« Éditos

Au risque d'avoir l’air d’un tout-nu à moto…

Photos : Didier Constant, Kevin Wing, Nathalie Renaud, Patrick Laurin, Claude Privée, Richard Turenne, BMW, Yamaha

L’aventure est au goût du jour. Avant, elle avait un parfum, maintenant, elle a un véhicule de prédilection. Voire une catégorie de motos sans lesquelles tu passes pour un parfait ringard. Mais aussi un uniforme incontournable. 

Sur YouTube, les vidéos montrant des « aventuriers » embourbés jusqu’aux essieux ou jouant les sous-marins dans une flaque d’eau pullulent. Personnellement, je ne suis pas fan du genre. Je trouve que les auteurs de ces motodrames scénarisés et mal interprétés véhiculent une image négative de notre sport. Laquelle sert trop souvent de justification aux extrémistes écolos, mais, plus grave encore, à certains États qui cherchent à limiter l’accès des chemins publics au tout-terrain en raison des nuisances causées (Californie, France, Grande-Bretagne, Suède) ou à interdire carrément la pratique du hors route sur leur territoire (Autriche, Italie, etc.). Quelques initiatives comme le Codever, en France, le TET (Trans Euro Trail) en Europe, les BDR (Backcountry Discovery Routes), aux États-Unis, ou le TQT (Trans Quebec Trail) chez nous, tentent, tant bien que mal, d’organiser le chaos qui se profile à l’horizon. 

Mais, à mon humble avis, il est déjà trop tard. Ces mesures marquent le début de la fin du tout-terrain comme on l’a connu. Libre et responsable. Plus on réduit les libertés dans une société, plus on déresponsabilise ses citoyens. Comme le faisait remarquer le philosophe d’origine grecque Cornélius Castoriadis (1922-1997), « liberté et égalité s’impliquent réciproquement ». Si un individu a plus de pouvoir que moi, il est alors en capacité d’attenter à ma liberté. Ce qui est inacceptable dans une société juste et équitable. Du coup, une liberté encadrée est-elle encore une liberté ? Il s’agit là d’un débat sur lequel je reviendrai dans un autre édito.  

« L’aventure est au coin de la rue ! » scandait un slogan de mai 68. Déclaration prophétique. En effet, aujourd’hui, le simple fait de sortir de chez soi ou d’aller au dépanneur du coin, est risqué. Mortel… si l’on en croit les autorités sanitaires. 

Mais l’aventure est toujours vendeuse. Comme concept, comme produit ou comme mode de vie fantasmé. C’est, en résumé, ce que nous serinent les marketeurs de toutes les marques de motos et d’équipements. Ils en ont fait leur cheval de bataille. Leur leitmotiv. Leur vocabulaire. Pas un lancement, pas une présentation, pas une publicité qui n’intègre le mot « aventure » toutes les dix lignes. Au point où le terme est galvaudé. Vide de sens. Et colle au palais quand on essaie de le prononcer.

Et, comme si ça ne suffisait pas, l’aventure qui, pour moi, est synonyme d’anticonformisme, de singularité, d’indépendance et d’unicité revêt aujourd’hui les habits du conventionnalisme. Non contents de piloter des motos semblables — à quelques détails près —, les néo-aventuriers endossent une panoplie de baroudeur moderne, uniforme antinomique avec la notion même d’aventure. On n’est pas à une contradiction près…

Aucun d’entre eux ne songerait à arpenter les sentiers sans son casque à palette, sa tenue de globe-trotter à plusieurs milliers de dollars, bourrée de poches et de trappes d’aérations, ses bottes de cross imperméabilisées, ou ses bagages à la fine pointe de la technologie. Des accessoires de marque, of course ! En dehors d’Enduristan, KLIM, Lone Rider, Mosko Moto, Rev’It!, Scott, point de salut. Même des marques historiques comme Alpinestars ou Dainese qui produisent pourtant des équipements d’aventure de qualité ne trouvent pas grâce aux yeux des explorateurs des temps modernes. Car trop associées au vulgum pecus. La plèbe, ça pue… Même quand elle est en moyens.

Personnellement, je me réfère à ma propre « cartographie de l’aventure », au risque de passer pour un vieux con. Et, en dehors des équipements que j’essaie pour Motoplus, ma tenue de moto de prédilection est avant tout efficace, étanche et légère à porter. Quoi qu’un peu hors mode, si on se fie aux standards actuels. Lors de mes voyages personnels, je porte toujours un casque intégral sportif avec visière photochromique, une balaclava et un tour de cou en soie, une veste sobre en Gore-Tex, 100 % étanche, des gants de cuir classiques (j’ai aussi une paire de gants en néoprène, en cas de pluie), une paire de jeans renforcés et des bottes de tourisme en Gore-Tex. Des équipements de qualité, certes, mais pas estampillés « aventure ». Au risque de passer pour un tout-nu aux yeux de certains.

L’aventure c’est avant tout un voyage intérieur, une rencontre avec l’inconnu, avec soi-même. Pas une parade dans une foule homogène réunie autour d’une même cause. Et vêtue des mêmes frusques, fussent-elles tissées dans une étoffe que seules les personnes sottes ou incapables dans leurs fonctions ne peuvent pas voir. 

* référence au conte de Hans Christian Andersen, « Les habits neufs de l’Empereur »
** citation d’Antoine Houdar de La Motte

11 réponses à “Les habits neufs de l’aventurier*”

  1. André Mailhot

    Salut Didier. Encore, quel plaisir de te lire. Moi, quand je sent la froideur du planché de bois franc de ma chambre le matin, c’est déjà une aventure mouaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa. Mais le summum, c’est quand je pèse sur le ti piton de la porte du garage au moment ou j’arrive dans la cour chez nous, pi là là, quand je ne voie plus la lumière sous la porte, je descend de ma moto, je me dit « YES », ça été toute une aventure mouaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa. Bye Didier.

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  2. Patrick Perron

    Je pense comme toi Didier et ce, malgré le fait que je fasse partie de ce clan!!! Deux motos du genre dans le garage, quatre casques et “habits” différents que j’utilise par contre pour leurs fonctions primaires: Protection et confort en tout temps.
    Ce que je retiens de ton édito c’est que nous, les anticonformistes, nous conformons à nos semblables tout comme l’a été est l’est encore ce même phénomène dans le clan Harley Davidson…
    Bonne saison!

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  3. Didier Constant

    Pour information, dans mon article, je ne critique pas les aventurières, ni les équipements d’aventure, seulement l’effet de mode et le conformisme. Je formulais la même critique à l’égard du phénomène des Café-racers et des hippsters, ou de celui des sportives quand elles étaient dans l’air du temps. Pour information, ça fait 20 ans que je roule en aventurière 😉 Et j’ai plusieurs ensembles d’aventure (c’est moi qui suis dans presque toutes les photos de l’article). Ceux qui me connaissent peuvent en témoigner. Le principal, c’est de se faire plaisir 😉 Ce qui n’empêche pas de se poser des questions…

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  4. Pierre

    Encore un beau texte, Didier.
    Le point est que la sociologie du monde motard n’a plus rien à voir avec celle de notre jeunesse.
    Le motard 2023 a déjà une belle auto, et des revenus solides qui lui permettent d’acheter une moto … et les beaux habits qui vont avec, pour quelques sorties pour le fun. Il se donne ainsi une image de son moi idéal (et accessoirement il la montre aux autres). Idem celui avec son gros 4×4 avec pare-buffles.
    Aventurier en GS ou bad boy en HD : Qui cela trompe-t-il, à part peut-être l’intéressé ?

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  5. Lachapelle Pierre

    Bonsoir Didier, Durant la saison, j’ai remarqué des motos aventure : le pilote en solo avec les valises latérales, le top case, le tank bag, et le petit kit vêtements de la marque de la moto (ça me fait sourire). Pour ma part, j’ai 2 casques intégraux, un Shark et un Arai, une veste Rukka standard, et un manteau mesh pour l’été, un pantalon Scott, une paire de bottes Alpinestars, des gants de motoneige pour le début et la fin de saison et des gants Icon pour la période estivale. Je suis d accord, l’image est très importante pour certaines personnes. Pour moi, le confort est plus important.

    En parlant des vidéos sur Youtube de motos aventure dans la boue, la même chose se passe avec les motoneiges hors piste certains individus se permettent de vandaliser des propriétés mettant en péril les droits des motoneigistes de sentier!

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  6. Claudine

    Bonjour,
    C’est disons la même histoire avec les voitures. Gros camions dans la cours, avec voiture sport, motoneige et même la souffleuse pourrait faire envie. C’est maintenant ca, notre société. Elle est surendettée et collectionne les jouets. Toutefois, pour en revenir aux motos, tant que le conducteur fait de la moto avec ses supers habits, pour lui ou elle, ce n’est clairement pas de nos oignons. Faut faire attention de ne pas tomber dans l’envie et le mémérage!

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  7. Denis

    Peu importe la randonnée ou même la moto chevauchée, je porte LE (seul) « kit » (hétéroclite) que j’ai et qui me procure protection et confort. Dans cela un vieux « chaps » de cuir noir, acheté usagé en… 2007… L’habit ne fait pas le moine!!!

    Merci de continuer a dire tout haut ce qui est pensé…

    Denis

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