Le temps de l'innocence est révolu!
Publié le 9 novembre 2015
Au terme de cette saison de MotoGP qui nous offre une fin digne d’un mauvais vaudeville, je m’interroge sur l’avenir d’un sport que je vénérais depuis 46 ans. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’être le dindon de la farce. D’avoir assisté à une gigantesque mascarade. D’avoir été trahi par mes idoles.
NOTE AUX LECTEURS
Avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que je voue une admiration sans bornes à tous les pilotes qui prennent part au Championnat du monde MotoGP (et aux autres championnats du reste) et plus particulièrement aux quatre mousquetaires que sont Rossi, Lorenzo, Marquez et Pedrosa. En plus du talent, il faut faire preuve d’une abnégation et d’un courage extraordinaires pour mettre semaine après semaine sa vie en jeu sur les plus beaux circuits du monde. Pour assurer un spectacle qui nous régale et nous fait rêver. Mais, malheureusement, pour être un grand pilote, le talent ne suffit pas. Il faut démontrer des qualités humaines qui font défaut à certains et un charisme qui transporte les foules. Mes commentaires, dans ce billet, concernent cet aspect du problème. Jamais il ne me viendrait à l’esprit de critiquer le pilotage ni la passion qui anime ces gladiateurs des temps modernes. Ce sont TOUS d’immenses pilotes!
« On n’est jamais déçu qu’à la hauteur de ses attentes, » prétend l’adage et aujourd’hui je suis consterné. Le déroulement des trois derniers Grands Prix a mis un terme brutal à une saison magique, une des plus intenses depuis des années, mais surtout aux quelques illusions que j’entretenais encore vis-à-vis de notre sport. La politique s’est immiscée une fois de trop dans le déroulement du championnat, jusqu’à modifier l’issue du duel Rossi/Lorenzo. Une lutte fratricide digne des meilleures tragédies grecques dont nous attendions tous le dénouement. Mais, ce qui est le plus grave, c’est qu’on a cautionné l’antijeu en ne prenant pas dès le début de mesures pour y mettre un terme avant que la situation dégénère.
Je suis les Grands Prix depuis 1968. Cette année-là, le légendaire Giacomo Agostini, sur sa MV Agusta, avait remporté les titres 500 et 350, Phil Read, son ennemi juré, les titres 250 et 125 sur Yamaha alors que Hans-George Anscheidt s’adjugeait le titre 50 sur une Suzuki à moteur bicylindre deux-temps, de 50 cc, à distributeurs rotatifs et refroidissement liquide, dotée d’une boîte à 14 rapports.
En faisant cette confession, je sais que je vais trahir mon âge, mais ça me permet d’apporter un éclairage pertinent sur l’état de ma passion pour les Grands Prix.
En 1968, on ne parlait pas de MotoGP, mais de Championnat du monde de vitesse moto de la FIM, ou du Continental Circus. En dehors de la qualité du spectacle qui nous était présenté, j’ai alors été séduit par le côté romantique, voire chevaleresque des pilotes — il mourait quasiment un pilote par GP en ces temps-là —, par la vie de nomade qu’ils menaient et par la solidarité qui semblait animer les paddocks. On appelait ça l’esprit de famille. On n’était pas encore à l’ère du sport-business et le marketing n’avait pas complètement pourri la moto. Il existait bien des inimitiés entre les pilotes — Ago et Read se détestaient, tout comme Schwantz et Rainey dans les années 80-90, Rossi et Biaggi dans les années 2000 ou Rossi et Marquez aujourd’hui, mais les valeurs du sport étaient respectées. La solidarité, aussi.
À l’occasion des trois derniers Grands Prix de cette saison, j’ai perdu mes illusions. Pas parce que mon idole s’est inclinée après avoir mené le Championnat toute l’année. Pas parce que le pilote que j’aime le moins a remporté un titre qu’il ne lui revenait pas de gagner sans livrer bataille. Mais parce qu’un pilote — que j’admirais — a décidé de jouer les arbitres dans la course au titre alors qu’il n’avait plus rien à gagner ni à perdre, si ce n’est sa dignité et sa réputation. Aujourd’hui, il a perdu les deux et il s’étonne que les spectateurs et les fans de GP le huent sur le podium ou l’invectivent sur les réseaux sociaux. « Qui sème le vent récolte la tempête! »
Au fil des décennies, mon amour du sport et des pilotes a survécu à toutes les tourmentes, à tous les changements de la garde. Après Les Giacomo Agostini, Phil Read, Mike Hailwood, Angel Nieto qui ont embelli mon enfance, ce fut au tour de la relève française menée par Patrick Pons, Michel Rougerie, Thierry Tchernine, Raymond Roche, Christian Sarron ou Gilles Husson, qui est devenu mon ami par la suite, de me faire rêver à un champion tricolore. Rêve qui s’est réalisé avec Pons, en 1979 et avec d’autres depuis. Sans oublier les Johnny Cecotto, Jarno Saarinen, Barry Sheene et Kenny Roberts qui ont égayé mon adolescence par leurs performances. Dans les années 80-90, la période glorieuse des Grands Prix selon moi, en plus d’être celle de mon passage à la vie adulte, ce sont Freddie Spencer, Kevin Schwantz, Eddie Lawson, Wayne Rainey, Wayne Gardner, Randy Mamola ou encore Mick Doohan qui m’ont fait rêver.
Alors que je croyais que le passage au nouveau millénaire marquerait la fin de ma passion — mes idoles ayant raccroché leurs cuirs —, un gamin du nom de Valentino Rossi est arrivé dans le décor. Un gosse prétentieux, facétieux et hyper talentueux venu d’un petit village du nord-est de l’Italie nommé Tavulia, aujourd’hui connu du monde entier. Un pilote de génie qui allait révolutionner le sport et redéfinir les standards par lesquels les autres seraient jugés.
Champion du Monde 125 en 1997, Champion du Monde 250 en 1999, il accédait à la catégorie reine en 2000 et remportait cinq titres consécutifs entre 2001 et 2005, puis deux autres en 2008 et 2009. En plus de devenir l’idole de millions d’amateurs.
Aujourd’hui, à 36 ans, Vale est plus grand que le sport, ce qui l’amène parfois à faire certaines déclarations mal avisées ou à poser des gestes dont on peut questionner la pertinence. Malgré une traversée du désert qui a duré deux années suite à son passage catastrophique chez Ducati, Rossi est revenu au meilleur de sa forme et au sommet de la hiérarchie mondiale. Il a repris goût à la lutte et à la victoire. En 2015, il a remporté quatre Grands Prix, le dernier en date à Silverstone, en Grande-Bretagne et a mené le championnat aux points jusqu’à la dernière course.
Nous étions des millions à attendre l’affrontement ultime entre Rossi et Lorenzo pour voir lequel des deux allait coiffer la couronne mondiale 2015. Les deux la méritaient pleinement à la vue de leurs résultats. Puis, il y a eu le GP du Malaise, à Sepang. Et celui de la Honte, à Valence. L’intrigue a tourné en eau de boudin.
En sport comme au cinéma, il faut un bon et un méchant et une rivalité de tous les instants entre ces ennemis jurés pour capter l’attention des spectateurs. Mais il faut aussi une fin digne de l’affrontement qui les oppose. Ce qui n’a pas été le cas à Phillip Island, à Sepang ou à Valence où le comportement de Marquez est sujet à caution. Au circuit Ricardo Tormo, Lorenzo et Rossi ont tous les deux fait une course extraordinaire, conforme à ce qu’on attendait d’eux. Mais peut-on en dire autant de Marquez? La question est soulevée et on ne peut malheureusement pas y apporter de réponse définitive. Seuls les intéressés pourraient répondre. Aujourd’hui, le doute subsiste. Mon ancien patron disait toujours : « s’il y a apparence de conflit d’intérêt, alors il y a conflit d’intérêt ». C’est la même chose avec la tricherie.
Personnellement, j’aime Valentino Rossi pour les mêmes raisons que j’aime Barry Sheene, Randy Mamola, Marco Lucchinelli ou Kevin Schwantz. Ce sont certes des pilotes égoïstes et prétentieux — ils le sont tous, sinon impossible d’évoluer à ce niveau —, mais ils possèdent un charisme incroyable, un sens de l’humour développé et une certaine dose d’autodérision. Ils sont anticonformistes et libres. À l’inverse, je déteste ceux qui n’ont que la prétention et le talent à nous offrir. Les calculateurs. Les comptables du sport. Ou ceux qui ont le charisme d’une moule. C’est pour cela que je n’ai jamais été un grand fan de Wayne Rainey que j’ai appris à connaître depuis et que je respecte énormément, ni de Max Biaggi, ni de Casey Stoner, ni de Jorge Lorenzo, ni de Dani Pedrosa. Ce qui n’enlève rien à leur talent. Chacun choisit ses idoles selon ses critères et, à preuve du contraire, le mauvais goût n’est pas un pêché capital.
Depuis Sepang, j’ai perdu toute estime pour Marc Marquez que j’adorais et qui devait remplacer Rossi dans mon cœur quand celui-ci aurait pris sa retraite.
Si je n’aime pas les coéquipiers-judas, j’aime encore moins les mauvais joueurs. J’ai besoin de croire, même si c’est naïf, à l’intégrité du spectacle que je regarde. De garder intacte la part de rêve qui m’anime. Un vestige de mon enfance inachevée, sans doute. Le problème aujourd’hui, c’est que la suspicion de tricherie entâche la fin du championnat et ternit le titre remporté par Lorenzo. En plus de faire peser le doute et mettre en péril l’avenir du MotoGP.
Si on ne peut plus croire à la neutralité des résultats, à la probité des acteurs des Grands Prix, pilotes et dirigeants inclus, à l’impartialité de la Dorna ou de la FIM, comment peut-on encore s’enthousiasmer pour le sport? Si un changement n’intervient pas rapidement, alors le MotoGP va péricliter et les fans déserter le championnat. Ce matin, plusieurs de mes amis ont résilié leur abonnement au site MotoGP.com qui retransmet en direct les courses du MotoGP, par dégoût. Difficile de les blâmer. Et les commanditaires qui voient la crise financière poindre à l’horizon vont trouver là une excuse parfaite pour quitter le sport sans devoir porter l’odieux de la situation. Ce mouvement est déjà amorcé et risque de s’amplifier. Malheureusement, le mal est fait.