Une expérience aux multiples facettes
Publié le 19 septembre 2023
Dernièrement, j’ai passé une semaine en Colombie-Britannique dans le cadre du rallye BMW ADV-X, à dévorer les sentiers des montagnes Rocheuses, une version de l’aventure inédite pour moi. Cette expérience que j’ai adorée m’a néanmoins conforté dans la certitude que l’aventure avait différentes façons de se matérialiser et qu’aucune n’est mieux qu’une autre. L’important, c’est de prendre du plaisir et de découvrir.
Photos : Didier Constant, David Parker, Guy Parrot
L’aventure n’est pas l’apanage de la moto, même si moto et aventure vont très bien ensemble. En fait, davantage de gens la vivent à pied, à cheval, en voiture, en vélo, en train, en bateau, en avion, en ULM, ou encore à travers l’escalade, la plongée, le parachutisme ou le vol libre qu’à moto. Et j’oublie de nombreux moyens d’assouvir cette soif de découverte et de vagabondage qui caractérise les baroudeurs de tout crin.
Même à moto, chacun a sa propre façon d’appréhender l’aventure, contrairement à ce que le marketing et les prosélytes veulent nous faire croire. L’aventure n’est, par définition, jamais standardisée. Pour certains, elle consiste à partir au bout du monde par des chemins tortueux et perdus ; pour d’autres, c’est explorer les sentiers autour de chez eux en se mettant dans les pires situations possibles — boue, sable, eau profonde, chemins impraticables — et en valorisant le plaisir qu’ils éprouvent par les galères qu’ils rencontrent ; pour d’autres encore, dont je fais partie, c’est découvrir le monde par la route en se régalant de paysages grandioses, en profitant du confort douillet d’hôtels pittoresques et en dégustant des repas sublimes dans des restaurants gastronomiques. La dolce vita. Chacun ses goûts. Personnellement, je n’ai jamais été un grand amateur du hors route, sous aucune de ses formes, ni même du camping. Et même si je deviens meilleur à chacune de mes sorties en tout-terrain, je m’ennuie quand je suis loin du bitume. Je n’aime absolument pas me salir et encore moins en chier. Pas plus que je ne mesure mon plaisir aux souffrances que je dois endurer pour l’atteindre. Je suis un hédoniste, un épicurien, un jouisseur. Que voulez-vous ? C’est mon fatum. Mais je comprends tout à fait que certains éprouvent d’autres besoins et d’autres plaisirs. C’est ça la beauté de la diversité. De la liberté.
En la matière, je me sens proche de l’humanisme de Saint-Augustin quand il déclare « Aime, et fais ce que tu veux ! » Un aphorisme qui combine la devise des épicuriens, dans sa première partie et la pensée anarchiste, dans la seconde. Le problème aujourd’hui c’est que l’on dissocie liberté et responsabilité, alors qu’elles sont sœurs siamoises. En effet, plus on réduit les libertés dans une société, plus on déresponsabilise ses citoyens. Celui qui ne fait qu’obéir sans jamais exercer sa liberté abdique ainsi sa propre responsabilité.
Pour Sartre et les existentialistes, l’homme existe d’abord et, en fonction de ses choix, il devient ce qu’il est. L’homme est entièrement responsable. Il est « la série de ses actes » et, à ce titre, il est imputable de ceux-ci. En choisissant l’homme qu’on est, on crée une image de l’homme tel qu’on le conçoit : on crée l’humanité à sa façon.
J’éprouve depuis ma plus tendre enfance un besoin irrépressible de bouger, de changer d’horizon. C’est inscrit dans mon ADN, sans que je puisse en retrouver la source réelle. C’est un besoin vital pour moi. Une façon d’échapper à la routine et, ultimement, de repousser la mort. « Rester c’est exister : mais voyager c’est vivre » affirme Gustave Nadaud. Une maxime qui explique le secret de mon bonheur.
Contrairement aux biens matériels qui nous apportent une gratification instantanée, les expériences sont vécues avec une joie renouvelée qui augmente chaque fois qu’on se les remémore. Même les mauvaises, que l’on dédramatise et dont on sourit après coup. « Voyager est un triple plaisir : l’attente, l’éblouissement et le souvenir, » assurait l’actrice américaine Ilka Chase.
Le voyageur en moi veut découvrir des contrées inexplorées et frotter son âme à celle d’inconnus afin de communier avec eux et partager un moment d’éternité. Sans travestissement. Sans déguisement. Sans intermédiaire. Mais l’écrivain — au sens de celui qui écrit —, mythomane épique en quête d’absolu, cherche à immortaliser ces instants magiques en les embellissant par le langage. Il les travestit involontairement, inconsciemment, mais il les altère quand même. C’est le paradoxe auquel sont confrontés la plupart des écrivains voyageurs. De Jack Kerouac à Bruce Chatwin. De Joseph Kessel à André Malraux. D’Arthur Rimbaud à Henri de Montherlant. Pourtant, grâce à leurs mensonges mémoriels ou à leurs enluminures stylistiques, un coucher de soleil devient pour leur lecteur plus intense et sublime que sa simple observation. La préhension d’un sentiment plus profond, plus intime. Les mots ont un étrange pouvoir sur notre imagination.
L’aventure est plus qu’un moyen de transport ou qu’une mode : un état d’esprit. Elle se caractérise par la curiosité et la découverte. Par la capacité que l’on a de se mettre en abîme, de ne rien prendre pour acquis et, surtout, comme savent si bien le faire les enfants, de s’émerveiller de tout. On devrait plus souvent prendre exemple sur eux !
« L’aventure est au coin de la rue ! » scandait un slogan de mai 68.