Le Superbike plus-que-parfait ?
Publié le 26 octobre 2015
Deux semaines avant la fermeture estivale du bureau de motoplus.ca, en septembre dernier, j’ai reçu un coup de fil de la représentante de Ducati North America au Québec pour savoir si j’étais intéressé à essayer la nouvelle Ducati Panigale 1299S pendant une dizaine de jours. J’ai attendu quelques secondes, question d’avaler ma salive — j’avais soudainement la gorge sèche — avant de bafouiller une réponse inaudible au téléphone. Heureusement, mon interlocutrice a compris que j’avais répondu oui! Compte-rendu d’un rendez-vous magique avec le Superbike de Borgo Panigale.
Photos: © Didier Constant, Pierre Desilets, Ducati
Fuyons la ville…
Après ce coup de fil inattendu, je me suis rendu chez Monette Sports pour récupérer la Bête. Elle était là, dans le garage, toute de rouge vêtue. Prête à me faire vivre une semaine intense! Inoubliable! Magique!
Coup de démarreur… Le bicylindre Superquadro rugit. Que dis-je? Il exulte! Il gronde! Il explose! Desmoniaque!
À peine ai-je parcouru quelques kilomètres que je commence à découvrir le caractère trempé de la belle Bolonaise. Elle a du chien, en plus d’être sublime. Et ne s’en laisse pas imposer par le premier venu. Elle sait que son potentiel est énorme, bien supérieur à celui de son pilote, moi en l’occurence. Et si elle joue les prima donna, ce n’est pas par caprice, par coquetterie, mais parce qu’elle sait ce qu’elle vaut et ce qu’elle veut.
En ville, la Ducati est exigeante à piloter, même si elle est réglée en mode « Sport », le moins radical des trois modes de conduite, en dehors du mode « Wet » qui, comme son nom l’indique est destiné à la conduite sous la pluie. Avec sa partie cycle rigide et ses suspensions semi-actives Öhlins performantes, la 1299S n’est pas à son mieux sur les routes minées du réseau routier québécois. Elle se demande même ce qu’elle fout là. Le pilote aussi, lui dont les poignets sont aussi endoloris que le bas de son dos et sa colonne vertébrale.
Le moteur est lui aussi malmené. Il est impossible d’étirer les rapports à moins de vouloir passer la nuit au poste de police ou à l’hôpital. La Panigale se comporte comme un pitbull muselé qui tire sur sa chaîne et manque de s’étrangler avec son collier. J’ai quasiment mal pour elle, tellement elle ne semble pas à sa place dans cet environnement castrateur.
Autoroute, même verdict !
Sur l’autoroute, ce n’est guère mieux. Si on respecte scrupuleusement les limitations de vitesse, on évolue en sixième, aux environs de 3 000 tr/min, régime auquel la Ducati a le hoquet. À ce rythme, la position de conduite radicale devient un handicap. Une vraie torture. Et la moindre rotation de l’accélérateur vous arrache les bras et vous propulse à des vitesses stratosphériques. Dans les conditions, je m’ennuie presque de mon Vespa PX150 poussif. Heureusement pour moi, mon calvaire routier achève.
Direction la campagne
Sur les routes secondaires peu fréquentées en cette fin d’août, la Panigale 1299S se sent déjà plus à son aise, même si ce n’est pas encore le nirvana. Quand le revêtement est potable et le tracé sinueux, la Ducati commence à s’amuser et récompense son pilote par des prestations sportives de haut niveau. Mais pour en arriver là, elle le fait basculer du côté sombre de la force… constabulaire. À la moindre accélération, les points de son permis de conduire s’envolent comme les feuilles mortes en automne.
Dans cette situation, elle fait preuve cependant d’une rare efficience. Stable, vive, maniable et affûtée, elle démontre une vitalité étonnante à mi-régime, en plus de développer une puissance phénoménale. Même si ce n’est pas la sportive la plus puissante de l’année, en chiffres purs, c’est certainement celle qui donne l’impression de développer le plus de chevaux et d’accélérer le plus fort. Peut-être en partie à cause du couple extraordinaire que développe son bicylindre en L Superquadro, mais aussi de son extraordinaire rapport poids/puissance. Après environ 200 km sur le réseau secondaire, je quitte enfin la route pour me rendre au circuit de Calabogie Motorsports Park où je vais pouvoir m’en donner à cœur joie.
Une pistarde pour motocycliste aguerri
La seule autre Panigale que j’ai pilotée, avant cet essai, est la 899. C’était au circuit Ricardo Tormo de Valence, dans le cadre de ma participation à l’école Freddie Spencer Riding School par 4G. Une machine que j’avais adorée, particulièrement sur ce magnifique circuit de MotoGP, mais qui ne m’avait pas impressionné par sa puissance. Notre collaborateur Costa Mouzouris, qui a découvert la 1299S lors de son lancement international, à Portimao, au Portugal, avait été subjugué par cette dernière. Je ne vous ferais donc pas l’affront de reprendre sa présentation que vous pouvez retrouver dans cet article détaillé, mais je me consacrerais plutôt sur mes propres impressions de conduite.
Un mois plus tôt, soit à la fin juillet, j’avais pris part à un match comparatif entre la BMW S1000RR et la Yamaha R1, les deux plus proches compétitrices de la Ducati, à Calabogie. Deux sportives superlatives qui développent elles aussi près de 200 ch. Et, mes notes aidant, j’ai encore à l’esprit les sensations que j’ai ressenties à cette occasion.
Pour cette journée de roulage, je dispose également d’une MV Agusta F4 en essai ce qui va m’aider à me faire une idée claire du potentiel réel de la Panigale face à sa concurrence. Pour être sûr de ne rien manquer, je prends part à ce roulage organisé par Pro 6 Cycle dans deux groupes distincts, ce qui me procure un total de 11 séances de 20 minutes en piste dans la journée. Dur pour un vieux squelette comme le mien. Mais il faut bien que quelqu’un se sacrifie, alors autant que ce soit moi…
Juchée sur sa béquille, la Ducati a fière allure. Fine et élancée, c’est une vraie moto de course moderne. À côté d’elle, la MV Agusta, magnifique et exclusive, a presque l’air pataude. La 1299S est sublime dans son environnement de prédilection et respire la performance, la compétition.
Quand on prend place à bord de la Ducati, on est surpris par son gabarit de moyenne cylindrée. Elle est compacte et très fine entre les jambes. La selle haut perchée, comme les repose-pieds d’ailleurs, impose une position de conduite radicale typée course. Au point où on se sent un peu à l’étroit pendant les premiers tours. Puis on s’y fait. On trouve sa place et on commence à aligner les tours rapides. Du moins, on essaie.
Pour mes deux premières sorties au guidon de la Ducati, je choisis le mode « Sport », question d’appréhender la Bête sur le tracé technique et rapide de Calabogie et j’adapte les réglages de la suspension électronique semi-active en conséquence. Ainsi ajustée, la Ducati est puissante, mais facile à contrôler. L’anti-cabrage est réglé sur le sixième de huit niveaux (donc relativement interventionniste, le premier niveau étant le plus permissif) et l’anti-patinage sur le niveau 4, ce qui autorise de légères dérives du pneu arrière, au besoin.
Puis, me sentant à l’aise, je passe en mode « Race » à ma troisième sortie avec la Panigale (anti-cabrage et anti-patinage sur 3). Quel changement! La Ducati est méconnaissable. Près de 202 ch au vilebrequin et un couple de 106,6 lb-pi pour seulement 190,5 kg tous pleins faits. C’est dément! C’est la puissance de la Ducati 1098 F08 avec laquelle Troy Bayliss est devenu Champion du Monde WSBK pour la troisième fois, en 2008. Au bout de la ligne droite à l’arrière du circuit, j’atteins 290 km/h. La roue avant cherche à s’envoler à chaque accélération. Au point où je commets une erreur d’appréciation dans le virage numéro « 8 » appelé « Temptation », un des plus techniques de Calabogie, dans lequel j’arrive trop vite, sur la mauvaise ligne. Je parviens à corriger la trajectoire in extremis, au prix d’une petite frayeur et d’une grosse suée. Quelle « délivrance »!
Ce sauvetage a été rendu possible grâce aux freins exceptionnels de la Ducati. Le double disque Brembo de 330 mm de diamètre, pincé par des étriers radiaux Brembo monoblocs M50, dispose d’une puissance de freinage digne d’un Superbike. Il offre beaucoup de mordant, dès la phase d’attaque et de modularité. Puissant, il le reste sur toute la course du levier, procurant un ralentissement optimal, sans déstabiliser la moto. L’ABS de série est transparent et n’intervient pas de façon impromptue. Son niveau d’intervention est réglable sur trois niveaux et il est actif en virage, ce qui permet de prolonger le freinage en courbe en évitant de perdre l’avant. Tout simplement brillant! Le système peut également être désactivé si nécessaire.
La Panigale possède un sélecteur de vitesses électronique (quickshifter) évolué qui permet de passer les rapports à la volée dans les deux sens et procure même automatiquement un petit coup de gaz lors des rétrogradages. Il fonctionne à merveille, particulièrement à un rythme sportif. Un incontournable!
Les pneus d’origine, des Pirelli SuperCorsa SP, s’avèrent efficaces en conduite sportive sur route. Sur piste, ils performent bien, particulièrement dans le cadre d’une sortie occasionnelle sur circuit, sans pour autant offrir l’adhérence des pneus conçus expressément pour cette utilisation, comme les excellents pneus DOT Pirelli Diablo SuperCorsa SC, par exemple, l’option juste avant les slicks.
Grâce à son arsenal électronique — anti-patinage à 8 crans (DCT), anti-cabrage (DWC) également à 8 niveaux, ABS opérant en virage, contrôle électronique du frein moteur (EBC), modes de pilotages paramétrables (Wet, Sport, Race), sélecteur électronique évolué —, la Ducati Panigale 1299S facilite la vie du pilote et lui permet d’atteindre un niveau de pilotage dont il ne se croyait pas capable auparavant. De plus, ces béquilles électroniques sont bien intégrées et quasiment transparentes à l’usage. Elles assurent un niveau de sécurité étonnant sur une machine aussi puissante.
Le système Bosch Inertial Measurement Unit qui prend en compte six axes de mesure, dont l’angle d’inclinaison, la vitesse, l’accélération et la répartition avant/arrière des masses, en plus d’autres paramètres, surprend par son efficacité et sa réactivité. Qui plus est, chaque mode possède des paramètres par défaut, lesquels peuvent être modifiés individuellement et sauvegardés dans la mémoire de la centrale. Ce qui n’empêche pas qu’il faille se cracher dans les mains pour réaliser des temps honorables sur circuit.
Si le Superquadro est hyperpuissant et vous arrache les bras à l’accélération entre 8 500 tr/min et 11 000 tr/min, il fait aussi preuve d’une force importante entre 5 000 tr/min et 8 500 tr/min, largement supérieure à celle développée par les BMW S1000RR et Yamaha R1. Ce qui explique le caractère que dégage la Ducati. Et le plaisir qu’on éprouve à son guidon, quel que soit le régime auquel on évolue.
Cependant, la 1299S demande un engagement physique de tous les instants et réclame précision et rythme pour évoluer au plus haut niveau. Elle pardonne moins que d’autres sportives de son acabit les approximations ou les erreurs de pilotage et n’aime pas trop improviser. La rigueur, il n’y a que ça qu’elle aime.
Pour les amateurs de piste
Au guidon de la 1299S, on se sent aux commandes d’un authentique Superbike, une machine conçue pour la performance et la compétition. Son twin fabuleux est secondé par une partie cycle affûtée dont le comportement est très typé. Malgré son amortisseur de direction électronique, elle est vive, voire nerveuse et balaie la piste de son pneu arrière lors de freinages appuyés. Très agile dans les enfilades, elle se place en courbe avec précision et facilité faisant preuve d’une stabilité sur l’angle stupéfiante. Autant de raisons de s’enthousiasmer, tour après tour.
Bien que l’on m’ait averti que la Panigale 1299S était physique à piloter, je suis surpris de mon état de fraicheur au terme de cette journée de roulage sur un circuit aussi demandant que celui de Calabogie. Surtout que j’ai multiplié les séances, passant de la Ducati à la MV Agusta durant tout la journée. Sans avoir beaucoup d’occasions de récupérer entre chaque sortie. Un bon point pour la Ducati !
Malgré son prix supérieur de 6 000$, la version S, avec ses suspensions électroniques semi-actives, offre un surplus de performance et d’agrément. Celles-ci sont tout simplement remarquables, même s’il faut les ajuster adéquatement au préalable, ce qu’un spécialiste des suspensions se fera un plaisir de faire pour vous.
Personnellement, c’est la machine la plus proche d’une véritable machine de course que j’ai eu l’occasion de piloter. Celle avec laquelle j’ai pu croire un instant être enfin devenu un pilote pro. Mais ça, c’était avant que j’analyse les données de mon chronomètre électronique SpeedAngle GMOS JI100S. On ne transforme pas une mule en étalon aussi facilement.
FICHE TECHNIQUE
INFORMATIONS GÉNÉRALES
- Poids tous pleins faits : 190,5 kg
- Hauteur de selle : 830 mm
- Capacité essence : 17 L
- Consommation : N.C.
- Autonomie : N.C.
- Durée de l’essai : 120 km sur route et 7 séances de piste au Calabogie Motorsports Park
- Prix : 26 695 $
MOTEUR
- Moteur : Bicylindre en L, quatre temps, refroidi au liquide, distribution desmodromique, DACT, 4 soupapes par cylindre
- Puissance : 202 ch à 10 500 tr/min
- Couple : 106,6 lb-pi à 8 750 tr/min
- Cylindrée : 1285 cc
- Alésage x course : 116 x 60,8 mm
- Rapport volumétrique : 12,5: 1
- Alimentation : injection électronique
- Transmission : six rapports
- Entraînement : par chaîne
PARTIE-CYCLE
- Cadre : monocoque en aluminium
- Suspension : fourche inversée semi-active Öhlins NIX30. 43 mm. Monoamortisseur Öhlins TTX36 semi-active, suspensions entièrement réglables
- Empattement : 1 437 mm
- Chasse/Déport : 24 degrés/96 mm
- Freins : 2 disques de 330 mm et étriers Brembo Monobloc, 4 pistons radiaux M50 à l’avant; simple disque de 245 mm avec étrier double piston à l’arrière. ABS de série.
- Pneus : Pirelli Diablo Supercorsa SP
120/70ZR17 à l’avant
200/55ZR17 à l’arrière
VERDICT RAPIDE
ON AIME BIEN
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ON AIME MOINS
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