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Plus véloce qu’enduro !

Texte : Costa Mouzouris — Tradaptation : Didier Constant — Photos : MV Agusta

Certains motards ne veulent peut-être pas l’entendre, mais les motos d’aventure sont l’équivalent des VUS sur deux roues. Cela dit, le segment ADV est celui qui connaît la plus forte croissance dans le monde de la moto, et les machines disponibles sont parmi les plus pratiques pour la route, avec une ergonomie décontractée (surtout pour les pilotes de grande taille), une maniabilité semblable à celle d’une moto de sport sur la route, et elles sont suffisamment agiles en sentier pour élargir considérablement les possibilités de conduite. On peut dire que MV Agusta arrive à la fête en retard en présentant sa toute première moto ADV seulement cette année, mais appelons cela un retard à la mode, car après avoir conduit la MV Agusta Enduro Veloce 2024 pendant 250 km sur certaines des routes les plus sinueuses de la Sardaigne, elle a prouvé que sur le bitume, elle a ce qu’il faut pour rivaliser dans une catégorie peuplée de machines très compétentes.

Ce qui la fait vibrer

Le constructeur italien de motos haut de gamme a décidé d’adopter une approche légèrement différente en construisant sa première moto d’aventure ; il a décidé de rester fidèle à son héritage et de construire une moto qui penche davantage vers le côté sportif du spectre ADV. Une vidéo promotionnelle diffusée lors de la présentation technique du lancement de la moto en Sardaigne a montré des images de la moto à des vitesses élevées, semblables à celles d’une sportive et sur des routes pavées sinueuses.

Au cœur de l’Enduro Veloce se trouve un tout nouveau moteur trois cylindres en ligne de 931 cc, compact et léger (57 kg seulement), qui revendique une puissance de 122 chevaux et un couple de 75,2 lb-pi, dont 85 % sont disponibles à partir de 3 000 tr/min. Le moteur a un rapport volumétrique élevé de 13,4:1, ce qui nécessite du supercarburant. Une caractéristique intéressante que l’on trouve habituellement sur les motos de course est une boîte de vitesses à cassette qui peut être retirée du côté droit du moteur sans diviser les carters.

J’adore le caractère des trois cylindres en ligne, que ce soit chez Triumph, Yamaha ou MV Agusta, car ils offrent une plage de puissance qui se situe quelque part entre celle d’un bicylindre en V et celle d’un quatre en ligne ; des tonnes de couple à bas régime et beaucoup de traction à haut régime. Alors que Triumph a eu recours à un vilebrequin en T pour ses motos ADV à trois cylindres (ordre d’allumage irrégulier de 180/270/270 degrés), ce qui élargit encore l’étendue du couple, l’Enduro Veloce conserve un ordre d’allumage conventionnel de 120 degrés, en accord avec le caractère plus sportif de MV Agusta. L’Italienne ne perd pas beaucoup de puissance à bas régime par rapport aux Triumph et elle se déchaîne à haut régime, tout en produisant ce bourdonnement enivrant du triple arbre à cames en ligne.

Le moteur est alimenté par une injection électronique Mikuni, un accélérateur électronique Ride-by-Wire, et s’accompagne d’une multitude de modes de conduite et de réglages de contrôle de traction. Du côté de l’échappement, une soupape à commande électronique s’ouvre complètement à 4 500 tr/min, ce qui confère au triple un grondement digne d’une supersportive lorsqu’il accélère dans la plage de régime. Le moteur se distingue des autres trois cylindres sur le marché par son vilebrequin contrarotatif qui tourne dans le sens inverse des roues, ce qui a un effet bénéfique sur la maniabilité et la stabilité de la moto. Mais aussi sur la tenue de route, mais nous y reviendrons plus tard.

Le châssis

L’Enduro Veloce repose sur un tout nouveau châssis composé d’un cadre périmétrique en acier, d’un cadre auxiliaire amovible en acier et d’un robuste bras oscillant en aluminium moulé sous pression. Sachs fournit les composants de la suspension : à l’avant, une fourche inversée de 48 mm réglable en détente sur un fourreau, en compression sur l’autre et en précontrainte du ressort ; à l’arrière, un monoamortisseur à liaison progressive réglable en compression, en détente et en précontrainte. Le débattement de la suspension aux deux extrémités est de 210 mm, ce qui explique en grande partie que la selle réglable se trouve à une hauteur de 850 à 870 mm du sol. Le poids à vide annoncé est de 245 kg.

La moto évolue sur des jantes à rayons Excel tubeless montées sur des moyeux usinés CNC. Les roues ont un diamètre de 21 et 18 pouces et sont chaussées de pneus Bridgestone Battlax A41, mais MV a également homologué des pneus Bridgestone AX41 plus épais pour les excursions plus sérieuses sur la terre. Le freinage est assuré par Brembo, avec des étriers radiaux Stylema à quatre pistons et des disques de 320 mm à l’avant, et un disque de 265 mm avec étrier à deux pistons à l’arrière. L’ABS réglable à détection d’inclinaison est de série.

Électronique de pointe

Comme la plupart des grosses motos de sa catégorie, l’Enduro Veloce est équipée d’un système électronique exhaustif. Le tableau de bord est composé d’un écran TFT couleur de 7 pouces, qui permet de contrôler les modes de conduite et d’autres fonctions. L’Enduro Veloce est équipée d’un allumage sans clé, de quatre modes de conduite (Urban, Touring, Off Road et Custom All-terrain), de huit niveaux de contrôle de la traction pour les pneus de route et de huit niveaux adaptés aux pneus à crampons. Les menus sont faciles à parcourir, et il est particulièrement intéressant de noter que les réglages du contrôle de traction, de l’ABS et du mode de conduite peuvent être sélectionnés en cours de route. Qui plus est, la moto conserve les réglages choisis au redémarrage.

Il existe deux niveaux d’ABS : le niveau 2 permet une intervention totale ; le niveau 1 réduit l’intervention à l’avant et la désengage à l’arrière pour le tout-terrain ; il peut également être désactivé dans les modes Off Road ou Custom. Le bouton de démarrage sert également de commutateur de mode de conduite une fois que le moteur est en marche ; il m’a fallu un certain temps pour oser appuyer sur ce bouton pendant que je roulais, car mon cerveau a été programmé au fil des ans pour éviter de faire ça afin d’éviter de faire exploser le démarreur. Cela ne s’est pas produit ici.

L’Enduro Veloce est également équipée de deux niveaux de frein moteur, d’un contrôle de wheeling, d’un contrôle de soulèvement de la roue arrière, d’un contrôle de démarrage (réaffirmant le penchant sportif de MV), d’une connectivité Bluetooth et Wi-Fi, et est compatible avec un GPS. Elle peut aussi enregistrer la télémétrie et les informations d’itinéraire à bord, qui peuvent ensuite être transférées sur votre téléphone à l’aide de l’application gratuite MV Ride, qui propose une navigation virage par virage. Les ports USB et USB-C sont situés à droite du tableau de bord.

La seule chose qui manque, c’est une suspension semi-active à réglage électronique, mais on nous a dit qu’un tel système était déjà à l’étude. Un quickshifter bidirectionnel est proposé de série ; il fonctionne très bien à la montée des rapports, mais il est un peu rude et imprécis à la descente. Il donne également un à-coup supplémentaire déconcertant qui fait avancer la moto de manière inattendue. Cela s’est produit environ cinq fois en l’espace de 75 kilomètres avant que je ne cesse de rétrograder avec le quickshifter. Nous étions sur des motos de préproduction qui présentaient quelques autres pépins, notamment un voyant moteur qui a dû être remplacé et des clignotants à annulation automatique qui ne s’annulaient pas.

Un style sublime

En ce qui concerne le style, j’ai toujours trouvé que les motos MV Agusta se distinguaient par des lignes exquises, un flair exotique et des éléments de style uniques, comme les roues à rayons absolument stupéfiantes des anciens modèles Dragster, et la combinaison encore plus folle de roues à rayons et de roues en carbone sur la dernière Dragster RR SCS. Cependant, je trouve que, tout comme dans le monde des VUS automobiles, l’Enduro Veloce a un style traditionnel voire banal se fondant dans le monde plutôt conservateur ADV — peut-être pas trop discrètement, mais pas aussi audacieusement que d’autres designs MV dans leurs catégories respectives. La finition de la peinture est quant à elle impeccable.

Le carénage comporte trois lamelles latérales pour évacuer l’air chaud du moteur et le rediriger loin du pilote, bien que le trois cylindres de l’Enduro Veloce soit censé produire la température de fonctionnement la plus basse de tous les moteurs MV. Le pare-brise non réglable du carénage offre une bonne protection contre le vent depuis le casque jusqu’aux pieds, bien qu’il fasse vibrer la palette d’un casque ADV. La selle est recouverte d’un matériau suédé plutôt que vinyle. L’éclairage à DEL est de série et la moto bénéficie d’une garantie d’usine de quatre ans, standard sur tous les modèles MV à partir de 2023.

Sur la route

Version équipée avec pneus à crampons

Une boucle d’essai de 250 kilomètres nous a conduits sur certaines des routes les plus sinueuses de Sardaigne, presque toutes goudronnées. L’Enduro Veloce s’est révélée étonnamment agile sur ces routes étroites, sinueuses et parfois bosselées, passant d’un virage à l’autre avec une rapidité et une maestria surprenante pour une moto dotée d’une roue avant de 21 pouces. Elle conservait une trajectoire serrée tout au long des courbes. Impressionnant ! Ayant oublié qu’elle utilise un vilebrequin contrarotatif, j’avais mentionné à un compagnon de route sur une aire de repos que j’étais impressionné par ses prouesses sur le bitume. Il m’a alors rappelé cette caractéristique inhabituelle du vilebrequin de la MV, et j’ai eu un moment d’étonnement en pensant : « ah, il y a donc du vrai dans l’affirmation de MV selon laquelle l’effet gyroscopique du vilebrequin contrarotatif annule essentiellement celui de la roue avant, ce qui permet des changements de direction particulièrement rapides ». La moto a même bien réagi à un freinage tardif, en tournant avec précision tout en restant relativement ferme sur les freins. La suspension a très bien fonctionné, gardant la moto bien ancrée et stable à haute vitesse, tout en étant suffisamment ferme pour autoriser un rythme agressif sur le bitume sans se vautrer.

Alors que la gestion de l’injection électronique était impeccable dans tous les modes de conduite, j’ai trouvé que l’accélérateur lui-même était ferme et manquait de jeu, donnant l’impression d’être préchargé lorsqu’on le fermait. Après m’y être habitué, c’était à peine perceptible sur la route, mais c’était plus évident une fois que l’on quittait le bitume. Le moteur tire en douceur et avec force dès 2 000 tr/min, et accélère de plus en plus fort à mesure que l’aiguille du compte-tours se rapproche de la ligne rouge située à 10 200 tr/min. La sonorité et la puissance brute à haut régime m’ont incité à faire tourner le moteur à plus de 6 000 tr/min, ce qui m’a procuré des sensations de sourire. Le moteur émet également des bruits occasionnels lors des changements de vitesse et des grondements lors de la fermeture de l’accélérateur, ce qui ajoute au plaisir auditif. La boîte de vitesses enclenche les rapports avec légèreté, sauf si l’on passe les vitesses sans embrayage à l’aide du quickshifter, ce qui raffermit un peu la sensation au levier.

Malheureusement, la partie tout-terrain de notre randonnée s’est limitée à quelques tours sur un sentier de terre pour les photos. La moto utilisée pour cette partie de la randonnée était équipée de pneus à crampons AX41. On a tout de suite remarqué la brusquerie de l’accélérateur en dehors de la route, ou plus précisément, l’empressement du moteur à faire tourner le pneu arrière lorsque le contrôle de traction est désactivé. La moto était étroite entre les genoux en position debout, et la suspension, qui avait été réglée plus souple, s’est avérée assez efficace, absorbant efficacement une grande partie de son débattement sur le terrain accidenté. Plus de temps passé sur la moto aurait permis une évaluation plus approfondie des capacités tout-terrain de la MV, mais ma première impression est qu’elle peut supporter des conditions bien plus difficiles que celles que nous avons rencontrées lors de cette balade.

Une aventurière exotique

Bien que l’Enduro Veloce soit l’interprétation de MV Agusta de la moto ADV, elle entre dans le segment en tant que produit premium, un peu comme Lamborghini l’a fait avec l’Urus et Ferrari avec le VUS Purosangue. Comme ces deux modèles exotiques, l’Enduro Veloce n’est pas bon marché, puisqu’elle est proposée à partir de 28 098 dollars. Son design est quelque peu contradictoire, avec une roue avant de 21 pouces, une roue arrière de 18 pouces et une suspension haute prête à vous emmener au fond des bois, tandis que sa sonorité de supersportive et sa puissance sont propices à des sprints presque à l’arraché dans les virages. La combinaison fonctionne, cependant, et bien qu’elle soit l’équivalent à deux roues des VUS italiens exotiques susmentionnés, elle est bien mieux équipée pour poursuivre son chemin lorsque le bitume s’arrête.