« Éditos

Vivre pour rouler, écrire pour survivre

Depuis une décennie, je perds irrémédiablement la mémoire et je m’en rends compte. Même si mon entourage et mes amis essaient de me rassurer en me disant qu’ils sont dans la même situation…

À mon avis, un écrivain* se parle à lui-même plus qu’il ne parle à l’autre. Il s’invente, il se crée et s’inscrit dans une certaine forme d’éternité, souvent contre son gré.

Dans mon cas, écrire est une façon de me soulager de moi-même, de briser le silence et de sortir de mes soliloques, lesquels peuvent devenir envahissants, sclérosants si je ne les couche pas sur le papier. Il s’agit d’une manière d’exister qui ne réclame pas forcément d’auditoire ni d’approbation. Si j’écris à l’occasion pour communiquer ou pour partager — dans le cadre de mon travail de journaliste —, ce n’est pas la raison première de mon besoin viscéral d’écrire.

Parfois — et c’est là que l’acte d’écrire est magique —, il arrive que mes divagations parviennent au regard de l’autre et provoquent chez lui une réaction. Le fait d’écrire agit sur le monde et fait interagir l’auteur avec ce dernier.

Chaque écrivain est propriétaire de ses mots même si ceux-ci appartiennent à la communauté humaine. Et il doit les défendre. C’est ce qu’on appelle le droit d’auteur. Lorsque ses mots provoquent chez vous une réflexion, une prise de conscience ou une forme aiguë d’émotivité, il exerce alors son droit de hauteur.

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Coucher de soleil floridien

Cependant, une fois qu’un texte est publié, l’auteur en est dépossédé. Il devient la propriété de chaque lecteur qui l’interprète avec son vécu, ses références, ses obsessions. Et sa compréhension propre. Ce qui fait que parfois, il y trouve des idées ou des arguments que l’auteur n’a pas mis.

Lire est un exercice exigeant, comme le soulignait l’écrivaine et journaliste Madeleine Chapsal : « La lecture est un art et tout le monde n’est pas artiste ». En effet, il y a des lecteurs professionnels et des lecteurs dilettantes. Des gens qui lisent pour travailler, pour se distraire, pour s’informer, pour comprendre ou pour s’évader. Ce qui explique qu’un même texte puisse être interprété différemment selon la personne qui le lit. Et les raisons pour lesquelles elle le fait.

Et puis, il y a les pamphlétaires. Ceux qui lisent plus pour répondre que pour comprendre, pour critiquer que pour apprendre. Quand je suis confronté à ce genre d’individus qui s’apparentent aux trolls sur Internet, il en résulte parfois des quiproquos amusants ou des malentendus fâcheux. Tout dépend de l’interlocuteur auquel je fais face, et de mon état d’esprit au moment de l’échange. « Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ».

Enfin, il y a les prosélytes. Ceux qui veulent avoir raison à tout prix et pensent à leur prochaine réplique avant même d’avoir lu ou entendu votre réponse. Ceux-là sont insupportables. Et pourtant nombreux.

Les mots ont une force incroyable. Et peuvent blesser plus sûrement qu’une chute à moto par exemple. Dernièrement, lors d’une discussion animée, un ami m’a fait une insulte en forme de compliment. Je ne sais pas s’il l’a fait à dessein, ou s’il ne s’en est pas aperçu. Peu importe ; le résultat est le même en fin de compte. « Parle-nous de tes enthousiasmes, de tes beaux voyages et de tes belles rencontres et tu n’auras que des amis — ou des jaloux. » Une façon de me réduire au silence sur tout autre sujet. De me dire poliment « Ferme ta gueule ! » Le jour où j’écrirais pour me faire des amis — j’en ai plus qu’il ne m’en faut pour être heureux — ou pour faire des jaloux —, il sera temps que je raccroche mon clavier.

Quand l’émotivité se substitue à la logique et à la réflexion, on s’expose à une forme d’anesthésie de l’esprit critique qui me dérange. Tout écrit n’est pas matière à débat. Et ne demande pas forcément une réponse. Un fait indubitable n’est pas une opinion qui elle même n’est pas forcément un jugement de valeur. Il faut savoir faire la distinction et ne pas tout mettre sur le même niveau.

En ce qui me concerne, je vais continuer à écrire. Sur mes enthousiasmes, mes beaux voyages, mes belles rencontres et sur tout le reste aussi. Pas pour faire plaisir à untel, ou séduire unetelle, pas pour avoir le dernier mot, mais pour rester vivant. C’est un besoin vital.

 

* Dans cet article, j’utilise le terme « écrivain » dans son sens étymologique, qui signifie celui qui écrit. Je n’aurais jamais la prétention de me prendre pour un écrivain au sens moderne du mot.

13 réponses à “Réflexion”

  1. Anne

    Le poids des écrits …
    La distance – et la facilité des réseaux sociaux – font qu’on « communique » en écrivant, ce qui nuit finalement à un véritable dialogue, parce qu’on tente de trouver les mots les plus justes tout en restant succincts. Rien ne vaut un échange verbal, autour d’une table, devant un verre ou un bon repas…ce qui peut éviter les mal-entendus.
    L’avantage de l’écriture, c’est qu’elle permet de lire et relire, pour changer d’angle afin de comprendre.
    Une chose devient de plus en plus évidente pour moi aujourd’hui : nous avons tous nos certitudes, nous les défendons et tant mieux. Mais je crois que je ne le ferai plus jamais par écrit. Parce qu’il est impossible d’argumenter vraiment, et rien n’est plus blessant.
    Pour l’avoir expérimenté à plusieurs reprises, et de façon douloureuse, j’ai choisi d’affronter mes interlocuteurs, ce qui a permis des échanges ouverts, où j’ai pu (nous avons pu) partager nos ressentis, accepter nos erreurs, entendre nos blessures. Et lire nos sentiments respectifs dans le regard de l’autre. Et y lire de l’amitié ou de l’amour au delà de la colère ou de l’incompréhension n’a pas de prix.
    Voilà ma réflexion…
    Quant à survivre, la définition de « vivre au delà de… ou en dépit de… » fait que je te souhaite simplement de VIVRE. Avec joie, enthousiasme, envie. Comme je crois que tu le fais depuis toujours.
    Et je te livre tout ça avec toute mon amitié.

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    • Didier Constant

      Rien ne vaut une bonne discussion entre amis, autour d’une table, devant un verre ou un bon repas, tu as bien raison Anne. À faire très bientôt! En toute amitié 😉

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  2. Anne

    PS : Je voulais écrire « même si l’avantage de l’écriture permet de lire et relire…. ».

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  3. Pierre G.

    … « chaque lecteur qui l’interprète avec son vécu, ses références, ses obsessions. Et sa compréhension propre. Ce qui fait que parfois, il y trouve des idées ou des arguments que l’auteur n’a pas mis. »

    Ça m’est arrivé aussi.

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  4. Alexandre ALORTILA

    Parfait Didier,
    Pourquoi je ne sais pas m’exprimer ainsi ?
    Est-ce inné chez toi cette belle façon de manier les textes ? Ou bien est-ce que cela s’apprend ?
    Le simple fait d’expliquer à un ami pourquoi je préfère cette moto à l’autre me parait souvent compliqué 🙁

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    • Didier Constant

      Tout s’apprend Alexandre, c’est ça qui est magnifique! Merci pour le compliment, ça fait toujours plaisir 😉

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  5. Jacques Boissinot

    Didier,
    faudra revoir ton interprétation du mot « écrivain » car t’en es un dans tous les sens du terme.
    C’est comme la photo. On fait de la photo pour informer, pour faire rêver, mais pas pour se faire des amis. Et souvent, on fait de la photo pour soi. Pour se nourrir l’âme comme avec les mots.
    Continue d’écrire et de faire de la photo, tant pour les autres que pour toi. Nous avons besoin nous aussi de ta présence.

    Au plaisir de te lire bientôt
    Jacques

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    • Didier Constant

      Merci Jacques pour ce commentaire qui me va droit au cœur. Au plaisir d’aller rouler et faire des photos ensemble. Faut pas se manquer cet été 😉

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  6. Pacounator

    Il me tarde que tu viennes écrire quelques S par nos routes de campagne et tu pourrais en profiter pour en accrocher un peu plus que la derniere fois au mot heure amigo.

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    • Didier Constant

      Ça sera avec plaisir François. On écrira plein de S sur tes routes de campagne et je mettrais un S au mot heure cette fois-ci. Et au mot jour! À bientôt l’ami !

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  7. francis gagnon

    salut Didier, moi aussi je perd la mémoire.Bonne journée pour s en rappeler.

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  8. Dan Desgagnes

    Didier

    Tu fait ma journée, merci au plaisir de rouler.

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