« Éditos

Apprentissage de l’humilité

Scott Russell dans ses œuvres au circuit Lightning du New Jersey Motorsports Park.


Photos: Ray Bradlau/The SB Image

Une énième école de pilotage. «Pour quoi faire?», m’a demandé en substance un de mes amis. «N’as-tu pas déjà appris toutes les techniques avancées lors de tes précédents stages?»

Bien que je ne sois pas pusillanime, je suis conscient des risques que j’encoure et je fais tout en mon possible pour les minimiser. N’ayant plus rien à prouver aujourd’hui, je n’irais pas tenter le diable en effectuant un dépassement osé sur un pilote moins rapide que moi (oui, ça existe!), ou encore chercher à réaliser un chrono qui demanderait que j’outrepasse mes capacités. Je considère que malgré mon expérience, j’ai encore énormément de choses à apprendre. Il est vrai que j’ai assimilé une foule de techniques de pilotage, certaines utilisées par les meilleurs pilotes au monde. Pourtant, celles-ci ne cessent d’évoluer et il est bon de rafraîchir ses acquis. Les plus grands pilotes le font, régulièrement. Il suffit de voir la différence entre le style de pilotage de Marc Marquez aujourd’hui et celui de Valentino Rossi en 2009, pour mesurer l’évolution du pilotage sous la pression des changements technologiques, particulièrement au niveau des pneumatiques.

Chaque école reflète le caractère du pilote qui l’a créée (ce sont les grands pilotes qui sont à l’origine des meilleures écoles). Et c’est ce qui les rend si différentes les unes des autres, bien que la base de l’enseignement se ressemble souvent. Freddie Spencer est méthodique, analytique et sûr. Schwantz est un talent inné, agressif, téméraire et hyper motivé. Keith Code est analytique, technique et mystique aussi. Scott Russell est un naturel. Un pilote surdoué, mais réfractaire à l’enseignement théorique. Il est dans l’action. Quand on a la chance d’avoir de telles légendes comme instructeurs privés, comme Maîtres, on accède à un bagage incroyable de connaissances, mais surtout à une variété d’approches qui correspondent plus ou moins à notre caractère, à notre sensibilité, à notre expérience. L’espace d’un bref instant, on côtoie le sublime et on vit dans l’univers de ces pilotes de légende qui nous ont fait rêver. 

scott_and_I_2

En passager derrière Scott Russell

La Yamaha Champions Riding School est la continuité de la défunte école de Freddie Spencer dont elle reprend la base de l’enseignement. Celui-ci a légèrement évolué au niveau de la présentation des concepts et des exercices pratiques, mais il s’appuie sur les mêmes techniques. C’est-à-dire freinage, trajectoires et position de conduite. La YCRS est l’une des rares écoles à enseigner le «trail-braking», les autres considérant que cette technique est réservée aux pilotes de haut niveau. En fait, c’est faux, comme le prouve la réussite des néophytes à ce programme. N’ayant pas été «contaminés» par de mauvaises habitudes ou par des enseignements obsolètes, les pilotes sans expérience inscrits à la YCRS apprennent cette technique — et d’autres, tout aussi avancées — sans complexe ni à priori. Et surtout, en toute sécurité. Leur courbe d’apprentissage en est d’autant plus rapide.

Personnellement, j’ai été initié au «trail-braking» en 2004, lors de ma première participation à l’école de Freddie Spencer. Et je l’ai perfectionné à chacune de mes visites à cette institution pour la maitriser enfin à l’école YCRS. Le sentiment d’accomplissement que l’on éprouve quand on assimile une nouvelle technique, quand on est en mesure de la mettre en pratique efficacement, à chaque occasion, est incroyable. Être capable de renter en courbe sur les freins, de prolonger le freinage jusqu’après le point de corde alors qu’on est incliné au maximum, de sentir la traction du pneu avant jusqu’au relâchement progressif du levier, puis de percevoir le transfert d’adhérence vers le pneu arrière lors de la phase de réaccélération, est un pur plaisir. Un grand moment de satisfaction.  

Si j’en étais resté là, je serais rentré à la maison avec une dangereuse inflation de l’égo. La tête m’aurait enflé au point où j’aurais eu de la difficulté à trouver un casque qui me fasse. Heureusement, Scott Russell m’a convié à faire cinq tours derrière lui, en passager.

Hésitant dans un premier temps — j’ai déjà tenté l’expérience en 2004 avec Freddie Spencer et même si ça c’était bien passé, je suis resté un peu méfiant —, j’ai finalement accepté son invitation. Surtout qu’il pilotait une FZ-1 équipée d’une poignée de maintien sur le réservoir (pas une vraie sportive, donc pas de danger, me suis-je dit). 

scott_and_I

On n’avait pas encore atteint la moitié de la ligne droite des stands que je regrettais déjà ma décision. La roue avant de la Yamaha pointait vers le ciel, seul horizon que je percevais depuis ma position inconfortable. Les bras tendus, les mains crispées sur la poignée, je n’avais qu’une hâte: que la route touche à nouveau le sol. Ce qu’elle finit par faire, quelques mètres avant le virage numéro Un. Là, j’ai réalisé que le wheelie, c’était de la petite bière à côté de ce qui m’attendait. Vitesse de passage en courbe surréelles, freinages de trappeurs, dérobades de la roue arrière, stoppies…j’ai eu droit à toute la panoplie des figures acrobatiques. Tour après tour, les pneus se réchauffant, la vitesse augmentait, tout comme mon rythme cardiaque. Le paysage défilait à une cadence telle que je ne reconnaissais pas cet environnement pourtant familier. Et j’entendais le moteur qui rugissait dans les tours, qui criait de douleur lors des rétrogradages, le pot d’échappement et les repose-pieds qui frottaient. Devant, Scott était calme, détendu. Il ne semblait pas forcer outre mesure, même s’il me payait la traite.

Quand mon calvaire a finalement pris fin, c’est-à-dire quand la FZ-1 s’est immobilisée à la ligne d’arrivée, je n’arrivais pas à lâcher la poignée de maintien. Mes mains refusaient de desserrer leur prise. J’étais tétanisé. Mais curieusement, je me sentais presque heureux. Je dois être maso ma foi. Jamais je n’avais roulé aussi vite autour de Thunderbolt ni autour d’aucune autre piste d’ailleurs. Jamais je n’avais ressenti une telle excitation sur un circuit, mélange subtil de peur et de sentiment d’accomplissement.

Après avoir retrouvé mes esprits, j’ai discuté longuement avec Scott Russell. Il avait l’air amusé d’un gamin espiègle qui vient de faire un mauvais coup: «Tu sais, j’ai pris ça cool! Quand je suis seul, surtout sur une sportive, je vais pas mal plus vite que ça et je me permets beaucoup plus de fantaisies!» Le pire, c’est que je n’en doute même pas un instant. Il suffit de voir ce qu’il fait durant les démonstrations pour réaliser qu’on est en présence du talent à l’état pur. Comme c’est le cas des pilotes de ce calibre, les Spencer, Rossi, Marquez et compagnie. Leur niveau de pilotage est tel qu’il est inaccessible au commun des mortels. Même les meilleurs pilotes des championnats nationaux ne leur arrivent pas à la cheville. Et pourtant, ils sont excellents.

Cette séance de cinq tours comme passager m’a remis les pieds sur terre. J’ai réalisé que malgré les progrès que j’avais accomplis — j’ai réussi à modifier ma position de conduite, après plus de 10 ans d’essais infructueux, à maitriser le «trail-braking», à peaufiner mes trajectoires —, il me reste beaucoup à apprendre. Ce qui est une bonne nouvelle en soi. Car cela signifie que je retournerais sur les bancs d’une école. Une nouvelle. Bientôt!

Photo souvenir avec Scott Russell

Photo souvenir avec Scott Russell. Sans rancune?

3 réponses à “Pilotage avancé”

  1. Brume

    Toujours aussi sympa ces articles… Dommage qu’il y’ais aucune école pilotage de ce type dans mon pays. Faudra que je cherche en France voir si je trouve des trucs sympa. Et surtout que j’ose le pas du circuit…

    Répondre
  2. Alain Paquin

    Didier, je dois admettre, humblement, que je n’ai pas ton courage!  »Back Seat » sur une moto sur piste??? Pas pour moi lollllllllllll.

    Toujours plaisant de lire tes textes.

    Al (pacman47 sur M4E)

    Répondre
  3. Laurent GERAL

    Piloter une moto aux Philippines n’est pas commun.J’ai commencé ici et j’ai depuis fais plus de 40.000 km. Des routes en béton coulées à la main avec des raccords et qui alternent avec le bitume, de brusques passages de route en terre avec dénivellations, des travaux signalés par une barrière juste devant les trous, des virages qui se resserrent ou s’élargissent, qui ont un devers, des graviers, des rocs, des nids de poules. Ceci est pour l’aspect physique de la route. il faut aussi compter sur les chiens, les poules , les gens, les motos, les voitures, donc tous les véhicules qui sont susceptibles d’arriver à gauche, d’être arrêtés en pleine courbe. Ici tous ceux qui conduisent n’ont pas forcément un permis de conduire (il n’y a ni école et pas non plus d’examen pratique lors du passage du permis). On dit ici que le route se partage. Il y a des règles mais personne ne les connait et donc chacun fait comme il peut ou pense en faisant attention à soit et aux autres. Tous cela pour dire que quand j’ai commencé à conduire une moto ici je suis devenu très rapidement très méfiant et naturellement j’ai commencé à garder de pied et la main sur les freins pendant les virages et tant que je n’en voyais pas la sortie. Sans arrêt jusqu’à dernièrement où je viens de découvrir des articles sur le « trail-breaking », j’ai essayé de me corriger: tu freines avant le virage, tu relâches à l’entrée de la courbe et tu adaptes ta vitesse quand tu vois la fin du virage. Sans finalement pouvoir le faire et en me désolant de n’avoir aucune fibre de motard. Mais je m’apercevais que tout allais beaucoup mieux quand je gardais du frein. Par example je pouvais corriger aisément en pleine courbe si je n’avais pas la bonne trajectoire et même complètement casser la vitesse en cas de danger immédiat, cailloux, poids lours, etc. Accélérer en gardant la main sur le frein, relâcher progressivement…
    Aujourd’hui en regardant sur le Net je viens de découvrir entre autre votre article et j’en suis très content. Il y a peu d’articles en français sur ce sujet et le votre date de 2004, il y en a un peu plus en langue anglaise, mais la majorité des articles relatifs à la conduite en virage maintient que « on ne freine pas en virage » se qui est désolant pour moi qui depuis que je garde ma main sur le frein, ai trouvé le plaisir de pencher en virage et de faire frotter les cales-pied sans peur de se que je vais découvrir dans la courbe.
    Merci pour votre article et j’espère que c’est un sujet qui sera plus abordé dans le futur.

    Répondre

Laisser un commentaire