Prise de contact avec les Interceptor 650 et Continental GT 650
Publié le 28 septembre 2018
La compagnie indienne Royal Enfield se lance à la conquête du marché mondial avec deux nouvelles motos classiques à moteur bicylindre. Notre correspondant Costa Mouzouris a eu l’occasion de les essayer autour de Santa Cruz, en Californie.
Rédaction : Costa Mouzouris — Tradaptation : Didier Constant
Photos : Royal Enfield et Costa Mouzouris
Royal Enfield a vu le jour au Royaume-Uni en 1901, la même année qu’Indian et deux ans avant Harley-Davidson. L’usine britannique a fermé ses portes en 1971, mais au milieu des années 50, elle avait accordé une licence exclusive à Madras Motors, constructeur de motos en Inde, pour assembler des machines de marque Enfield pour les forces armées de ce pays. Cette firme est devenue l’actuelle Royal Enfield, une marque maintenant détenue par le fabricant de camions Eicher Motors.
Il y a plusieurs années, Royal Enfield a exporté la Bullet, une moto monocylindre de 500 cc dont le style est directement issu de ses motos ancestrales des années 1940. Malheureusement, la Bullet avait mauvaise réputation en raison de sa fiabilité horrible.
Les ventes de Royal Enfield ont été marginales en dehors de l’Inde, et la compagnie veut se relancer sur le marché international. Elle mise sur ses nouveaux bicylindres parallèles — les Continental GT 650 et Interceptor 650 — pour accroître sa part de marché, y compris en Amérique du Nord. Les deux twins seront construits sur une chaîne de montage dédiée et la société a complètement revu son processus de contrôle de la qualité à l’usine pour améliorer la fiabilité.
Les motos
Si vous avez commencé à vos intéresser à la moto dans les années 1980, le patronyme « Interceptor » ne vous est certainement pas étranger. On pourrait penser que Royal Enfield a emprunté le nom à Honda, qui a connu énormément de succès avec ses fameuses sportives à moteur V4, les VF500, VF750 et VF1000. Cependant, Royal Enfield a utilisé ce nom pour la première fois en 1960, sur un bicylindre baptisé Interceptor 700.
L’Interceptor moderne est conçu comme une moto anglaise traditionnelle, avec un guidon haut et large, un long siège plat, un réservoir d’essence en forme de goutte d’eau de 13,2 litres et des silencieux renforcés. Comme toutes les motos classiques, elle possède également une béquille centrale.
La Continental GT originale a été lancée en 1965, lorsque la société a modifié son modèle Crusader 250 cc pour en faire son premier Café Racer d’usine, en réponse aux motos personnalisées qui fleurissaient alors au Royaume-Uni.
La nouvelle Continental GT 650, qui remplace l’actuel monocylindre éponyme, est une moto d’apparence plus sportive. C’est un Café Racer doté de guidons bracelets et de repose-pieds bas et d’un réservoir plus fin. Outre les différences esthétiques entre les deux machines, la géométrie du châssis, les caractéristiques de suspension et de moteur sont identiques.
Le développement des nouveaux bicylindres est le fruit d’une collaboration entre le département de recherche et développement de Royal Enfield, basé aux États-Unis et le département de conception situé en Inde. Plusieurs ingénieurs et pilotes d’essai qui ont travaillé sur le projet sont britanniques ; certains d’entre eux travaillaient auparavant chez Triumph. Le principal ingénieur en injection est japonais. C’est un transfuge de chez Suzuki.
Un moteur bien conçu et efficace
Comme il s’agit de ma première exposition à la marque indienne, j’ai scruté ces nouvelles machines à la loupe et analysé l’éclaté du moteur exposé lors de cette présentation avec un œil de mécanicien averti. Les motos sont simples, mais bien pensées.
Il n’y a rien sur le moteur Royal Enfield qui soit révolutionnaire. Il s’agit d’un bicylindre de 648 cc à refroidissement par air, avec un seul arbre à cames en tête et quatre soupapes par cylindre. Il développe une puissance modeste de 47 chevaux et un couple évalué à 38 lb-pi.
Pour réduire les coûts de production, une seule version de la moto sera produite pour tous les marchés du monde. Cela signifie que vous aurez les mêmes réglages de moteur, les mêmes normes d’émissions et les mêmes caractéristiques de châssis que vous viviez en Thaïlande ou au Canada. Malgré le refroidissement par air, le moteur répond aux normes antipollution Euro 5 et est censé répondre aux futures normes Euro 6. Tout un exploit.
La raison pour laquelle la cylindrée n’a pas été accrue, à 800 ou 900 cc, est dû au fait que le plus grand marché de Royal Enfield est celui de l’Inde, un pays dans lequel une moto de 350 cc est considérée comme une grosse cylindrée. La compagnie ne voulait pas déstabiliser les motocyclistes indiens avec une moto qui aurait été trop grosse ou trop puissante. Et trop chère. En raison de la volonté de la marque de ne mettre en marché qu’une version globalisée de ses machines, le reste du monde doit donc se contenter d’un 650.
Les pistons bénéficient d’un revêtement réduisant le frottement et, bien que le mécanisme d’activation des soupapes soit simple, il est conçu pour la fiabilité ; les culbuteurs incorporent des galets du côté de la came et des poussoirs du côté des soupapes. Ces éléments réduisent le frottement et l’usure des soupapes. L’ajustement des soupapes se fait par écrou et vis, de sorte que même une personne ayant des compétences mécaniques modérées peut ajuster elle-même les soupapes.
Un vilebrequin forgé entraîne l’embrayage via un engrenage primaire qui se révèle plus silencieux et plus léger qu’une chaîne, et n’est pas enclin à se desserrer avec le temps. L’embrayage est assisté mécaniquement pour un effort léger au levier, et le même mécanisme fournit la fonction anti-glissement lors de la décélération et du rétrogradage.
Les pilotes d’essai de Royal Enfield ont essayé différentes configurations du moteur. Dont une avec un calage du maneton à 180 degrés (comme sur les Honda CB500 modernes ou les twins parallèles de 400 et 650 cc de Kawasaki), une configuration utilisée sur la première Triumph Bonneville. Ils ont également testé un moteur avec un calage à 270 degrés (comme sur les récentes Triumph Bonneville et Yamaha MT-07). Ils ont convenu, à l’unanimité, que cette dernière configuration fournissait les meilleures caractéristiques de couple, avec une large répartition de la puissance sur toute la plage de régime, en plus de produire la meilleure sonorité. Les vibrations sont contrôlées par un contre-balancier.
Bosch fournit le système d’injection du carburant et le moteur respire via des corps de papillon Mikuni. Bosch fournit également l’ABS, qui est livré de série. L’échappement comporte des collecteurs à double paroi, de sorte que les tuyaux ne changent pas de couleur avec la chaleur.
Au chapitre des reproches, il n’y a rien à souligner. Même si le bicylindre est refroidi à l’air, à une époque où le refroidissement au liquide est la norme. Par ailleurs, il est suffisamment puissant pour satisfaire les pilotes expérimentés et assez souple pour que les novices se sentent à l’aise.
Le moteur a une très belle sonorité, émettant un grondement syncopé. En ce qui concerne la fiabilité, le temps nous le dira, mais ce qui se cache sous les carters moteur est simple et éprouvé, et n’est pas particulièrement sujet aux pannes. Et si quelque chose ne va pas, il y a une garantie de trois ans, kilométrage illimité. Oui, trois ans !
Un châssis intègre et stable
Le cadre en acier à double berceau n’est pas une merveille de technologie, mais comme tout le reste sur ces nouveaux twins, il est bien exécuté. Il a été conçu en collaboration avec le célèbre constructeur de châssis, Harris Performance, basé au Royaume-Unis. Les deux tubes à l’avant sont amovibles pour faciliter le retrait du moteur, et comme celui-ci est contrebalancé, il peut être boulonné de façon rigide dans le cadre, ce qui le rend très rigide.
La géométrie du châssis — dotée d’un empattement de 1 400 mm, d’une chasse de 24 degrés et d’un déport de 105 mm — aurait pu être facilement extraite de la fiche technique d’une supersportive de moyenne cylindrée.
La fourche est une unité conventionnelle de 41 mm, non ajustable, offrant 110 mm de débattement. À l’arrière, on trouve deux amortisseurs ajustables uniquement en précontrainte du ressort, avec 88 mm de débattement. Gabriel — un fabricant d’amortisseurs de remplacement pour voitures —, fournit les composants de la suspension. La hauteur de la selle est adaptée aux débutants. Sur la GT, elle culmine à 793 mm, tandis que sur l’Interceptor elle est surélevée de 11 mm grâce à un rembourrage plus épais.
Les pneus Pirelli Phantom Sport qui équipent ces deux Royal Enfield sont issus d’une époque où le New Wave était à la mode en Grande-Bretagne. On retrouve un 100/90-18 à l’avant et un 130/70-18 à l’arrière. Ces tailles de pneus et de roues étroites ont été choisies pour conserver des proportions visuellement appropriées. Selon le PDG de la société, Siddhartha Lal, « les motos néo-rétro modernes, avec leurs roues de 17 pouces et leurs pneus larges, ont certes fière allure, mais semblent anachroniques. Par ailleurs, des pneus étroits favorisent une conduite neutre ». Après avoir conduit les deux Indiennes, je ne trouve rien à redire à ce raisonnement.
La filiale indienne de Brembo, Bybre (BY BREmbo), fournit le système de freinage, qui comporte un disque avant de 320 mm associé à un étrier à deux pistons et un disque arrière de 240 mm avec un étrier à piston unique. Bybre équipe également les KTM et BMW fabriquées en Inde. Vous trouverez, en prime, des durites de frein tressées en acier inoxydable et un ABS de série.
En ce qui a trait au comportement dynamique de ces deux Royal Enfield, rien à redire là non plus. À ce stade de mon rapport d’essai, vous pensez probablement que je suis payé par la compagnie pour encsencer leurs motos. Mais ce n’est pas le cas. En fait, je me suis contenté de les piloter et de rapporter mes impressions de conduite. Alors, au risque de vous déplaire, je ne trouve rien de négatif à dire au sujet du châssis.
La GT pèse 198 kg à sec et l’Interceptor 202 kg. En comparaison, la Triumph Street Twin pèse 198 kg à sec.
Le président de la compagnie, Rudy Singh, insiste toutefois sur le fait que les nouveaux twins 650 ne sont pas destinés à concurrencer les Triumph, ni les Ducati Scrambler ou tout autre néo-rétro. « Nous ne sommes pas ici pour prendre des parts de marché à qui que ce soit, a déclaré Singh. Nous sommes ici pour développer le marché. »
Impressions de conduite
Le premier jour, notre prise de contact a commencé avec la Continental GT et s’est poursuivie, le lendemain, avec l’Interceptor. Au total, nous avons parcouru plus de 200 km sur chaque moto. Nous avons emprunté des routes de montagne et des routes côtières dont le revêtement variait de lisse à très cahoteux, présentant des virages serrés se négociant en deuxième, mais aussi de grands virages rapides. Et à certaines occasions, nous avons roulé à des vitesses indécentes. Mea culpa !
L’absence de vibrations est immédiatement perceptible, même à vitesse d’autoroute. Les rétroviseurs restent lisibles en toute occasion. L’embrayage est souple, comme sur une moto de débutant, et la boîte de vitesses à six rapports est douce et précise. C’est l’une des plus agréables que j’ai essayée depuis longtemps. Le sélecteur est également efficace et en 400 km d’essai, je n’ai jamais manqué un seul rapport.
La démultiplication est longue. Sur les routes sinueuses, je me contentais généralement des quatre premiers rapports. La bande de puissance est suffisamment large pour étirer les vitesses sans problème. Je n’enclenchais la sixième que sur l’autoroute. À 100 km/h, le moteur tournait à 4 000 tr/min. Quand la circulation ralentissait, il suffisait de rétrograder en cinquième pour retrouver un peu d’allant. La vitesse de croisière s’établit à 130 km/h, une cadence que l’on peut maintenir longtemps, sans effort. Sur un tronçon de route désert, j’ai atteint 180 km/h au compteur.
Les Pirelli Phantom Sport offrent une excellente adhérence sur une variété de surfaces pavées, même sur du gravier meuble. La direction est neutre et ne demande pas de correction de trajectoire en courbe. Les motos sont très agiles, mais stables à haute vitesse. Le châssis est étonnamment rigide et pardonne les erreurs de pilotage. Il procure une rétroaction claire qui inspire confiance au pilote.
Durant ce lancement, j’ai suivi un des pilotes britanniques de Royal Enfield. Ce dernier roulait à un rythme étonnamment rapide. La moto plongeait avec force dans des épingles et maintenait une trajectoire parfaite dans les virages relevés. À un moment donné, deux journalistes allemands impatients ont commencé à le suivre de trop près. Il a alors augmenté la cadence, distançant rapidement l’un d’eux qui ne parvenait plus à suivre. Je l’ai doublé pour rejoindre son collègue et l’ouvreur et nous avons roulé comme si nous étions sur notre circuit favori. C’était certainement irresponsable, mais tellement amusant ! Et je ne me suis prêté au jeu que pour vérifier le comportement de la moto.
Ce n’est que poussée à un rythme déraisonnable que la moto commence à se désunir. Le guidon large et relevé induit des mouvements de direction quand on s’y accroche trop fermement et la suspension, conçue pour un usage routier, montre son désaccord si on cherche à frotter les genoux en virage. En dépit de ce léger mouvement, la moto respecte votre zone de confort et ne fait jamais rien de surprenant, même lorsque vous rencontrez des bosses en milieu de virage, à grande vitesse. La suspension fonctionne très bien, malgré son ajustement limité. Elle ne révèle ses limites qu’au passage de grosses bosses, avec un pilote de plus de 100 kilos, comme moi. En dépit de ses pneus étroits et de l’angle d’inclinaison élevé que nous atteignions, la garde au sol était bonne et rien ne frottait, pas même la béquille centrale.
En ville ou sur routes sinueuses, la modulation des gaz est excellente. Le moteur tire de manière linéaire jusqu’à la ligne rouge, et si vous êtes prêt à utiliser la boîte de vitesses et à laisser le moteur évoluer à haut régime, vous surprendrez probablement plusieurs pilotes de sportives sur des routes sinueuses.
À l’usage, la plus grande différence entre la Continental GT et l’Interceptor est la position de conduite. La GT offre une position légèrement inclinée vers l’avant et la distance entre les repose-pieds est plus compacte tandis que l’Interceptor propose une position droite, plus classique. Bien que j’aime beaucoup le look de la GT, je choisirais l’Interceptor pour ménager mes articulations vieillissantes.
Un réseau à développer
Les nouveaux bicylindres Royal Enfield 650 sont des motos éminemment désirables. Elles ont fière allure, roulent exceptionnellement bien, possèdent une garantie de trois ans et sont très abordables. Les choses se gâtent quand on décortique le réseau de concessionnaires. Ils ne sont actuellement que 12 au Canada, répartis dans cinq provinces : Ontario, Québec, Alberta, Colombie-Britannique et Nouvelle-Écosse.
Depuis 2016, Royal Enfield North America, la filiale américaine de la compagnie indienne, gère la distribution des modèles de la marque pour toute l’Amérique du Nord, incluant le Canada, ce qui n’est pas un arrangement inhabituel ; Ducati et Triumph distribuent également leurs produits au pays depuis les États-Unis.
Bien que la compagnie envisage d’élargir son réseau de concessionnaires en Amérique du Nord, c’est la demande pour le produit qui déterminera son expansion. Royal Enfield ne cherche pas à inonder le Canada ou les États-Unis de nouveaux concessionnaires, mais plutôt établir des partenariats avec des motocistes passionnés par la marque et prêts à s’investir dans son rayonnement. Et selon Lal, l’intérêt pour la marque s’étendra au monde entier. « C’est la première fois que des gens frappent à notre porte et demandent à vendre nos motos, plutôt que l’inverse », dit-il.
Un bilan positif
Il est clair que Royal Enfield veut pénétrer le marché nord-américain. Et pour y parvenir, la compagnie offre non seulement des motos remarquablement compétentes et élégantes, mais aussi des prix agressifs.
La version de base de l’Interceptor 650 se détaille 7 499 $ et celle de la Continental GT se négocie à 7 749 dollars. C’est environ 1 900 dollars de moins que le prix d’une Yamaha XSR700 et près de 3 000 dollars de moins que celui d’une Triumph Street Twin. Un tarif remarquablement abordable. À ce prix, je pourrais en acheter une avec ma carte de crédit. Pour les modèles avec une décoration personnalisée ou un réservoir d’essence chromé, comptez quelques centaines de dollars supplémentaires. Au total, 11 choix de coloris parmi les deux modèles sont disponibles.
Royal Enfield affirme qu’elle peut atteindre ce prix en appliquant une économie d’échelle. L’entreprise prévoit produire 950 000 unités (tous modèles confondus, monocylindres et bicylindres) d’ici la fin de l’année. Quatre-vingt-quinze pour cent de ces motos sont destinés à l’Inde, ce qui ne représente que 5 % de toutes les nouvelles motos vendues dans ce pays. À titre de comparaison, Royal Enfield vend environ 75 000 motos par mois en Inde et, en 2017, contre moins de 62 000 par an au Canada. Les chiffres sont éloquents et replacent les choses en perspective.
Si vous jugez les nouveaux bicylindres Royal Enfield seulement en fonction de leur valeur nominale ou de leur seule fiche technique, vous aurez une impression fausse de leur potentiel. Même si elles manquent de fioritures, ce sont des motos attachantes et bien réalisées qui ont du caractère. Qui plus est, elles fonctionnent très bien, sont faciles à piloter pour les novices, tandis que les pilotes plus expérimentés peuvent les conduire rapidement et s’amuser à leur guidon.
Ces nouveaux bicylindres représentent un changement de paradigme pour Royal Enfield, et vous en verrez probablement de plus en plus sur la route au cours des prochaines années. Si l’entreprise parvient à stabiliser son réseau de distribution.
Les Continental GT 650 et Interceptor 650 devraient arriver au Canada au début de 2019.