devenir un automatisme.  

Plusieurs personnes se déplacent à bicyclette ou à moto sans être conscientes qu’il faut d’abord momentanément tourner le guidon dans le sens contraire de la direction d’intention.

Pour les motocyclistes, qui ne sont pas conscients de ce fait, l’explication de ce phénomène vient souvent perturber ce qu’ils faisaient automatiquement. Le fait de devoir désormais passer par une séquence explicite « pousser du côté où on veut aller », ajoute une étape au processus de pensée qui allonge par le fait même le temps d’exécution. C’est surtout vrai quand ce phénomène de « contre-braquage » est enseigné comme une méthode spécifique destinée à éviter les obstacles à partir d’une certaine vitesse. 

Cette procédure du contre-braquage est enseignée dans les cours de conduite comme une technique destinée à éviter un obstacle soudain. Souvent, l’élève découvre vraiment pour la première fois qu’il faut faire pivoter momentanément le guidon dans le sens contraire de la direction d’intention. Certains restent avec l’idée que cette caractéristique n’est valable que pour cette manœuvre.

L’examen de la Société de l’assurance automobile (SAAQ) pour l’obtention d’un permis de conduire moto comporte une évaluation spécifique de cette manœuvre. Lors de l’examen, le candidat doit éviter un obstacle d’une largeur de trois mètres soit par la droite, soit par la gauche en respectant l’indication d’un signal donné alors qu’il se trouve à moins de 10 mètres de l’obstacle virtuel.

Des 10 mètres dont il dispose, un motocycliste expert prendra 3,5 mètres pour la manœuvre de changement de direction comme telle. Il lui en reste donc 6,5 mètres pour assimiler et décoder l’information (le sens de la flèche) et réagir au stimuli. Le candidat peut se présenter à une vitesse située entre 20 km/h et 30 km/h à l’entrée de l’épreuve. Or s’il se présente à la vitesse minimum, il dispose de 1,2 seconde contre 0,8 seconde à 30 km/h puisque le déclenchement de la flèche n’est pas fonction de la vitesse d’entrée. Parce que l’espace-temps décodage et l’espace-temps manœuvre ne sont pas délimités dans l’épreuve, plusieurs candidats anticipent le stimulus et débutent la manœuvre dès le passage des balises d’entrée. Chaque candidat possède donc une chance sur deux d’avoir anticipé la bonne direction.

Selon Daniel Willingham, un psychologue de l’université de Virginie, il nous est possible d’apprendre d’une façon explicite quand la séquence d’une procédure nous est expliquée d’avance. Nous pouvons aussi apprendre la même procédure d’une façon implicite en expérimentant la procédure sans en connaître la séquence. Ces deux formes d’apprentissage sont séparées et font appel à des parties différentes du cerveau.

Willingham explique que quand nous apprenons à effectuer une série de gestes pour la première fois, nous pensons à la séquence d’une façon très délibérée, d’une manière mécanique. Mais aussi tôt que nous commençons à devenir meilleurs, l’implicite prend le dessus et nous devenons plus efficaces sans même y penser. La partie du cerveau dans laquelle réside l’apprentissage implicite est préoccupée par la force et la synchronisation et quand ce système s’enclenche, il est alors possible de développer précision et finesse. « C’est quelque chose qui arrive graduellement et à la fin vous n’êtes plus vraiment conscient de ce que vos mains font exactement ». 

Un problème peut parfois surgir quand dans des conditions de stress, il arrive que le système explicite prenne le contrôle sur le système implicite. « À ce moment précis, on redevient des débutants. Le stress a aussi tendance à effacer la mémoire à court terme ».

On pourrait penser que pour un motocycliste qui amorce par habitude ces changements de direction d’une façon implicite et automatique, le fait de devoir désormais passer par une séquence explicite « pousser du côté où on veut aller », ajoute une étape au processus de pensée et par le fait même allonge le temps à l’opération.

En accidentologie, plusieurs rapports exposent une quantité appréciable de situations de collisions où des témoins et des indices révèlent que le motocycliste a modifié sa trajectoire vers l’obstacle au lieu de tenter de l’éviter. Comme le souligne la Motorcycle Safety Foundation dans son Guide Motorcycling Excellence, la majorité des motocyclistes sont aussi des automobilistes et qu’avec une automobile, pour aller à droite, il faut tourner à droite, le contraire d’une moto. Dans une situation de stress, l’automatisme le plus ancré dans le cerveau peut prendre le dessus. Le besoin de développer chez les motocyclistes une méthode susceptible de développer et de maintenir le bon automatisme de changement de direction apparaît capital. La méthode actuellement enseignée du contre-braquage ne semble pas générer suffisamment cet automatisme recherché. 

Les experts qui se sont penchés sur le développement spécifique de cet automatisme dans le cadre de formation chez les motocyclistes recommandent la mise au point d’un automatisme basé sur une phrase ou un slogan de quelques mots qui rappellera et identifiera les étapes à suivre. Cet automatisme devrait faire référence à la vision, l’action particulière sur le guidon et l’action globale. Des mots clés sur lesquels il sera possible de s’appuyer pour décomposer et recomposer les étapes de la manœuvre d’évitement. Des mots et des procédures qui pourront être répétés jusqu’à ce que ça devienne un automatisme prioritaire à moto. Certains de ces chercheurs suggèrent d’inciter le pilote à déplacer le haut de son corps vers l’avant et dans la direction voulue sans modifier leur emprise des bras sur le guidon. Ce mouvement entraînerait indirectement la rotation désirée du guidon.

Au niveau de l’évaluation de la pratique et du test, ils proposent de séparer l’espace-temps du décodage du stimulus de celui de la manœuvre pour empêcher toute forme d’anticipation.

Pour le stimulus, ils suggèrent que ce dernier soit négatif, c’est-à-dire qu’il symbolise quelque chose à éviter plutôt que d’indiquer la direction à emprunter. Il devrait être placé à une hauteur à être déterminée et non au sol, de plus il devrait être synchronisé en fonction de la vitesse d’entrée. Plusieurs cours destinés aux policiers motocyclistes ont désormais adopté ces recommandations.

L’Américain Wilbur Wright (1871-1912), un des pionniers de l’aviation, avait déjà remarqué et décrit cette caractéristique de la direction d’un véhicule de type monovoie. Ce constat a permis à Wright de solutionner le contrôle sur ses prototypes d’avion en installant des ailerons. Wright pouvait dorénavant faire incliner ses prototypes sur l’axe du roulis et ainsi entreprendre des virages.

L’expression contre-braquage fréquemment utilisée dans le domaine automobile fait référence à une manœuvre de récupération. Cette manœuvre consistant à tourner le volant dans le sens contraire du virage vise à rattraper un dérapage latéral vers l’extérieur des roues arrière. Peut-être faudrait-il parler d’un braquage d’amorce ou d’un braquage d’appel en ce qui concerne la conduite d’une moto.

2 réponses à “Conduite 101”

  1. André Mailhot

    Salut Didier. J’ai appris cette méthode en 1974 lorsque j’ai suivi mon cours de Moniteur de cours de moto du Conseil Canadien de la sécurité. À cette époque il qualifiait cette technique de contradictoire, mais réaliste. Nous étions tous des motocyclistes expérimenté, et de tourner à gauche pour allé à droite ça nous faisaient flippé ben raide, mais là là ont en as appris une bonne. Depuis c’est commun, ont le fais tous et sans le savoir. Bye Didier.

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  2. Serge Fortin

    un autre problème à moto, si on regarde vers une direction, ça entraîne inévitablement (machinalement ??) la moto dans cette direction… donc si un obstacle surviens sur la route, si on le regarde -> on se dirige dessus… faut apprendre à chercher la place de sortie et ne pas regarder l’obstacle…

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