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La quintessence de l’esprit Scrambler !

Par Costa Mouzouris. Tradaptation : Didier Constant. Photos : Costa Mouzouris, Triumph

La Triumph Scrambler 1200 est une moto à part. Il s’agit d’une grosse routière possédant de sérieuses capacités en tout-terrain, ce qui est plutôt rare. Sur la base de cette seule description, elle pourrait être classée comme une moto d’aventure, mais ce n’est pas le cas. Malgré son affinité pour la terre et l’asphalte, ce n’est pas non plus une double usage. Son style rappelle les motos britanniques des années 1960 et 1970, mais elle est bien plus qu’une moto rétro. Son nom suggère qu’il s’agit d’un Scrambler, mais comparativement à n’importe quel autre Scrambler sur le marché, elle possède une suspension beaucoup à grand débattement et une roue avant de 21 pouces, ce qui en fait une moto hors route beaucoup plus sérieuse, même comparée à sa petite sœur, la Scrambler 900. 

Pour 2024, Triumph a apporté quelques changements bienvenus à la Scrambler 1200, y compris une baisse de prix, chose assez rare de nos jours pour être soulignée. La Scrambler 1200 a été introduite en 2019 et était basée sur la Triumph Bonneville de dernière génération. Son bicylindre parallèle de 1 200 cc à refroidissement liquide calé à 270 degrés reste inchangé pour 2024, bien qu’il respire désormais à travers un corps de papillon plus grand (50 mm au lieu de 45) et qu’il soit doté d’un nouveau collecteur ovale à la place des tuyaux jumelés des modèles précédents. Ces nouvelles pièces n’ont pas modifié la puissance maximale, qui reste à 89 ch tandis que le couple de 81 lb-pi est désormais plus élevé à bas régime.

Triumph Scrambler 1200 X/XE

Hormis quelques éditions spéciales, deux modèles sont disponibles depuis le lancement de la Scrambler 1200 : la XC et la XE, plus sophistiquée. Triumph a supprimé la XC pour 2024 et l’a remplacée par la 1200 X, qui a été rendue plus polyvalente, plus abordable et plus accessible. Auparavant, la XC et la XE étaient assez proches en termes de caractéristiques, cette dernière bénéficiant d’une électronique améliorée et d’une suspension plus haute. Hormis ces améliorations, les deux motos partageaient les mêmes instruments, les mêmes freins et le même équipement. L’écart entre le modèle X de base et le XE est désormais plus important, comme nous allons le voir.

Des différences plus marquées

Triumph Scrambler 1200 XE

Le modèle X est désormais équipé de freins différents : des disques avant de 310 mm et des étriers Nissin à deux pistons remplacent les disques de 320 mm et les étriers radiaux Brembo M50 du modèle précédent. Contrairement aux repose-pieds en aluminium de la XE, ceux de la X sont en acier, et le patin de la pédale de frein n’est pas réglable ; celui de la XE est réglable sur deux positions. Les disques de frein sont de 320 mm sur la 1200 XE, et les étriers radiaux Brembo Stylema ont remplacé les étriers M50 du modèle précédent. Les deux modèles sont désormais équipés de l’ABS en virage et de l’antipatinage, ce qui est une amélioration pour la X. Le choix des pneus me semble étrange pour ces machines : la X reçoit des Metzeler Karoo Street à la bande de roulement plus agressive, tandis que la XE, orientée vers le tout-terrain, reçoit des Metzeler Tourance plus routiers. 

Triumph Scrambler 1200 X

Puisqu’elle est désormais plus orientée vers la route, les supports de repose-pieds du passager de la X sont soudés au cadre ; ils sont toujours amovibles sur la XE. La X est équipée d’un nouveau tableau de bord hybride TFT/ACL rond, partagé avec la Trident 660, et qui s’associe à un boîtier de commutation différent à gauche. La X n’a plus de régulateur de vitesse, que la XE conserve, et elle dispose de cinq modes de conduite : Pluie, Route, Sport, Tout-terrain et Rider, ce dernier étant configurable. La XE dispose du même tableau de bord TFT couleur que précédemment, et ajoute le mode Off-Road Pro, qui désactive l’antipatinage et l’ABS. 

Triumph Scrambler 1200 XE

Les représentants de Triumph se targuent souvent « d’écouter les commentaires des clients » lorsqu’ils apportent des améliorations aux nouveaux modèles, et il semblerait que ce soit véridique. En tant que propriétaire d’une Triumph depuis quelques années, j’ai souvent répondu à des sondages de satisfaction de la part du constructeur britanique. L’un des problèmes que j’ai rencontrés avec la Scrambler 1200 XE que j’ai possédée en 2022 concernait son fonctionnement sans clé. En ce qui me concerne, je préfère une clé classique au transpondeur des anciennes XC et XE,. Et il semblerait que je ne sois pas le seul, puisque les deux nouvelles motos sont maintenant équipées d’une clé conventionnelle. Mon autre reproche concernait la chaleur dégagée par l’échappement surélevé, mais j’ai trouvé ma propre solution en enveloppant le collecteur d’échappement sous le bouclier thermique d’origine, ce qui a très bien fonctionné et était presque invisible. En raison des températures proches du point de congélation pendant ce test (nous avons eu de la neige mouillée le long de la route), je ne peux pas dire si le nouveau collecteur dégage moins de chaleur qu’auparavant, bien que je soupçonne que son nouveau design ovale sera plus facile à envelopper si vous choisissez de le faire.

Triumph Scrambler 1200 XE

Les Scrambler 1200 précédentes étaient équipées de fourches Showa et d’amortisseurs Öhlins ; Marzocchi fournit maintenant tous les composants de la suspension. Alors que les deux modèles précédents disposaient d’une suspension entièrement réglable, la X est désormais limitée à la précontrainte arrière, tandis que la XE conserve un réglage complet. La X a 30 mm de débattement en moins que la XC, soit 170 mm, tandis que la XE conserve ses 250 mm de course. Le débattement réduit de la X contribue à abaisser la hauteur de selle de 20 mm, à 820 mm, ce qui devrait être un changement apprécié par de nombreux pilotes. L’option selle basse permet d’abaisser la hauteur de selle à 795 mm. La XE conserve sa hauteur d’assise de 870 mm. 

L’une des caractéristiques de la Scrambler qui s’avère très utile en hors route est son cadre à berceau intégral. Les tubes inférieurs descendent sous le moteur, et la plaque de protection est boulonnée à ces tubes, et non aux carters moteur, comme c’est le cas sur de nombreuses motos ADV. L’absence de cadre sous le moteur signifie qu’un sabot moteur — même de grande taille — est boulonné aux carters du moteur. Bien qu’une telle configuration offre une certaine protection, un gros choc peut briser les carters — je l’ai vu. Si les tubes du cadre de la Scrambler risquent d’être malmenés en cas de coup dur, les carters, eux, devraient rester intacts. 

Triumph Scrambler 1200 XE

Outre l’abaissement de la hauteur de selle sur la X, les modifications apportées aux deux machines ont également contribué à faire baisser les prix. La X est désormais vendue au prix de 14 795 $ (la XC coûtait 16 595 $), tandis que la XE coûte 16 595 $ (au lieu de 17 095 $). Nous avons eu l’occasion de piloter les deux modèles Scrambler 1200 révisés sur les routes sinueuses entourant Borrego Springs, dans le sud de la Californie, ainsi que sur le vaste terrain de jeu tout-terrain situé à proximité de la zone de loisirs motorisés de l’État d’Ocotillo Wells.

Sur la route

Triumph Scrambler 1200 XE

La première de nos deux journées s’est déroulée sur le bitume, mais comme nous allions passer beaucoup de temps en tout-terrain le lendemain, nos motos d’essai étaient équipées de pneus Michelin Anakee Wild. Ces pneus à la bande de roulement agressive ralentissent la direction sur l’asphalte, mais cela n’a pas fait une grande différence ce jour-là, car la température était anormalement froide (moins de 10 °C) et humide, ce qui ralentissait considérablement le rythme. 

J’ai commencé la journée aux commandes de la 1200 XE. La position de conduite sur les deux modèles est droite et spacieuse avec beaucoup d’espace pour les jambes. La XE possède un guidon plus large de 65 mm et des entretoises qui le rehaussent de 10 mm pour faciliter la conduite en position debout. Malgré sa hauteur de selle imposante et sa roue avant de 21 pouces, elle reste très maniable sur la route. Le temps que j’ai passé à son bord avec des pneus de série m’a permis de constater qu’elle n’est pas aussi agile qu’un roadster sur les routes sinueuses ; elle est haute et lourde, avec une réponse de la direction plus lente dans les transitions de virage serrées. Elle ne plonge pas non plus dans les virages avec autant d’agressivité sur les freins, bien qu’elle puisse encore gérer un rythme élevé avec une relative facilité. 

Triumph Scrambler 1200 X

Je suis ensuite passé à la X, et j’ai tout de suite remarqué sa faible hauteur de selle. Même la XC, qui était 30 mm plus basse que la XE, était un peu trop haute pour moi, qui mesure 1,80 m. La X m’a permis de poser les deux pieds à plat sur le sol en pliant légèrement les genoux. La hauteur inférieure de la X lui confère une sensation nettement différente sur la chaussée. Son centre de gravité plus bas la rend plus maniable, sans rien perdre de la stabilité en ligne droite de la XE, plus haute. La souplesse des suspensions des deux modèles est très bonne sur la route et relativement ferme pour une moto conçue pour le tout-terrain : la différence entre les deux motos est toutefois accentuée lorsque la route s’arrête.

En sentier

Le lendemain, nous sommes entrés dans Ocotillo Wells et ses 85 000 acres de désert, de canyons et de sentiers. Le terrain était un mélange de terre battue, de sable, de cailloux, et de sable mou plus profond, le tout agrémenté de montées et de descentes abruptes. 

Triumph Scrambler 1200 X

J’ai commencé cette journée sur le X, et sa plus grande facilité d’accès au sol m’a inspiré confiance sur la terre. J’avais sélectionné le mode Off-Road, qui désactive l’ABS à l’arrière, augmente l’intervention de l’ABS à l’avant et réduit le déclenchement du contrôle de traction pour permettre un certain degré de glissement de l’arrière afin de faciliter la mise sur l’angle. En raison des surfaces principalement meubles sur lesquelles nous avons évolué, j’ai navigué dans les menus et j’ai désactivé le contrôle de traction. J’ai également réglé la réponse de l’accélérateur sur « Rain » pour une réponse plus facile à gérer. Les motos Triumph se mettent par défaut en mode route avec l’antipatinage activé chaque fois que le contact est mis, ce qui m’a causé quelques soucis plus tard.

 Si la 1200 X s’est bien comportée en tout-terrain, sa hauteur de selle abaissée a un coût, et la moto a révélé ses limites sur les nombreuses bosses et sauts rencontrés sur les sentiers où la suspension a souvent talonné. Pour y remédier, il suffisait de ralentir le rythme et cesser d’essayer de suivre la XE devant moi, laquelle semblait flotter sur le terrain accidenté. Ceci dit, la X est quand même passée partout où la XE est allée, tout au long de la journée, mais à un rythme plus lent.

Triumph Scrambler 1200 X

Le passage à la XE a révélé que si la Scrambler 1200 est une machine grande, haute et lourde (230 kg tous pleins faits, 228 pour la X), elle n’en est pas moins étonnamment capable quand les choses se corsent. Là où la X s’enfonçait à la réception des sauts, la XE utilisait son débattement supplémentaire et glissait sur les sauts et les bosses en ligne droite. 

Par la suite, nous avons emprunté un sentier serré et sinueux qui serpentait au fond d’un canyon, et une fois que j’ai pris le rythme, la XE s’est avérée incroyablement amusante à piloter. J’utilisais les bermes pour diriger la moto dans les virages plus serrés alors que je zigzaguais le long du sentier en serpentin. Arrivé à un embranchement qui empruntait une colline abrupte et sablonneuse, je me suis arrêté, j’ai éteint la moto et j’ai attendu que les pilotes derrière moi me rattrapent. Après avoir remis le contact, j’ai sélectionné le mode tout-terrain et j’ai pris la direction de la colline. À mi-chemin, la pente s’est accentuée et c’est là que je me suis rendu compte que j’avais oublié de désactiver l’antipatinage. Le système a commencé à gérer le glissement du pneu arrière, ce qui m’a fait perdre mon élan. Ralentissant presque jusqu’à l’arrêt, j’ai posé un pied au sol, perdu l’équilibre sur la pente raide et laissé tomber la moto.

Triumph Scrambler 1200 X

Soulever une moto de 230 kg n’est pas facile dans les meilleures conditions en tout-terrain, mais sur une pente raide et sablonneuse, avec un sol meuble, j’ai vraiment transpiré. J’ai fini par obtenir de l’aide pour redresser la moto. J’ai alors décidé de faire demi-tour et d’attaquer à nouveau la colline. Cette fois, sans le contrôle de traction, la moto a fait de son mieux pour grimper  jusqu’au sommet, mais relever la Scrambler m’avait épuisé et avait ralenti mes réflexes. Jai à nouveau perdu pied et je suis tombé. Comme j’étais près du sommet, on m’a aidé à terminer l’ascension grâce à ce qu’il me restait d’énergie. Le reste du trajet s’est déroulé sans incident, bien que le bouclier de l’échappement m’ait fait mal au mollet intérieur droit en position debout. 

Triumph Scrambler 1200

Selon Triumph, la répartition des ventes entre les anciennes XC et la XE était respectivement de 40/60 %. Étant donné la plus grande différence entre les deux modèles au niveau de la fiche technique , cet écart devrait logiquement se réduire au profit de la X qui est désormais accessible à un plus grand nombre de pilotes. Cependant, la XE reste mon choix de cœur. Elle est plus abordable qu’auparavant, ce qui est un avantage non négligeable. La 1200 X, avec sa hauteur de selle moindre, plaira certainement à ceux qui ont un entrejambe plus court, et son accent plus marqué sur la conduite sur route conviendra à ceux qui n’ont pas besoin des capacités tout-terrain extrêmes de la XE et de sa hauteur d’assise plus élevée. De toute façon, la X a prouvé qu’elle pouvait aller partout où la XE va, mais à un rythme plus détendu. Quoi qu’il en soit, la nouvelle Scrambler 1200 a démontré que, contrairement à tous les autres Scrambler du marché, son look rétro n’est pas un simple exercice de style. C’est l’incarnation d’un authentique Scrambler : une moto de route conçue pour emmener son pilote bien au-delà du bitume.

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