Au risque d'avoir l’air d’un tout-nu à moto…
Publié le 21 mars 2023
Aujourd’hui, difficile d’ignorer les motos d’aventure — les trails pour nos amis d’outre-Atlantique. Elles sont partout, au point de cannibaliser le marché. « L'ennui naquit un jour de l'uniformité », si on en croit l'adage...**
Photos : Didier Constant, Kevin Wing, Nathalie Renaud, Patrick Laurin, Claude Privée, Richard Turenne, BMW, Yamaha
L’aventure est au goût du jour. Avant, elle avait un parfum, maintenant, elle a un véhicule de prédilection. Voire une catégorie de motos sans lesquelles tu passes pour un parfait ringard. Mais aussi un uniforme incontournable.
Sur YouTube, les vidéos montrant des « aventuriers » embourbés jusqu’aux essieux ou jouant les sous-marins dans une flaque d’eau pullulent. Personnellement, je ne suis pas fan du genre. Je trouve que les auteurs de ces motodrames scénarisés et mal interprétés véhiculent une image négative de notre sport. Laquelle sert trop souvent de justification aux extrémistes écolos, mais, plus grave encore, à certains États qui cherchent à limiter l’accès des chemins publics au tout-terrain en raison des nuisances causées (Californie, France, Grande-Bretagne, Suède) ou à interdire carrément la pratique du hors route sur leur territoire (Autriche, Italie, etc.). Quelques initiatives comme le Codever, en France, le TET (Trans Euro Trail) en Europe, les BDR (Backcountry Discovery Routes), aux États-Unis, ou le TQT (Trans Quebec Trail) chez nous, tentent, tant bien que mal, d’organiser le chaos qui se profile à l’horizon.
Mais, à mon humble avis, il est déjà trop tard. Ces mesures marquent le début de la fin du tout-terrain comme on l’a connu. Libre et responsable. Plus on réduit les libertés dans une société, plus on déresponsabilise ses citoyens. Comme le faisait remarquer le philosophe d’origine grecque Cornélius Castoriadis (1922-1997), « liberté et égalité s’impliquent réciproquement ». Si un individu a plus de pouvoir que moi, il est alors en capacité d’attenter à ma liberté. Ce qui est inacceptable dans une société juste et équitable. Du coup, une liberté encadrée est-elle encore une liberté ? Il s’agit là d’un débat sur lequel je reviendrai dans un autre édito.
« L’aventure est au coin de la rue ! » scandait un slogan de mai 68. Déclaration prophétique. En effet, aujourd’hui, le simple fait de sortir de chez soi ou d’aller au dépanneur du coin, est risqué. Mortel… si l’on en croit les autorités sanitaires.
Mais l’aventure est toujours vendeuse. Comme concept, comme produit ou comme mode de vie fantasmé. C’est, en résumé, ce que nous serinent les marketeurs de toutes les marques de motos et d’équipements. Ils en ont fait leur cheval de bataille. Leur leitmotiv. Leur vocabulaire. Pas un lancement, pas une présentation, pas une publicité qui n’intègre le mot « aventure » toutes les dix lignes. Au point où le terme est galvaudé. Vide de sens. Et colle au palais quand on essaie de le prononcer.
Et, comme si ça ne suffisait pas, l’aventure qui, pour moi, est synonyme d’anticonformisme, de singularité, d’indépendance et d’unicité revêt aujourd’hui les habits du conventionnalisme. Non contents de piloter des motos semblables — à quelques détails près —, les néo-aventuriers endossent une panoplie de baroudeur moderne, uniforme antinomique avec la notion même d’aventure. On n’est pas à une contradiction près…
Aucun d’entre eux ne songerait à arpenter les sentiers sans son casque à palette, sa tenue de globe-trotter à plusieurs milliers de dollars, bourrée de poches et de trappes d’aérations, ses bottes de cross imperméabilisées, ou ses bagages à la fine pointe de la technologie. Des accessoires de marque, of course ! En dehors d’Enduristan, KLIM, Lone Rider, Mosko Moto, Rev’It!, Scott, point de salut. Même des marques historiques comme Alpinestars ou Dainese qui produisent pourtant des équipements d’aventure de qualité ne trouvent pas grâce aux yeux des explorateurs des temps modernes. Car trop associées au vulgum pecus. La plèbe, ça pue… Même quand elle est en moyens.
Personnellement, je me réfère à ma propre « cartographie de l’aventure », au risque de passer pour un vieux con. Et, en dehors des équipements que j’essaie pour Motoplus, ma tenue de moto de prédilection est avant tout efficace, étanche et légère à porter. Quoi qu’un peu hors mode, si on se fie aux standards actuels. Lors de mes voyages personnels, je porte toujours un casque intégral sportif avec visière photochromique, une balaclava et un tour de cou en soie, une veste sobre en Gore-Tex, 100 % étanche, des gants de cuir classiques (j’ai aussi une paire de gants en néoprène, en cas de pluie), une paire de jeans renforcés et des bottes de tourisme en Gore-Tex. Des équipements de qualité, certes, mais pas estampillés « aventure ». Au risque de passer pour un tout-nu aux yeux de certains.
L’aventure c’est avant tout un voyage intérieur, une rencontre avec l’inconnu, avec soi-même. Pas une parade dans une foule homogène réunie autour d’une même cause. Et vêtue des mêmes frusques, fussent-elles tissées dans une étoffe que seules les personnes sottes ou incapables dans leurs fonctions ne peuvent pas voir.
* référence au conte de Hans Christian Andersen, « Les habits neufs de l’Empereur »
** citation d’Antoine Houdar de La Motte