« Éditos

Ou comment je découvre qu'une partie de mon histoire familiale est basée sur une légende…

Photos © Didier Constant, Georges Constant, Monique Constant, Jean Constant, Denis Vayer, DR

« Aujourd’hui, maman est morte ».* Pour la seconde fois. En effet, elle nous a quittés le 1er août 2000. Ça fera 22 ans cette année. Pourtant, j’ai toujours autant de mal à m’habituer à son absence…

Dernièrement, j’ai appris par mon plus jeune frère qui a entrepris des recherches généalogiques remontant sur près de six générations, sur les différentes branches de notre famille, qu’une partie de l’enfance de ma mère n’était qu’une construction narrative basée sur une divagation onirique inspirée de son histoire familiale ou de l’absence de celle-ci, en fait. Il s’agit donc bien d’une seconde mort pour moi qui me suis construit à partir de ce mythe maternel.

Ma mère est née à Conflans-Ste-Honorine, capitale française de la batellerie, située sur la rive droite de la Seine, au nord-ouest de Paris. Elle y a vu le jour quelques années avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, dans une famille nombreuse et prolétaire. Confiée à l’assistance publique à l’âge de deux ans, elle a passé sa jeunesse entre orphelinat et famille d’accueil. Sans contact avec ses frères et sœurs. Avec sa famille.

Ma mère et mon jeune frère Marc, à Mer, 1962

Ma mère et mon jeune frère Marc, à Mer, 1962

Comme beaucoup d’enfants dans sa situation, elle a difficilement vécu cette séparation et le manque d’amour qui en a découlé. Inévitablement, elle a développé un sentiment de culpabilité au sujet de ce délaissement. Comme si elle avait une quelconque responsabilité dans cette séparation. Dans la réalité, elle a été retirée à sa famille, pas abandonnée par elle. Ce qui change beaucoup de choses. Mais ça, elle ne l’a jamais su.

Pour se préserver et se construire, elle s’est inventé une mère idéalisée, victime des mœurs sociales de son époque et un père absent, grand baroudeur devant l’Éternel. Des parents plus grands que nature. Elle a également conçu une épopée familiale qui leur donnait le beau rôle et minimisait leur geste. Voire, l’excusait. Ce récit dont elle est devenue l’héroïne malheureuse, elle l’a raconté toute sa vie, finissant même par y croire au point de nous le léguer en héritage.

Selon cette épopée, sa mère aurait eu des origines tziganes et bretonnes. Ce qui constituait une certaine forme de noblesse à ses yeux. Et corroborait sa théorie selon laquelle la particule de son nom aurait été accolée à son patronyme au sortir de la Révolution. Elle s’appelait Defeyer.

Ses origines tziganes étaient la source de son attachement viscéral à la famille et de son insatiable besoin de bouger, même si elle a peu voyagé dans sa vie. Ma mère se sentait chez elle partout et nulle part à la fois. Elle ressentait une profonde absence de racines qui l’a empêchée de se réaliser pleinement. De s’ancrer dans la réalité.

Avec ma père et mon jeune frère Marc, à Mer, 1962

Avec mon père et mon jeune frère Marc, à Mer, 1962

Quant à ses origines bretonnes, elle les utilisaient comme une excuse pour justifier son entêtement, son caractère de cochon et sa fierté qui confinait parfois à l’orgueil, mais aussi pour cacher sa générosité et son amour sans bornes.

Plus tard, alors que nous ne vivions plus chez elle, nous avons découvert qu’elle était bipolaire — à l’époque, on disait maniaco-dépressive —, ce qui explique en partie certains de ses traits de caractère, mais aussi ses tentatives de suicide, particulièrement au mitan de sa vie.

Dès l’adolescence, j’ai repris à mon compte une partie de l’histoire inventée de ma mère — à ce moment-là, je la croyais vraie — pour justifier ma cyclothymie et mon goût prononcé du nomadisme. Ça donnait une saveur poétique à certains de mes traits de caractère que d’aucuns qualifiaient de défauts, mais qui, pour moi, avaient une valeur symbolique importante et constituaient mon mythe fondateur. Ils représentaient, à mes yeux, la partie acquise de mon caractère et de ma personnalité. Des particularités que j’ai cultivées toute ma vie d’adulte et que j’ai intégrées à la pratique de ma profession. Ainsi, si j’aime tant la moto, c’est à cause de mon goût de la liberté et de l’aventure, des valeurs transmises par ma mère qui m’ont conditionné. Il ne s’agit pas là d’un banal accident héréditaire. Même chose pour mon caractère d’ours mal léché qui cache en fait une sensibilité exacerbée. Pour ce qui est de ma passion de la moto, je l’ai héritée de mon père et de mon grand-père qui ont tous les deux été de fervents motocyclistes dans leur jeunesse.

Mon père sur la Terrot M344 de mon grand-père. Photo prise vers 1948.

Mon père sur la Terrot M344 de mon grand-père. Photo prise vers 1948.

Ainsi, quand certains d’entre vous me disent que j’ai une vie rêvée, ils ne sauraient mieux dire. Ce n’est pas toujours une vie de rêve — chaque vie à ses hauts et ses bas —, mais c’est une vie que j’ai fantasmé avant de la réaliser, un peu à la façon de ma mère, mais pour des raisons différentes. La boucle est bouclée en quelque sorte…

Monique Defeyer, épouse Constant 1936-2000

Monique Defeyer, épouse Constant
1936-2000

*« Aujourd’hui, maman est morte » est l’incipit du roman L’Étranger d’Albert Camus.

Une réponse à “Mythe fondateur ou vie inventée ?”

  1. Jean-Jacques Simard

    Bonjour M. Constant,
    D’avoir partagé une partie de l’histoire de votre mère, c’est généreux de votre part. Je pense que vous ne lui tenez aucunement rigueur de s’être inventé un épisode de sa vie. Merci, bon été, bonnes randonnées.

    Répondre

Laisser un commentaire