En Grand Prix, les Américains redéfinissent l’adhérence
Publié le 24 juillet 2024
Au début des années soixante-dix, le Championnat du monde de vitesse moto se déroule presque exclusivement sur le continent européen. Cette série d’une douzaine d’épreuves, que les pilotes participants appellent « Continental Circus », taxe sérieusement les limites des motos. La faible rigidité des cadres, l’inefficacité des freins et surtout la faible adhérence des pneus ne peuvent plus accommoder adéquatement le surplus de puissance des nouveaux moteurs de l’époque.
Photos : Didier Constant, Stan Perec, Yamaha, DR
Arrive alors en scène l’Américain Kenny Roberts (photo d’ouverture) en 1978. Surprenant les experts du milieu, il devient champion du monde de l’ultime classe 500c à sa première saison. Prouvant que ce n’est pas un fait dû au hasard, il engrange trois titres consécutifs pour Yamaha.
Roberts disposait d’une solide expérience des courses sur terre battue acquise aux États-Unis préalablement dans sa carrière. Se déroulant sur des pistes conçues pour des courses de chevaux mesurent au maximum un mille.
Au guidon de bicylindres de 750 cc démunies de frein avant, les compétiteurs passent de vitesses de l’ordre de 225 km/h en ligne droite à 145 km/h dans les virages. Pour ce faire, la technique utilisée pour dissiper la vitesse consiste à délester la roue arrière en coupant brusquement l’accélérateur au même moment ou le pilote transfère son poids vers l’avant en relevant le haut de son corps qui devient un frein aérodynamique.
Immédiatement, la moto se met en travers, en survirage. Pour contrôler le dérapage qui s’en suit, le pilote s’appuie sur son pied gauche équipé d’un sabot en métal. Pour toute la durée du virage, le tandem trajectoire-vitesse résulte d’un ensemble de forces engendrées par les impulsions du guidon, les mouvements continus du corps du pilote qui doit compenser les actions imprévisibles du pneu arrière dont les limites de l’adhérence ont largement été dépassées. L’ébauche de l’équation à plusieurs inconnues du survirage à moto est désormais posée. Pas tout à fait encore résolue.
Quand Roberts arrive en Europe pour participer au Championnat du monde de vitesse (Grand Prix), il évalue la possibilité d’adapter en partie cette technique. Éliminant le scénario du pied au sol dans les virages, il se questionne sur une procédure qui pourrait avoir un effet semblable. Il constate que le pilote finlandais Jarno Saarinen, qui lui aussi fait ses débuts en Grand Prix, se déhanche considérablement en virage et fait légèrement déraper sa roue arrière. Saarinen tire profit de son expérience des courses sur glace.
Roberts innove en prolongeant le déhanchement avec une sortie du genou. Les résultats sont immédiatement chiffrables et spectaculaires. Roberts incline sa moto à des angles qu’on croyait alors impossibles avec des pneus à profil en V.
L’ajout d’un patin de protection en caoutchouc (slider) sur les combinaisons de cuir au niveau des genoux devient une nécessité. Cette façon de faire deviendra le principe de base de « l’École américaine » qu’adopteront plus tard Randy Mamola, Freddie Spencer, Eddie Lawson, Wayne Rainey, Kevin Schwantz et Nicky Hayden. Plusieurs pilotes européens choisissent alors d’effectuer une partie de leur entraînement sur terre.
Puis arrive l’Australien Casey Stoner qui possède le don de s’adapter à sa machine. Lui aussi bardé de victoires sur terre battue, il exige peu d’ajustement de la part de son équipe technique quand il arrive sur le circuit des grands prix. Cette capacité d’adaptation lui permet de tirer le maximum de potentiel de ses pneus en début de course pour ensuite choisir des trajectoires à double apex en fonction de leur dégradation.
Avec le temps et l’amélioration des pneus, le français Jean-Philippe Ruggia en 1988 réussit à s’incliner au point de frotter le sol avec son coude. De nos jours, plusieurs pilotes utilisent simultanément les coudes et les genoux comme point d’appui en virage.
Et puis, il faut mentionner le style de l’Australien Garry McCoy que personne n’a réussi à copier. Chez Michelin, on n’a jamais vraiment compris comment il réussissait à faire patiner son pneu arrière sans entraîner de dégradation significative.