L’infatigable voyageuse au long cours
Publié le 24 février 2016
Un voyage à Venise avec un détour par la Provence et la Drôme. Plus de 6 000 km en 24 jours, deux étapes marathon en duo avec bagages, dont une de 1 200 km et l'autre de 900 km, le tout sans courbatures et en classe Pullman. Un test réussi avec brio pour la Yamaha XTZ1200 ES Super Ténéré qui se révèle parfaite pour voyager dans les meilleures conditions possible, en couple. Tout en restant mariés au terme du périple. Un exploit!
Photos par Didier Constant, Dave Beaudoin (action), Pascal Sestier, Yamaha, Wikipedia
Il est 5 h du matin. Une légère bruine s’est mise à tomber et il fait nuit noire quand nous quittons notre hôtel de Preganzio, en Vénétie. Nous sommes à une trentaine de kilomètres au nord de Venise où nous avons passé deux jours magnifiques. Mais là, il faut rentrer fissa à Orléans où ma sœur nous attend pour 20 h. Une journée longue et harassante en perspective.
« J’espère qu’il ne va pas pleuvoir toute la journée », me dit ma femme, la mine dépitée. « Faire 1 200 km sous la flotte, ça va être l’enfer! » La moto est lourdement chargée. Je m’en veux un peu de lui infliger un tel calvaire, mais c’est le prix à payer pour inclure un séjour à Venise dans un périple déjà bien rempli. Nous le savions dès le début du voyage et je ne le regrette nullement. Venise valait vraiment le détour.
Je suis sur la route depuis déjà 21 jours. La première semaine de mon odyssée, j’ai guidé un groupe de six personnes en Drôme et en Provence, puis mon frère Marc et moi nous sommes rendus à Toulon, chez ma nièce, où ma femme, arrivée la veille, nous attendait. Une semaine en famille, à visiter la Côte d’Azur, dont trois jours au circuit du Castellet, pour le Bol d’Or qui effectuait son retour au circuit varois après 16 années d’exil à Magny-Cours. Pour moi, il s’agissait d’un pèlerinage.
La Super Ténéré et moi c’est une longue histoire. Je l’ai découverte fin 2011, à l’occasion de son lancement canadien. Depuis, je l’ai essayée à six reprises, sur des périodes plus ou moins longues. Et deux fois à l’occasion de voyages, dont un tour du Québec. Pour ce périple européen, Yamaha France m’a prêté une XTZ1200 ES Super Ténéré avec suspensions électroniques et valises, lesquelles se sont avérées très pratiques au quotidien, en plus d’être légères (ça compte quand on doit rentrer les valises dans la chambre d’hôtel tous les soirs). Bien finie, la XTZ respire la qualité. À son guidon, on sent rapidement qu’on va vivre une expérience mémorable.
Une cinquantaine de kilomètres après Venise, la pluie cesse. Nous faisons halte dans un resto de bord de route pour avaler un café et une viennoiserie pour tout petit-déjeuner — la salle à manger de l’hôtel était fermée quand nous sommes partis —, mais nous gardons nos habits de pluie, pour nous protéger du froid et de l’humidité ambiante.
À Vicenze, nous passons devant l’usine Dainese, mais il est encore trop tôt pour nous y arrêter (nous avons trop de route à faire pour nous adonner au tourisme). Dommage! Une autre fois…
Le soleil se lève lentement, comme s’il procrastinait. Vérone, Brescia, Bergame, les noms des villes que nous traversons s’égrainent comme les billes d’un Kombolog* entre les doigts d’un pope grec. Puis nous arrivons à Milan à l’heure des travailleurs. La circulation est dense et chaotique. Bordélique comme elle peut l’être en Italie. Nous mettons près d’une heure pour sortir de la ville, même si nous nous faufilons entre les voitures dans un concert de klaxons et de «Va fanculo!» bien sentis. Malgré son gabarit, la Yamaha reste étroite et se montre à l’aise dans le trafic urbain.
Il est neuf heures quand nous arrêtons faire le plein sur l’autoroute E64, en direction de Turin. Nous avons parcouru un peu plus de 300 km, mais j’ai encore un peu de marge avant de tomber sur la réserve. En fait, la Super Ténéré n’est pas trop gourmande. Depuis que j’en ai pris possession, elle maintient une consommation moyenne de 6,2 L/100 km, malgré une conduite plutôt agressive. Ce qui lui garantit une autonomie d’environ 370 km et réduit les arrêts carburant. D’autant plus appréciable que le confort de la Yamaha est impérial.
La première semaine de mon périple, sur les petites routes de montagne de la Drôme, je ne me sentais pas vraiment à l’aise à son guidon. Je la trouvais haute, lourde et pataude. Mais je dois avouer que le tracé très sinueux et le rythme soutenu ne favorisaient pas la grosse aventurière qui avait de la difficulté à suivre le tempo des KTM SuperDuke 1290, Honda CrossRunner, Kawasaki Z750S et Yamaha FJ-09 qui l’accompagnaient. J’ai tâtonné avec les réglages de la suspension électronique pendant deux jours avant de trouver un ajustement adéquat pour ce type de terrain et de conduite. Mais là, sur les autoroutes italiennes, c’est le grand luxe. Les aventurières sont de véritables GT, il faut bien le reconnaitre. Et la Super Ténéré ne fait pas exception à la règle.
Ce qui m’a surpris cependant, c’est la vitesse à laquelle le pneu arrière a fondu. Je ne sais pas si ce sont les routes de la Drôme qui sont particulièrement abrasives — lors de chaque voyage dans ce magnifique coin de pays un membre de notre groupe doit changer de pneus en cours de route —, mais le Bridgestone Battle Wing 2 était fini après seulement 6 000 km. On commençait à apercevoir la corde à travers la gomme. Impossible de finir le voyage avec le pneu d’origine, d’autant qu’à ce moment-là, il me restait environ 4 000 km à parcourir. L’avant était encore bon, lui. Avec l’aide de Pascal (Location Moto Motostop) qui m’a trouvé un Battle Wing 2 à la dernière minute et de Fred (Fred Motors Sport) qui me l’a changé même s’il était en congé, j’ai pu continuer ma route sans délai ni surprise.
Sur les voies rapides transalpines, en duo et chargée comme une mule, la Yamaha est impressionnante. Elle est dans son élément. C’est un vrai cheval de trait. Une voyageuse au long cours infatigable. Elle permet à son équipage d’avaler les kilomètres de façon très confortable, sans courbature ni douleur.
Entreprendre des excursions de 1 000 km et plus en une journée représente un défi en solo. Mais en duo, c’est presque de l’inconscience. De la torture mentale et physique. Surtout pour le passager. À moins que la moto ne soit parfaite. Et dans la situation présente, le XTZ1200 l’est. À aucun moment, ma femme ne s’est plainte. Elle trouvait la journée longue, comme moi d’ailleurs, mais elle n’était nullement fatiguée. Il faut dire que la majesté du paysage nous faisait oublier la monotonie de la route. Seul le froid nous incommoda par moment. Particulièrement, lors de la traversée des Alpes.
À Turin, je délaisse l’itinéraire habituel — Mongenèvre, tunnel Routier du Fréjus, Chambéry et Lyon — pour traverser la Vallée d’Aoste et le tunnel du Mont-Blanc. Une route qui nous mène ensuite à Chamonix et Annemasse pour rejoindre l’autoroute A6 au niveau de Mâcon. Le trajet est un poil plus long, mais la route est sublime. Et je n’ai encore jamais emprunté le tunnel du Mont-Blanc.
Entre Pré-Saint-Didier et Courmayeur, on aborde la haute montagne. On est à 1 381 mètres d’altitude, au pied du Mont-Blanc qui domine le paysage dans toute sa splendeur. Malgré le soleil qui plombe en cette fin de matinée, le fond de l’air est frais et il se refroidit davantage au fur et à mesure que nous approchons du tunnel. Des frissons me parcourent. Ils prennent naissance à la base de mon cou et se transmettent à tout mon corps en courant le long de ma colonne vertébrale, même si j’ai enfilé une « p’tite laine ». Ma femme n’a pas voulu mettre sa combinaison de pluie pour couper le froid et le regrette amèrement. Elle passera le reste de la journée transie, incapable de se réchauffer, malgré le soleil.
À l’entrée du tunnel, j’ai un frémissement. Mais pas à cause du froid. En fait, je repense à l’incendie du 24 mars 1999 dans lequel 39 personnes ont péri brulées vives ou asphyxiées. Parmi elles, les parents d’un collègue de travail de l’époque. Je pense aussi au secouriste italien Pierlucio Tinazzi, un jeune motard chargé de la sécurité au tunnel du Mont Blanc qui sauva huit personnes du brasier en les ramenant sur sa moto avant de décéder, victime des gaz mortels.
Durant toute la traversée de 11,6 km, entre Courmayeur et Chamonix, je suis aux aguets. Je jette un coup d’œil nerveux dans mes rétroviseurs dès que j’aperçois des phares au loin qui se rapprochent un peu vite; je me contracte en croisant des poids lourds; je tressaute au passage de chaque cahot, de chaque trou. Comme si je développais une réaction d’hypersensibilité à mon environnement immédiat. Mais la réaction la plus vive survient à la sortie, en arrivant au péage. « Ça fait 29,30 € (45$) s’il vous plait! » me dit le préposé. « Pardon? », dis-je d’un ton étonné. « Vous avez bien dit 29,30 €? Ça fait cher du kilomètre! »
J’ai beau trouver ça prohibitif, je n’ai pas d’autre solution que de payer. Faire demi tour me ferait perdre deux heures et me coûterait aussi cher en fin de compte. J’aurais dû m’enquérir du tarif plus tôt, avant de choisir cet itinéraire sur un coup de tête. Il me reste à me consoler en me disant que j’ai traversé le tunnel du Mont-Blanc — le plus long tunnel routier au monde lors de son inauguration en 1965 — une fois dans ma vie. Le plus curieux c’est que le tarif est de « seulement » 28,80 € dans le sens France/Italie…
À la sortie du tunnel, la route plonge sur Chamonix et la vallée. Sinueuse, à pic et envoutante. Un vrai circuit de montagne et le plus beau tronçon de ce voyage. Le paysage est magique. irréel. À tel point que nous décidons d’arrêter déjeuner à l’entrée de Chamonix, en terrasse. À notre gauche, le Mont-Blanc qui domine le panorama du haut de ses 4 809 mètres, ce qui fait de lui le plus haut sommet d’Europe. À quelques encablures de là, face au sommet majestueux, l’aiguille du Midi trône fièrement au-dessus de la vallée Blanche, des séracs et des glaciers à « seulement » 3 842 mètres. Les neiges éternelles sur lesquelles le soleil se reflète comme sur un miroir donnent au paysage un air féérique, mystique que la fraîcheur de l’air accentue. Un sentiment de bonheur m’envahit. En regardant ma femme, je vois qu’elle est dans le même état d’esprit que moi. Nous pourrions rester là des heures s’il ne fallait pas rentrer rapidement. Et si nous n’étions pas encore à 620 kilomètres de notre destination.
Nous étirons l’instant aussi longtemps que nous le pouvons, pour nous repaitre, mais aussi pour nous délecter du spectacle. Même si nous avons déjà parcouru la moitié du trajet, je me sens bien. Je n’ai mal nulle part et grâce au régulateur de vitesse, je ne ressens pas de crampes au poignet droit. Le soleil qui nous fait grâce de sa présence depuis que le jour s’est levé nous accompagne tout le long du trajet. La vie est magnifique parfois. Et là, elle touche au sublime.
Pendant une heure, après avoir quitté Chamonix, je ne peux effacer le souvenir du lieu de ma mémoire. Je roule vers Annemasse en mode automatique, comme guidé par une force extérieure insondable. Rempli d’un sentiment étrange, mélange de plénitude et de mélancolie. Sensations paradoxales, mais complémentaires à la fois. Je goûte au bonheur furtif de l’abandon et je profite de l’instant. Arrêter de vouloir. De penser. De se battre. Atteindre la paix suprême. La vacuité absolue. Un instant. Le temps de recharger mes batteries et d’ancrer ces images éblouissantes dans mon cerveau.
Aucun autre moyen de transport ne me permet d’atteindre cet état qui me fait sentir à la fois hors du temps et du monde, mais aussi connecté à la nature et à la conscience humaine. Comme en transe. Aucun n’est comme la moto le véhicule de mes émotions.
L’autoroute A40 finit par sortir des Alpes pour traverser la Bourgogne-Franche-Comté, autre région magnifique dont la France semble avoir le secret. Je n’ai jamais autant apprécié mon pays natal que depuis que je l’ai quitté. Je découvre ses beautés, j’apprécie sa culture, sa cuisine, ses vins et je comprends enfin ses habitants.
Une centaine de kilomètres après Mâcon, à Paray-le-Monial pour être exact, il faut à nouveau faire le plein. Le dernier avant notre arrivée. Il reste tout juste 300 km à compléter. Ma femme et moi en profitons pour nous dégourdir les jambes et nous promener autour de l’aire d’autoroute. Nous ôtons nos blousons afin de nous réchauffer aux chauds rayons du soleil. Au loin, le ciel devient gris, chargé, menaçant. Il faut donc en profiter pendant qu’il est encore temps. Une tablette de chocolat et une bouteille d’eau suffisent à nous requinquer et nous reprenons la route. Frais comme des gardons… enfin, presque!
Depuis le midi — je ne m’en rends compte que maintenant —, je n’ai pas songé une fois à la moto. Elle s’est effacée au profit de mon plaisir et de mon confort, ce qui est certainement le plus beau compliment que l’on puisse lui faire. Je ne ressens pas les vibrations du bicylindre vertical ni les turbulences aérodynamiques ou acoustiques générées par le pare-brise. La selle large et moelleuse m’offre une assise confortable et un soutien appréciable. J’ai l’impression d’évoluer sur un tapis volant. En dehors de la BMW R1200GS/GSA et de la Honda VFR1200X Crosstourer, deux autres aventurières que j’ai eu l’occasion de piloter lors de voyages similaires, ces dernières années, aucune autre moto ne m’a offert un confort aussi royal sur un long trajet routier. La Yamaha démontre là tout son potentiel de GT aventurière.
Entre Moulins et Bourges, nous rattrapons les nuages entrevus à l’horizon lors de notre dernier arrêt. La température chute soudainement. Nous faisons une pause pour enfiler nos combinaisons de pluie. Mieux vaut prévenir que guérir. De toute façon, elles bloqueront l’air frais et nous garderons au chaud jusqu’à destination.
Nous approchons du but. Tel un vieux cheval, je commence à sentir l’écurie. C’est alors que la fatigue se fait soudainement sentir. Heureusement, la région n’a pas de secrets pour moi. Je l’ai sillonnée des centaines de fois, dans tous les sens. Des repères familiers me renseignent sur l’imminence de notre arrivée. La nuit tombe doucement. Puis, nous traversons le village de La-Ferté-Saint-Aubin, un des plus beaux de la Sologne, non sans jeter un coup d’œil à son magnifique château. Dernier rond-point. Dernière ligne droite. Plus qu’une dizaine de kilomètres à faire. Quand nous arrivons chez ma sœur, nous sommes rompus, mais extatiques. Nous tombons littéralement de la moto plutôt que nous en descendons. En entrant dans la cuisine, l’odeur de la soupe qui mijote sur le feu me monte aux narines. Je sens la chaleur de l’âtre m’envelopper et chasser l’humidité de la nuit tombante. Il est 20 heures pétantes. Ça fait exactement quinze heures que nous avons quitté Venise. Je suis heureux de me retrouver en famille. Chez moi. Ma femme me regarde avec un grand sourire. Elle se réchauffe tranquillement. Elle aussi est ravie et son visage rayonne malgré la fatigue. Quel merveilleux voyage. Inoubliable!
* Kombolog : chapelet que les Grecs égrainent entre leurs doigts (habituellement dans la main gauche)
FICHE TECHNIQUE
INFORMATIONS GÉNÉRALES
- Poids tous pleins faits : 265 kg
- Hauteur de selle : 845 mm ou 870 mm
- Capacité essence : 23 L
- Consommation : 6,2 L/100
- Autonomie : 371 km
- Durée de l’essai : 6000 km
- Prix : 17 499 $
MOTEUR
- Moteur : bicylindre en ligne, DACT, 8 soupapes, refroidi par liquide
- Puissance : 112 ch à 7 250 tr/min
- Couple : 86 lb-pi à 6 000 tr/min
- Cylindrée : 1 199 cc
- Alésage x course : 98 x 79,5 mm
- Rapport volumétrique : 11:1
- Alimentation : injection électronique à corps d’admission Mikuni de 46 mm
- Transmission : six rapports
- Entraînement : par cardan
PARTIE-CYCLE
- Cadre : monocoque en aluminium
- Suspension : fourche KYB inversée et réglable électroniquement de 43 mm/débattement de 190 mm. Monoamortisseur KYB, réglable électroniquement/débattement de 190 mm
- Empattement : 1 431 mm
- Chasse/Déport : 24 degrés/96 mm
- Freins : deux disques de 310 mm (ABS et unifié)/étriers à 4 pistons; disque de 282 mm (ABS et unifié)/étrier à piston unique. ABS de série.
- Pneus : Bridgestone Battle Wing 2
110/80R19 à l’avant
150/70R17 à l’arrière
VERDICT RAPIDE
ON AIME BIEN
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ON AIME MOINS
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