« Éditos

Ou comment le consensus tue les idées et la pensée critique...

Pour tous ceux de la Génération Mai 68 et de celle qui l’a suivie, la liberté de penser, mais surtout d’exprimer ses convictions, sans contraintes ni jugement, est plus qu’un leitmotiv. Plus qu’un slogan tagué sur un mur de Paris. C’est une façon d’être, de vivre, de combattre. C’est le rejet de la pensée unique et la promotion du débat. De la confrontation. Des joutes oratoires d’anthologie qui ont bercé notre jeunesse. Des affrontements droite-gauche orchestrés comme des montées aux barricades. C’est aussi la conviction profonde que la résolution de nombreux problèmes passe par le dialogue et la confrontation des idées, conviction résumée par la célèbre phrase attribuée à Voltaire, « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »

Malheureusement, les années 80 ont changé la donne. La montée du modèle libéral caractérisé par le Thatcherisme, en Grande-Bretagne et à travers la planète, a façonné un nouveau monde duquel la réflexion, la critique et le débat ont disparu. Un monde qui a institué la rectitude politique en dogme absolu. Du jour au lendemain, la société a enjoint ses sujets à faire attention aux mots qu’ils employaient, aux idées qu’ils véhiculaient, aux thèses qu’ils défendaient. On a été jusqu’à mettre des odeurs sur les idées. On a parlé « d’idées qui puent ». On a instauré le rejet des extrêmes, de la contestation, de la pensée critique au profit de la pensée centriste — ménager la chèvre et le chou — et on a incité les gens à « jouer le jeu ». Ne vous méprenez pas. Je ne dis pas que toutes les idées se valent ni que toutes sont bonnes, mais que toutes ont le droit d’être pensées et débattues. Faute de quoi on n’est plus en démocratie, mais dans un état totalitaire qui fixe les limites de la pensée et de la parole. Un état qui nous conjure à nous situer toujours au centre. À penser mou, à manger mou, à bander mou. À mettre nos convictions en berne afin de devenir des êtres interchangeables, faciles à ranger dans des cases.

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Le Premier ministre britannique Margaret Thatcher accueille son homologue canadien, Pierre Trudeau, devant le 10 Downing Street à Londres, en juin 1984. Photo © La Presse Canadienne

La moyenne s’érige en norme, le compromis domine. Pourtant, il faut résister à cette pensée anesthésiante sous peine de perdre notre identité, notre humanité. « Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie de s’entendre dire » professait George Orwell, l’auteur du prophétique roman « 1984 ».

Aucun milieu n’échappe à la médiocratie

Sous le règne de la médiocratie fleurissent la combine et la corruption. Et aucun milieu n’est à l’abri de ces fléaux. Le problème, c’est qu’on ne reconnaît pas toujours les symptômes de la maladie. Le virus est insidieux. Il se terre dans nos moindres mots, dans nos moindres gestes, dans nos moindres habitudes. On commence par dire « personne de petite taille » à la place de « nain » et, mot après maux, notre pensée s’édulcore pour finir par s’atrophier. Par se ramollir.

Le microcosme de la moto n’est pas étranger à cette perversion. Les éditos disparaissent progressivement des pages des magazines pour faire place à une liste de sujets traités. De nombreux essais ne sont plus que de pâles adaptations des dossiers de presse émanant des constructeurs et des distributeurs. Des articles desquels l’analyse, mais surtout l’esprit critique, a totalement disparu. Certains journalistes sont atteints du syndrome du larbin — un comportement pathologique qui pousse un individu à prendre systématiquement la défense des classes les plus favorisées au détriment de celles dont il est issu — et ne pensent plus qu’à leur bénéfice personnel au détriment du droit du lecteur à une information indépendante et vérifiée. Quand l’intérêt commercial prime sur celui du lectorat, on ne fait plus de l’information, mais de la publicité, de la propagande. Comment s’étonner après cela que la presse écrite se meure ? Disparaisse faute de pertinence et d’indépendance ?

Barry Sheene, pilote de talent et libre penseur

Barry Sheene, pilote de talent, playboy à ses heures et libre penseur, a marqué toute une génération de motocyclistes dont je fais partie

À Motoplus.ca, nous refusons de publier des communiqués de presse, de traiter de tout sujet qui ne nous semble pas digne d’intérêt, de faire la promotion des marques dans un but mercantile ou vénal. Nous ne publions pas de rumeurs tant qu’elles ne sont pas avérées. Nous ne parlons pas de modèles hypothétiques tant qu’ils ne sont pas en voie d’être produits. C’est une règle !  Il n’y a pas de sujets tabous, seulement des sujets inintéressants. Quand on est la « voix de son maître », on n’a l’oreille de personne.

Pour garder son indépendance et sa liberté de penser, il faut apprendre à résister aux petites tentations par lesquelles on entre dans le jeu. Dire non ! Aux invitations gratuites, aux nominations partisanes, aux avantages ou aux reconnaissances qui corrompent, aux cadeaux empoisonnés. Il faut remettre la culture et les références intellectuelles au centre du débat. Se remettre à lire — surtout les anciens ou les classiques — confronter notre intelligence à des idées divergentes des nôtres, affirmer la valeur de certains concepts considérés obsolètes aujourd’hui. Ne pas avoir peu d’être marginal. Ne pas suivre le troupeau comme un mouton. Et surtout, défendre le langage pour qu’il retrouve toute sa puissance et toute sa justesse. En fait, il faut s’astreindre à une certaine forme d’ascèse, ce qui n’est pas facile face aux tentations que nous offre la société moderne.

Il faut aussi renverser la tendance de plus en plus systématique, surtout à la télévision, qui consiste à inviter des « experts », souvent autoproclamés et incompétents, à parler à la place des journalistes. D’autant que la plupart du temps, la pensée de ces « experts » est au service de ceux qui les subventionnent ou des intérêts qu’ils défendent. Ils sont passés maîtres dans l’art de « mentir en respectant scrupuleusement les faits ». Les journalistes dignes de ce nom sont des professionnels. Ils sont aptes à analyser un dossier, même difficile et à le présenter à leurs lecteurs, dans toute sa complexité. C’est la base de leur formation. Laissons-les s’exprimer librement.

La liberté guidant le Peuple. Eugène Delacroix.

La liberté guidant le Peuple — Eugène Delacroix, 1830.

Ce n’est qu’ainsi qu’on protégera l’intégrité journalistique et la diversité des opinions. L’uniformité crée l’ennui. Et, comme tout le monde le sait, l’ennui est la juste punition des esprits vides et des cœurs indifférents**. C’est l’un des plus grands poisons de la vie après l’ambition et l’appât du gain.

La force de l’esprit critique est de s’exercer en tout temps et sur toute chose. Il remet le système et les conventions en cause. En permanence. C’est pour cela qu’il est craint des oligarques. Et c’est pour cette raison qu’il faut le défendre bec et ongles. Il faut réfuter la médiocratie et remettre la dignité de penser et de parler au centre de nos préoccupations. Ne plus « jouer le jeu ».

Notes

En ouverture, la MZ1000S a été froidement accueillie par la presse spécialisée lors de son lancement, en 2004 et a été jugée médiocre, voire pire, par certains journalistes.
* Gouvernance, le management totalitaire, d’Alain Deneault, éd. Lux (2013)

   La Médiocratie, d’Alain Deneault, éd. Lux (2015)
** Proverbe français.

2 réponses à “Pour être heureux, soyons médiocres !”

  1. Alain Paquin

    Tellement… « syndrome du larbin — un comportement pathologique qui pousse un individu à prendre systématiquement la défense des classes les plus favorisées au détriment de celles dont il est issu ».

    Alain

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  2. Claude Lauzon

    Rien a rajouter, bravo

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