Une thérapie efficace !
Publié le 18 juillet 2022
La recherche du bonheur est universelle. C’est une valeur que l’on retrouve dans toutes les civilisations, dans toutes les couches sociales. Pour certains, le bonheur est un droit fondamental, voire constitutionnel. Les États-Unis d’Amérique l’ont même enchâssé dans leur Déclaration d’Indépendance. Mais qu’est-ce que le bonheur ? Pour moi, ça passe, entre autres choses, par la moto et par les voyages.
Photos © Didier Constant
Je n’ai pas le bonheur facile. En dehors des moments que je partage en famille, particulièrement avec mon petit-fils, je suis rarement satisfait — pour ne pas dire heureux — et quand je le suis, c’est toujours de courte durée. C’est un trait de caractère que j’ai hérité de ma mère et qui me gâche la vie. Particulièrement depuis que j’ai passé la cinquantaine. Ma cyclothymie me fait passer par de brèves, mais intenses phases d’excitation euphorique, suivies de longs moments de dépression mélancolique. En général, pour moi, le bonheur est toujours ailleurs ou bien un autre jour. Et plus je le cherche, plus il m’échappe, inexorablement.
Peut-être est-ce dû au fait que l’on ne sait pas vraiment à quoi il ressemble. Ni comment il s’exprime. Pour le regretté dessinateur de presse français Jacques Faizant, le bonheur était « un festin de miettes ». Une formule que j’aime beaucoup. D’abord parce que je trouve l’image très belle, mais aussi parce qu’elle est très poétique. Le bonheur n’est pas un état permanent ni immuable, mais une entité fugace et floue, évanescente, qui dépend de l’environnement, des situations, des moments et des gens avec lesquels on les partage. C’est une pluie de poussières d’étoiles. Il faut être au bon endroit au bon moment pour profiter de cette manne. Et dans le bon état d’esprit pour l’apprécier.
Pourtant, chaque fois que je roule à moto, la bipolarité me donne un répit. Et je peux jouir un instant des plaisirs de la vie. Encore plus quand je roule accompagné. « Le bonheur est la seule chose qui se double si on le partage, » aurait déclaré Albert Schweitzer, une observation très juste et qui se vérifie régulièrement dans mon cas. La moto constitue l’une de mes plus grandes joies dans la vie. Il m’arrive parfois d’avoir froid ou d’avoir mal à moto — au dos, au cul, aux poignets —, mais jamais de m’ennuyer ou de regretter de rouler, malgré les conditions parfois exécrables. Si j’aime tant la moto, c’est en partie en raison de mon goût de la liberté et de l’aventure, des valeurs transmises par ma mère. Pour ce qui est de ma passion de la moto, je l’ai héritée de mon père et de mon grand-père, deux fervents motocyclistes dans leur jeunesse.
Cette passion touche tous ceux qui s’en approchent. Quel que soit leur âge ou leur condition sociale. Quelle que soit leur expérience. C’est l’une des plus fortes que l’on peut ressentir. Certains psychologues affirment même que la moto serait le traitement idéal pour guérir leurs patients si ceux-ci pouvaient piloter. Des résultats qui ont été corroborés par une étude de l’institut Semel pour les neurosciences et le comportement humain de UCLA (University of California Los Angeles) qui a démontré que faire de la moto rendait heureux. Un adage ne prétend-il d’ailleurs pas qu’on ne voit jamais une moto garée devant le bureau d’un thérapeute ?
En mars 2019, Wayne Rainey a repris le guidon d’une moto pour la première fois en 26 ans, à la suite de son terrible accident au Grand Prix d’Italie, en 1993, lequel l’a privé de l’usage de ses jambes. Il suffit de regarder le vidéoclip montrant son retour en selle, de voir son regard, d’écouter les trémolos dans sa voix pour comprendre qu’il était pleinement heureux.
La conduite d’une moto est bénéfique pour la santé mentale. Elle libère de la dopamine et des hormones endorphines qui favorisent un sentiment de bonheur. Et se sentir heureux est un élément important d’un esprit et d’un corps sains. Qui plus est, lorsque vous faites de la moto, vous ne faites que cela : de la moto. Vous vous déconnectez de tout le reste et, en fait, vous n’avez pas le temps de faire autre chose : vous êtes dans votre propre bulle, vous avez le contrôle et tout ce que vous faites est concentré sur cette seule activité. Vous choisissez d’être complètement seul et de vous distraire des pressions extérieures. En voiture, vous êtes complètement isolé du monde qui vous entoure. À moto, vous en faites partie intégrante. Les sensations sont multiples : la chaleur du soleil, la fraîcheur du petit matin, le souffle de l’air frais sur votre visage et, surtout, les odeurs du monde qui vous entoure. Rien ne vous bloque la vue et vous avez l’impression que le monde entier s’offre à votre regard.
À part la moto, la seule autre activité qui me rend inconditionnellement heureux, c’est voyager. Apparemment, ce serait également le cas pour de nombreux baroudeurs si l’on en croit une étude réalisée en 2017 par l’Université de Cornell, aux États-Unis qui conclut que dépenser pour des expériences de vie a plus de chances de nous apporter un bonheur durable que d’acquérir des biens matériels. En effet, on s’habitue rapidement aux objets, même rares et dispendieux, que l’on achète pour combler un vide existentiel. Ils nous apportent une gratification instantanée, mais ce plaisir s’étiole au fil du temps, alors que les expériences, elles, sont vécues avec une joie renouvelée qui augmente chaque fois qu’on se les remémore. Même les mauvaises, que l’on dédramatise et dont on sourit après coup.
Le fait de voyager nous permet de mieux nous adapter aux situations diverses que l’on rencontre. Ça aiguise notre débrouillardise, en plus de favoriser la santé de notre cerveau. Ça nous garde jeune et en santé, comme l’a démontré un article publié en 2013 par le Los Angeles Times.
À moto, je conserve une attitude “d’enfant” ou de “convalescent”, comme disait Baudelaire. Je renoue avec la magie et je vis chaque sortie à moto comme si c’était la première. Ça m’évite de succomber au blasement, au désenchantement, à l’indifférence et à l’insensibilité. Ça me permet de raviver mes sensations en occultant mon expérience au profit de la vivacité, de l’intensité et de la virginité des premiers émois qu’elle a fait naître en moi.
Si l’on combine les résultats des deux études, peut-on en déduire que les effets thérapeutiques des voyages à moto sont doublement bénéfiques ? Si je me fie uniquement à ma propre expérience, je dirais que oui. Car je ne suis jamais aussi heureux que lorsque je voyage à moto, particulièrement avec des amis choisis. Pour moi, la motothérapie est le meilleur traitement possible. Le seul qui fonctionne à coup sûr. Le principal problème auquel je suis confronté c’est le temps ou plutôt le manque de temps. Et ce problème s’accélère et s’accentue au fur et à mesure que je vieillis.
La solution est donc de continuer à piloter une moto et à voyager aussi longtemps que ma santé physique et mentale me le permettra. En profiter au maximum. Maintenant. Ne pas remettre mon bonheur à demain. Rouler, encore et toujours. Et partager ces merveilleux moments avec ma famille et mes amis. Aimer la vie et la célébrer. « Le bonheur est toujours une quête à renouveler », disait Michel Piccoli.