Saudade suédoise !
Publié le 12 avril 2019
Notre collègue Costa Mouzouris s’est rendu à Lisbonne, au Portugal, pour prendre part au lancement de presse mondial de la Svartpilen 701. Et bien qu’il fut de prime abord insensible aux charmes de la belle Suédoise, il a fini par s’y faire. Au point de l’aimer !
Par Costa Mouzouris — Tradaptation : Didier Constant — Photos : © Husqvarna
En portugais, saudade est un mot — intraduisible en français — qui exprime un sentiment complexe où se mêlent mélancolie, nostalgie et espoir. Pour le poète lusitanien Luis de Camoes, la saudade est « un bonheur hors du monde ». C’est l’âme du fado, cette complainte traditionnelle portugaise popularisée par la diva Amalia Rodrigues. Ou, comme le dit encore Fernando Pessoa, « la saudade est la poésie du fado ! »
En lisant le texte original de Costa, c’est la première image qui a frappé mon esprit. Celle qui m’a accompagné tout au long de la traduction du texte. Au point où j’entendais le chant triste d’une guitare sèche en bruit de fond. Mais, laissons la parole à Costa. — Didier Constant
Je n’aime pas l’expression « Vous allez finir par vous y faire ! » que l’on vous serine ad nauseam pour vous convaincre d’apprécier une chose contre votre gré. Même si la foule est unanime, au nom de quel principe devrait-on se rallier à la majorité ? Surtout quand on est un journaliste à qui on demande d’exprimer son ressenti et ses impressions. Dans toute leur diversité et toute leur acuité.
Lorsque j’ai vu les premières photos de la Husqvarna Svartpilen 701, je n’étais pas vraiment fan de son style. Mais là, en personne, je dois avouer que son design audacieux me parle plus. En trois dimensions, il est vraiment réussi. En prime, la Svartpilen offre d’excellentes performances. Ce qui ne gâche rien.
En suédois, Svartpilen se traduirait par « flèche noire ». Maintenant, vous savez.
Vous devez également savoir que sous sa carrosserie audacieuse — qui évoque un rat bike tout droit sorti de Mad Max — se cache une KTM 690 Duke modifiée. Ce qui est de très bon augure.
À moins que vous ne vous terriez dans un bunker inexpugnable depuis le passage à l’an 2000, vous avez sûrement appris que KTM avait acquis Husqvarna Motorcycles en 2013. Cette acquisition a abouti à la création de plusieurs motos austro-suédoises à vocation routière, dont cette récente Svartpilen.
Smart ass ou Svart Svan * ?
Le monocylindre KTM de 692 cm3 refroidi au liquide qui propulse la Svartpilen est le plus puissant jamais produit en série. Il revendique 75 chevaux pour un couple de 53 lb-pi. Soit à peu près la même puissance que celle d’une Suzuki SV650 à bicylindre en V. Le moteur est doté de deux contre-balanciers : le premier annihile les vibrations du vilebrequin et l’autre, logé dans la culasse, est là pour éviter que les soupapes s’affolent.
Bien que le cadre et le bras oscillant soient identiques à ceux de la KTM 690 Duke, les autres composants du châssis sont inédits. Contrairement aux suspensions WP de la Duke, qui ne sont réglables qu’en précontrainte, à l’arrière, la Svartpilen est équipée d’éléments WP haut de gamme ; la fourche inversée de 43 mm et le monoamortisseur sont réglables en compression et en détente, l’amortissement bénéficiant également d’un ajustement de la précontrainte du ressort. Le débattement des suspensions de la Svartpilen est également supérieur de 15 mm à celui de la Duke et s’établit à 150 mm, à l’avant comme à l’arrière.
Parmi les autres changements apportés au châssis, on note une position de conduite plus relevée que celle de la Vitpilen 701 (flèche blanche, pour ceux qui suivent…). Une roue avant de 18 pouces prend la place de la jante de 17 pouces que l’on retrouve sur la Vitpilen et la Duke. La géométrie du châssis de la Svartpilen est identique à celle de la Vitpilen, mais la position de conduite qu’elle offre est moins spartiate, moins radicale.
La Svartpilen est plutôt svelte, faisant osciller la balance à 158,5 kg à sec, soit environ 164 kg en ordre de marche. Le contrôle de traction est standard sur la Svartpilen, alors qu’il faisait partie d’un ensemble d’options sur la Duke. Elle dispose également d’un quickshifter de série qui ne fonctionne qu’à la montée des rapports. L’ABS est également de série et, comme le contrôle de traction, il peut être désactivé.
Au guidon du vilain petit canard
Je dois admettre que les lancements de presse les plus passionnants auxquels j’ai assisté sont ceux lors desquels le guide embauché par la marque pilote comme s’il essayait de s’échapper du groupe dont il a la charge. Ce qui était le cas lors de ce lancement.
Notre ouvreur était originaire de la région qu’il connait comme le fond de sa poche. Après être sorti du stationnement et avoir sagement attendu à un feu de signalisation, il a décollé entre les files de voitures comme s’il venait de cambrioler un dépanneur. Il zigzaguait entre les voies à une vitesse hallucinante. Je veux bien que ce soit la norme en Europe, mais là, ça frisait la folie !
Cette séance de slalom extrême entre les voitures a au moins eu le mérite de mettre en valeur la maniabilité et l’agilité bluffantes du châssis étroit de la Husqvarna, ainsi que le pep incroyable du monocylindre et son couple abondant. La boîte à six vitesses est super douce, et j’ai utilisé l’embrayage en ville, principalement, car il permettait des changements de rapports plus doux. L’utilisation du quickshifter augmentait l’effort au sélecteur, mais, sur les routes secondaires il accroissait le facteur « fun ».
Une fois sur l’autoroute, les vitesses ont augmenté et la Svartpilen s’est propulsée à 160 km/h sans effort (au Portugal, la vitesse légale sur autoroute est de 120 km/h, mais les locaux roulent largement au-dessus de cette limite). Bien que le moteur tourne tout en douceur et atteigne 8 000 tr/min au rupteur, certains bourdonnements se propagent à travers la selle au-delà de 6 000 tr/min tandis que les rétroviseurs s’embrouillent.
Le trajet est devenu intéressant lorsque nous avons emprunté les routes de montagne sinueuses au nord de Cascais. Le guidon large offre une bonne préhension et un effet de levier important apprécié pour négocier les virages les plus serrés, sans cependant induire de flou ou d’hésitation dans les grandes courbes rapides.
Accélérer amplement entre les virages est un pur plaisir sur la Svartpilen qui bondit en avant, quel que soit le rapport sélectionné. En raison de la large plage de puissance du moteur, les changements de vitesse sont pratiquement superflus.
La suspension m’a vraiment impressionné. Habituellement, sur un roadster minimaliste de la trempe de cette Husqvarna, elle est réglée pour un usage sportif, ce qui, tout en garantissant une maniabilité exceptionnelle, affecte le confort du pilote. La Svartpilen affiche une suspension idéalement calibrée, ce qui la rend presque idéale pour les conditions routières que l’on peut rencontrer au Canada.
Lors de cette escapade sportive dans les hauteurs de Lisbonne — la ville aux sept collines —, nous avons emprunté une route étroite et sinueuse, au revêtement endommagé, cahoteux et « patché ». Notre ouvreur a presque perdu le contrôle de sa monture en s’engageant sur cette route, mais il n’a jamais ralenti, alors je l’ai simplement suivi, sans me poser de questions.
À ma grande surprise, les suspensions de la Svartpilen absorbent les bosses sans déstabiliser le châssis et donnent confiance au pilote. La moto semble posée sur un rail ! Une sportive se serait probablement désunie dans ces conditions.
Le seul ajustement de suspension que j’ai fait fut d’augmenter la détente du monoamortisseur qui était trop mou pour mon poids dans son réglage d’origine. Ce qui faisait que la moto se tortillait à haute vitesse. J’avais besoin d’un tournevis plat pour effectuer cet ajustement, mais, bien entendu, personne n’en avait un sous la main. J’ai donc improvisé et utilisé la clé de contact pour parvenir à mes fins. Parfait dans les circonstances ! Une fois réglée adéquatement, la Svartpilen a retrouvé toute sa superbe.
Le seul souci que j’ai éprouvé est venu du tableau de bord. Bien que le compteur cylindrique soit large, sa surface d’affichage est en réalité réduite. De plus, il est placé dans un angle gênant qui rend la vision difficile. Et les boutons caoutchoutés du compteur kilométrique, situés à gauche de l’écran, sont difficiles à utiliser, nécessitant une pression indue.
Puisqu’on est en mode grognon…
Attendez ! Il y a encore un truc qui me turlupine sur la Svartpilen 701. Ce n’est pas la tenue de route, qui est exceptionnelle. Ce n’est pas la puissance du moteur, qui est suffisamment douce pour qu’un débutant se sente à l’aise, mais enthousiasmante à souhait pour satisfaire un expert exigeant. Et ce n’est pas le style non plus — j’ai fini par l’aimer — qui est rafraîchissant, unique et éminemment fonctionnel.
Non ! Ce qui me gène, c’est le prix. La Husqvarna Svartpilen 701 se détaille en effet 13 399 $. Soit 1 900 $ de plus que la KTM 790 Duke, qui est équipée d’un bicylindre parallèle de 799 cm3, refroidi au liquide, développant 103 chevaux. Bien que la KTM 690 Duke ne soit plus au catalogue de la marque autrichienne en 2019, elle se détaillait 9 999 $ l’année dernière, soit 4 000 $ de moins (pour une moto quasiment identique).
Du coup, le prix de la Svartpilen 701 est dur à avaler et ne facilitera certainement pas sa commercialisation. Même si la firme suédoise se veut une marque premium. Mais si vous aimez son style assez pour faire des folies, vous ne serez pas le moins du monde déçu par ses performances.
* Smart ass signifie petit malin en anglais tandis que Svart Svan veut dire cygne noir en suédois