Le charme de la démesure
Publié le 26 août 2020
Nous avons profité d’un voyage de plus de 1 500 km dans la Baie Géorgienne et les Hautes-Terres, en Ontario, pour essayer la nouvelle Kawasaki Z H2 en profondeur et voir ce qu’elle avait à offrir.
Photos © Didier Constant et Kawasaki
La nouvelle Kawasaki Z H2 est un hyperroadster au look inédit qui a la particularité d’être propulsé par un quatre cylindres en ligne suralimenté de 998 cc crachant 200 chevaux (plus de 320 dans la H2 R) pour plus de 100 lb-pi de couple. Énorme pour un roadster ! C’est la seule moto de son genre, même si visuellement, elle fait penser à la Z900. Elle se mesure aux Aprilia Tuono V4 1100, Ducati Streefighter V4, KTM Superduke 1290 et Yamaha MT-10.
La beauté est dans les yeux de celui qui regarde
Quand j’ai vu la Z H2 sur le stationnement de Kawasaki, son look m’a désarçonné. J’avais beau m’y attendre — je l’avais déjà croisée lors de différents salons —, là, en chair et en os, elle m’est apparue extravagante, déplacée. Les goûts et les couleurs, c’est personnel et ça ne se discute pas. Et dans le cas de la Z H2 — comme des autres membres de la famille H2 d’ailleurs — je n’accroche pas. Le design Sugomi mis de l’avant par la firme d’Akashi depuis une dizaine d’années ne me séduit pas vraiment. Trop futuriste, trop tourmenté, trop massif. Sans compter la multiplication des assemblages plastiques de qualité moyenne et les éléments apparents qui gâchent la finition. Pour ce qui est des couleurs, j’aime bien en revanche. Le vert du cadre tubulaire et des éléments de décoration est sublime, alors que les motifs gris façon tatouages tribaux, sur le fond noir brillant, apportent une touche originale.
En selle !
Puis, je me suis assis sur la Kawa et j’ai immédiatement compris que la Z H2 et moi, nous aurions une relation difficile. En effet, le réservoir à essence est extrêmement large dans sa partie médiane et on a les genoux qui cognent dessus constamment en plus d’être exagérément écartés, ce qui nuit à l’agrément de conduite et au confort. La selle qui culmine à 830 mm est relativement haute, mais elle est plus confortable qu’elle en a l’air. Un peu ferme, mais convenable, mieux même que sur d’autres roadsters concurrents. En revanche le gabarit de la bête est impressionnant. Elle est large et lourde. Massive !
La position de conduite est neutre — dos droit, buste pas trop penché vers l’avant grâce au large guidon tubulaire relevé, bras modérément écartés — et le triangle selle-guidon-repose-pieds s’avère plutôt bon. Le tableau de bord à large écran TFT couleur est visuellement agréable, quoi qu’un peu chargé et fournit une foule d’informations que l’on peut choisir ou non d’afficher en jouant dans les menus.
Un moteur à sensations
Mais ce n’est qu’une fois qu’on lance le moteur que la Z H2 se révèle vraiment. Quand on lit la fiche technique, on a une petite idée de ce qui nous attend. Les valeurs de puissance et de couple sont phénoménales sur papier, mais à l’usage, c’est de la folie pure. Il suffit de tourner l’accélérateur avec enthousiasme pour se retrouver propulsé dans l’hyperespace en un clin d’œil, comme sur le Faucon Millenium de Han Solo. Souple à bas régime, le gros bloc est rond et doux. Docile même, tant qu’on ne dépasse pas les 7 500 tr/min. Il reprend sans broncher sur les rapports intermédiaires dès 2 000 tr/min. À mi-régime, il est un peu creux, linéaire, mais dès que l’aiguille du compte-tours franchit le cap des 7 500 tr/min, c’est de la folie. Ça pousse fort ! Tournez la poignée des gaz avec autorité et la pression de suralimentation augmente alors rapidement, jusqu’à la zone rouge qui débute à 12 000 tr/min. Soudainement, sans prévenir, vous avez la vue brouillée, le souffle court. Vos bras semblent vouloir s’étirer sans fin. Et la roue avant se déleste comme si la moto voulait décoller. Surprenant et addictif.
Dans le même temps, on remarque la sonorité du compresseur et les bruits mécaniques qu’il émet. Ils sont omniprésents et dérangeants, même s’ils nous rappellent qu’on est au guidon d’une moto différente.
Heureusement, ce moulin diabolique est secondé par un embrayage à limiteur de contre-couple et une boîte de vitesse à six rapports douce et précise, secondé par un quickshifter bidirectionnel qui fonctionne à merveille (au-dessus de 2 5000 tr/min). C’est l’un des meilleurs que j’ai essayés, avec celui de la Kawasaki Ninja 1000SX. C’est sûrement le même si vous voulez mon avis.
L’électronique au pouvoir
Contrôler un monstre de 200 chevaux est impossible sans un arsenal électronique à la hauteur de la tâche. Et celui de la Z H2 est exhaustif et performant. Il est géré par une centrale inertielle Bosch à six axes capable de mesurer la position de la moto sur un plan latéral et longitudinal, mais aussi de détecter des variations sur son axe : l’unité de contrôle électronique intervient discrètement et de façon transparente en cas de situation inhabituelle. Cet arsenal inclut un contrôle de traction réglable (KTRC), un shifter bidirectionnel (KQS), un antipatinage (KTRC), un ABS actif en virage, un mode de contrôle de lancement (KLCM), un système de gestion des virages (KCMF) qui chapeaute le contrôle de traction et l’ABS, quatre modes de conduite (Road, Sport, Rain, Rider) et trois modes de puissance (Full, Middle, Low). Par ailleurs, l’écran TFT couleur propose la connectivité Bluetooth avec les téléphones intelligents grâce à l’application Rideology The App de Kawasaki que l’on peut acheter sur Apple Store ou Google Store.
Partie cycle
Le châssis s’appuie sur un cadre treillis tubulaire en acier, rigide et léger, dans lequel le moteur joue le rôle d’élément structurel. Il est combiné à des suspensions Showa de qualité, qui comprennent une fourche SFF BP (SFF pour Separate Function Forks et BP pour Big Piston), à tubes de 43 mm de diamètre, réglable en tous sens ainsi qu’un monoamortisseur Uni-Trak au gaz, ajustable en précontrainte du ressort et en détente. La monte pneumatique est assurée par des Pirelli Diablo Rosso III, à gomme sportive, qui offrent une traction impeccable.
Pour ce qui est du freinage, il est confié à des éléments Brembo de qualité. À l’avant, on retrouve un double disque de 330 mm pincé par des étriers radiaux M4.32 à 4 pistons. À l’arrière, il s’agit d’un simple disque de 260 mm avec étrier double piston. ABS de série. Ce dernier est sensible et intrusif.
Sur la route
Lors de ce voyage de 1 500 kilomètres en trois jours, nous avons emprunté l’autoroute pour sortir de Toronto, des routes sinueuses au revêtement impeccable dans la Baie Géorgienne et dans les Hautes-Terres, des routes secondaires bosselées au Québec et des voies urbaines. Un éventail très représentatif des conditions qu’un motocycliste québécois qui se balade un peu va rencontrer.
Sur les voies rapides, la Z H2 aime se dégourdir les jambes et laisse son fabuleux moteur s’exprimer sans retenue. Il faut cependant surveiller le compteur tant la vitesse grimpe vite, à notre insu. En ligne droite, l’accélération est fulgurante et addictive. On se croirait au guidon d’un dragster. La protection offerte par la diminutive casquette de phare limite nos ardeurs. En effet, au-delà de 130 km/h, la pression de l’air sur le haut du corps, et plus particulièrement le cou et la tête, est intolérable. Si on roule vite longtemps, on a rapidement les cervicales en compote. Curieusement, passé un certain cap, on dirait que le flux d’air se stabilise et que la pression diminue. À moins que ce soit notre cou qui s’ankylose…
Si la protection est moyenne, le confort de suspension sur autoroute est adéquat. Elles sont un peu sèches, mais étant donné la qualité du revêtement, on n’en souffre pas vraiment. À l’inverse, la selle impose des pauses répétées pour que le pilote puisse se soulager les fessiers. Le pilote ne bougeant pas beaucoup sur la selle, ça devient vite inconfortable. Heureusement, la consommation élevée (7,2 L/100 km) et l’autonomie moyenne (265 km) nous obligent à arrêter aux deux heures environ.
Pour ce qui est des aptitudes au tourisme de la Z H2, disons qu’elles sont limitées. Comme sur beaucoup de roadsters d’ailleurs. Peu adaptée au duo, elle pèche aussi par l’absence d’aspects pratiques, comme des points d’ancrage pour fixer des bagages sur la selle passager. En revanche, on apprécie le régulateur de vitesse électronique de série, en mode tourisme. Parfait pour se reposer le poignet droit. Pour ceux qui se poseraient la question, les poignées chauffantes et la prise d’alimentation USB sont proposées en option seulement.
Sur les routes secondaires et sinueuses du nord de l’Ontario, la Kawasaki se pilote avec facilité et fait preuve d’une bonne maniabilité combinée à une stabilité surprenante. Bien ajustées, les suspensions font du bon boulot et permettent de rouler à un rythme soutenu, d’autant que les Pirelli offrent une motricité exceptionnelle. Dans les épingles et les enchaînements, le poids élevé de la Z H2 se fait sentir. L’avant est un peu lourd et n’inspire pas totalement confiance au pilote qui reste sur ses gardes. La moto est moins vive que la Ninja 1000SX qui n’est pas un poids plume non plus, mais qui affiche une géométrie de direction plus sportive. La Z H2 ne danse pas sur ses suspensions et n’affiche pas de mouvements intempestifs, mais elle élargit un peu la trajectoire en sortie de courbe. Malgré son équilibre global satisfaisant, ce n’est pas une machine faite pour dévorer les canyons de Californie à haute vitesse.
Arrivés au Québec, nous sommes accueillis par la piètre qualité du revêtement qui met à mal les suspensions de la Kawasaki. La fourche bouge au passage des bosses, surtout à l’accélération, tandis que l’amortisseur arrière vous fait ressentir tous les défauts de la chaussée. Et vous donne des coups dans le bas du dos et dans la colonne. Dans ces conditions, il convient de ne pas trop ouvrir en grand au risque de voir la Z H2 partir en guidonnage.
En ville, le roadster surcomprimé se fraye un chemin sans difficulté dans la circulation, mais il est handicapé par son gabarit et son rayon de braquage important. Faire des demi-tours demande du doigté et de l’espace. Même chose pour les manœuvres à basse vitesse. La souplesse et le couple importants du moteur lui permettent de s’extraire du trafic d’un simple coup de poignet.
Conclusion
La Kawasaki Z H2 est un roadster extrême unique en son genre qui fait dans la démesure, tant au niveau de son moteur suralimenté qui développe 200 ch que de son poids qui frôle les 240 kg en ordre de marche. C’est beaucoup. Surtout pour un roadster. Trop pour rivaliser avec les autres hyperroadsters du marché. Et je ne parle même pas de son look qui est loin de faire l’unanimité. Certains adorent, d’autres détestent, mais personne ne reste indifférent à la plastique de la Kawasaki.
Ceci dit, la Z H2 est une routière agréable à piloter dans le genre d’excursion à laquelle on l’a soumise. Bien qu’elle se sente à l’étroit sur notre réseau routier où son moteur ne peut s’exprimer à la hauteur de son potentiel. C’est en ligne droite, à l’accélération, qu’elle brille vraiment.
De là à dire qu’elle n’est pas vraiment à sa place sur nos routes, il n’y a qu’un pas que je ne franchirais pas. Car, elle sait faire preuve de retenue et de docilité quand les conditions l’imposent. Le reste du temps, elle fait un pied de nez aux bonnes manières et à la rectitude politique. Rien que pour ça, elle mérite d’exister.
FICHE TECHNIQUE
INFORMATIONS GÉNÉRALES
- Poids tous pleins faits : 239 kg
- Hauteur de selle : 830 mm
- Capacité essence : 19 litres
- Consommation : 7,2 L/100 km
- Autonomie : 265 km
- Durée de l’essai : 1548 km
- Prix : 19 599 $ à 20 199 $
MOTEUR
- Moteur : quatre cylindres en ligne suralimenté, 4-temps, refroidi au liquide, DACT, 4 soupapes par cylindre
- Puissance : 200 ch à 11 000 tr/min
- Couple : 101 lb-pi à 8 500 tr/min
- Cylindrée : 998 cc
- Alésage x course : 76 x 55 mm
- Rapport volumétrique : 11,2:1
- Alimentation : injection électronique, 4 corps à papillon de 40 mm avec accélérateur Ride-by-Wire
- Transmission : 6 rapports, quickshifter bidirectionnel (KQS)
- Entraînement : par chaîne
PARTIE CYCLE
- Suspension : fourche inversée Showa SFF-BP, poteaux de 43 mm de Ø, ajustable en compression, précontrainte du ressort et en détente ; monoamortisseur Uni-Trak Showa au gaz, ajustable en précontrainte du ressort et en détente
- Empattement : 1 455 mm
- Chasse/Déport : 24,9°/104 mm
- Freins :
AV : double disque Brembo de 330 mm pincé par des étriers radiaux Brembo M4.32 à 4 pistons
AR : monodisque de 260 mm avec étrier double piston. ABS de série. - Pirelli Diablo Rosso III
120/70 ZR17 à l’avant
190/55 ZR17 à l’arrière
VERDICT RAPIDE
ON A AIMÉ
- La puissance phénoménale du quatre cylindres suralimenté
- La facilité de conduite pour son gabarit
- L’équipement
ON A MOINS AIMÉ
- La largeur excessive du réservoir
- Le look
- Le poids
- La sonorité de la turbine
- La consommation élevée
Équipement du pilote
- Casque Arai Corsair-X Rea Replica
- Blouson Dainese Airfast Estivo
- Bottes Alpinestars Air Plus V2 Gore-Tex XCR
- Gants Five SF1