La GECOlogie ou l'art de réinventer la moto
Publié le 9 décembre 2013
Au Salon de Paris, l’association ProGECO Moto a dévoilé le GECO*, un prototype de moto révolutionnaire imaginé par l’ingénieur français Eric Offenstadt dont l’objectif ambitieux est de redéfinir la conception des motos modernes.
Texte: Didier Constant — Photos: Didier Constant et Gilbert Michel
Les motos actuelles sont réalisées de façon empirique, selon un principe d’amélioration continue pas-à-pas, fait d’essais et d’erreurs. Partant de ce constat, Offenstadt et son équipe, à laquelle collaborent 24 élèves ingénieurs de l’Université de Montpellier, en France, qui ont l’homocinétique pour sujet d’étude, tente d’appliquer à la moto les méthodes de conception développées dans l’industrie automobile, et plus particulièrement en F1, depuis plus de 50 ans. Des méthodes basées sur le calcul et sur l’application des lois de la physique. «En moto, nous n’avons pas accès à des logiciels de conception spécifiques pour le calcul du grip mécanique où de la cinématique des suspensions, comme ceux existant en auto,» explique Eric. «C’est ce qui rend notre travail plus difficile.» Pour parvenir à ses fins, il s’appuie donc sur la fonction homocinétique et sur une méthode de développement basée sur une méthodologie dite de la «spécification fonctionnelle».
Mais qu’est-ce que l’homocinétique?
L’homocinétique n’est pas un stade intermédiaire de l’évolution de l’homme se situant entre l’Homo erectus et l’Homo sapiens. En fait, dans le mot, on retrouve le préfixe «homo», signifiant «semblable, identique, pareil» et le mot «cinétique» venant du grec «kinêtikos» signifiant littéralement «qui met en mouvement». Mais voyons plutôt la définition qu’en donne Le Petit Robert :
— homocinétique, adjectif
- mécanique: Liaison homocinétique qui assure une transmission régulière des vitesses entre deux arbres non alignés.
- physique: De même vitesse. Particules homocinétiques
Ça vous éclaire? Non? Sans rentrer dans des explications complexes, je vais néanmoins essayer de vous montrer en quoi le GECO est révolutionnaire (un gros mot que je n’aime pas tellement utiliser tellement il a été galvaudé, surtout dans la moto).
Pour bien comprendre ce projet, il faut faire un peu d’histoire et rappeler qui est Eric Offenstadt. Dire qu’il s’agit d’un personnage hors norme est un cliché. Celui que l’on surnomme affectueusement «Pépé» ou «Le Sorcier», est un homme parfois controversé, souvent adulé, qu’il est difficile de cerner. Rigoureux, il poursuit une quête depuis des décennies, soit concevoir une moto selon des méthodes scientifiques.
Aujourd’hui âgé de 73 ans (il aura 74 ans le 26 décembre prochain), Eric a été pilote de moto, au début des années 60. Il a terminé vice-champion de France 500, sur une Norton Dominator, derrière le légendaire Georges Monneret et a remporté un titre national (champion 175 cc en 1961, sur Aermacchi). Après un passage à l’automobile de 1963 à 1970, durant lequel il côtoiera les meilleurs pilotes de l’époque — Jim Clark, Jackie Stewart, Jean-Pierre Beltoise, Jean-Pierre Jaussaud, Peter Arundell, avec lesquels il fera souvent jeu égal — il revient à la moto en 1970 et se distingue en endurance et en Grand Prix.
En 1972, il devient concessionnaire Honda/Kawasaki et fonde la SMAC, une société de fabrication de pièces motos. C’est à cette époque qu’il conçoit des cadres monocoques en aluminium, des disques de frein en aluminium coulé recouvert de tungstène, des jantes en magnésium, une fourche inversée innovante et divers autres systèmes de suspensions révolutionnaires (HO 500 et moto BUT de GP) qu’il est le premier à utiliser avant que ces technologies soient reprises, plus tard, par les grands constructeurs. Embauché en 1975 par Motobécane pour développer le bicylindre 125 de la LT3 de route, il participe à sa mutation en moto de GP. Par la suite, il œuvrera pour Aprilia et White Powers, compagnies pour lesquelles il travaille dans le domaine des cinématiques de suspension.
En plus d’être passionné de moto et d’auto, Eric est féru de mécanique. Il cite fréquemment la phrase célèbre de son mentor, Adrian Newey : «Avoir une grande idée en soi, ne sert à rien si elle ne passe pas les tests rigoureux de la Physique», laquelle résume parfaitement son travail récent, notamment avec le projet GECO. L’ingénieur britannique, actuel directeur technique de l’écurie Red Bull Racing Formula One, s’est rendu célèbre en travaillant sur les March Leyton House, les McLaren et les Williams de F1. Il est considéré comme un des meilleurs designers et ingénieurs automobiles de son époque. Durant ses années en automobile, Eric a également cotoyé l’ingénieur britannique Colin Chapman, le fondateur de l’écurie Lotus et l’un des précurseurs de l’aérodynamisme en F1 (c’est à lui qu’on doit les premières F1 à effet de sol).
La naissance du projet GECO
Né en 2011, le projet GECO est le prolongement des travaux que «Pépé» a menés pendant des années. La synthèse d’une vie d’expériences et de recherches incessantes. Son but, cette fois-ci, est de mettre au point une moto qui serait conforme au phénomène homocinétique qu’il a découvert auprès d’Andy Scott, le responsable technique des boîtes de vitesses de F1 chez Hewland Engineering Limited. Un principe qui est également appliqué sur les cardans des voitures à traction avant, depuis de longues années. Il vérifie l’influence de ce principe sur les motos en 1995, alors qu’il travaille pour Aprilia à l’élaboration d’une suspension avant à double bras tirés.
Il créé alors la seule méthode de calcul existante à ce jour des réactions longitudinales d’une moto. Cette méthode prend en compte les éléments suivants: plongée, anti-plongée, grip homocinétique au freinage sur l’angle, squat (affaissement de l’arrière de la moto à l’accélération), anti-squat et motricité. Selon ce principe, «tout moment de force exercé sur le centre de gravité d’une moto n’a qu’un seul moteur (une seule source) : celle déterminée par les mouvements antagonistes des masses de la moto et celles de la planète (accélérations parasites du pneu à sa liaison au sol)».
Bon, là je sens que je vous perds — pour être franc, je suis moi-même un peu largué —, mais résumons en disant que «Pépé» travaille à réaliser une moto dont les éléments de liaison au sol — en l’occurrence, les pneus — évoluent en permanence à la même vitesse, quels que soient les mouvements de suspension.
Le GECO est une moto destinée à la course. Elle devrait être testée en endurance, une fois que les essais sur piste auront été complétés et qu’ils auront permis de valider les solutions techniques retenues. Le GECO est reconnaissable à sa suspension avant à roue tirée, à son magnifique cadre treillis en aluminium relié à de massives platines latérales, également en alu, et à son bras oscillant tubulaire, de forme triangulaire. Grâce à ses trois amortisseurs localisés au centre de la moto (un pour l’avant, un pour le centre, un pour l’arrière), le GECO conserve une assiette constante, même au freinage. De plus la moto bénéficie d’une traction optimale grâce à un contact au sol permanent, ce qui lui permettrait de tirer profit de l’adhérence supérieure des pneus modernes. Ainsi, elle freinerait 30% plus fort que les motos de courses actuelles, accélèrerait 30% plus tôt et réduirait l’usure des pneus de 40%. Des gains considérables en compétition. Et sur route également…
Propulsée par un moteur de Yamaha R1, le GECO ne pèserait pas plus qu’une moto de Superbike. Il bénéficierait donc d’un rapport puissance/poids intéressant. Cependant, la boîte de vitesse de la R1 n’étant pas homocinétique, Eric à opté pour une double transmission par chaîne, une à gauche qui relie le pignon de sortie de boîte à une grosse couronne, laquelle entraîne un pignon de renvoi de chaîne, du côté droit, par l’intermédiaire d’un arbre transversal (cross-over shaft). La seconde chaîne entraîne la roue, assurant ainsi la fonction homocinétique arrière. Le frein est localisé sur l’arbre, ce qui permet de réduire le poids non suspendu de la roue arrière tout en centralisant les masses.
Un projet mutualiste très original
Cependant, passer de la théorie à la pratique est compliqué et onéreux quand on est un concepteur indépendant. Sans l’intervention de plusieurs disciples de «Pépé» croyant fermement au projet, celui-ci n’aurait certainement jamais vu le jour. En effet, ces «fidèles» ont tout d’abord créé un groupe Facebook, nommé de façon provocatrice «Une moto française en MotoGP…???», puis une association sans but lucratif, l’association Progeco Moto, forte de plusieurs centaines de membres, laquelle a commencé à recueillir des fonds pour concevoir et construire le prototype, mais aussi pour réaliser les essais sur piste avant d’engager la moto en compétition. En plus des 400 cotisants — motards lambda et sympathisants de tous horizons qui ont généreusement versé des dons à Progeco Moto (plus de 20000 € sur les 35000 € amassés avant le salon) —, quelques entreprises du milieu ont fourni des commandites, accordé des soutiens techniques ou donné des équipements. Ainsi, des dizaines de partenaires dont Yamaha, Michelin, Motul, Peugeot Sport, Beringer, les suspensions Soben et la Mutuelle des motards, pour ne citer que les principaux, sont devenus partie prenante du projet. Et d’autres devraient se joindre à l’association si on se fie au succès rencontré par Le GECO au Salon de Paris et à la couverture médiatique dont il a bénéficié.
Le GECO est censé faire ses premiers tours de roue en mars 2014. C’est Bruno Vecchioni, ancien pilote français de GP250 qui a été retenu comme pilote d’essai du GECO. Il devrait aider «Pépé» et compagnie à dégrossir les réglages de la machine. Par ailleurs, plusieurs pilotes français de haut niveau ont fait connaitre leur désir de participer au développement du GECO dans les mois à venir… et on les comprend facilement. Car, si la moto livre une partie seulement des promesses qu’elle fait, son potentiel pourrait s’avérer énorme. Et les pilotes qui en bénéficieront pourraient alors détenir un avantage déloyal sur leurs concurrents.
La route est encore longue pour le GECO. Il faudra d’abord recueillir des dizaines de milliers d’euros afin de poursuivre le développement de la machine et, par la suite, l’engager dans les épreuves phares du Championnat du monde d’endurance, à savoir les 24 Heures du Mans moto et le Bol d’Or, dès 2015, si tout se passe bien. Après, la technologie GECO pourra être adaptée aux motos de route. Mais ça, c’est une autre histoire…
La moto BUT de GP500 créée en 1978 par Eric Offenstadt