Perceptions et réalités
Publié le 10 juin 2024
L’homme agit en fonction de sa propre perception du risque. Le choix des actions qu’il exécute est relié à l’indice de dangerosité estimé par son cerveau.
Photos © Motoplus.ca
Pour les humains, détecter et éviter les dangers font partie des priorités de son instinct de survie. Cependant, cet instinct doit aussi accommoder la réalité quotidienne qui entraîne une certaine prise régulière de risques. Cette adaptation à la réalité constitue un des principaux facteurs de l’insécurité routière. L’erreur humaine est de loin la principale cause de l’insécurité routière.
Chaque individu dispose de sa propre perception du risque. La façon dont il perçoit le risque dépend d’une multitude de facteurs complexes découlant en grande partie de son vécu, c’est-à-dire l’accumulation de ses expériences. Non seulement le cerveau doit estimer rapidement la gravité des conséquences, il doit aussi calculer simultanément les probabilités de survenue d’un accident. Suivant cette évaluation, il commandera alors ou non une action spécifique à suivre.
En matière de circulation routière, presque à tout moment, les usagers de la route doivent donc gérer leur conduite en rapport avec leur environnement constitué majoritairement par d’autres usagers qui agissent eux aussi selon leur propre perception du risque.
Cet éventail disparate de perceptions du risque fait que certains d’entre eux préfèrent modifier leur itinéraire afin d’éviter de passer sous un long tunnel, tandis que d’autres considèrent que le risque de pratiquer du surf sur le toit d’une voiture en mouvement est tolérable.
Les stratégies des autorités en sécurité routière visent essentiellement à atténuer les effets de ce chaos annoncé. Leurs interventions passives donnent des résultats probants dans plusieurs domaines ; réglementation, conception des véhicules, qualité des infrastructures, promotion, etc.
Mais toutes ces interventions n’ont que peu ou pas d’effets sur la perception personnelle et variable de chaque usager. Dans certains cas, elles ont même un effet contraire.
Un usager est peu enclin naturellement à modifier sa perception personnelle. Comparé à sa propre expérience, le message généralement communiqué par les autorités ne lui paraît pas très crédible, surtout quand il est question de vitesse.
Les années de conduite accumulées sans collision ou perte de contrôle peuvent lui faire penser que ce bilan est un gage de sécurité pour le futur. Un statisticien pensera exactement le contraire.
Une étude suédoise a mis de l’avant l’hypothèse qu’une augmentation de 10 % de la limite de vitesse permise augmenterait le nombre de collisions mortelles de 45 %.
Plus récente, une étude de l’École polytechnique de Montréal en 2003, subventionnée par la SAAQ, débouche sur une hypothèse similaire, mais en mettant l’accent sur les bienfaits d’une réduction de vitesse. Dans cette étude, il y est écrit en conclusion : « Cette étude confirme la validité de la vitesse légale de 50 km/h en milieu urbain au Québec. Plus spécifiquement, les résultats obtenus indiquent que grâce à une réduction de vitesse à 50 km/h, on obtiendrait une réduction de 83 % des collisions frontales avec des blessures graves ou mortelles, de 33 % des collisions latérales et de 23 % des collisions avec piétons ». Des arguments de taille qui devraient logiquement influencer la perception du risque auprès d’un usager de la route.
Cependant, l’étude suédoise va plus loin. Elle conclut qu’en appliquant ce sur-risque de 45 %, les probabilités pour un conducteur d’être impliqué dans une collision mortelle seraient de l’ordre d’une seule fois sur une période comprise entre 900 et 11 000 années. Dit autrement, avec un peu de chance, un mauvais usager ne respectant pas les limites de vitesse a peu de risque d’être impliqué dans une grave collision durant sa vie.
La promotion de la sécurité routière insiste souvent sur la gravité des collisions alors que la perception des usagers se montre plus sensible à leurs fréquences.
Les promoteurs de la prévention en sécurité routière sont en partie responsables de ce malentendu. Les énoncés de leurs discours dérapent facilement face à la logique populaire. Un slogan abstrait comme « La vitesse tue » n’est pas très parlant pour une victime d’agression attendant avec impatience l’arrivée d’une ambulance.
Les déclarations erronées et répétées à outrance par des personnalités du milieu scientifique ne contribuent pas non plus à la crédibilité du message. Quand un porte-parole officiel, d’une table de concertation mise en place par la SAAQ, déclare à tort, lors d’une conférence de presse, « que la vitesse engendre une diminution de l’adhérence des pneus », ce n’est pas une erreur, mais bien une faute.
Cette résistance des usagers routiers à percevoir la vitesse comme un facteur de dangerosité peut aussi s’expliquer par le fait que dans presque la plupart des autres activités humaines, la vitesse est valorisée.
En accidentologie, la vitesse est souvent accusée, à raison, de toujours constituer un facteur aggravant et même parfois, désignée, à tort, comme le principal facteur causal. Tandis que simultanément à l’autre bout de la table, les traumatologues insistent sur la nécessité essentielle d’une prise en main rapide des victimes. La durée de cette intervention, après avoir été décrite en « Golden hour » (heure d’or), se mesure désormais en « Platinium 10 minutes » (les 10 minutes de platine). Il est maintenant acquis que la stabilisation de la victime devrait se faire sur place, avant même son transport vers un hôpital.
Si la perception collective du risque routier ralentit la progression des efforts mis en place par les autorités, c’est la perception individuelle qui agit carrément comme un frein sur les résultats.
Chaque fois qu’un usager croit avoir amélioré ses habiletés de conduite, son niveau de confiance augmente. Ce surplus de confiance l’incite souvent et inconsciemment à prendre plus de risque.
Les cours de conduite devraient donc en théorie enseigner la base des manœuvres requises pour que l’élève puisse normalement évoluer dans la circulation, sans que son appréhension de départ se transforme trop en gain de confiance. Facile à dire, plus compliqué à analyser et mesurer.
Les études les plus sérieuses démontrent clairement que les cours de conduite n’améliorent pas la sécurité des motocyclistes. Ceux qui ont suivi un cours sont aussi souvent impliqués dans des collisions et des pertes de contrôle que ceux qui n’ont pas été obligés d’entre suivre un. Cette conclusion n’est plus contestée parmi les experts. La question est plutôt à savoir si le niveau des habiletés enseignées est trop faible en rapport avec le gain de confiance ressenti par celui qui passe avec succès son examen et obtient son permis. La relation entre ces deux facteurs reste toujours sans réponse.
Si les cours de conduite n’entraînent pas d’effets positifs, les cours de perfectionnement destinés aux motocyclistes désireux d’améliorer leurs habiletés auraient, eux, des effets négatifs. Le gain de confiance dépasserait l’effet des meilleures habiletés.
Les premières études sur l’homéostasie du risque, publiées progressivement durant les années 1970 et 1980, ont suscité beaucoup d’espoirs parmi les chercheurs en sécurité. Plusieurs y ont vu un outil potentiel pour explorer et modifier le comportement humain. Certains ont même cru pouvoir régler tous les problèmes de l’accidentologie, une science qui n’existait pas encore à l’époque. Cet enthousiasme a fini par accoucher de la théorie « Vision zéro ». D’abord décrite comme un ensemble de mesures et stratégies destinées à éliminer la totalité des accidents routiers, pour plus tard baisser la barre à la moitié. Aujourd’hui, la position officielle de la science reconnaît que la notion du risque zéro reste une utopie dans tous les domaines nécessitant une intervention humaine.
La photo d’introduction a été prise au circuit Ricardo Tormo, de Valence, en 2015, lors d’une journée de piste organisée par l’École de pilotage Freddie Spencer/4G. Le pilote est Ruben Xaus, le passager Hector Barbera. Un duo explosif et hautement expert.