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Transhumances alpines

Photos © Didier Constant/PPI, Yvan Genestier, Renaud Henry, Patrick Laurin, Wikipédia, DR

À la poursuite des géants maléfiques

Depuis ma plus tendre enfance, je voue une affection particulière à Don Quichotte, le héros chevaleresque de Miguel de Cervantes. J’aime profondément ce justicier autoproclamé, pourfendeur de l’injustice et de l’oppression, investi d’une mission chimérique. J’aime son idéal utopiste, sa grandeur d’âme, sa douce folie… Ces traits de caractère me le rendent éminemment sympathique et proche à la fois. Au point où j’ai surnommé ma fidèle Suzuki Inazuma 1999 « Rossinante », en hommage à l’Ingénieux Hidalgo de la Manche.

Cette fois-ci, j’ai plus que jamais l’impression d’avoir enfilé l’armure rouillée du Chevalier Errant. Elle grince, elle couine, elle gémit sous le soleil torride de ce mois de juin alors que je poursuis mes rêves aux commandes de Rossinante. Fidèle à mon habitude, j’attaque les radars fixes, ces géants maléfiques au regard foudroyant, avec ma vieille épée émoussée. Ces géants envoyés sur Terre par de méchants magiciens tout de bleu vêtus ont pour but de nous empêcher de rouler à notre guise. Depuis qu’ils sont arrivés sur notre planète, je me bats contre eux à cent contre un, dans un festival d’éclairs aveuglants et d’étincelles. Un combat inégal que je n’ai pas le droit de perdre au risque d’y laisser mon âme et ma fortune.

Ceux d’entre vous qui me connaissent ou qui me lisent régulièrement savent que je poursuis une folle chimère depuis des lustres et que j’y consacre mes ressources financières et ma santé mentale. Ma vie tout entière, même. En looser magnifique, comme mon gentilhomme héroïque. En effet, je suis persuadé que le fait de rouler à moto me garde jeune et qu’à force de parcourir la Terre sur deux roues, dans tous les sens, je vais finir par atteindre une certaine forme d’éternité, d’immortalité. Mais, jusqu’à présent, force est de reconnaître qu’en dehors du plaisir intense que j’éprouve lors de mes pérégrinations ou des rencontres fabuleuses que j’y fais, je récolte plus de maux de dos, de courbatures et autres rhumatismes que je ne rajeunis réellement. Mais je poursuis ma quête malgré tout, têtu, obstiné, convaincu que je finirais bien par atteindre le point de bascule à partir duquel tout va s’inverser.

Steinbrunn-Le-Haut, Alsace

Cette demeure de rêve, en Alsace, n’est pas faite en pain d’épices, même si la maîtresse de maison en fait un excellent!

Une maison de rêve

Mais revenons-en à notre voyage puisque c’est le but de ce récit. Un périple extraordinaire disais-je donc, débuté sous les meilleurs auspices possibles. Chaque voyage que j’entreprends est en fait une excuse pour retrouver ma famille, mes amis et passer du bon temps avec eux. Ainsi, après avoir coulé quelques jours magiques chez ma sœur, à côté d’Orléans, je suis finalement parti à l’aventure avec Patrick qui m’a rejoint. Vers l’est! En sillonnant les routes ensoleillées de la Vallée de la Loire, les monts du Morvan, les coteaux de la Bourgogne ainsi que les plateaux de la Franche-Comté, pour finalement arriver en Alsace, chez mes amis Guillaume et Florence, où nous avons également retrouvé leur charmante fille Constance et mon amie Anne, la sœur de Florence, qui a fait le déplacement depuis Dijon pour nous rendre une petite visite amicale…

La maison de nos hôtes est magnifique! En plus, elle possède une âme, une personnalité attachante. Rebâtie pièce par pièce par Guillaume et décorée avec soin et amour par Florence, cette maison, une ancienne grange alsacienne, est l’une des demeures les plus charmantes que je connaisse. Elle est à l’image de ses propriétaires, accueillante et chaleureuse. Elle vous reçoit à bras ouverts, sans chichi et vous met immédiatement à l’aise en vous faisant sentir chez vous. Blottie dans un petit village pittoresque situé au cœur de la Route des Vins d’Alsace, entre Mulhouse et Colmar, elle incarne la Maison du bonheur, ou du moins l’idée que je m’en suis toujours fait.

Dans ma famille, nous sommes locataires de père en fils, à l’exception de ma petite sœur et de mon frère cadet qui ont tous les deux tenté, un bref instant et sans grand succès, l’expérience de la propriété. Nous avons toujours eu une âme de nomade — ma mère était de descendance gitane et bretonne, un mélange explosif qui explique peut-être ce trait de caractère particulier — et nous n’avons jamais accordé énormément d’importance au fait d’être propriétaire de notre maison. Tant que celle-ci était confortable et que nous y étions bien, heureux, c’est tout ce qui nous importait. Pourtant, j’ai toujours eu une vision claire de la maison idéale dans laquelle j’aimerais couler mes vieux jours, quand j’aurais fini de parcourir le monde en tous sens. En arrivant chez Guillaume et Florence, la première fois que je leur ai rendu visite, ce fut comme une révélation. C’était LA Maison que j’avais rêvée si longtemps. Et le fait qu’elle ne m’appartint pas ne me dérangeait nullement. Je savais qu’elle existait et que je pouvais m’y arrêter, si l’envie m’en prenait. Pour une heure, pour une journée…

Nous avons passé une soirée magique en excellente compagnie, à discuter à bâtons rompus et à refaire le Monde devant une succulente choucroute, arrosée d’excellents vins du cru. Le matin venu, alors que je sirotais un dernier café à la table du jardin, Guillaume m’a aidé à planifier un itinéraire panoramique empruntant des routes buissonnières dont il connaissait le secret. L’itinéraire sélectionné nous ferait traverser une partie de la Forêt-Noire pour ensuite longer la Rive-Nord du lac de Constance, les routes alpines de la Bavière et de l’Autriche, au nord de Garmisch-Partenkirchen et d’Innsbruck, pour finalement prendre fin à Salzbourg, la ville de Mozart, où nous passerions notre première nuit hors de France.

Sur la rive du lac de Constance

Décor majestueux sur la rive nord du lac de Constance, en Allemagne.

Voyage initiatique

Ce voyage serait long et l’horaire chargé. J’avais établi un trajet approximatif, jour par jour, afin de pouvoir faire tout ce que nous avions prévu dans le temps imparti. Pour chaque étape, j’avais fixé notre point de départ et notre destination finale, mais jamais l’itinéraire précis, lequel se dessinait au gré des rencontres et des humeurs.

Les contrées que nous allions traverser, je les connaissais déjà presque toutes, à l’exception de la Hongrie, où je n’avais jamais mis les pneus auparavant. Je les avais visitées à diverses occasions dans ma jeunesse ou lors de voyages récents. Pourtant, en les faisant connaitre à Patrick, j’avais l’impression de les redécouvrir à mon tour. J’avais une étrange sensation de déjà-vu mêlé d’inédit. Ces lieux m’étaient familiers, mais je les voyais sous un éclairage nouveau. Comme si je revisitais mon passé en y posant un regard extérieur, presque inquisiteur. Ce périple touristique prenait de plus en plus des allures de voyage initiatique qui me confrontait à mes convictions et à mes connaissances. J’avais le sentiment d’être investi d’une mission plus grande que moi.

Au fil des kilomètres, mon esprit se mit à vagabonder. Il se nourrissait des magnifiques panoramas que nous traversions et me faisait vivre une aventure intérieure intense dans laquelle souvenirs réels et virtuels se mêlaient dans une atmosphère féérique. Oubliés les tracas quotidiens, le travail, les problèmes financiers, les soucis de santé. Il faisait magnifiquement beau depuis notre départ — une température qui nous suivrait tout au long de notre périple — et les routes que nous empruntions étaient idylliques. Elles serpentaient par monts et par vaux, traversant des paysages magiques, comme ceux que nous avons rencontrés sur les rives du lac de Constance ou encore au pied des Alpes bavaroises où les sommets de l’Alpspitze et de la Zugspitze, qui culminent à près de 3000 mètres, semblaient nous protéger du haut de leur majesté.

Après 550 km de routes enchanteresses, nous arrivons enfin à notre hôtel, à Salzbourg. Au coin de la rue, à la terrasse d’un petit bistrot, un violoniste itinérant joue un extrait du « Rondo à la Turque » de Mozart pour le plaisir des touristes attablés, occupés à siroter une lager locale bien fraîche. Pas de doute possible, nous sommes bien au bon endroit.

Salzbourg, Autriche

Vue panoramique de Salzbourg, Autriche

Nous n’avons passé qu’une nuit à Salzbourg et nous n’avons pas vraiment pris le temps de visiter cette ville magnifique où art et histoire se mêlent dans une ambiance harmonieuse. Nous nous sommes contentés d’explorer notre environnement immédiat et de savourer un délicieux repas traditionnel constitué d’une excellente escalope viennoise (Wiener Schnitzel) accompagnée d’une salade de pommes de terre, le tout arrosé d’une savoureuse Pilsner.

 Valses viennoises

Le lendemain matin, nous avions rendez-vous, Patrick et moi, à l’usine KTM, à Mattighofen, 30 minutes au nord de Salzbourg. La route de campagne qui y mène est digne du TT de l’île de Man. Dotée d’un revêtement impeccable, elle traverse une région agricole vallonnée, peu patrouillée par les policiers. La route monte, descend et tournicote sans répit, offrant aux motards sportifs un terrain de jeu incroyable fait de grandes courbes rapides où l’on peut prendre des angles de fou. Les lignes droites y sont quasiment inexistantes. Le nirvana version deux roues! Arrivés à Mattighofen, au siège social de KTM, nous avons eu droit à une visite guidée d’une heure de l’usine d’assemblage KTM/Husqvarna à la fois instructive et édifiante.

À notre sortie de l’usine, la journée était encore jeune et chargée. Nous devions rallier Vienne en soirée, au terme d’un trajet de plus de 600 km, en faisant une boucle par Hallstadt, un village pittoresque de la région du Salzkammergut, en Autriche, situé en bordure du Hallstätter Sée, un immense lac alpestre aux allures de mer intérieure d’un vert turquoise intense. Hallstatt est connu pour sa production de sel, qui remonte à la préhistoire. La ville est également célèbre pour sa culture liée à la musique celtique. On y trouve des traces archéologiques de peuplement celte remontant à l’âge de fer, soit près de 800 ans avant notre ère.

Hallstadt, Autriche

Hallstadt, Autriche est un village pittoresque en bordure du Hallstätter Sée.

Cette magnifique région est délimitée par un triangle formé par les villes de Salzbourg, Graz et Vienne. Coincée entre les montagnes du Salzkammergut, du Dachstein et les Préalpes de Haute-Autriche, dont le mont Traunstein, à l’est, culmine à 1691 m, elle comprend de nombreux lacs glaciaires. La région est sublime. Elle est propice aux sports nautiques, à la baignade, à la randonnée, au cyclisme, à la spéléologie et au golf, ce qui en fait une attraction touristique majeure en Autriche. Les routes de rêve qui la traversent sont un régal pour les motocyclistes. On a l’impression de rouler au rythme d’une valse viennoise, passant d’un virage à l’autre dans un mouvement gracieux et naturel. On contrôle sa vitesse d’une simple rotation de l’accélérateur, en jouant du sélecteur de vitesses, sans presque toucher aux freins, puis on se laisse bercer par cette danse lascive pendant des dizaines de kilomètres sans jamais se lasser.

L’arrivée sur Vienne se fait par une autoroute bondée qui traverse la ville du sud au nord. Nous y parvenons en fin d’après-midi. Notre hôtel est situé près du Prater, un immense parc d’attractions similaire à celui de La Ronde de Montréal. Malgré son standing élevé, notre hôtel jouxte le quartier chaud de Vienne où les maisons sont closes et les lanternes rouges. Là encore, nous sommes trop fatigués par la balade de la journée pour visiter Vienne, ce qui nécessiterait quelques journées de temps libre dont nous ne disposons pas. Nous nous contentons d’une balade à pied, jusqu’au Prater et d’un repas traditionnel à la terrasse d’un petit resto typique.

Brno, République tchèque

Vue panoramique de Brno, République tchèque

Au-delà du rideau de fer

Au petit matin, nous prenons la route en direction de Brno, en République tchèque. Environ 135 km nous séparent de notre destination. Les 80 premiers kilomètres sont effectués sur une autoroute à voies multiples, puis, au fur et à mesure que nous approchons de la République tchèque, celle-ci se transforme en route de campagne à deux voies. Puis nous arrivons au poste-frontière de Mikulov où se dressait auparavant le fameux « rideau de fer » cher à Churchill. Un rideau purement virtuel, symbolique, puisque constitué de rangées de fils barbelés marquant le passage de l’ouest à l’est, du capitalisme au communisme, de la liberté au totalitarisme… Des bâtiments désaffectés, vestiges de l’ère soviétique, montrent encore leur triste figure et rappellent des souvenirs douloureux.

Depuis notre départ, le paysage change tranquillement. On arrive maintenant dans une plaine verdoyante, légèrement vallonnée. Les villes que l’on rencontre détonnent avec leurs voisines autrichiennes. Elles sont grises, monotones et peu attirantes. Comme dans le souvenir que j’avais gardé de la Tchécoslovaquie communiste de l’ère préGlasnost. Au début des années 70, j’avais en effet effectué un voyage d’une semaine à Prague, dans le cadre d’un échange culturel France/Tchécoslovaquie. J’avais une quinzaine d’années. Le déplacement en bus avait été interminable. Alors que  j’avais trouvé la campagne tchèque triste et inhospitalière, j’étais tombé sous le charme de Prague, une ville magnifique qui m’avait littéralement conquis. Une ville à l’architecture variée empruntant à différents styles (préroman, roman, gothique, baroque, rococo, Art nouveau, cubiste) et dont le centre-ville historique, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, est une pure merveille.

Barcelo Brno Palace

Hall du magnifique Barcelo Brno Palace Hotel, à Brno.

Puis, nous arrivons enfin à Brno. Et là, je ressens un choc émotionnel identique à celui que m’avait donné Prague dans ma jeunesse. La ville est superbe. La capitale de la Moravie, deuxième plus grande ville de la République tchèque, est un authentique ravissement. Elle mélange culture, arts, histoire, douceur de vivre et témoigne du riche passé de la Moravie.

La Cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, juchée sur la colline Petrov, domine la vieille ville. Elle est construite sur l’emplacement d’un ancien château fort et est visible de très loin, sorte de phare terrestre qui guide les voyageurs égarés. À quelques encablures de la cathédrale, on trouve la forteresse du Spielberg qui elle aussi surplombe la ville. C’est une ancienne prison d’État célèbre pour ses cachots. La Gestapo a investi la forteresse pendant la Seconde Guerre mondiale pour en faire un centre de torture. Ce lieu de sinistre mémoire abrite aujourd’hui une exposition sur l’histoire de la ville ainsi que le musée municipal.

L’hôtel où nous logerons pour les prochains jours est le Barcelo Brno Palace Hotel. Il s’agit d’un établissement luxueux, au standing raffiné, situé non loin de ces deux monuments célèbres, à l’entrée du centre-ville historique. Pour la première fois de notre périple, nous allons passer plusieurs jours au même endroit, ce qui va nous permettre de visiter cette cité magnifique qui ressemble plus à une ville de la Côte d’Azur qu’à une métropole de l’Europe de l’Est. Les jolies filles y sont aussi nombreuses que les voitures de luxe — Audi, BMW, Mercedes, Lamborghini, Ferrari et autres Hummer — qui pullulent et témoignent du dynamisme économique de cette ville dont la proximité avec l’Autriche et l’Allemagne constitue un atout de taille. Sans oublier les bons restaurants qui sont légion et peu chers comparativement à ceux qu’on trouve en France ou en Italie.

Circuit de Brno

Circuit de Brno, République tchèque

Des pistes et des hommes

Si nous sommes venus en République tchèque, c’est avant tout pour prendre part à un roulage VIP au circuit de Brno. Personnellement, ça fait des lustres que je veux découvrir cette piste de Grand Prix qui me fait rêver. L’occasion fait le larron!

Là, nous retrouvons toute l’équipe de First-on-track, à savoir Ludo et Yvan, les deux propriétaires, Vatea, le chef mécanicien et Kiki, le conducteur du semi-remorque de l’équipe et assistant-mécano. Il y a aussi quatre clients VIP réguliers, Pascal accompagné de sa femme Audrey, ainsi que Xavier, Jean-Marc et Tristan dont j’avais fait la connaissance plus tôt en saison, à Barcelone. L’occasion de retrouvailles chaleureuses.

Perdu en pleine forêt, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Brno, le circuit est magnifique, quoiqu’un peu vétuste. Inaugurée en 1987, cette piste de 5,4 km compte 14 virages (8 à droite et 6 à gauche). Large de 15 m, elle comporte cinq lignes droites, dont une longue de 636 m en avant des paddocks, mais surtout cinq pif-pafs très techniques. Le tracé est large, difficile et rapide à la fois, et il comporte de nombreux dénivelés. Dès la première séance, je m’y sens à l’aise, à défaut d’en maîtriser toutes les subtilités. Sortie après sortie, j’améliore mes trajectoires et mes chronos et je prends confiance en moi. Brno est exactement le genre de tracé que j’adore, tout comme ceux de Portimao — mon préféré jusqu’à aujourd’hui —, de Catalunya ou de Phillip Island. Patrick, qui découvrait les tracés à l’Européenne et n’avait pas roulé sur circuit de la saison, mit un peu de temps à s’acclimater, mais il a fini par trouver ses marques.

Didier en action à Brno

Didier pris en flagrant délit de plaisir intense à Brno

Au terme de ces deux jours merveilleux, je me sentais vraiment bien et j’aurais souhaité pouvoir rouler une journée de plus sur cette piste exigeante. Je suis persuadé que j’aurais pu faire tomber les chronos et m’amuser vraiment. Mais voilà, toute chose à une fin et le lendemain nous devions partir pour Pannonia Ring, en Hongrie.

Le trajet pour nous y rendre fut anecdotique. Par souci d’efficacité et de rapidité, mais aussi parce que nous suivions le reste du groupe, nous avons décidé de prendre l’autoroute et les voies rapides le plus possible. Après avoir traversé la Slovaquie à vive allure et affolé les radars locaux, nous arrivons dans le nord-ouest de la Hongrie. Le pays ressemble exactement à la vision que j’en avais. Véritable image d’Épinal des contrées de l’ex-Europe de l’Est. Un territoire à vocation agricole où les traces du communisme sont plus apparentes qu’en République tchèque, par exemple et dont l’essor économique ne semble pas aussi marqué.

Notre destination finale est Sàrvàr, une station thermale située à 70 km au nord du lac Balaton, qui compte environ 15 000 habitants. Elle est localisée à une dizaine de kilomètres du circuit de Pannonia Ring, perdu au milieu de nulle part, sur le territoire de la commune d’Ostffyasszonyfa. Pannonia Ring est une piste de club haut de gamme conçue par des motards, pour des motards. Un endroit parfait pour s’amuser entre « Gentlement Racers ». Les installations sont récentes et de qualité. Bien que le Ring n’accueille pas de séries mondiales, comme la F1, le MotoGP ou le SBK, lesquelles s’arrêtent plutôt au Hungaro Ring lors de leur venue en Hongrie, il propose une multitude de services.

Circuit de Pannonia Ring

Circuit de Pannonia Ring, Hongrie

Le tracé de 4,74 km comporte 18 virages (11 droits et 7 gauches) et 5 lignes droites, dont celle des puits, la plus longue, qui mesure 700 m. La largeur de la chaussée varie de 11 à 13 mètres et le revêtement est en bon état. Sans offrir l’expérience de Brno, Pannonia Ring est un beau circuit, du calibre de ceux de Calabogie ou de Mont-Tremblant, les dénivellations en moins. En effet, le circuit est désespérément plat, bordé de gazon et il offre peu de points de repère. À tel point qu’il est difficile à mémoriser. On a l’impression de découvrir les virages à chaque tour.

Malheureusement pour moi, je n’ai pu rouler qu’une seule journée à Pannonia Ring. En effet, lors de notre arrivée à Sàrvàr, ma moto est tombée de sa béquille sur ma jambe gauche, m’amochant le mollet et le genou dans sa chute. Le lendemain matin, pour la première sortie en piste, mon genou était tellement enflé que je n’arrivais pas à fermer le bas de ma combinaison. Et ma jambe ne pliait pas suffisamment pour que je puisse passer les rapports. J’ai donc décidé de jouer les spectateurs et de faire un détour par le centre médical du circuit afin de demander aux infirmiers de jeter un coup d’œil à ma jambe. Ils ne décelèrent ni fracture ni dommage ligamentaire, juste un énorme hématome sur lequel j’ai appliqué de la glace et de la chaleur en alternance en plus de prendre un remède de cheval qui m’a permis d’enfiler le cuir le lendemain. Tant que je roulais, je ne ressentais pas trop la douleur, même en posant le genou sur l’asphalte, mais dès que je descendais de moto, c’était l’enfer. Et les antidouleurs et autres anti-inflammatoires n’y faisaient rien. J’ai néanmoins réussi à m’amuser durant quatre séances, enregistrant au passage un chrono honorable dans les circonstances.

Didier à Pannonia Ring

Didier s’amuse à Pannonia Ring, malgré son genou gauche endommagé.

Forza Italia!

Après avoir passé une dernière soirée chaleureuse avec les amis, il est temps de quitter Sàrvàr et de prendre le chemin du retour. Le lendemain, une grosse journée nous attend, avec près de 900 km à parcourir. Avec une jambe en vrac, dans mon cas. Pour pimenter les choses, à notre réveil il pleut à verse et il fait un froid de canard. Cette température maussade nous suit jusque dans les environs de Graz, en Autriche, où nous arrivons en milieu de matinée. Nous faisons plusieurs arrêts en chemin pour nous dégourdir et enfiler une couche de linge supplémentaire afin de combattre le froid et l’humidité. Puis, le soleil fait enfin son apparition, quelques minutes après que nous ayons franchi la frontière italienne, au nord de Tarvisio. Il est midi et nous en profitons pour nous restaurer. Un plaisir qu’on ne boude pas en Italie!

Il nous reste environ 530 km avant de rejoindre Varèse, au nord de Milan. Nous décidons alors de prendre l’autoroute afin de parvenir à destination avant la tombée de la nuit. Le trajet se fait sans encombre, sous un soleil radieux. Quand nous arrivons à l’hôtel, vers 18 h, la température est magnifique. Une douce chaleur nous enveloppe et nous entendons les grillons chanter dans la nature. En regardant vers le nord, on peut apercevoir les sommets enneigés des Alpes. Majesteux!

MV Agusta, Varèse, Italie

Entrée du siège social de MV Agusta, à Varèse, Italie

Après avoir rangé nos motos au garage et pris une douche réparatrice, nous nous mettons en quête d’un bon resto. La chance est de notre côté et, à moins d’un kilomètre de notre hôtel, nous découvrons une charmante pizzéria où nous passons une super soirée.

Le lendemain matin, après un déjeuner copieux, nous nous rendons à l’usine de MV Agusta, en banlieue de Varèse, pour une visite organisée. Dans ce haut lieu de l’histoire motocycliste italienne et mondiale, nous en prenons plein les mirettes. Entre les motos de course historiques de la marque et les nouvelles F3 et F4, je ne sais plus où donner de la tête. Où que je regarde, je suis submergé par l’histoire et la passion. À la sauce italienne!

Il est à peine onze heures quand nous sortons de l’usine. Nous reprenons alors la route. Direction Briançon, 300 km plus à l’ouest, où nous avons rendez-vous avec un couple d’amis rencontrés sur Facebook.

Briançon, , Hautes-Alpes, France

Briançon, Hautes-Alpes, France

Au Pays d’Alice et de San Francisco

Christophe et Alice, les amis chez qui nous allons passer la soirée étaient jusque-là des connaissances virtuelles. À force d’échanger des messages et des commentaires, nous sommes devenus amis sans ne nous être jamais rencontrés. Pas même sur Skype ou Viber. Tous deux sont des motards passionnés, dans le sens le plus pur que l’on donne au terme, en France. Christophe possède trois motos, une KTM 1190 Adventure R qu’il vient d’acquérir, ainsi qu’une BMW R1200GS récente et une Triumph Sprint dans un était impeccable qu’il essaie de vendre. Alice est quant à elle propriétaire d’une superbe Triumph Street Triple R blanc nacré.

Jusqu’à Turin, nous empruntons l’autoroute pour ensuite suivre la direction de Briançon par une petite route de montagne qui traverse le Val de Suse, surplombé par le sommet du Chaberton et le col de Montcenis, dans la partie occidentale du Piémont italien. Cette voie est tout simplement sublime. Un vrai régal. Elle serpente à flanc de montagne, passant au nord du Parc naturel Orsiera Rocciavrè et au sud du Parc naturel de la Vanoise. Cette région italienne a successivement été rattachée à la France, puis à la Maison de Savoie au cours de son Histoire tumultueuse. La route traverse ensuite la ville d’Exilles et sa forteresse et rejoint Montgenèvre, à la frontière franco-italienne, puis Briançon, autre ville fortifiée par Vauban.

En chemin, nous arrêtons saluer Christophe. Il travaille à Montgenèvre. Lorsque nous arrivons, il est encore au boulot, mais il décide de prendre la fin de l’après-midi pour venir rouler avec nous et nous guider jusque chez lui, à la sortie de Briançon. Quelle balade! Et dire qu’il emprunte ce chemin de rêve tous les jours pour aller bosser, mais aussi les week-ends, pour ses sorties dominicales. Avec de telles routes autour de chez moi, je pense que j’irais au boulot avec le sourire aux lèvres.

Alice et Christophe

Alice et Christophe devant leur «maison bleue»

La maison de Christophe et Alice est une ferme haut-alpine traditionnelle bâtie au-dessus d’une grange à foin dans laquelle le bétail passait l’hiver, autrefois. Elle a été rénovée récemment mais a su garder son charme d’antan. En la voyant et en constatant l’accueil chaleureux de nos hôtes, je ne peux m’empêcher de fredonner « San Francisco », de Maxime Leforestier, en souriant :

  • C’est une maison bleue
  • Adossée à la colline
  • On y vient à pied
  • On ne frappe pas
  • Ceux qui vivent là ont jeté la clé
  • On se retrouve ensemble
  • Après des années de route
  • Et on vient s’asseoir
  • Autour du repas
  • Tout le monde est là
  • À cinq heures du soir.

L’amitié c’est la raison qui me fait parcourir le monde, le carburant de mes périples. Comme je le disais plus haut, chaque voyage est un prétexte pour rencontrer des amis de longue date ou pour en découvrir de nouveaux et partager avec eux un moment d’éternité. Et là, cette rencontre est le meilleur démenti que l’on peut opposer aux sceptiques qui pensent qu’on ne peut pas nouer de véritables amitiés sur les réseaux sociaux. Qu’il s’agit d’un espace essentiellement virtuel et désincarné où les valeurs nobles comme l’amitié et l’entraide n’ont pas cours.

La soirée s’est écoulée en douceur, à discuter de tout et de rien autour d’un bon repas bien arrosé, à faire connaissance avec nos hôtes et à partager nos passions communes et nos aventures. Puis, au milieu de la nuit, brûlés par une longue journée de route et par une soirée des plus agréables, nous finissons par « casser », rompus de fatigue. Dehors, la noirceur a déjà enveloppé les montagnes environnantes et un silence pesant, irréel, règne dans le village. Ma tête touche à peine l’oreiller que je m’endors du sommeil du juste.

Col du Lautaret, Hautes-Alpes, France

Rossinante au Col du Lautaret, Hautes-Alpes

L’amitié en partage

Je ne sais pas si c’est l’humidité qui m’a réveillé ou le bruit des gouttes tombant sur le toit, mais une chose est sûre : dehors, il pleut! Moi qui voulais faire découvrir le Col du Galibier et du Lautaret à Patrick… Ce sera partie remise.

Après avoir pris une bonne douche et un petit-déjeuner copieux, il est temps de quitter nos nouveaux amis, à contrecœur, et de tailler la route. Nous avons près de 700 km de route à faire jusque chez ma sœur et la météo n’annonce rien de très réjouissant. La chaussée est glissante et rend la route habituellement magique extrêmement délicate à négocier. Cette balade qui aurait dû revêtir des allures de Grand Prix des Alpes se transforme en expédition hasardeuse. Dommage!

La pluie nous accompagnera jusqu’à Lyon, puis, au moment où la route devient roulante et rectiligne, le soleil daigne enfin faire son apparition. Le midi, nous faisons une pause au nord de Chalon-sur-Saône afin de nous restaurer et faire sécher nos blousons humides au soleil. Par chance, ils sont étanches et nous sommes au sec, malgré la pluie. Après Beaune, nous retrouvons les routes vallonnées du Morvan autour d’Avallon et de Clamecy sur lesquelles nous pouvons donner libre cours à nos envies de conduite sportive. La température est idéale maintenant et la chaussée parfaite. Nous poursuivons notre chemin par les routes secondaires, jusqu’à Orléans où nous arrivons en milieu d’après-midi. Je retrouve alors ma sœur et mon beau-frère avec un immense plaisir après ces trois semaines d’errance.

Mais ces retrouvailles sont malheureusement le signal du retour à Montréal. Il va falloir nous séparer de nouveau. Chaque fois, j’ai l’impression de laisser un peu de moi-même sur le Vieux Continent. De me diluer. Comme un vin que l’on coupe à l’eau pour le faire durer un peu plus longtemps, même si ce faisant on le dénature et on altère son goût. Alors, je planifie un autre voyage dans le but de récupérer les lambeaux de ma vie éparpillés sur les routes et de me reconstruire. J’enfile à nouveau mon armure rouillée, j’enfourche Rossinante et je repars à la conquête des géants maléfiques. Pas de repos pour les Braves!

Rossinante au Moulin des Béchets

Rossinante au Moulin des Béchets, sur les bords du Loiret à Olivet.

* Liste des pays traversés durant ce voyage : France, Suisse, Allemagne, Autriche, Liechtenstein, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Italie

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6 réponses à “L’Europe à moto”

  1. Marie-Claude Robichaud

    Quel beau reportage,cela donne l’envie d’y être, mais je sentais,d’en faire parti avec toute cette poésie de mots et de senti,ainsi de belles images ajoutées.Je réalise le super voyage que mon fils à fait.

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    • Didier Constant

      Ce fut en effet un voyage extraordinaire Marie-Claude et je suis convaincu que Patrick a adoré son expérience.
      Merci pour les compliments, c’est trop gentil 😉

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  2. Flo

    Didier, tu es fabuleux! Inutile de faire nos valises, nous sommes, grâce à tes magnifiques récits et photos, juste à côté de toi.
    Pour ça et pour tout le reste, MERCI…

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  3. robarm

    Très beau reportage, Les Alpes et son côté nord est surement fabuleux. J’ai eu le bonheur de rouler un peu dans les Alpes Français, une journée en Autriche et particulièrement en Italie et c’est de tout beauté et inoubliable. Dans ton reportage tu parle de certain endroit auquel j’ai passé et ceci me fait remonter de beau souvenir. Je rêve d’y retourner. Merci

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  4. bruno quarré

    Bonjour
    l’année dernière ayant été jusqu’en Lituanie ,en side des année 1966(bmw)serait il possible de connaitre l’itinéraire que vous avez fait, car je cherche un nouveau circuit a faire en juin
    D’avance un grand merci
    Bruno

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