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Chronique de la haine ordinaire

Certains d’entre vous reconnaîtront le titre de ce billet, que j’ai emprunté à un recueil de chroniques du défunt Pierre Desproges, ouvrage cinglant dans lequel le journaliste/écrivain tirait à bout portant sur la bêtise et la lâcheté ordinaires. Un livre écrit avant l’avènement d’Internet, des forums et des réseaux sociaux. Autant de supports qui, s’ils sont pratiques et utiles à bien des égards, sont malheureusement devenus le refuge des couards qui profitent de l’anonymat que leur confère la Toile — laquelle est moins anonyme qu’on pourrait le croire cependant — pour s’en prendre aux personnes ou à leur réputation.

Récemment, en discutant avec un « ami » Facebook qui cherchait à me convaincre que j’avais la chance d’avoir un travail de rêve — pour être franc, je me fais la réflexion tous les matins en me levant — j’ai été pris d’un doute. Mais, rapidement, ses efforts à peine déguisés pour me faire sentir coupable d’être privilégié et de ne pas mériter la chance que j’avais m’ont laissé perplexe. J’exerce ce métier depuis 1985 et ce n’est pas la première fois que je suis confronté à l’envie, voire la jalousie de certains confrères motocyclistes. Et je la comprends. Quand on est passionné, comme je le suis moi-même, on aspire à vivre de sa passion. C’est légitime, même si peu de gens parviennent à réaliser leur rêve. Souvent par choix. Et à ce titre, je reconnais être privilégié. Ce qui ne justifie pas de se faire prendre à partie sans raison.

Car là, je ressentais une animosité latente dans les propos peu subtils de mon interlocuteur. La discussion qui avait débuté sur un ton amical tourna rapidement, et sans raison apparente, au règlement de comptes. À ses yeux, je ne trouvais nulle grâce. Mes talents de pilote seraient sujets à caution — il est coureur amateur, donc plus apte que je le suis à évaluer une moto, ça coule de source —, et mon style d’écriture trop hermétique à son goût. Même la qualité de mes photos n’était pas digne d’un chasseur d’images professionnel. J’étais sur le cul, pour employer une expression triviale. Qu’est-ce qui me valait tant d’hostilité? Étais-je donc si nul? Ou seulement victime d’un « troll » — à moins qu’il ne s’agisse d’un lecteur bipolaire en proie à une crise soudaine de manque d’estime de soi — qui avait décidé de déverser son fiel sur mon dos?

Comme beaucoup de personnes qui œuvrent dans un métier de l’écriture, j’ai longtemps espéré que je serais un jour touché par la grâce littéraire. Que je pourrais rivaliser avec les Rimbaud, Hugo et Camus de ce monde. Je me souviens de regarder « Apostrophes » (une émission de télévision littéraire française culte diffusée de 1975 à 1985) en me disant qu’un jour ce serait mon tour de répondre au questionnaire de Bernard Pivot (son créateur et présentateur) avec un air de détachement affecté. J’ai attendu que le génie m’apparaisse pendant près d’un quart-siècle. Et ce n’est que lorsque j’ai accepté mes limites que j’ai pu développer mon propre style et enfin prendre plaisir à écrire. De la même façon, c’est le jour où j’ai réalisé que je n’étais pas Valentino Rossi, que je ne deviendrais jamais champion du Monde de MotoGP, mais que j’avais un don pour « sentir » une moto et retranscrire mes sensations en mots clairs et compréhensibles que je suis enfin devenu, à mes yeux, digne d’exercer mon métier en toute légitimité.

En 25 ans de carrière, j’ai appris énormément de choses, rencontré des tas de gens et piloté des centaines de motos. J’ai accumulé un bagage d’expériences et de connaissances important dont je me sers tous les jours dans l’exercice de mon métier. J’estime honnêtement faire mon travail avec objectivité et professionnalisme. Et il n’y a aucun article dont j’ai à rougir, même après toutes ces années. C’est pourquoi je me suis senti vraiment surpris de devoir subir la vindicte de « mon ami ».

Cette expérience a néanmoins eu du bon, car elle m’a fait réaliser l’importance de toujours faire preuve de transparence, de bien expliquer les conditions dans lesquelles nous effectuons nos essais ou réalisons nos reportages et de ne jamais assumer qu’on a été compris du premier coup. Elle m’a également montrer la nécessité de répondre aux questions que se posent les lecteurs et d’apporter un complément d’information ou des éclaircissements quand la situation le réclame. Pour beaucoup de gens, les rumeurs ont force d’évidence. C’est pourquoi il est crucial de toujours présenter les faits clairement, sans artifice. Et de ne pas tricher. Car s’il est humain de se tromper, il est impardonnable de tromper les lecteurs.

13 réponses à “Chronique de la haine ordinaire”

  1. Eric Lessard

    Didier, merci pour toutes ces années d’écriture. C’est un plaisir de te lire et je n’ai pas l’intention de cesser.

    Aussitôt que la perception humaine entre en jeux, il est possible de faire malheureusement face à l’anerie une fois de temps en temps.

    Longue vie à toi et tes écrits moto !

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  2. Didier

    Merci Eric!
    Amitiés,

    Didier

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  3. Anonymous

    « Jamais un envieux ne pardonne au mérite ». Alors tu imagines, encore moins lorsque ce mérite est doublé de passion…
    Continue d’écrire, ce serait sacrilège de nous en priver. Quant à tes qualités de pilote, si je suis incapable d’en juger, j’en connais d’autre(s) qui sauront bien le faire, s’il est besoin de te convaincre ! Anne

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  4. Anonymous

    Oui, merci Eric.

    Grâce à MotoPlus et toi Didier, j’ai repris contact avec un vieux chum photographe talentueux et j’ai découvert tes talents de scribe. Je te l’ai dit à maintes reprises dans des emails privés et maintenant je dois le faire d’une façon publique. Depuis que j’ai racheté une moto l’an dernier, le site de motoplus et les textes, tant les tiens que ceux de tes collaborateurs m’ont beaucoup appris. J’y ai trouvé des textes clairs, des analyses compréhensibles et beaucoup d’espace pour que je puisse me bâtir une opinion personnelle. Pour ce qui est de la qualité des photos, je crois être un bon juge, vous y faites un très bon travail. Et pour les jaloux, tant pis. Moi aussi j’ai un job de rêve mais comme toi je dois tenter de me dépasser à tous les jours.
    Alors de grâce, ne te laisse pas influencer par les commentaires négatifs d’une seule personne. Y te faut continuer à nous informer de la façon donc toi et l’équipe le fait.
    Au plaisir de se croiser sur la route.

    Amicalement
    Jacques Boissinot
    Photojournaliste, La Presse Canadienne.

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  5. Didier

    Merci à vous Anne et Jacques. Vos encouragements me vont droit au cœur. Vous êtes la preuve que pour certains, le qualificatif d’«ami» employé par Facebook est tout à fait justifié… pour les autres, il faudrait trouver un autre épithète — peut-être «contact» ou «relation» —, jusqu’à ce qu’ils atteingent le statut d’ami!

    Amicalement,
    Didier xxx

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  6. Gaétan Girard

    Didier,

    Tes écrits sont d’une classe à part: d’une part, suffisamment techniques pour clarifier le sujet, laissant au passage la certitude qu’il y a une compétence accomplie derrière les mots et, d’autre part rédigés avec l’abondance du coeur, nous laissant vivre le message que tu nous laisses.

    Je suis toujours content de te lire sur MotoPlus et non seulement pour les renseignements mais pour la passion que tu y transmets.

    Ta « chronique de la haine ordinaire » est, de surcroît, un beau message d’humilité.

    Continue à nous faire rêver.

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  7. Pierre G

    Ce commentaire a été supprimé par l’auteur.

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  8. Pierre G

    Didier,

    Alors oui, j’avoue., moi aussi je suis jaloux de toi. Jaloux de cette réussite qui consiste de faire de sa passion un métier. Tu as eu les couilles de le faire, bravo !
    Mais pourquoi une « ami » viendrait te le reprocher ???

    Jaloux… Cela me rappelle la devise peinte sur un taxi-brousse qui se faisait appeler « La Gazelle ».
    J’ai pris il y a bien longtemps ce taxi-brousse entre Cotonou et Ouagadougou. Tu as du prendre à peu près le même, non ? Un petit Toyota neuf places, dans lequel nous devions être seize. Il fonçait comme un fou sur les pistes de latérite, sans pitié pour les pintades, piétons, vélos, et à peine pour ses passagers, tellement serrés que finalement nous n’étions pas si ballottés que ça. Quand la courroie d’alternateur a lâché, il l’a recousue avec une grosse aiguille et un bout de cuir. Aux contrôles de police, il savait économiser le temps (et l’argent, les policiers avaient faim) par sa bonhomie et son humour.
    Nous sommes arrivés à Ouaga moulus, et, comment dire, environ dans les délais escomptés. Ou presque, mais c’est sans importance…
    Car tout au long de ce périple, nous nous étions fait des amis. Sénégalais, Fons, Yoroubas, et des Peuls qui nous ont invités chez eux…
    Sur la carrosserie du Toyota était écrit sa devise :
    « Mort aux jaloux ! »

    Alors continue à foncer avec ton taxi-brousse ! C’est aujourd’hui un véhicule de grand luxe, où la qualité du fond et de la forme, des textes et des images, montre un professionnalisme de haut niveau.
    Il a vraiment de la gueule, le chauffeur est excellent et sa chaleur fait fondre les neiges de l’hiver québécois. Quand on monte dedans, on sait qu’on y sera bien, avec des amis. Des vrais.

    Ce qui m’impressionne le plus, c’est à quel point tu as été affecté par les commentaires de ton « ami » (tiens, un mot à ajouter à mon Dictionnaire des mots volés). Cela montre une chose : dans ce que tu écris il y a tout ton coeur.

    Ne change rien.

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  9. Didier

    Merci Pierre pour ces mots d’encouragement, mais surtout pour ton amitié. En passant, et ce n’est pas lié à ton message, j’espère que tu pourras venir avec nous dans la Drôme, l’été prochain. Première semaine de juin. Si tu peux te libérer. On te soignera aux p’tits oignons…
    Bises
    Didier

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  10. Anonymous

    Didier,

    I’ve worked with you for many years now, and I can attest that you take your work very seriously, you ara a very good rider and your writing is impeccable. Your photography is among the best in this business, too. I’m glad to have the chance to collaborate with you.

    We are both absolutely lucky to be doing what we do and the job certainly has its perks, but what many people don’t realise is that there’s a lot of hard work behind the scenes.

    If you make it look easy, maybe it’s because you’re doing a good job…

    – Costa

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  11. Didier

    Thanks Costa 😉

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  12. Pierre G

    Don’t know Costa. But he’s right.

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  13. Anonymous

    Ton «ami» sur Facebook trouve que ton pilotage est sujet à caution? Il a raison. Dans ton reportage sur l’école de pilotage de Kevin Schwantz, tu as révélé que ce Schwantz t’avait largué sur le circuit Barber Motorsports Park. Après tout, Schwantz n’est qu’un ex-coureur de moto (Champion du monde GP 500, 1993) reconverti en instructeur de pilotage motocycliste.

    Il faudrait inviter ton «ami» à se mesurer à Schwantz. Qu’il nous rapporte la vidéo de l’école de pilotage le montrant en train de donner du fil à retordre et réussir même à humilier ce «has-been amaricain».

    Quant à la mise sur pied d’une revue de moto, il n’y a rien comme y travailler pour connaître comment on sort un périodique. Il faudrait aussi l’inviter à y participer pour qu’il nous démontre son talent, tant au guidon qu’à l’ordinateur. Sans oublier le lavage des motos pour faire de belles photos de niveau professionnel, comme il dit les aimer.

    Bernard Marchand

    P.S.: Didier Constant n’a pas sollicité mon appui et je ne toucherai pas de paiement de https://www.motoplus.ca pour ce texte.

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