Quand on a grandi dans l'adoration des pilotes mythiques qui ont écrit la légende du Continental Circus — Barry Sheene, Jarno Saarinen, Giacomo Agostini ou Kenny Roberts —, quand on a couvert les Grand-Prix des années 80/90, à l'ère des 500 cc deux-temps, montures sauvages et vicieuses que leurs pilotes Kevin Schwantz, Freddie Spencer, Eddie Lawson, Wayne Rainey, Wayne Gardner, Randy Mamola, Mick Doohan ou encore Christian Sarron parvenaient à peine à dompter et quand, aujourd'hui encore, on suit aussi bien le MotoGP avec Valentino Rossi, Marc Marquez, Cal Crutchlow, Jorge Lorenzo et Dani Pedrosa, que le WSBK, il est difficile de résister à l'aura d'une moto de course. Et même si on est un pilote au talent limité sur piste, on ne rêve que d'une seule chose: conduire une de ces motos d'exception sur circuit. Un rêve qui tient plus de l'utopie que de la réalité objective.
Du rêve à la réalité
Dernièrement, j'ai eu l'occasion de réaliser ce rêve en essayant l'Aprilia RSV4 APRC ABS, la moto d'usine qui, à quelques détails près, a permis à Max Biaggi de remporter deux titres de Champion du monde de Superbike, en 2010 et en 2012. Un Superbike d'exception légal sur route, bourré d'électronique et gorgé de puissance.
Maintenant dans sa cinquième année de production, la RSV4 est l'une des vedettes de la catégorie des hypersportives de classe ouverte. Elle fait partie de la même caste que les BMW S1000RR, Ducati 1199 Panigale et MV Agusta F4RR, c'est-à-dire celle des motos d'exception. À la différence près qu'elle est commercialisée à un prix raisonnable (15 495$) compte tenu de son aura et de ses prestations haut de gamme (une version Factory, à peine plus affûtée, est proposée à 20 295$).
De la moto de course, la version route a conservé l'arsenal électronique qui fait sa force. En effet, cette version dispose d'un accélérateur électronique Ride-by-Wire, de trois cartographies d'injection préprogrammées «Track», «Sport» et «Road», du système APRC (Aprilia Performance Ride Control), d'un ABS Bosch paramétrable, d'un système d'antipatinage ATC(Aprilia Traction Control) sophistiqué, d'un dispositif anti-cabrage AWC (Aprilia Wheelie Control), d'une assistance au démarrage ALC(Aprilia Launch Control) et d'un shifter électronique AQS (Aprilia Quick Shift). Ainsi équipée, la RSV4 permet aux coureurs de pointe d'explorer les limites de la moto et les leurs en toute sécurité, mais aussi à des pilotes moyens, comme vous et moi, de se faire plaisir sur piste, en limitant les dégâts. Nous pouvons désormais ouvrir en grand en sortie de courbe sans crainte de voir la roue arrière perdre de l'adhérence ou de nous faire catapulter dans les airs par la moto, freiner comme des trappeurs en évitant de perdre l'avant et délester la roue avant à l'accélération sans que la moto cherche à se retourner. L'électronique au secours des poireaux ou comment nous faire paraître meilleurs que nous le sommes réellement.
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Au guidon de la machine de Max Biaggi, on se sent meilleur qu'on l'est vraiment. |
Personnellement, j'ai très tôt eu conscience de mes limites en tant que pilote. C'est pour cette raison que j'ai choisi une carrière de journaliste moto plutôt que celle de pilote. Aujourd'hui, à un âge avancé, je fais preuve d'une extrême prudence quand je participe à un lancement, à un essai ou à une journée de roulage sur piste, spécialement aux commandes d'une moto de la trempe de l'Aprilia, qui ne m'appartient pas de surcroît. Je la pousse aussi loin que c'est nécessaire pour ramasser l'information dont j'ai besoin, sans essayer d'atteindre des limites qui seraient les miennes et non celles de la moto. C'est donc avec précaution que j'ai abordé ce test avec la RSV4. Même si l'électronique Aprilia veille sur moi. «Better safe than sorry!», comme disent les Anglophones.
Une moto radicale, facile à prendre en mains
Le premier contact avec l'Aprilia est un pur ravissement. Esthétiquement, c'est une réussite totale. Compacte, étroite et racée, la RSV4 est un chef d'œuvre. C'est l'une des plus belles sportives du marché. Une moto éminemment désirable.
Puis, lorsque l'on s'installe à ses commandes, on découvre une monture radicale. La selle est haut perchée, à 845 mm du sol, tout comme les repose-pieds, alors que les demi-guidons bracelets sont positionnés bas. Il en résulte une position de conduite extrême, basculée sur l'avant, tout en appui sur les poignets. En raison de sa compacité et des repose-pieds relevés, les pilotes de grands gabarits se sentiront un peu à l'étroit à son bord.
Les premiers mètres à son guidon font craindre le pire, mais dès qu'on atteint une vitesse de croisière enthousiaste, tout tombe en place. Sur piste, c'est encore plus évident. On réalise après quelques tours, une fois les pneus réchauffés, que la moto a été conçue pour aller vite, très vite, et en parfait contrôle, sur une piste de course. La position de conduite, incongrue en ville, devient alors naturelle, intuitive. Le pilote se déplace facilement sur la selle, grâce à l'étroitesse de la carrosserie et commence à se sentir pleinement à l'aise. En fait, utilisée dans son environnement de prédilection, l'Aprilia s'avère facile à piloter. Si l'on peut dire qu'il est facile de piloter une moto de course développant 180 chevaux. La forme au service de la fonction...
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Fine, élancée et racée l'Aprilia RSV4 est une magnifique bête de course.
Championne du monde de Superbike 2012 de surcroît. |
Un moteur à sensations
En termes de sensations fortes, la RSV4R rivalise avec ses compétitrices directes, nommées plus haut. Elle ne demande qu'à vous surprendre. Chaque ouverture des gaz vous donne une claque monumentale suivie d'un coup de pied au cul mémorable. Le V4 à 65 degrés hyperpuissant et coupleux tire avec force dès 4000 tr/min dans une sonorité envoûtante qui rappelle celle des regrettées Honda RC30 et RC45, ou les légendaires RVF750 d'endurance, des motos qui ont dominé la discipline dans les années 80-90, mais aussi celle des Honda et Ducati de MotoGP, également propulsées par un V4. Cette architecture garantit un moteur étroit — aussi étroit qu'un twin dans le cas de l'Aprilia — et, par conséquent, une moto extrêmement compacte dotée d'une faculté incroyable à changer de cap. Elle permet également d'obtenir un couple généreux et une puissance maximale élevée.
Fabriqué par Aprilia, et non par Rotax, comme le twin des anciennes RSV1000, le V4 dispose d'un balancier d'équilibrage qui limite les vibrations. Il utilise des matériaux nobles comme le titane pour les soupapes, l'acier forgé pour les pistons, le magnésium pour les carters ou l'aluminium au traitement maison pour les cylindres. Le moteur est complété par un embrayage antidribble — un must sur une sportive de haut niveau — permettant de rétrograder à haut régime sans risquer de bloquer la roue arrière.
Sur l'Aprilia, les montées en régimes sont jubilatoires. Le moteur, qui est assez souple, reprend sur un filet de gaz au-dessus de 3500 tr/min et pousse hyper fort jusqu'à la zone rouge débutant à 14 000 tr/min, sans jamais faiblir. On a l'impression d'avoir une réserve inépuisable de chevaux sous la main. Et c'est presque vrai. En effet, la RSV4 dispose d'une puissance de 180 ch à 12 250 tr/min, alors que le couple s'établit à 84,6 lb-pi à 10 000 tr/min. Pas mal, qu'en dites-vous?
Au niveau de l'électronique, Aprilia n'a pas lésiné sur les moyens, comme nous l'avons établi plus haut. Il faut dire que la firme de Noale a retenu les leçons de la RS Cube de MotoGP qui, en 2001, était surpuissante, mais ne pouvait pas faire passer la puissance au sol. À l'époque, si Aprilia avait eu accès à l'électronique disponible aujourd'hui, elle aurait sûrement pu faire gagner la Cube. Sur la RSV4, ce n'est pas un problème. Malgré sa puissance incroyable, elle reste une moto facile à contrôler sur circuit, même aux mains d'un pilote peu talentueux.
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Le freinage de l'Aprilia est signé Brembo et la suspension Sachs. Que du matériel à la fine pointe de la technologie. |
L'APRC dispose de capteurs qui détectent si vous allez lentement ou rapidement dans un virage donné. Il applique alors des algorithmes appropriés pour compenser. Sur les circuits de Saint-Eustache et de Mécaglisse, courts et peu rapides, j'avais réglé la cartographie à «Sport», l'antipatinage à 4 et l'anti-cabrage à 2, afin de pouvoir me familiariser avec la bête. Ainsi réglée, elle était moins brutale, tout en limitant le niveau d'intervention de l'électronique à un seuil moyen, afin de s'amuser un peu, malgré tout. On peut ajuster le mode en roulant, à tout moment, quel que soit le rapport engagé, d'une poussée sur le bouton situé sur le guidon de gauche. L'antipatinage est vraiment efficace. À deux occasions, je l'ai senti entrer en action lors d'une remise des gaz un peu trop optimiste à la sortie d'une épingle. Quant à l'anti-wheelie, il rabattait immédiatement la roue avant au sol, tout en douceur, lorsque j'accélérais soudainement en deuxième, en début de ligne droite.
L'ALC (Aprilia Launch Control) est le seul dispositif électronique qui relève du gadget, à mon avis. À moins d'être un coureur. Lorsqu'on l'engage, il remplace vos réglages initiaux d'antipatinage et d'anti-cabrage jusqu'à ce que vous passiez le troisième rapport ou que vous atteignez 160 km/h. Je l'ai essayé à une occasion — il fonctionne bien, tel qu'annoncé par Aprilia —, mais il ne m'a pas séduit.
En revanche, le Quick Shift est tout simplement génial! Personnellement, je suis un adepte des shifters électroniques depuis que j'ai essayé les BMW HP2 Sport de l'équipe BMW Motorrad Canada, en 2008. Ce système permet de monter les rapports à la volée sans recourir à l'embrayage, poignée de gaz vissée à fond! Sur les versions de compétition, il est également possible de rétrograder sans utiliser l'embrayage, mais pas sur l'Aprilia.
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Grâce à la RSV4, la firme de Noale s'est relancée dans le créneau des hypersportives. |
Une partie cycle de compétition
Compacte, effilée et ramassée, la RSV4 affiche un gabarit digne d'une 600 Supersport. Elle bénéficie d'une géométrie de direction radicale qui trahit son héritage génétique. Avec un angle de fourche fermé de 24,5 degrés, une chasse de 104 mm et un empattement court de 1 420 mm, la RSV4 est taillée pour le circuit. Le pilote est en tout temps en parfait contrôle du train avant et peut attaquer sans crainte. La RSV4 est une lame. Elle trace ses trajectoires au millimètre et fait preuve d'une précision de guidage étonnante. Royale en entrée de courbe, elle est hyper stable en milieu de virage, tout en étant suffisamment souple pour changer de trajectoire si cela s'avérait nécessaire.
Agile et maniable, elle négocie les courbes serrées et les enchaînements sans forcer, d'une simple poussée sur les demi-guidons. Grâce à son électronique de pointe, elle sort de courbe comme une balle, sans bouger, sans lever la roue avant ni déraper de la roue arrière. Dotée d'une stabilité remarquable sur l'angle, l'Aprilia dispose d'une garde au sol généreuse grâce à laquelle le pilote peut sortir la grosse attaque. À moins d'être un pro, pas facile de faire frotter les repose-pieds, à moins bien sûr de vouloir soi-même tâter du bitume.
Avec sa fourche inversée Sachs de 43 mm et son monoamortisseur Sachs à réservoir séparé, tous deux réglables dans tous les sens, la RSV4 est parfaitement équipée pour affronter les circuits les plus demandants. Et lorsque le revêtement est imparfait, l'amortisseur de direction Sachs s'occupe de contrer les mouvements intempestifs du train avant.
Le système de freinage ABS de course, développé par Bosch, est paramétrable sur trois niveaux. À l'avant, il se compose de deux disques de 320 mm pincés par des étriers monoblocs Brembo M430 à quatre pistons, à fixation radiale et d'un simple disque de 220 mm, avec étrier double piston, à l'arrière. Efficace sur piste dans les deux modes les plus sportifs, il donne confiance au pilote qui n'est alors limité que par l'adhérence des pneus. Il peut freiner très fort, en sachant que le système reste en contrôle des opérations. Dans le mode «Race», il est possible de faire lever la roue arrière au freinage, comme sur une moto sans ABS. Par ailleurs, l'anti blocage est peu intrusif et s'avère bienvenu en situation d'urgence.
Au Canada, les pneus qui équipent la RSVC APRC ABS en première monte sont les excellents Metzeler Racetec K3 Interact, dans les dimensions 120/70-17 à l'avant et 200/55-17 à l'arrière. Ces pneus conçus pour un usage mixte route/piste disposent d'un composé unique offrant une adhérence maximisée en courbe et un bon retour d'information. Ils montent vite en température et permettent d'exploiter les qualités dynamiques de la RSV4 au maximum.
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Dotée d'un châssis hyperstable, la RSV4 est une lame super affutée sur piste. |
Et sur la route?
Sur la route, la position de conduite radicale de l'Aprilia, tout en appui sur les poignets, les fesses en l'air, limite un peu son champ d'action. Sauf si on est jeune et en pleine forme. Personnellement, je m'en accommoderais pour des sorties de 200 à 300 km. Au-delà, je rendrais les armes. Surtout que la moto n'est pas très adaptée au tourisme et encore moins aux balades en duo puisqu'elle est équipée d'une selle monoplace. De toute façon, qui serait assez maso pour vouloir embarquer derrière vous sur une telle moto?
Grâce à ses suspensions évoluées, la RSV4 se débrouille honorablement sur route. Elle absorbe les petites irrégularités de la chaussée avec brio et n'est pas trop déstabilisée au passage des grosses bosses. Moins radicale que je m'y attendais. À défaut de pouvoir gommer les bosses, il suffit de mettre du gros gaz et de voler au-dessus de celles-ci. À condition que la maréchaussée ne soit pas dans les parages.
En ville, le couple important du V4 facilite la conduite dans la circulation urbaine. Il suffit de tourner l'accélérateur, même à bas régime, pour s'extraire du trafic. Grâce à la souplesse du moteur, on peut se promener sans que la machine soit secouée constamment par un hoquet incontrôlable, comme certains V-Twins italiens. À basse vitesse, l'amortisseur de direction Sachs ralentit un peu la direction, mais l'effet s'estompe au fur et à mesure qu'on augmente le rythme. Par ailleurs, c'est dans cet environnement que la position est la plus incongrue et que l'appui sur les poignets se fait le plus ressentir.
Une fois sur les routes secondaires, l'Aprilia retrouve son aplomb. Taillée pour attaquer les roues sinueuses européennes — en particulier les routes de montagne des Alpes italiennes —, la RSV4 se régale dans les virages serrés ou rapides, particulièrement quand le bitume est de bonne qualité. Là, elle fait étalage de ses qualités dynamiques et met de l'avant sa tenue de route impériale, sa maniabilité digne d'une moyenne cylindrée et tout son arsenal électronique. C'est un missile sur rail, imperturbable et d'une précision diabolique. Le freinage ABS paramétrable sur 3 niveaux fait des merveilles au réglage le plus interventionniste, sur route. Même chose pour l'antipatinage. Le fabuleux V4 rend l'expérience encore plus jouissive, permettant de sauter d'un virage à l'autre à la simple rotation de la poignée droite. Le nirvana sur deux roues! Doubler une voiture est un jeu d'enfant. Tellement qu'on s'amuse à répéter l'exercice à l'infini. Dotée d'accélérations fulgurantes, l'Italienne vous donnera des frissons tant elle est envoûtante.
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L'arrière de la selle monoplace de l'Aprilia est une signature visuelle que l'on reconnaît
au premier coup d'œil. |
Sur autoroute, la RSV4 pourrait être une fusée avec laquelle on rallierait Montréal à Québec en moins d'une heure… si la Province adoptait la même réglementation que l'Allemagne. Mais dans l'état actuel des choses, la RSV4 se traîne lamentablement sur l'autoroute et s'ennuie à mourir. Son pilote aussi. Et dire que son fabuleux moteur atteint 290 km/h en quelques centaines de mètres seulement… Même en première, on est dans l'illégalité en moins de temps qu'il ne faut pour cligner des paupières.
Une Diva au grand cœur
Au terme de ce test, tous les essayeurs qui ont piloté la RSV4 sont tombés sous le charme de la belle de Noale. Sensuelle, puissante, performante et ultra affûtée, c'est une véritable moto de course légale sur route qui mérite tous les superlatifs dont on peut la qualifier. Cependant, son arsenal électronique en fait une moto sécuritaire, facile à prendre en main, quel que soit votre niveau de pilotage. Mais, pour en tirer le meilleur, il faudra l'amener sur un circuit — rapide et technique de préférence — et avoir un bon niveau de pilotage. Car, si elle se livre facilement, la RSV4 ne dévoile ses secrets les plus intimes qu'aux initiés, à ceux qui peuvent exploiter son énorme potentiel. Après tout, n'est-elle pas double Championne du Monde de Superbike?
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Grâce à l'APRC ('Aprilia Performance Ride Control) et à son excellent contrôle de traction paramétrable sur huit niveaux, la RSV4 sort de courbe comme une balle. De plus, le shifter électronique permet d'accélérer sans perdre une seconde. |
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