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Esprit, es-tu là?

Mardi 18 septembre

Il y a quelques années, Jean-Claude Gayssot, alors ministre des Transports et de la Sécurité Routière en France, a commandé une enquête exhaustive à un institut de sondage afin de déterminer qui étaient les motocyclistes et ainsi mieux les cibler.

Si vous êtes venus à la moto dans les années 60-70, vous ne vous êtes jamais vraiment posé cette question. Pour vous, les motocyclistes formaient une grande famille. Réunis par une passion et un mode de vie communs. On appelait ça l’esprit motard, la solidarité motarde. Mais cette solidarité, cet esprit de corps n’existerait plus. C’est du moins ce qui ressortait de cette enquête qui identifiait cinq groupes distincts de motocyclistes n’ayant en commun que de rouler à moto.

Les pragmatiques (30%). Ils sont principalement citadins. Pour eux la moto, utilisée quasi quotidiennement, est autant utilitaire que ludique. Ils parcourent, en moyenne, 5 700 km par an, refusent l’aspect frime de la moto et recherchent confort et tenue de route au meilleur prix.

Les motards du dimanche (12%). Ils n’ont pas l’impression d’appartenir à une caste particulière. Ils parcourent, en moyenne, 3 000 km par an et ne sortent que quand les conditions sont idéales. Ils aiment astiquer leur moto et parader. La plupart d’entre eux sont propriétaires de customs. En matière de sécurité, ils souhaitent plus de sévérité des forces de l’ordre envers les autres motocyclistes, en particulier les propriétaires de sportives.

Les désimpliqués (18%). Ils ne considèrent pas la moto comme un plaisir. Pour eux, ce n’est qu’un moyen de transport. Beaucoup sont propriétaires de petites cylindrées et de scooters.

Les hédonistes (21%). Ils comptent beaucoup d’artisans ou de chefs d’entreprises et habitent surtout des grandes villes. Ils parcourent, en moyenne, 6 200 km par an. Ils s’adonnent à la moto par passion et pratiquent la solidarité motarde. Ils sont peu réceptifs au discours sécuritaire.

Enfin, les fanas du guidon (19%). Ils sont relativement jeunes (entre 25 et 34 ans) ou, à l’opposé, âgés de 54 ans et plus. Ce sont des passionnés. Ils participent aux événements motos (courses, concentrations, etc.) et adhèrent, dans 15% des cas, à une association motocycliste. Ils parcourent près de 9 000 km par an et préfèrent les grosses cylindrées (sportives et routières surtout). En terme de sécurité, ils revendiquent une amélioration notable du réseau routier et jugent les forces de l’ordre trop sévères envers les motocyclistes.

À la lecture de ces chiffres, on s’aperçoit que les passionnés, qui formaient la masse des motocyclistes d’autrefois, ne représentent plus que 40% des motocyclistes actuels. Et que 60% d’entre eux ne voient dans la moto qu’un loisir parmi tant d’autres.

En regardant ce qui se passe ici, on peut facilement extrapoler ces chiffres. Depuis quelques années, je suis étonné de voir à quel point certains groupes de motocyclistes ne retournent pas le salut. De constater que les motos affichant un kilométrage important sont une denrée rare. Et d’observer le piètre niveau de formation ou d’expérience de certains d’entre nous.

Les passionnés sont-ils une espèce en voie d’extinction ou sommes-nous simplement victimes du succès de la moto et de l’arrivée massive dans notre sport de «baby-boomers» aisés à la recherche de sensations fortes et de validation instantanée? Toujours est-il que ces données changent radicalement le portrait que le public et l’industrie se faisaient du motocycliste classique. Elles changent également l’offre des manufacturiers qui, désireux de profiter de la manne que représentent ces nouveaux venus nous proposent des produits qui s’éloignent parfois de nos attentes ou de nos besoins.

Mais, ce qui est plus grave encore, c’est qu’elles modifient nos comportements et nos interactions avec les autres motocyclistes au point de créer des groupes qui se méfient les uns des autres. Pour contrer cette scission, la promotion de l’esprit motard et de la solidarité s’impose. Il faut revenir à des valeurs jugées désuètes aujourd’hui, mais qui nous ont permis de créer une communauté unie, bien que constituée d’individus ayant peu de chose en commun, si ce n’est la passion de la moto.