De témoin privilégié à participant, 10 ans aux CML
Publié le 9 juin 2016
Depuis ma première visite au circuit de Dijon-Prenois pour couvrir les Coupes Moto Légende (CML), en 2007, je n’ai eu qu’une envie, y prendre part en tant que pilote. C’est maintenant chose faite.
Photos Didier Constant, Yamaha-Racing.com, Warmup, Paty Audebert, Jean-Jacques Boyer, Hélène Ginollin, Photo-Presse, Christine Marandeau et DR
Une édition mémorable
2004, les Coupes Moto Légende s‘installent dans la capitale bourguignonne après 10 ans passés au légendaire circuit de Montlhéry, au sud de Paris. Au fil des ans, elles sont devenues un événement phare de la scène de la moto classique en France. Réservées aux motos d’avant 1989, les CML attirent des spectateurs venus de toute l’Europe, des collectionneurs, des clubs et des amateurs fortunés et passionnés.
Cette année, une foule record de plus de 30 000 visiteurs, selon les estimations des organisateurs, a envahi le circuit de Dijon-Prenois, malgré une météo mitigée. Près de 1 300 motos en démonstration sur la piste, plus de 250 exposants, de nombreuses animations et des expositions : ce grand rassemblement moto affiche son dynamisme et fédère toujours les amateurs de belles mécaniques ; anciennes et Youngtimers dans une ambiance bonne enfant.
Pour les nostalgiques, les CML sont l’occasion de revoir rouler comme à l’époque de leur gloire de nombreux pilotes de Grand Prix, dont quelques champions du monde illustres : Freddie Spencer, Steve Baker, Phil Read, Jim Redman, Carlos Lavado, Pier Paolo Bianchi, Jan de Vries, Jean-Claude Chemarin, Gérard Coudray, Jean-François Baldé, Alain Genoud, Éric Saul et bien d’autres étaient cette année à Dijon, prenant autant de plaisir sur la piste que dans le paddock au contact du public.
Des motos exceptionnelles étaient également en piste, comme la Honda du Team RCB Racing (une réplique à l’identique de celle de l’équipage Léon-Chemarin, magnifique réalisation de sympathiques illuminés qui mériterait à elle seule un article), une Laverda 6 cylindres (pilotée par Piero Laverda), une Midual F1, une BMW S1000RR Project, sans oublier les motos de l’écurie Gérald Motos ni la magnifique exposition de motos françaises de course d’exception, qui, malgré leur rareté, n’ont pas hésité à rouler sur le circuit : Terrot Motorette Culbuté, MGC 250 Jap, Nougier Tournevis 250…
Le samedi soir, une vente aux enchères a permis à de magnifiques motos de trouver de nouveaux propriétaires, fortunés ou non, car il y en avait à tous les prix.
Et comme tous les ans, près de 250 participants aux déguisements farfelus ou historiques se sont fait photographier dans le cadre du Concours de look alors que le Rallye Touristique de Côte-d’Or offrait à 150 motocyclistes sur leurs motos d’époque une balade de 160 km dans la campagne bourguignonne.
Mais une grande nouveauté de cette 24e édition des Coupes Moto Légende, c’est la place faite aux petites cylindrées de 50 à 250 cc réparties en plusieurs catégories (cyclos, scooters, Coupe Motobécane LT3, Challenge Honda) qui s’affrontent sur le circuit de karting jouxtant la piste. Parmi celles-ci, il y avait la série Q, dans laquelle j’étais inscrit, réservée aux motos du Challenge Honda France.
Un quarantième anniversaire dignement fêté
En 2016, le Challenge fête ses 40 ans. Lancé en 1976 par Honda France, cette formule de promotion monomarque a amené de jeunes motocyclistes à la compétition à moindre coût, dans l’intention affirmée de faire émerger des talents. Disputée jusqu’en 1979, elle a permis à des pilotes talentueux dont Jacques Bolle, l’actuel président de la FFM (Fédération française de motocyclisme), Jean-Michel Mattioli, Éric Delcamp, Patrick Igoa, Eric de Seynes, Laurent Fellon ou encore Bruno Vecchioni, pour ne citer que les plus connus, de faire carrière au plus haut niveau.
Le Challenge se disputait sur des Honda CB125 S3 ou N légèrement modifiées. La version « Challenge » se différenciait de la série surtout par son esthétique. Elle arborait un carénage intégral, une selle à dosseret, une paire de guidons bracelets, un jeu de commandes reculées et un pot d’échappement de type mégaphone. Aucune autre modification n’était permise.
Près de 130 pilotes participèrent à la première édition remportée par Jacques Bolle. Durant ses quatre années d’existence, le Challenge a connu une forte popularité, accueillant parfois plusieurs centaines de pilotes lors des qualifications. Le Challenge prit fin au terme de la saison 1979, pour monter en cylindrée (400 cc).
En 2012, une poignée d’ex-pilotes sous la houlette de Philippe Desmet, créaient l’association « Les Amis du Challenge Honda 125 » à laquelle j’ai adhéré l’année suivante. Le but de cette association est de réunir les anciens du Challenge — ceux qui l’ont fait et ceux qui auraient bien aimé — et de remettre en piste les célèbres monos Honda CB125 S3/N en configuration d’époque, avec un budget abordable. Elle compte aujourd’hui 85 adhérents dont près de 50 ont remonté un mono en version coursifiée, certains poussant même le souci de l’authenticité jusqu’à reprendre la décoration de leur machine d’il y a quarante ans, avec les logos de tous les commanditaires (personnels et de la série) qui les soutenaient.
Depuis 4 ans, les Challengistes prennent part à une dizaine de manifestations par saison. Il ne s’agit pas de courses, mais de roulages amicaux, sans enjeu… ou presque. Car pilote un jour, pilote toujours, même passé la cinquantaine une saine compétition anime le groupe. On appellera ça de l’émulation. Les membres de cette bande de joyeux drilles sillonnent la France, tels des manouches, tentant de faire revivre une époque où tous les rêves semblaient accessibles. De retrouver leur jeunesse perdue, le sens de la camaraderie et les sensations que leur apportait la course. Pour certains, il s’agit d’un retour à la source de leur passion. Pour d’autres, d’une résurrection. Pour d’autres encore, d’une planche de salut. Chacun trouvant dans le Challenge ce qu’il y amène.
« Bonne humeur et joyeux bordel »
Cette année, je réalise enfin, en participant aux Coupes Moto Légende, un rêve que je caresse depuis ma première visite à la classique dijonnaise. Je suis dans la série Q, aux commandes de mon Honda CB125 N 1987 ex-Philippe Revert, autre pilote de renom issu du Challenge. Mon pote Pierre est également là, avec son fier destrier, ainsi qu’une quinzaine de membres de l’association.
Depuis septembre dernier, à l’occasion des Coupes Motobécane, à Mer, c’est le quatrième événement auquel je participe avec l’association. Cette année, j’ai pris part à la Sunday Ride Classic au guidon du mono du DdMotoTeam (une vraie fusée préparée par André Talichet) et aux Iron Bikers, une semaine plus tard, sur ma machine personnelle cette fois-ci.
L’organisation nous a réservé un paddock juste pour nous. La plupart des participants sont arrivés en avance, le vendredi soir — c’est notre cas à Pierre et à moi — afin de se garantir un emplacement de choix et de se préparer de façon adéquate. Les caravanes et les camions sont garés en quinconce, comme dans les westerns, afin de nous protéger des attaques des indiens. Dehors, les monos reposent fièrement sur leurs béquilles de course. Ils sont rutilants, pour la plupart. Remontés avec soin et amour par leurs propriétaires (à l’exception d’une ou deux machines dans leur jus), les CB retrouvent une seconde jeunesse et piaffent d’impatience à l’idée d’aller s’arsouiller en piste.
Dans ce campement de cowboys des temps modernes, deux grandes tentes, une orange et une blanche, accrochées aux camions du Président (Philippe) et du trésorier (Patrice) servent à la fois de QG, d’atelier et de cantine. C’est le centre décisionnel. Le lieu de rencontre officiel. Le bureau d’information technique. Fafa et Nath, deux supporters inconditionnelles de notre bande de fous s’y activent comme des abeilles dans une ruche. L’une s’occupe de l’intendance et de la bouffe, l’autre du divertissement. Et chacune sait se rendre indispensable à sa façon.
Tout le monde a amené des victuailles qui sont mises en commun et partagées à l’heure des repas. Et comme on est dans un pays où les gens aiment bien boire, le bar est généreusement fourni. En France, il y a parfois pénurie de carburant, mais rarement de pinard. Et encore moins d’apéritif ou de spiritueux. Ricard, whisky, rhum et bière coulent à flots.
Quelques loups solitaires se tiennent à l’écart de la meute ne la rejoignant qu’à l’heure de l’apéro. Ils ont installé leurs BBQ ou leurs planchas sous leurs auvents, bien à l’abri des éléments et se regroupent entre intimes. Ce qui ne les empêche pas de partager bons moments et informations avec le reste de la bande. Solitaires d’accord, mais solidaires d’abord !
Plusieurs membres venus en spectateurs et quelques sympathisants aident Fafa et Nath à tester les diverses boissons récoltées afin de s’assurer qu’elles ne sont pas empoisonnées et ne nous empêcheront pas de performer au plus haut niveau, l’heure venue.
Le samedi matin, il fait tempête de ciel bleu et le soleil plombe. À 10 h, le thermomètre frôle déjà les 27 degrés. Chacun profite d’un dernier instant de calme pour peaufiner les réglages de son bolide. Dans mon cas, n’ayant pas été en France depuis les Iron Bikers, je n’ai pas pu travailler sur mon mono. Je n’ai même pas changé le braquet. On verra bien comment il se comporte sur le petit circuit de karting (1,1 km de long, huit mètres de large, 12 virages, dont sept à droite). Le CB démarre du premier coup, grâce au lanceur que Joseph et Pascal ont mis au point. Il tourne rond, mais le ralenti est un poil élevé. Je l’ajuste et je prends le reste de la matinée pour m’imprégner de l’ambiance de l’endroit. La première sortie n’est qu’à 13 h. Pas de rush !
Initiation à la mécanique
Arrive enfin la première des trois sorties de la journée. Une fois de plus, le mono s’ébroue sans broncher. Mais les organisateurs nous ont appelés trop tôt en prégrille. Du coup, le moteur de la n° 40 chauffe puis finit par caler au moment de s’élancer en piste. J’ai beau essayer de le démarrer à la poussette, avec l’aide des officiels, rien n’y fait. Il demeure muet. Retour au paddock en poussant le CB. Dans ma combinaison noire, je bous comme dans un sauna. Sous mon heaume, les grandes eaux de Versailles. Mes tempes battent la chamade. Je pourrais presque mesurer mon rythme cardiaque en laissant mes mains sur mes tempes (c’est beau, on dirait du Adamo). La patience n’étant pas mon fort, je balance mon casque dans le camion et j’observe, impuissant, mes copains qui s’amusent comme larrons en foire sur la piste. Trois tours plus tard, j’aperçois Pierre qui s’immobilise en bord de piste. Ça sent la panne. L’ambiance va tourner au vinaigre dans l’abri des Orléanais si ça continue comme ça.
Comme j’ai deux mains gauches et cinq pouces dans chacune d’elles, j’attends le retour de mes collègues avant de me lancer dans une séance intensive de mécanique. Pour ne pas avoir l’air trop nul, j’ai démonté la bougie (elle est noire, signe d’une carburation trop riche et mouillée ce qui laisse supposer que le moteur est noyé). J’ai aussi ôté le réservoir après avoir au préalable vérifié que j’avais de l’essence et que le robinet était bien ouvert, que la bougie était bonne et qu’il y avait une étincelle. Pour le reste, j’avoue que je suis perdu.
Comme j’ai atterri l’avant-veille à Roissy, je n’ai pas eu le temps de préparer mon coffre à outils ni mon kit de survie du parfait challengiste (gicleurs, bougies, pignons, couronnes, pneus, chambre à air). Je suis venu avec ma bite et mon couteau (suisse, quand même, le couteau) et suffisamment de provisions pour me faire accepter par la bande.
Quand mes potes rentrent au paddock et constatent mon air dépité de chien battu, ils me prennent en pitié. Sauf que je ne vais pas bien. J’ai chaud, je sue à grosses gouttes et j’ai horriblement soif. Plusieurs s’inquiètent de ma face de cadavre. C’est alors que je décide de vérifier ma glycémie. Étant diabétique, il se peut que mon taux de sucre soit déréglé avec la chaleur, la fatigue accumulée, le stress et le décalage horaire. Bien sûr, ma trousse est restée à l’hôtel. Par chance, Pascal qui est atteint du même mal me dépanne. Après avoir essayé d’interpréter les données de son glucomètre (il ne fonctionne pas dans les mêmes unités que le mien), je me rends compte que je fais une crise aiguë d’hyperglycémie. Pascal me passe alors une dose d’insuline et me sauve d’une situation périlleuse. Une heure plus tard, après avoir bu des litres d’eau, tout est rentré dans l’ordre. Sauf le mono.
Intervention divine
C’est alors que Joseph, le bon samaritain de la bande vient à ma rescousse. Joseph se nomme Charpentier. Il est ébéniste. Un prénom, un nom et un métier prédestinés, vous en conviendrez. En bon artisan, il est venu équipé. Un coffre à outils bien fourni et assez de pièces de rechange en tout genre pour dépanner tous les bras cassés du groupe. En effet, je ne suis pas le seul, mais je ne dénoncerais personne. On est bien quatre ou cinq dans la même situation. À croire que nos vieux monos ne sont pas fiables, eux que les facteurs et autres coursiers battaient comme plâtre dans le temps, sans qu’ils ne tombassent jamais en panne. Je me rends compte aussi à cette occasion que je ne suis pas le seul à ne rien comprendre à la mécanique.
Après avoir abordé le problème de façon logique, en reprenant tout à la source, Joseph et moi parvenons à corriger momentanément le problème. Nous avons mis une bougie neuve, appauvri la carburation en changeant de gicleur et joué avec l’aiguille du carbu. En vérifiant le tuyau d’alimentation d’essence, Joseph s’est aperçu que celui-ci était un poil court et empêchait le starter de redescendre à sa position basse. Ce qui expliquerait la noyade du pauvre mono. On change le tuyau (Joseph en avait un rouleau dans son camion), on pousse et, ô miracle, le mono pétarade. Juste à temps. Je renfile la combinaison et le casque et j’arrive en prégrille pour le départ de ma série. Et là, au moment de m’élancer en piste, le mono étouffe, noyé à nouveau ! Je regarde autour de moi, au cas où je verrais une masse pour en finir avec le CB, mais rien. Vert de rage, je pousse à nouveau le moribond jusqu’au paddock.
Épisode deux. On reprend tout à zéro. On appauvrit encore la carburation toujours trop riche et, par acquit de conscience, Joseph vérifie l’état de la batterie. À force de la solliciter, elle est à plat. Pierre qui dans une merde encore plus noire que moi me passe sa batterie pendant que je mets la mienne en charge. Je remonte le tout et, cette fois-ci, je peux prendre le départ de la troisième série.
Un tracé sympa
Si plusieurs de mes collègues se plaignent de la piste et la trouvent glissante, je m’y adapte bien, mais sans pouvoir adopter un rythme très rapide lors de cette première séance. J’aime le tracé, ses courbes serrées, ses enfilades, mais je ne parviens pas encore à assimiler le mode d’emploi du mono. Je freine trop et trop tôt et je ne trouve pas ma position sur la moto. Néanmoins, ça fait plaisir de rouler avec les potes. J’ai alors une pensée pour Pierre qui est encore en panne — il le restera tout le week-end — et sans qui je ne roulerais pas. À la fin de la séance, je rentre au campement, ravi d’avoir résolu mon problème. Je m’habille en civil, j’enfile mes sandales et je vais prendre l’apéro avec les potes, avant de passer à table. Car, comme dans les histoires d’Astérix, les nôtres aussi se terminent autour d’un bon repas. On a même un barde, mais il était absent à Dijon.
Le dimanche matin, j’arrive à la piste à la dernière minute. Le temps est couvert et la météo annonce de la pluie. En m’habillant, je me demande si le mono va encore me jouer des tours. Mais tout se passe sans anicroche. Cette deuxième séance de roulage (pour moi, la quatrième pour les autres) se déroule comme un charme. La température est fraîche, mais les pneus collent bien et la moto marche parfaitement. Petit à petit, je prends confiance et je m’habitue à la puissance démoniaque de mon bolide. Je freine le moins possible et j’essaie de garder une bonne vitesse de passage en courbe. Et ça marche. Je parviens même à doubler quelques concurrents. C’est bon pour l’ego, même si on n’est pas en course.
La dernière session se passe elle aussi merveilleusement bien, ce qui me fait encore plus regretter d’avoir manqué les deux premières, la veille. Et la pluie à la décence d’attendre que nous ayons fini avant de se déchaîner sur la région. Après avoir rangé le camion et avalé une bouchée, Pierre et moi saluons les amis du Challenge. En espérant les revoir tous bientôt. Dans mon cas, je devrais attendre en septembre, même si j’aimerais être avec eux lors des prochaines sorties. Nous formons une fine équipe et c’est génial de se retrouver ainsi, la cinquantaine bien tassée, mais le cœur jeune, comme à l’époque de notre adulescence. On ne vieillit vraiment que si l’on abandonne ses rêves, que si l’on renie sa passion. Sinon, on reste des enfants dans des corps de vieux. Ce qui pose parfois certains problèmes…
Galerie CML
Galerie Challenge Honda France
Vidéoclip
1ère série Q 125 Honda Challenge par Joël GUILET