Nostalgie et roulage de mécaniques
Publié le 5 octobre 2017
Les événements de motos classiques se portent bien en France et les Trophées Gérard Jumeaux (TGJ) ne font pas exception à la règle. Au fil des ans, ce meeting décalé est même devenu incontournable, inimitable. Pour la première fois, j’ai eu l’occasion d’y participer. Une sacrée expérience !
Photos © Didier Constant, Jérôme Laumailler, Gilbert Michel et Vincent Ronchegalli
La 24e édition des Trophées Gérard Jumeaux s’est tenue du 15 au 17 septembre, au circuit Carole, à proximité de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Ce rendez-vous annuel qui attire des centaines de motocyclistes et de side-caristes est aujourd’hui une institution qui tient une place à part dans le cœur des amoureux de motos anciennes. C’est une manifestation iconoclaste, anarchique, bordélique, mais lors de laquelle règne une atmosphère bon enfant. Pas question de se prendre au sérieux… sauf quand il s’agit de sécurité en piste.
Un événement incontournable
Créés en 1994 pour rendre hommage à Gérard Jumeaux, joyeux drille et side-cariste émérite des années 60/80 emporté par un cancer, ces Trophées sont orchestrés par l’association Les Amis de Gérard Jumeaux fondée par sa veuve, Anne-Marie. Il s’agit d’une bande de copains et de bénévoles qui se surnomment eux-mêmes les « désorganisateurs ». Pourtant, derrière cette façade chaotique se cache une organisation bien huilée.
Cette année, les TGJ rassemblaient près de 350 motos des années 60 à 90, dont une trentaine d’attelages. D’authentiques motos deux-temps de Grand Prix, de vieilles Anglaises bichonnées, d’anciennes Allemandes coursifiées, des Japonaises des années 80 requinquées, des bitzas improbables et des side-cars prennent la piste — après un passage au contrôle technique obligatoire — répartis dans différentes catégories d’âge et de cylindrée. Si la majorité des pilotes inscrits sont Français, voire Parisiens, on retrouve aussi des Britanniques, des Belges, des Allemands, des Hollandais, des Italiens et même un Canadien (ma pomme).
En fait, tout le gotha de la moto classique à fait le déplacement à Carole pour l’occasion : l’illustre journaliste Jacques Bussillet, dit « Bubu », ancien directeur de Moto Journal et figure emblématique du Continental Circus, Michel Bidault, le rédacteur en chef de Youngtimers, Nicolas Sonina, le promoteur d’Iron Bikers, Gérald Armand, patron de l’écurie Gérald motos, Frank Chatokhine de l’atelier de préparation éponyme, Marco Raymondin, le boss de Brooklands Classic, les dessinateurs Denis Sire et Loïc Faujour, l’aquarelliste Patrice Lemiegre, le side-cariste Joël Enndewell, ancien singe de Gérard Jumeaux et j’en passe.
Une foule d’activités
Du vendredi après-midi au dimanche soir, sept séances de roulage permettaient aux pilotes de se mesurer les uns aux autres en toute camaraderie. De s’arsouiller gentiment dans une ambiance à la « Continental Circus ».
Lors de la pause du midi, le samedi et le dimanche, les centaines de spectateurs agglutinés autour de la ligne droite des stands pouvaient suivre les duels du « Run d’Or », une compétition d’accélération amicale et déjantée.
Une expo mettant à l’honneur la marque anglaise Velocette était également présentée dans le paddock. On y retrouvait des machines exceptionnelles qui ont fait la légende de la marque et ont écrit de belles pages de l’histoire de la moto.
Une atmosphère onirique
« C’est la lutte finale, groupons-nous et demain… » En arrivant au circuit le dimanche matin, je suis témoin d’un épisode surréaliste qui illustre bien l’ambiance anarcho-potache qui règne aux TGJ. Chaque matin à huit heures tapantes, pour réveiller le paddock endormi (la plupart des pilotes couchent au circuit sous des tentes de fortune, dans des caravanes d’époque ou des campers de luxe pour gitans sédentaires), les organisateurs font jouer l’Internationale à tue-tête dans la sono du circuit. Pourtant, Dieu sait que cet hymne communiste n’est plus trop au goût du jour en France (ailleurs non plus).
Alors que le soleil se lève timidement sur le circuit humide, des dizaines de têtes hirsutes émergent des barnums et des abris en quête d’un café, d’une douche chaude ou tout simplement des toilettes alors que la musique continue de vivifier le paddock. Mais là, ce sont Claude François, Michel Delpech ou les Charlots qui ont pris la relève.
Durant la journée, on continue d’être surpris par la foule bigarrée qui hante l’endroit. On y croise des vieux dandys qui se promènent dans des habits improbables — kilt écossais, costume aux couleurs du drapeau anglais —, des rockabillys aux rouflaquettes d’un autre temps arborant fièrement d’authentiques Perfectos élimés couverts d’écussons, de vieux bobos au visage buriné, casquette de titi parisien vissée sur le crâne pour cacher une calvitie installée, ou encore des hipsters à la barbe savamment taillée dans leur chemise de bûcheron et leurs jeans à bord roulé sur des Rangers fraîchement cirés.
Et pendant que ce microcosme s’ébroue, que les motos tournent vaillamment sur la piste, les avions ne cessent de décoller de Roissy, dans une ronde infernale, vaporisant au passage de fines particules de kérosène sur le tracé parisien.
Le samedi soir, le surréalisme atteint son paroxysme avec la soirée de remise des prix. Les officiels qui, cette année, portent tous des kilts — l’an dernier ils étaient déguisés en soldats romains — , remettent des coupes improbables aux participants les plus méritants selon des critères absurdes, loufoques, en lançant des boîtes de sardines, des babioles hétéroclites et autres trophées de pacotille dans la foule qui jubile. Tout ça sur un fond musical qui ferait passer les comices agricoles et les kermesses de villages pour des événements culturels de haut vol.
Et moi, et moi, et moi…
Eh bien, je me demande un peu ce que je fais dans cette galère. En fait, je suis là, car je n’ai pas pu aller au Bol d’or qui se déroule en même temps, faute de budget suffisant pour y courir (ma participation au Bol d’Or classique est remise à 2018). Mais aussi parce que mon ami Gilbert Michel, un des désorganisateurs, m’a gentiment invité a venir rouler avec mon Honda CB125N 1978 Challenge Replica.
En effet, l’association « Les amis du Challenge Honda » dont je suis membre en règle fête ses 40 ans. Et, pour souligner l’occasion, les promoteurs nous ont réservé une section du paddock pompeusement baptisée le « Village Challenge Honda » afin d’abriter la trentaine d’adhérents qui ont fait le déplacement avec leurs monos d’époque restaurés et préparés aux p’tits oignons.
Dans ce saint lieu de la compétition où règne une ambiance amicale et un joyeux bordel, on retrouve l’élite de la vitesse française des années 70/80. De grands pilotes sur de petites machines. Lesquelles tombent souvent en panne, forcément. En fait, quand on se balade dans le village, on s’aperçoit que tout le monde bricole. C’est un passage obligé. Au point où je soupçonne certains de mes confrères de simuler des pannes sur leurs monos pour avoir l’impression de faire partie du groupe. Un refait sa carburation, un autre remplace son allumage, un autre encore explore son circuit électrique à la recherche d’un problème intermittent et un dernier ouvre son moteur bloqué sur l’asphalte pour le réparer à la hâte, avec l’aide de quelques bons samaritains aux dons de mécanos reconnus. Personnellement, depuis l’an dernier, j’ai fait plus de mécanique lors des cinq événements auxquels j’ai participés que durant toute ma vie. C’est vous dire. Et aux TGJ, j’ai loupé deux séances de roulage, une à cause d’un fusible de batterie mal fixé, l’autre d’un carburateur capricieux que Pascal et Joseph (mes mécanos personnels) m’ont aidé à nettoyer et à régler.
Mais cela n’entame en rien la bonne humeur du groupe, au contraire. L’amitié et l’entraide permettent de venir à bout de tous les problèmes — mécaniques ou humains — et on finit tous par se retrouver sur la piste pour se chamailler comme de sales gosses dans une cour d’école. Le soir, tout le monde se retrouve sous le chapiteau de l’association pour une bouffe communautaire durant laquelle on partage moult victuailles et de nombreuses bouteilles de vin et d’alcool fort. Une occasion de se remémorer le bon vieux temps et nos exploits d’antan. À l’époque où on a failli courir en Grand Prix, voire devenir champion du monde. Ou tout simplement faire une vraie carrière de pilote. Car le talent, on l’avait. C’est l’argent qui faisait défaut. C’est pour ça qu’on avait choisi le Challenge Honda pour se lancer en compétition. Parce que ce n’était pas cher et que l’on pouvait faire valoir notre niveau de pilotage, les motos étant toutes de série, donc égales (enfin presque).
Une super expérience
En ce qui me concerne, j’ai adoré ma participation aux TGJ. C’est un événement remarquable, avec une ambiance incroyable et un esprit dont certains promoteurs devraient s’inspirer. Malgré le côté surréaliste de la rencontre, l’organisation est irréprochable et professionnelle, tout en gardant un côté humain et fraternel que j’ai grandement apprécié.
Même la météo, dont les prévisions étaient pourtant pour le moins alarmistes (on nous annonçait de la pluie, de la grêle et des températures polaires), a collaboré avec les « désorganisateurs » pour garantir des séances de roulage sur piste sèche. Le paradis, quoi.
Bravo aux Trophées Gérard Jumeaux et à tous les « désorganisateurs » et bénévoles qui ont réussi à faire de cet événement une manifestation de haut vol dont Gérard serait assurément fier. Longue vie aux TGJ !