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Ou comment rester fidèle à ses rêves d'enfant

Quand j’avais 10 ans, j’ai voulu, tour à tour, être Roland à Roncevaux, Christophe Colomb, Saint-Exupéry ou Rimbaud. Un héros épique, un aventurier, un as de l’aviation doublé d’un écrivain talentueux ou un poète génial. J’avais des rêves de grandeur, mais pas de rêves de conquête ni de domination. Bizarrement, je n’ai jamais songé à devenir un sportif de haut niveau (trop trivial), un politicien (trop machiavélique), un acteur (trop narcissique) ou un requin de la finance (trop malhonnête). Pas plus que je n’ai voulu devenir un conquérant; je n’ai pas l’âme d’un Alexandre Le Grand, d’un Attila, d’un Napoléon ou d’un Hitler.

Puis, au fur et à mesure que j’avançais dans la vie, mes ambitions rapetissaient, comme la route à l’horizon qui finit par devenir un point minuscule. Invisible. Mais se poursuit au-delà de notre regard.

De mes rêves d’enfant, j’ai gardé le souvenir de l’exaltation que provoquaient chez moi les exploits de mes héros, ou de l’émotion que je ressentais à la lecture des chefs d’œuvre de mes écrivains favoris.

Aujourd’hui, je me contente d’être journaliste moto, ce qui m’autorise à écrire — le mieux possible, mais sans jamais dépasser le statut d’écrivaillon —, de piloter les plus belles motos du monde sur route et sur piste, mais aussi de mimer mes nouveaux héros — Rossi, Marquez ou Quartararo — dont je parviens péniblement à imiter les poses en photo. Pour ce qui est d’approcher leurs performances en piste, il y a longtemps que je ne me fais plus d’illusion. Je suis à des années-lumière de leurs chronos, ce qui ne m’empêche pas de ressentir une certaine fierté à rouler sur les mêmes pistes qu’eux sans avoir l’air complètement nul. On se satisfait de peu, que voulez-vous?.

Pourtant, parfois j’ai le sentiment d’avoir trahi mes rêves d’enfance. De compromis en compromission. De renoncement en abandon. De guerre lasse. Je ne rêve plus d’accomplir de grandes choses, ni de laisser une œuvre en héritage. Je me contente seulement de laisser une trace dont je n’aurais pas à rougir à l’heure du bilan.

Quand je regarde certaines des photos que j’ai réalisées au cours de ma carrière, je me dis que j’ai quand même un bon œil et un regard original, à défaut d’un talent véritable. Il faut savoir rester humble et ne pas chercher à se comparer aux Henri Cartier-Bresson, Robert Capa et autres Robert Doisneau de ce monde. Même chose quand je relis certains de mes anciens articles. La maîtrise de la langue est bonne, les idées sont claires et précises et le style est potable. Suffisamment pour me considérer journaliste, mais pas auteur, pas Saint-Exupéry et encore moins Rimbaud.

En revanche, même si je n’ai découvert aucun nouveau pays ni aucune civilisation disparue, j’ai parcouru une bonne partie du globe à moto. J’ai même fait « un petit détour par la Lune » à l’occasion… Lune de miel. Lune d’argent. Lune que j’ai essayé de décrocher plus souvent qu’à mon tour, sans jamais y parvenir. L’astre sélène reste solidement accroché à la voûte céleste et je me contente désormais de le montrer du doigt. Ou de hurler à son intention, comme le coyote ou le loup solitaire. Sans résultat.

Au cours des 40 dernières années, j’ai accumulé des centaines de milliers de kilomètres à moto. En Europe, en Amérique, en Asie, en Afrique, en Océanie. Les seuls continents où je n’ai pas posé mes roues sont l’Arctique et l’Antarctique. J’ai parcouru le monde en vrai voyageur, sans plan établi et sans intention d’arriver quelque part. « L’important ce n’est pas la destination, c’est le chemin », prétend l’adage. Et le chemin, je le connais. Je suis un vagabond, au sens Kerouacquien du terme. Même si j’ai un domicile fixe. Je ne mendie pas, mais j’erre. Je découvre. Je me déplace à l’aventure. Je mords la vie à pleines dents. Je m’abreuve à la source de l’amitié, ne ratant aucune chance de faire de nouvelles rencontres.

Le vagabondage est mal vu dans beaucoup de sociétés occidentales. Dans certaines, c’est même un délit puni par la loi. Dans la plupart des dictionnaires, les définitions des mots « vagabond » ou « vagabondage » ont une connotation négative. Pourtant, à mon avis, le vagabondage représente la noblesse de l’Homme. Sa capacité à abandonner toute possession matérielle pour partir à la découverte du monde, de l’autre, de soi.

Quand j’étais jeune, ma mère me répétait souvent : « Va à l’école, étudie et apprends un métier, si tu ne veux pas devenir un vagabond ». Pour elle qui était orpheline et avait passé sa jeunesse dans un foyer, la maison et la famille étaient des valeurs refuges. La route et le voyage des dangers, même si elle avait de lointaines origines tziganes. Et la pire chose qui pouvait arriver à ses fils était qu’ils deviennent romanichels. En bon fils sage, je l’ai écoutée. Je suis allé à l’école, j’ai étudié. J’ai même été instituteur dans une autre vie, un métier dont elle était très fière, mais cela ne m’a pas empêché de devenir un vagabond. Au sens où l’entendait Jack Kerouac dans « Sur la route » ou dans « Les clochards célestes ». Comme quoi on n’échappe pas à son destin.

Je ne suis jamais aussi heureux que lorsque je bourlingue. Sans itinéraire. Sans horaire. Sans but précis. Même si j’ai besoin de rentrer chez moi régulièrement. De retrouver ma femme, mon fils, mes proches. De retremper mes racines dans la source de ma vie.

L’errance requiert une âme légère, mais un corps endurant et résistant qui peut encaisser toutes les douleurs et les souffrances. Aujourd’hui, ma colonne vertébrale est un véritable cactus, plantée d’épines. Du cou au bas du dos, elle n’est qu’une plaie vive, une douleur omniprésente.  Pourtant, rien ne peut m’empêcher de voyager. C’est un besoin impératif, aussi bien physique que psychologique. J’en ai besoin, comme un toxico a besoin de sa dose, même si celle-ci le rapproche un peu plus de l’échéance, de la déchéance. Si je reste longtemps sans rouler, je m’ankylose, je me sclérose, je me délite. Je me mets à broyer du noir. À ne plus voir la vie en rose. Il faut être aigri, amer pour dénigrer la vie. Et heureux pour la célébrer. Bien dans sa peau! Et c’est ce à quoi je tends. Même si je n’y parviens pas tout le temps.

Pour paraphraser Ralph Waldo Emerson, « je ne vais pas là où le chemin peut me mener. Je vais là où il n’y a pas de chemin et je laisse une trace ». Une trace furtive, une trace mnésique, une trace fugitive. En espérant que quelqu’un la découvre un jour et décide de la suivre à son tour.

Enfant, je voulais être un artiste. Et j’ai presque réalisé mon rêve, une histoire à la fois, une photo à la fois, un voyage à la fois. Je n’ai pas atteint la notoriété de mes idoles de jeunesse et ça ne me dérange pas vraiment. Pour être franc, je m’en fiche. Et cela ne fait pas la moindre différence. J’ai la satisfaction de poser des gestes artistiques, à l’occasion, et c’est déjà beaucoup. Ça flatte mon âme utopiste. « Un rêveur est celui qui ne trouve son chemin qu’au clair de lune et qui, comme punition, aperçoit l’aurore avant les autres hommes, » écrivit Oscar Wilde. Il s’agit d’une citation sublime et d’une définition qui me convient tout à fait.

13 réponses à “J’aurais voulu être un artiste…”

  1. Alain Dufresne

    Tu es trop modeste Didier….. Ta plume superbe nous transporte, nous fait rêver depuis longtemps déja et pour longtemps encore je l’espère.

    Merci, l’Artiste 🙂

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    • Didier Constant

      Merci Alain, c’est trop gentil… mais n’arrête pas de me faire des compliments, surtout le matin au petit-déjeuner. Ça commence bien ma journée 😉

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  2. Christophe ALBERT

    « Ah, tu ne m’en dis pas, mégère ? » Je trouve que tu es dur avec toi-même, tu m’en dis plutôt beaucoup… C’est dans les cœurs que tu vas laisser une trace, ça oui. Pour ma part, je rêvais d’être Tom Sawyer, ou Nathaniel Bumpo, plus tard Pierre Clostermann… Il m’arrive encore d’essayer, et ce sont ces moments-là où je me préfère.
    Bon, merci encore pour ce texte magnifique, et n’oublie pas que ta trace de l’an dernier dans les Hautes Alpes a besoin d’une nouvelle couche, ok ?

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    • Didier Constant

      Merci Christophe! Je reviens bientôt pour la deuxième couche dans les Hautes Alpes! Au plaisir de te revoir, et Alice aussi!
      À très bientôt!

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      • Christophe ALBERT

        Héhééé…

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  3. Christian

    « Pourtant, rien ne peut m’empêcher de voyager. C’est un besoin impératif, aussi bien physique que psychologique. J’en ai besoin, comme un toxico a besoin de sa dose, même si celle-ci le rapproche un peu plus de l’échéance, de la déchéance. Si je reste longtemps sans rouler, je m’ankylose, je me sclérose, je me délite. Je me mets à broyer du noir. À ne plus voir la vie en rose. »

    Il me parle ce texte; j’ai l’impression que j’aurais pu l’écrire. J’ai comme toi ce besoin de prendre la route, que ce soit sur les routes de France, celles d’Afrique ou du Moyen Orient.

    A chaque fois, c’est le bonheur qui est au rendez-vous. J’avais pensé que cela s’estomperait avec l’âge, mais, au contraire, le plaisir est amplifié maintenant. C’est comme si j’étais encore plus réceptif à toutes les belles sensations générées par la conduite d’une moto.

    En voiture, je vais d’un point à un autre, en moto, je suis en voyage, quel que soit le kilométrage, et cela change tout.

    PS: j’aime beaucoup tes textes que je viens lire de temps en temps. Je trouve que tu as une approche différente de celle que je trouve trop souvent dans la presse moto (papier ou internet) et je prends beaucoup de plaisir à te lire.

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  4. Didier Constant

    Merci de ce commentaire Christian, j’apprécie énormément.
    Tu reviens quand tu veux 😉

    Didier

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    • Christian

      Ce bonheur de rouler, je l’avais exprimé, il y a quelques années, à travers ce texte. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, car j’ai dans la tête bien des moments précieux vécus au guidon de mes montures.

      Voilà le texte:

      Elle faisait partie de ces journées qui minent le moral. Celles où la pluie semble être là depuis et pour toujours. Celles où la lumière reste allumée dans les maisons pour lutter contre une nuit qui ne dit pas son nom.

      Celles où l’on hésite à quitter la douce chaleur de la couette , où l’on prolonge le petit déjeuner près du poêle à bois en écoutant le bruit des flaques d’eau soulevées par les pneus des voitures qui passent sous les fenêtres de l’appartement.

      Pourtant, il savait que sa journée allait se dérouler à l’extérieur. Alors, plus lentement que d’habitude, il prépara ses affaires et s’habilla, méticuleusement, en enfilant les couches de vêtements.

      En ouvrant la porte d’entrée du petit immeuble, il fut saisi par le froid teinté d’humidité. Il rejoignit à pied le garage, rasant les murs pour tenter de rester au sec.

      Sa moto noire et rouge l’attendait sagement, posée sur sa béquille latérale. Il installa ses deux sacs sur le porte bagages pendant que le moteur chauffait dans le martèlement de son V-twin à 45 degrés.

      Il enfila sa combinaison de pluie, ses gants de cuir et glissa ses mains dans les manchons.

      Clonk ! Une pression sur le sélecteur et il accéléra doucement sur le sol glissant.

      Il sortit rapidement de la ville et entama les 100 kms qui le séparaient de Riom. Une longue ligne droite, monotone que la pluie incessante rendait encore plus triste. Il essaya, avec peu de succès, de ne pas se focaliser sur ce temps pourri, cette visibilité réduite, avec le souvenir de la journée ensoleillée de la veille.

      De temps en temps, le vent forcissait et l’obligeait à se crisper un peu sur le guidon ; à chaque fois, il pestait contre l’abruti qui commandait le climat, tout là haut.

      Arrivé à Riom, il bifurqua vers l’ouest, direction Pontgibaud. La route se fit plus accueillante, à travers ses dénivelées et ses nombreux virages. Elle s’enfonça dans la forêt dénudée de ce mois de décembre.

      Il aborda avec prudence les premières courbes, attentif aux changements d’adhérence, aux quelques feuilles mortes parsemant la route. Peu à peu, l’esprit trop occupé à son pilotage, il oublia la pluie et le froid.

      Imperceptiblement, le rythme devint plus soutenu. Il enchaîna une succession de virages avec des trajectoires précises ; il avait l’impression qu’il pouvait placer ses pneus là où il l’avait décidé, au centimètre près.
      Parfois, la pluie redoublait de violence, mais c’était comme s’il ne la voyait plus.

      Il ne ressentait plus la morsure du froid.

      Plus de crainte, de douleur ou de doute dans sa tête. Il n’y avait que cette route qui s’offrait à lui.

      Parfois, une voiture le ralentissait ; une petite impulsion sur la poignée de gaz et l’obstacle était effacé. Au passage, il jetait un coup d’œil à l’habitacle de l’automobile et il plaignait les passagers qu’il apercevait derrière les vitres embués.

      Il traversa un village. Les rares passants hâtaient le pas sur les trottoirs détrempés. A la sortie de l’agglomération, un enchaînement de virages s’offrait à lui.

      Il prépara mentalement le virage à droite qui allait se présenter dans quelques instants. Il le connaissait pour avoir emprunté à plusieurs reprises cet itinéraire. Il voulait y arriver à la bonne vitesse, celle qui lui permettrait de l’aborder sans avoir à freiner, ni, accélérer, celle qui lui donnerait le tempo pour la succession de courbes plus ou moins prononcées qui allaient suivre dans cette montée bordée par la paroi rocheuse, sur sa droite.

      Il pensa au calligraphe qui devant sa feuille vierge, reste un long moment, immobile, préparant son esprit, qui pose son pinceau et , avec des gestes précis, sans rupture dans le rythme, trace les lettres à l’encre.

      Lui aussi, il se sentait dans la peau de celui qui dessine ; sa moto devenait son pinceau et il la guidait avec tout son corps pour tracer des courbes élégantes. Seule sa poignée de gaz était mise à contribution, il s’interdisait le levier de frein car il ne voulait pas rompre l’intensité de ce moment, par des changements de rythme qui lui auraient paru déplacés .

      Il ne pouvait s’empêcher de penser que le spectacle devait être beau, vu du bord de la route. Les nombreux arbres de la forêt corrézienne assistaient, imperturbables, au passage de ce motard solitaire en état d’euphorie.

      Régulièrement, il regardait le sillon laissé par ses pneus sur le bitume détrempé.

      Il poursuivit ainsi son chemin, avec la conscience de vivre un moment exceptionnel. Il ne voulait pas s’arrêter, de peur de rompre cet instant rare où il se sentait capable de tutoyer les sommets du bonheur. Tel le musicien jouant sa partition avec grâce, tel le coureur de fond dont les chaussures frôlent plus qu’elles ne touchent le revêtement.

      A l’entrée de Tulle, la station d’essence le ramena à la réalité. Son réservoir était quasiment vide.
      Il fit le plein et se réchauffa près de la caisse, avec un chocolat chaud dans son gobelet en plastique.

      Encore 350 kms avant d’arriver chez lui. Il savait déjà qu’il n’était pas prêt de retrouver cet état de grâce rencontré deux heures durant sur cette portion de route.

      Mais le froid, la pluie, la nuit proche ne pourraient effacer cette communion unique entre l’homme, sa machine et les éléments.

      Le bonheur est parfois tout près, là où on ne l’attend pas, dans la grisaille d’une journée de décembre.

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  5. olivier wagner

    Superbe Didier, je ne t’avais pas encore lu et notre rencontre d’hier m’a donné envie d’aller voir derrière le rideau ce qui s’y cache. Et je ne suis pas déçu. Et du coup me voilà tout heureux de savoir que je vais pouvoir venir régulièrement prendre une petite dose de prose sur ton site. Et Josselyne mon amoureuse m’accompagnera sûrement dans mes lectures.

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    • Didier Constant

      Merci pour ton commentaire Olivier. J’étais très content de te rencontrer hier. Tu es le bienvenu sur motoplus.ca, ton amoureuse aussi 😉
      Content de vous compter parmi mes amis.
      A+

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  6. Michel

    Salut Didier. Encore un excellent texte. Toujours un immense plaisir de te lire car tu as cette formidable capacité de mettre en mots ce que nous, motards, ressentons en vivant notre passion. On se reconnait facilement dans tes textes. Souvent il m’arrive en te lisant de penser: ha, tiens, j’aurais pu écrire cela tellement ça me rejoint… Et je suis sûr que je ne suis pas le seul… Continu ton excellent travail, et au plaisir de pouvoir rouler avec toi, un jour 😉

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  7. Didier Constant

    Merci Michel 😉

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  8. Georges MELA

    Continue longtemps Didier à créer ton chemin et à laisser tes traces subtiles sur le bitume, longtemps, longtemps…
    Pour illustrer ton texte, quelques magnifiques vers d’Antonio MACHADO: « Caminante, no hay camino…  »

    Caminante no hay camino [Toi qui marches, il n’existe pas de chemin]
    Todo pasa y todo queda, [Tout passe et tout reste,]
    pero lo nuestro es pasar, [mais le propre de l’homme est de passer,]
    pasar haciendo caminos, [passer en faisant des chemins,]
    caminos sobre el mar. [des chemins sur la mer.]

    Nunca perseguí la gloria, [Je n’ai jamais cherché la gloire,]
    ni dejar en la memoria [ni cherché à laisser dans la mémoire]
    de los hombres mi canción; [des hommes ma chanson ;]
    yo amo los mundos sutiles, [j’aime les mondes subtils,]
    ingrávidos y gentiles, [légers et aimables,]
    como pompas de jabón. [comme des bulles de savon.]

    Me gusta verlos pintarse [J’aime les voir se peindre]
    de sol y grana, volar [de soleil et de rouge, voler]
    bajo el cielo azul, temblar [sous le ciel bleu, trembler]
    súbitamente y quebrarse… [soudainement et se rompre…]

    Nunca perseguí la gloria. [Je n’ai jamais cherché la gloire.]

    Caminante, son tus huellas [Toi qui marches, ce sont tes traces]
    el camino y nada más; [qui font le chemin, rien d’autre ;]
    caminante, no hay camino, [toi qui marches, il n’existe pas de chemin,]
    se hace camino al andar. [le chemin se fait en marchant.]

    Al andar se hace camino [En marchant on fait le chemin]
    y al volver la vista atrás [et lorsqu’on se retourne]
    se ve la senda que nunca [on voit le sentier que jamais]
    se ha de volver a pisar. [on n’empruntera à nouveau.]

    Caminante no hay camino [Toi qui marches, il n’existe pas de chemin]
    sino estelas en la mar… [si ce n’est le sillage dans la mer…]

    Hace algún tiempo en ese lugar [Il fut un temps dans ce lieu]
    donde hoy los bosques se visten de espinos [où aujourd’hui les bois s’habillent d’épines]
    se oyó la voz de un poeta gritar [on entendit la voix d’un poète crier]
    « Caminante no hay camino, [« Toi qui marches, il n’existe pas de chemin,]
    se hace camino al andar… » [le chemin se fait en marchant… »]

    Golpe a golpe, verso a verso… [Coup après coup, vers après vers…]

    Murió el poeta lejos del hogar. [Le poète mourut loin de chez lui.]
    Le cubre el polvo de un país vecino. [Il est recouvert de la poussière d’un pays voisin.]
    Al alejarse le vieron llorar. [En s’éloignant on le vit pleurer.]
    « Caminante no hay camino, [Toi qui marches, il n’existe pas de chemin,]
    se hace camino al andar… » [le chemin se fait en marchant…]

    Golpe a golpe, verso a verso… [Coup après coup, vers après vers…]

    Cuando el jilguero no puede cantar. [Quand le chardonneret ne peut chanter]

    Cuando el poeta es un peregrino, [Quand le poète est un pèlerin,]
    cuando de nada nos sirve rezar. [quand il ne sert à rien de prier.]
    « Caminante no hay camino, [« Toi qui marches, il n’existe pas de chemin,]
    se hace camino al andar… » [le chemin se fait en marchant… »]

    Golpe a golpe, verso a verso. [Coup après coup, vers après vers.]

    Antonio Machado

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