Tous les chemins mènent au Lac Rose
Publié le 10 avril 2018
À la fin du mois de septembre dernier, j’ai eu la chance de passer deux semaines en compagnie de la sublime BMW R nineT Urban G/S. Un tête-à-tête magique avec une machine sexy, pleine de caractère.
Photos : Didier Constant (statiques), Pierre Desilets (action), BMW (studio) et DR
Réminiscences
C’est la fin de l’automne. Il fait chaud. Malgré l’heure matinale, le soleil cogne et l’air est épais. Même le vent est collant. Chargé d’odeurs qui m’évoquent l’Afrique. Le désert. Réminiscences de voyages en Afrique du Nord pour suivre le rallye de l’Atlas et le Paris-Dakar.
Je roule plein sud, vers la frontière américaine, en compagnie de quatre amis au guidon des motos de la famille nineT. Sur l’Urban G/S, j’ai une vague impression de déjà vu. D’être Hubert Auriol en route vers le Lac Rose, au nord de la capitale sénégalaise, pour célébrer ma première victoire au Dakar. Je vois la piste défiler sous les roues de la G/S. J’entends les cris des supporters qui m’encouragent. Je sens l’atmosphère saline du lac Retba — le nom officiel du lac Rose — chatouiller mes narines. Je vois la ligne d’arrivée au bout de la plage. Avec le podium qui s’élève au milieu d’une foule dense agglutinée à ses pieds. Je peux presque savourer la victoire. Mon cœur cogne à 10 000 battements minute. Le sang monte à mes tempes. Ma raison s’embrouille sous l’effet de l’émotion. Celle d’offrir à BMW la première d’une longue série de victoires au Dakar. Et de participer à la naissance d’une légende. De faire partie d’un mythe en gestation, en quelque sorte.
C’est alors que j’entends la voix de Richard dans mon Sena. Une voix venue du futur qui me tire de mes rêveries. Retour à la réalité. On arrive au lac Champlain. À Philipsburg, sur les rives de la Baie Missisquoi. C’est le temps d’une pause pour une séance de photo des cinq nineT sur le quai du village.
Pouvoir d’évocation
La moto est le seul véhicule qui me fait voyager dans le temps, dans mes souvenirs — réels ou inventés — et qui nourrit autant mon âme que mon besoin vital d’évasion. Cependant, la BMW R nineT Urban G/S possède un pouvoir d’évocation supérieur à la plupart des machines que j’ai essayées dernièrement. Peut-être parce qu’elle personnifie la R80 G/S, la machine qui a créé, à elle seule, le créneau des aventurières. Et donné naissance à la GS, la grosse cylindrée la plus vendue au monde. Et la plus copiée aussi.
Il faut dire qu’avec sa robe tricolore, ses lignes tout en rondeurs, sa selle rouge, ses soufflets de fourche, son carénage de tête de fourche qui fait office de plaque à numéro et ses jantes à bâtons — 19 pouces à l’avant et 17 pouces à l’arrière —, elle a fière allure la bougresse. Le mimétisme est frappant. En passant, si, comme moi, vous n’êtes pas fan des roues à bâtons, sachez que BMW propose également des jantes à rayons, en option.
Quand on s’installe au guidon de l’Urban G/S, on découvre une moto compacte, étroite et un poste de pilotage minimaliste, caractérisé par un simple compteur, en position centrale, blotti derrière le saute-vent qui surmonte le gros phare rond. Même les commandes sont épurées en l’absence d’un arsenal électronique imposant — ABS Bosch de série et antipatinage en option. C’est tout ! Rafraîchissant et appréciable. La nostalgie opère à fond.
Comparativement aux autres nineT, l’Urban G/S dispose d’une selle haut perchée qui culmine à 850 mm (30 mm plus haut que sur la Scrambler). C’est haut pour un court sur pattes comme moi. De plus, son rembourrage plus épais, particulièrement dans la partie avant, place le pilote dans une position inhabituelle, les bras plus tendus. Le guidon est placé un peu trop bas et trop en avant à mon goût. En revanche, le moelleux de cette selle est appréciable sur de longs trajets. La G/S se montre d’ailleurs plus confortable que ses cousines et incite davantage au voyage. Une selle basse (820 mm) est offerte en option, sans surplus de tarif.
Un moteur de caractère
Comme toutes les motos de la famille nineT, l’Urban G/S utilise la dernière version du Boxer à DACT, refroidi à l’air, de 1170 cc, inauguré sur la R 9T originale. Ce dernier produit 110 chevaux à 7750 tr/min pour un couple de 88 lb-pi à 6000 tr/min. Un moulin moins puissant que le bicylindre à plat refroidi au liquide qui équipe les nouvelles R de BMW, mais nettement plus vivant. Un moteur de caractère, rempli de bonnes vibrations, qui nous gratifie de pétarades mélodiques à la coupure des gaz. Il est associé à une boîte de vitesse à six rapports précise et à un embrayage doux.
Un des points forts du flat-twin allemand, c’est sa souplesse. Et cette version ne fait pas exception à la règle. Il s’éveille dès les premiers tours — difficile de juger le régime exact en l’absence de compte-tours — et développe une puissance linéaire, sans à-coups, jusqu’au rupteur. À bas et moyens régimes, le Boxer est bien rempli et offre des reprises viriles et des accélérations franches. Il est également très présent dans la partie haute de la bande de puissance et démontre une allonge surprenante pour un twin bavarois. À hauts régimes, il est joueur et ne s’essouffle pas à l’approche de la zone rouge.
La liaison entre l’accélérateur et la roue arrière est irréprochable. Le pilote sait à chaque instant de quel montant de motricité il dispose et n’a nul besoin de modes de conduite pour adapter l’adhérence à l’environnement ou aux conditions.
Peu gourmand (6,0 L/100 km), le bicylindre à plat bénéficie d’une autonomie de près de 300 km. Ce qui est dans la bonne moyenne en voyage.
La boîte de vitesse est précise et ne claque pas, comme c’était le cas sur les anciennes R. Elle est douce et les rapports passent sans hésitation, dans un silence d’opération qu’on savoure. Même chose pour l’embrayage hydraulique dont la douceur d’opération est étonnante.
L’effet du cardan est bien contrôlé, mais le couple de renversement est présent, plus que sur les motos de la série R liquide. Il suffit de donner des petits coups d’accélérateur pour que la moto oscille soudain de gauche à droite, à l’ancienne, perpétuant ainsi l’héritage BMW.
Un châssis classique
La partie cycle, commune à toutes les motos de la famille Heritage Classic, s’articule autour d’un cadre treillis tubulaire en trois parties, relié à une fourche télescopique conventionnelle dépourvue de réglages. À l’arrière, le monoamortisseur s’ajuste en précontrainte seulement. Les suspensions offrent un débattement important (125 mm à l’avant, 140 mm à l’arrière).
Comme la Scrambler, l’Urban G/S évolue sur des jantes de 19 pouces à l’avant et 17 pouces à l’arrière, chaussées de pneus mixtes (Metzeler Tourance Next) ou à crampons (Continental TKC 80, Metzeler Karoo 3).
L’Urban G/S affiche une géométrie de direction plus lente que celle des autres nineT — exception faite de la Scrambler. Elle possède une chasse de 28,5° combinée à un déport de 110,6 mm et à un empattement de 1527 mm. Malgré ces valeurs conservatrices, l’Urban G/S est vive et agile tout en se montrant stable, spécialement sur route. Son châssis affûté dans lequel le moteur contribue à la rigidité est irréprochable. Pour prévenir tout mouvement de la colonne, un amortisseur de direction est installé de série.
Le freinage se compose d’un double disque de 320 mm à l’avant, pincé par deux étriers Brembo à quatre pistons à montage axial, tandis qu’à l’arrière, le simple disque de 265 mm est ralenti par un étrier à double piston. Le système est complété par un ABS intégral partiellement couplé.
Un nom approprié ?
En ville, l’Urban G/S profite de son gabarit raisonnable pour se faufiler dans la circulation avec aisance. Le moteur étant plus étroit que le guidon, il est facile, en l’absence de sacoches latérales, de jauger l’espace requis pour passer entre deux files de voitures. Même chose pour le rayon de braquage court qui facilite les demi-tours et les manœuvres dans des endroits serrés.
La souplesse et le couple important du moteur sont un atout en ville. Il suffit de rouler sur les rapports intermédiaires et de doser l’ouverture de l’accélérateur pour naviguer dans la circulation et s’extirper de celle-ci aux arrêts et aux feux de circulation. Autant de qualités qui font de cette nineT une excellente moto urbaine.
Pour ce qui est de ses aptitudes à la conduite tout-terrain, il en va différemment. Malgré la ressemblance avec son ancêtre, la R80G/S, la BMW ne se destine pas vraiment aux expéditions transsahariennes. Ce n’est pas une moto de sentier, bien qu’elle se débrouille bien dans les chemins non asphaltés roulants au revêtement compact. Son ergonomie (guidon bas et avancé, repose-pieds reculés et hauts, position de conduite routière) n’est pas vraiment adaptée à la conduite debout sur les repose-pieds, ce qui est dommage. Elle incite plus à la randonnée champêtre qu’aux sorties tout-terrain où son gabarit la handicape. Son plus grand débattement de suspension fait qu’elle se débrouille marginalement mieux que ses sœurs exclusivement routières sur les chemins de graviers, mais dès que le terrain devient plus difficile, la G/S doit rendre la main.
Une authentique routière
Sur autoroute, l’Urban G/S se comporte bien, même si ce n’est pas son terrain de prédilection. Elle maintient une vitesse de croisière de 120-130 km/h sans forcer et peut atteindre plus de 200 km/h en vitesse de pointe, chaussée de pneus route.
Malgré l’absence d’une protection digne de ce nom — une mini-bulle transparente est proposée en option pour compléter le diminutif pare-brise —, le pilote est relativement bien protégé. La pression du vent n’est pas rédhibitoire et les turbulences générées par le pare-prise sont bien contrôlées dans l’ensemble. Les vibrations inhérentes au moteur Boxer sont bien contenues et participent au plaisir qu’on éprouve au guidon de cette BMW.
La selle, mieux rembourrée que sur les autres nineT, offre un confort décent qui permet d’entreprendre de longues sorties sans crainte. En revanche, pour le passager, c’est une autre histoire. La section du siège qui lui est dévolue est courte et peu rembourrée. Elle procure un confort spartiate. Qui plus est, aucune poignée ou barre de maintien ne lui permet de s’accrocher.
Dès que l’on quitte les voies rapides pour les routes secondaires, la G/S s’éveille et se révèle. Joueuse et facile à vivre, elle s’avère parfaite pour rouler à son rythme, sans tracas. La machine idéale pour les sorties bucoliques durant lesquelles on profite du panorama et du plaisir de musarder. Tout en restant concentré sur la route.
Très agile, elle s’amuse aussi en conduite sportive sur les routes sinueuses, dansant d’un virage à l’autre avec aisance et maestria. Une simple poussée sur le guidon tubulaire suffit à l’inscrire en virage. Elle se joue des enfilades avec une telle facilité qu’elle en est déconcertante. De plus, son centre de gravité bas favorise les prises d’angle extrêmes. Sans forcer. Tout ça en bénéficiant du couple important du bicylindre à plat et de son allonge. Un vrai régal ! On en redemande tant c’est addictif.
Dans cet environnement, les suspensions font du bon boulot. Tout comme les pneus Metzeler Tourance Next à vocation routière installés d’origine. Ils se débrouillent bien dans les circonstances et permettent d’exploiter les possibilités de la BMW. Leur adhérence sur le sec est impeccable et on peut prendre de l’angle sans arrière-pensée.
Le point faible de la nineT Urban G/S est l’absence de bagages de série. Heureusement, BMW en propose une large sélection dans son catalogue d’accessoires optionnels. Pour cet essai, j’avais installé un sac de réservoir Givi XS319 Tanklock que j’utilisais au quotidien et un sac de selle Mosko Moto Backcountry de 40 litres pour les voyages de plusieurs jours. Une combinaison parfaite. Il ne manquait qu’un porte-paquets accessoire pour voyager en tout confort, avec armes et bagages.
Au quotidien, la nineT Urban G/S est une merveilleuse moto à tout faire. Le genre de machine que l’on aime conduire sans raison, pour le plaisir. Et avec laquelle on s’évade au propre comme au figuré. Une moto pour ceux qui font de leur vie une aventure.
Conclusion
La gamme Classic Heritage de BMW remet le Boxer au goût du jour en puisant dans son histoire les germes de son succès. Et la nouvelle Urban G/S en est la parfaite illustration. En faisant revivre la légendaire R80 G/S qui a dominé les rallyes africains à la fin du siècle dernier, elle sublime l’esprit rétro et nous permet de revivre une époque mythique. Pour ceux qui l’ont connue, il s’agit d’une cure de jouvence. Pour les autres, trop jeunes pour en avoir été témoins, mais qui en ont entendu parler par les anciens, admiratifs, c’est un voyage initiatique dans le temps.
La nineT Urban G/S est l’aboutissement du projet Classic Heritage de BMW qui, en cinq machines iconiques, revisite les grands moments de l’histoire du Boxer. Elle marque aussi la réussite du concept de plateforme modulable — un châssis équilibré et un moteur vivant communs à toute une gamme — qui donne vie à des motos aux multiples personnalités correspondant parfaitement aux goûts et besoins de chacun. Une plateforme de partage d’émotions, de sensations et de souvenirs vrais ou fantasmés. Dans l’air du temps. Le tout sur une base saine et performante. Dépourvue d’électronique. Que demander de plus ?
L’Urban G/S est à mon avis la plus réussie des Classic Heritage, celle dont le pouvoir d’évocation est le plus prégnant. La machine idéale pour ressourcer sa passion et redécouvrir des plaisirs surannés. Comme se gaver de routes secondaires sinueuses et de chemins accidentés. Ou rouler sans autre but que de se faire plaisir. Égoïstement…
FICHE TECHNIQUE
INFORMATIONS GÉNÉRALES
- Poids tous pleins faits : 221 kg
- Hauteur de selle : 850 mm
- Capacité essence : 17 L
- Consommation : 6,0 L/100
- Autonomie : 283 km
- Durée de l’essai: 1125 km
- Prix : 14 250 $
- Coloris : tricolore bleu/blanc/rouge
MOTEUR
- Moteur : bicylindre à plat (Boxer) 4-temps refroidi à l’air, DACT, 4 soupapes par cylindre
- Puissance : 110 ch à 7 750 tr/min
- Couple : 88 lb-pi à 6 000 tr/min
- Cylindrée : 1 170 cc
- Alésage x course : 101 x 73 mm
- Rapport volumétrique : 12,0:1
- Alimentation : injection électronique
- Transmission : 6 rapports
- Entraînement : par cardan
PARTIE CYCLE
- Suspension : fourche télescopique, tubes de 43 mm de diamètre ; monoamortisseur et monobras Paralever
- Débattement avant/arrière : 125 mm/140 mm
- Empattement : 1 527 mm
- Chasse/Déport : 28,5°/110,6 mm
- Freins : AV — double disque de 320 mm pincé par des étriers radiaux à 4 pistons/AR — disque simple de 265 mm avec étrier double piston. ABS Integral de série (partiellement couplé)
- Pneus : Metzeler Tourance Next
120/70R19 à l’avant
170/60R17 à l’arrière
VERDICT RAPIDE
ON AIME BIEN
- Le pouvoir d’évocation
- Le look sublime
- La sonorité exquise du Boxer
- Ses pétarades à la fermeture des gaz
- Pas d’électronique, hormis l’ABS
ON AIME MOINS
- L’absence de réglages sur la fourche
- Les suspensions perfectibles
- La selle un peu haute à la jonction avec le réservoir