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Sniper ou Predator ?

Texte : Costa Mouzouris — Tradaptation : Didier Constant — Photos : Francesc Montero, Sebas Romero, Costa Mouzouris

Il y a trente ans, KTM présentait le premier modèle Duke. À l’époque, le Supermotard — aujourd’hui connu sous le nom de Supermoto — était relativement important et de nombreux pilotes transformaient des motos de cross en machines de route en installant des roues de 17 pouces, un plus gros frein avant et en effectuant quelques travaux mineurs sur la suspension. Ces motos modifiées s’avéraient exceptionnellement agiles et très amusantes à piloter sur le bitume. À l’époque, KTM fabriquait de nombreuses motos tout-terrain — dont certaines étaient homologuées pour la route —, mais n’avait pas de motos réellement dédiées à la circulation routière. C’est alors que quelqu’un chez KTM a eu l’idée de monter des roues de 17 pouces sur la 620 E/XC enduro propulsée par le monocylindre LC4 de 609 cc, refroidi par liquide, qui développait une puissance impressionnante de 50 chevaux. Cependant, il ne suffisait pas de changer les jantes ; la moto devait ressembler à une moto de route dédiée, et non à une moto tout-terrain transformée. C’est alors que le designer de KTM, Gerald Kiska, a réalisé une carrosserie entièrement nouvelle qui incluait un carénage bikini original, à deux phares. La « Terminator » était née ! Ah oui, « Terminator » était un des premiers noms de projet pour la nouvelle moto de rue de KTM. Le patronyme finalement retenu fut « Duke, » en hommage à Geoff Duke, le célèbre pilote britannique de course sur route, surnommé « The Duke ». 

La première KTM Duke est apparue en 1994. Elle n’était pas belle, elle n’était pas confortable et elle vibrait comme un marteau-piqueur. Mais elle était très amusante à piloter, à fond. C’était la moto originale des hooligans. Au fil des ans, la gamme Duke s’est élargie, avec plus de modèles et plus de variantes de moteurs, dans des cylindrées plus ou moins importantes. Là, nous sommes en Espagne pour piloter l’une des dernières variantes de la hooligan originale de KTM : la 990 Duke 2024. Trois décennies plus tard, nous avons pu constater qu’elle incarnait toujours l’esprit Duke et qu’elle était super agile et très amusante à piloter. 

À l’occasion de cette présentation, nous avons pu faire connaissance avec la nouvelle 990 Duke sur les routes ibériques. Baptisée « The Sniper », la 990 remplace la 890 Duke et est construite sur une plate-forme inédite — les techniciens de KTM ont calculé que 96 % des composants de la 990 Duke étaient nouveaux. Elle est physiquement plus grande que la 890 qu’elle remplace et partage certains composants avec sa grande sœur, la 1390 Super Duke R EVO (comme les roues, par exemple), qui est également nouvelle (voir à la fin de l’article). 

Elle est dotée d’un tout nouveau cadre en tubes d’acier chrome-molybdène et d’un sous-châssis en aluminium moulé sous pression. Le changement le plus important se situe au niveau du pivot du bras oscillant. Les tubes du cadre précédent passaient à l’intérieur du bras oscillant, alors que le nouveau cadre passe à l’extérieur de ce dernier. Le cadre est également 15 % plus rigide dans l’ensemble. Le bras oscillant est lui aussi de conception nouvelle, avec des nervures internes. Auparavant, le bras oscillant double de la Duke (celui de la Super Duke est un monobras) présentait des nervures externes distinctives, mais il apparaît désormais plus conventionnel, avec des côtés extérieurs lisses. Il est plus léger de 1,5 kg et plus souple qu’auparavant, ce qui devrait améliorer l’absorption des chocs. L’objectif de la révision du châssis de la 990 était de conserver la maniabilité chirurgicale du « Scalpel », le surnom de la Duke 890, tout en améliorant la stabilité. Les modèles précédents se montraient un peu nerveux, surtout si le pilote manquait de finesse. 

Le moteur LC8 de la Duke est également nouveau. Le bicylindre parallèle passe de 889 à 947 cc grâce à un alésage plus grand et une course plus longue (92,5 x 70,4 mm contre 90,7 x 68,8 mm). Les bielles, le vilebrequin, le calage des cames et l’échappement ont été modifiés. La masse en rotation a été augmentée pour améliorer la maniabilité. Le bloc LC8c est désormais conforme à la norme Euro-5 et est plus puissant que celui qui équipe la 890, avec une puissance de 123 chevaux et un couple de 76 lb-pi, contre 121 chevaux et 73 lb-pi pour cette dernière. 

Ce couple renforcé est parfaitement adapté au nouveau châssis ; il permet d’évoluer lentement et en douceur en ville, mais fait monter l’adrénaline dès que le régime augmente ; sa large bande de puissance rend les changements de vitesse presque superflus sur les routes sinueuses du Nord-ouest d’Almeria. Le moteur accepte de passer en troisième à partir de 2 000 tr/min et de tirer la moto avec force jusqu’à la ligne rouge située à 10 000 tr/min, mais sans la force brute et effrayante de la 1390. Le constructeur annonce une consommation moyenne de 4,7 litres aux 100 km, ce qui, en théorie, permet de parcourir 300 km avec le réservoir de 14,5 litres. Le poids à vide annoncé est de 179 kg.

Les éléments de suspension sont fournis par WP, filiale de KTM, avec une fourche inversée APEX de 43 mm à fonctions séparées, réglable en compression et en détente, et un monoamortisseur APEX réglable en détente et en précontrainte. Le réglage de l’amortissement en compression et en détente est séparé entre chaque fourche, avec cinq clics sur chacune d’entre elles, du plus souple au plus ferme — un clic fait une différence perceptible. De même, l’amortisseur dispose de cinq crans de réglage de l’amortissement en détente. La suspension est ferme, ce qui fonctionne bien sur les routes espagnoles lisses, mais pourrait s’avérer un peu dur sur nos routes canadiennes usées par les intempéries. 

Un arsenal électronique complet équipe la « Sniper » : antipatinage réglable à détection d’inclinaison, ABS réglable à détection d’inclinaison, avec un mode Supermotard qui désactive l’ABS au niveau de la roue arrière, contrôle réglable du wheeling et contrôle du patinage de la roue arrière pour des glissades contrôlées à l’accélérateur. Les modes « Pluie », « Route » et « Sport » sont de série ; les modes « Performance » et « Piste » sont en option. Les modes standard comportent des paramètres prédéfinis pour l’antipatinage, l’ABS et la cartographie de l’accélérateur, tandis que les modes optionnels permettent de régler la réponse de l’accélérateur (trois niveaux), l’antipatinage (neuf niveaux et désactivé), l’antipatinage (cinq niveaux et désactivé), l’ABS (deux niveaux), le contrôle du glissement et le freinage du moteur. Les modes de conduite optionnels, ainsi que le quickshifter bidirectionnel, le contrôle de lancement et le régulateur de vitesse, sont gratuits pendant les 1 500 premiers kilomètres en mode démo, après quoi il faut payer pour les débloquer. Il est vrai qu’il est pénible d’avoir le logiciel sur la moto et de ne pas pouvoir l’utiliser après la fin du mode démo, mais tout comme les autres éléments disponibles, il s’agit, après tout, d’options.

Les réglages des modes de conduite s’effectuent par l’intermédiaire de l’écran couleur TFT de 5 pouces, qui présente un mélange de chiffres larges et faciles à lire, et de minuscules caractères en bas difficilement déchiffrables. L’écran comporte désormais des icônes faciles à lire pour différents paramètres, comme une moto reposant sur sa roue arrière à différentes hauteurs pour les différents réglages de contrôle du wheeling. Avec un peu de pratique, l’interface des modes de conduite de KTM s’est avérée facile à naviguer, et les nouveaux commutateurs sont larges et faciles à utiliser avec des gants. Un port USB est inclus sur le côté gauche du tableau de bord.

Comme prévu, la 990 Duke se manie avec précision, bien qu’il faille un peu plus d’effort pour se faufiler dans les esses serrées qu’avec la 890, selon mon souvenir. Je me suis vraiment fié à l’électronique avancée de la moto dans la matinée ; alors que nous grimpions dans les montagnes, la température a chuté sous zéro. L’adhérence était au mieux marginale, au pire carrément glissante — si je n’étais pas passé en mode Pluie après avoir vu la végétation gelée et enneigée au bord de la route, je me serais probablement retrouvé à glisser sur le dos après être passé sur une plaque de verglas. La moto a immédiatement dérapé sur le côté lorsque j’ai roulé sur la glace, mais le contrôle de traction est intervenu et a ramené le pneu arrière dans l’axe juste à temps, au moment où j’ai retrouvé la chaussée. Si j’avais repris contact avec la chaussée alors que j’étais encore penché, un highside aurait pu s’ensuivre. Les températures se sont considérablement réchauffées une fois que nous sommes descendus des montagnes et le rythme s’est accéléré. Je suis passé en mode « Performance », ce qui a nécessité une main droite délicate, bien que la réponse à l’accélérateur n’ait pas été brusque ou hachée, et que la puissance du moteur ait été facilement gérable.

La selle, assez haute, culmine à 825 mm du sol et a été rehaussée à l’avant pour une meilleure assise. La selle du passager a été rehaussée de 20 mm pour offrir au passager une meilleure visibilité depuis l’arrière. La position de conduite droite et le large guidon s’associent à une forte puissance en fin de course pour vous inciter à accélérer. La moto récompense vraiment un rythme rapide avec un excellent retour d’information et une stabilité qui inspire confiance — ce dernier point constituant une réelle une amélioration par rapport à la 890 Duke. Ma moto d’essai était équipée du quickshifter optionnel, et KTM a considérablement amélioré son opération ; il fonctionne bien la montée et à la descente des rapports, avec un effort légèrement plus important au levier qu’en utilisant l’embrayage. La seule chose qui n’est peut-être pas aussi précise qu’auparavant est le frein avant. Les disques Galfer de 300 mm et les étriers Bybre à montage radial offrent une puissance de freinage plus que suffisante pour ralentir adéquatement la 990 à haute vitesse, mais la sensation au levier est un peu molle et imprécise par rapport au modèle précédent. 

Bon, il est temps de s’attaquer à l’élément le plus controversé de la nouvelle Duke : le phare avant. De temps en temps, on voit apparaître un design qui polarise : on l’aime ou on le déteste. Le nouveau visage de la Duke 990, qu’elle partage avec la 1390, entre dans cette catégorie. Les gens voient différentes choses dans sa forme : certains y voient un visage à la Transformer, d’autres, dont je fais partie, y voient un visage à la Predator. Est-ce que je l’aime bien ? Disons que si j’ai apprécié les films de la série Predator, j’ai trouvé le visage de l’extraterrestre de fiction épouvantable. La bonne nouvelle, c’est que le phare à DEL a été amélioré pour offrir un faisceau plus large.

La KTM 990 Duke 2024 est vendue au prix de 14 499 $. Elle est disponible en deux coloris, orange KTM avec des roues orange, et noir mat, plus discret, avec des accents orange et des roues noires. Elle est garantie deux ans.

Bien que je ne trouve pas le faciès de la nouvelle 990 Duke aussi épouvantable que celui de Predator, je ne suis pas certain qu’il me plaira un jour. Mais, d’un autre côté, je ne le vois pas quand je suis assis aux commandes de la moto. Et c’est vraiment au niveau du pilotage que la 990 Duke brille : elle peut se faufiler confortablement en ville et attaquer les routes secondaires avec ferveur grâce à une combinaison châssis-moteur bien équilibrée qui n’écrasera pas son pilote comme le fait la 1390 Super Duke R, plus grosse et plus enragée.

KTM 1390 Super Duke R EVO : un loup déguisé en loup

Lors de la fête du 30e anniversaire de la KTM Duke en Espagne, nous avons également eu l’occasion de piloter la 1390 Super Duke R EVO sur le circuit d’Almeria. La présentation technique a été brève, mais elle a été soulignée par une vidéo promotionnelle sans musique, ni scènes de pilotage artistique et délinquant. Au lieu de cela, nos sens ont été bombardés par des bruits de moteur rugissant et furieux, de glissements de puissance stridents et de pneus fumants. L’ancien pilote de MotoGP Jeremy McWilliams était présent pour la présentation technique de la Super Duke, une moto avec laquelle il entretient une longue histoire ; il en est pilote de développement depuis 2008 et a beaucoup travaillé sur tous les modèles Duke, y compris la Super Duke R EVO (22 699 $). 

La 1390 Super Duke est le grand méchant loup de la famille Duke, remplaçant la 1290 Super Duke R. Son bicylindre en V à 75 degrés bénéficie d’un alésage plus grand (110 au lieu de 108 mm), ce qui fait passer la cylindrée de 1 301 cc à 1 350 cc. Le moteur utilise la toute nouvelle technologie Cam Shift de KTM, qui modifie le calage et la levée des soupapes afin d’élargir l’étendue du couple. Il reçoit également une nouvelle boîte à air et des corps de papillon plus grands. Ces changements portent la puissance à 190 chevaux et 107 lb-pi de couple, soit une augmentation de 10 chevaux et de 4 lb-pi.

Jeremy McWilliams dans ses œuvres

La Super Duke R EVO bénéficie de la troisième génération de la suspension semi-active WP APEX, qui comprend un correcteur d’assiette automatique qui ajuste automatiquement la hauteur de l’assise en fonction de la charge et fait varier l’amortissement automatiquement en fonction des données fournies par l’ECU. La suspension est liée aux modes de conduite et varie la fermeté en conséquence. Elle peut également être réglée indépendamment. 

Nous avons eu l’occasion de piloter la Super Duke R EVO sur le circuit d’Almeria, bien que notre temps sur la piste ait été écourté par la pluie. La moto était équipée de pneus Michelin Power GP très adhérents, et elle était réglée en mode « Track ». Lors de la première séance, la 1390 a commencé à glisser et à osciller sous l’effet d’une forte accélération à la sortie d’un virage à droite rapide sur la longue ligne droite arrière ; la suspension était initialement réglée trop souple. La moto a pris de la vitesse avec une force brutale sur la première ligne droite, me forçant à me tirer vers l’avant sur le guidon comme si je faisais des pompes pour lutter contre les forces G et le souffle du vent qui augmentaient rapidement. Ma première impression a été que cette moto allait être diablement amusante à piloter sur circuit, mais aussi physiquement éprouvante. 

Costa s’amuse au guidon de « la Bête », même si la météo n’était pas de son côté pour cet essai

J’ai raffermi les réglages d’amortissement pour la deuxième séance et j’ai immédiatement remarqué que la moto était plus ferme dans la ligne droite arrière. Malheureusement, la pluie a commencé à tomber au bout de trois tours, et je suis rentré au stand un tour plus tard. Le peu de temps que j’ai passé au guidon de la Super Duke EVO m’a donné un aperçu de son énorme potentiel, mais j’ai aussi réalisé que ce n’est pas une moto pour les frileux : elle exige un haut niveau de compétence pour la piloter et un travail acharné pour rouler vite.