Une histoire de famille
Publié le 2 novembre 2017
Avec sa gamme nineT, BMW a créé une nouvelle famille de motos classiques à moteur Boxer qui rejoint un large public. Récemment, trois collaborateurs de Motoplus ont succombé au chant des sirènes allemandes : Claude, l’artiste du groupe, a craqué pour une Pure ; Richard, le scribe, pour une Scrambler ; Pierre, notre photographe émérite, a opté pour une 9T « Black Storm Metallic/Vintage ». N’ayant pas les moyens d’acheter une moto neuve (ce n’est pas l’envie qui manque pourtant), il me restait à emprunter une Racer et la toute nouvelle Urban G/S pour faire un portrait de groupe et une balade automnale avec toute la famille BMW Classic Heritage.
Photos : Didier Constant, Dave Beaudoin, Pierre Desilets et BMW
Quand la firme allemande a présenté son nouveau bicylindre à plat à refroidissement liquide, en 2013, l’arrêt de mort du légendaire Boxer à l’air qui fêtait alors ses 90 ans de production semblait entériné. Mais, heureusement pour nous, BMW a décidé de lui accorder un sursis et lançait, l’année suivante, la 9T, un roadster néo-rétro au look épuré et sexy qui a immédiatement séduit son public.
BMW récidivait en 2016 avec la présentation de la nineT Scrambler, une évolution à saveur tout-terrain classique qui se démarquait par sa roue avant de 19 pouces, ses pneus à crampons (optionnels) et son échappement double relevé.
Pour 2017, BMW enfonce le clou et présente trois nouveautés sur base nineT — la Racer, la Pure et l’Urban G/S —, créant de facto une toute nouvelle famille de motos à moteur Boxer au sein même de la légendaire gamme R.
Portrait de famille
Pour 2017, la 9T évolue en douceur, pour se conformer à la norme Euro 4. La partie cycle adopte désormais une fourche inversée de 46 mm entièrement réglable. À l’arrière, le bras oscillant Paralever est inchangé, mais il est désormais peint en noir, comme le carter de couple conique.
La géométrie de direction (chasse de 26,8°, déport de 1079 mm) a été altérée pour offrir une meilleure stabilité et une précision renforcée. De nouvelles jantes à rayons font leur apparition.
L’instrumentation évolue également et se compose d’un compteur de vitesse et d’un compte-tours ronds analogiques qui incorporent chacun un mini écran numérique rectangulaire pour les informations vitales.
En option, deux coloris spécifiques sont offerts. Le premier appelé « Black Storm Metallic/Vintage » arbore un gros numéro 21 noir sur fond jaune avec un capot de selle assorti. Le second, « Blue Planet Metallic /Aluminium » se démarque par sa peinture bleu métallique associée à des touches aluminium et à un liseré doré.
La nineT Pure est un roadster minimaliste au look épuré qui propose un retour aux bases de la moto classique : un moteur qui pousse, un guidon large pour faciliter la conduite, une position de conduite neutre, un poste de pilotage simplifié avec un compteur de vitesse en position centrale (un compte-tours est livrable en option) et des jantes à 5 bâtons chaussées de pneus à vocation sport-tourisme. Le tout sans fioritures. Elle reprend l’allure générale de la 9T, mais offre plus de possibilités de personnalisation. La position de conduite est de style standard, très droite.
La nineT Racer est la sportive de la famille. Elle mise sur la nostalgie et l’héritage en compétition de la firme bavaroise. Fine, élancée et délicieusement rétro, elle reprend les grandes lignes du Concept Ninety développé par Roland Sand, en 2013 et arbore la décoration classique BMW Motorsport tricolore, bleu/blanc/rouge, laquelle est soulignée par le cadre gris argent et le moteur noir. L’ergonomie de la Racer est typique des Cafe Racer, avec des guidons très éloignés qui vous allongent sur le réservoir et mettent beaucoup de pression sur vos poignets. De même, les repose-pieds sont positionnés assez haut et vers l’arrière vous plaçant dans une posture assez inconfortable qui taxe rapidement vos lombaires. Pour ce qui est de la protection contre le vent, n’attendez pas grand-chose de l’élégant carénage de tête de fourche monté sur le cadre, car le pare-brise n’est guère plus qu’un accessoire stylistique.
La nineT Scrambler joue la carte double usage classique des Scrambler anglais du début des années 60. Elle se distingue par sa roue avant de 19 pouces, son échappement double relevé, ses soufflets de fourche, son superbe réservoir en métal brossé et son élégante selle mince de couleur caramel (version courte en option) perchée à 820 mm. Mais, globalement, elle ne diffère pas énormément de la 9T ou de la Pure au niveau de l’allure générale.
La nineT Urban G/S dérivée du concept Lac Rose rend hommage à la légendaire R80 G/S qui a dominé les rallyes africains à la fin du siècle dernier. Délicieusement rétro, la nineT Urban G/S reprend la robe tricolore de la G/S originale et ses lignes tout en rondeurs, sa selle rouge, ses soufflets de fourche, son carénage de tête de fourche qui fait office de plaque à numéro et ses jantes à bâtons de 19 pouces à l’avant et 17 pouces à l’arrière. Des jantes à rayons chaussées de pneus Continental TKC 80 à larges crampons sont offertes en option.
Une plateforme commune
Les cinq motos de la famille Heritage Classic partagent la même plateforme. En effet, dès sa conception, la nineT a été pensée comme une moto modulaire pouvant s’adapter aux besoins changeants des motocyclistes à la recherche d’une machine dépouillée d’allure classique, mais résolument moderne de conception. BMW bénéficie ainsi d’une plateforme performante autour de laquelle créer toute une gamme de motos originales et bien conçues. Tout en gardant les coûts de développement et de fabrication relativement bas.
Elles utilisent toutes la dernière version du bicylindre Boxer refroidi à l’air de 1170 cc, à DACT de la R 9T qui développe 110 chevaux à 7 750 tr/min pour un couple de 88 lb-pi à 6 000 tr/min. Un moulin moins puissant que le dernier bicylindre à plat refroidi au liquide, mais nettement plus vivant. Il s’agit d’un moteur de caractère, plein de bonnes vibrations, qui nous gratifie de pétarades mélodiques à la coupure des gaz.
À l’arrêt, l’effet de couple de renversement est présent, plus que sur les motos de la série R liquide. En donnant des petits coups d’accélérateur, la moto oscille de gauche à droite, à l’ancienne, perpétuant ainsi l’héritage BMW.
Le bicylindre est hyper souple. Il reprend sans broncher dès 1 500 tr/min et affiche une bande de puissance très large qui s’étend jusqu’à la zone rouge, à 8 500 tr/min. Avec son couple important, il tire avec conviction à bas et moyen régimes. Malgré sa puissance modeste, le Boxer n’est pas avare de sensations et il pousse fort. Il a été retravaillé dans le but d’offrir des accélérations franches et des reprises solides. Il propose de plus une allonge incroyable et devient carrément joueur passé 7 000 tr/min. Et, ce qui ne gâte rien, la liaison entre l’accélérateur et la roue arrière est irréprochable. Le pilote sait à chaque instant de quel montant de motricité il dispose et n’a nul besoin de modes de conduite pour adapter l’adhérence à l’environnement ou aux conditions.
L’effet du cardan est bien contrôlé, comme sur toutes les Boxer modernes, la boîte de vitesse est précise et ne claque pas et le moteur doux et docile prend ses tours facilement, sans rechigner. On décolle sur un filet de gaz.
Par ailleurs, l’arsenal électronique des nineT est réduit à sa plus simple expression : ABS Bosch de série et antipatinage en option. C’est tout ! Et c’est parfait ainsi.
La partie cycle est également commune à toutes les motos de la famille Heritage Classic. Le cadre treillis affûté dans lequel le moteur contribue à la rigidité est irréprochable. Pour prévenir tout mouvement de la colonne de direction, un amortisseur de direction est installé de série.
Des différences dues à l’orientation
Les trois routières de la famille, c’est-à-dire la 9 T, la Pure et la Racer, disposent d’une roue avant de 17 pouces à bâtons ou à rayons chaussée de pneus route (Metzeler Roadtec Z8 Interact, ContiRoadAttack 3, Bridgestone T30) tandis que la Scrambler et l’Urban G/S qui ont un penchant pour les sentiers, évoluent sur des jantes de 19 pouces chaussées de pneus mixtes (Metzeler Tourance Next) ou à crampons (Continental TKC 80, Metzeler Karoo 3). Les représentants de Motoplus n’étant pas vraiment des adeptes de la bouette, aucune de leurs motos personnelles n’est équipée de ce type de pneus.
Entre la plus légère des nineT (la Pure pèse 219 kg en ordre de marche) et la plus lourde (la 9T à 222 kg), la différence de poids est minime et n’influence pas réellement le comportement des machines.
Au niveau des hauteurs de selle, les variations soulignent l’orientation des différentes versions de la nineT : 9T : 803 mm, Racer/Pure : 805 mm, Scrambler : 820 mm, Urban G/S : 850 mm. Les deux motos capables de s’aventurer en sentier disposent de suspensions à débattement plus important (125 mm à l’avant, 140 mm à l’arrière). À l’opposé, les trois routières offrent des débattements de 120 mm (9T) ou de 125 mm (Pure/Racer) à l’avant et de 120 mm à l’arrière.
Les différences les plus marquées entre les modèles concernent l’empattement (9T : 1487 mm; Pure : 1493 mm; Racer : 1491 mm; Scrambler /Urban G/S : 1527 mm) et la géométrie de direction (9T : 26,8° x 107,9 mm,; Pure : 26.64° x 105 mm; Racer : 26.4° x 103,9 mm; Scrambler /Urban G/S : 28,5° x 110,6 mm). Des valeurs qui ont une influence directe sur le comportement des motos.
Pour ce qui est des suspensions, la 9 T fait bande à part. Elle est la seule à utiliser une fourche inversée de 46 mm réglable alors que les autres se contentent d’une fourche télescopique classique, de 43 mm, sans ajustement. À l’arrière, on retrouve un combiné Paralever réglable en détente et en précontrainte du ressort sur toutes les nineT.
Le freinage se compose, sur toutes les machines, d’un double disque de 320 mm à l’avant, pincé par deux étriers Brembo à quatre pistons (à montage radial sur la 9 T, axial sur les autres), tandis qu’à l’arrière, le simple disque de 265 mm est ralenti par un étrier à double piston. Le système est complété par un ABS intégral partiellement couplé.
Sur la route
Les nineT sont d’authentiques motos urbaines. Elles brillent dans la circulation. Étroites et légères, elles se faufilent dans le trafic avec aisance, aidée en cela par leur large guidon tubulaire qui offre un effet de levier important. Elles freinent sur un dix cennes et font preuve d’une maniabilité étonnante.
Sur les routes secondaires, on se régale à leur guidon. Leur partie cycle moderne est saine. Le train avant, avec sa géométrie neutre, est précis et vif. On négocie les courbes serrées avec aisance et les nineT se placent sur l’angle au doigt et à l’œil. Une simple poussée sur le guidon suffit. Dans les grandes courbes rapides, elles restent stables et ne bougent pas outre mesure, bien qu’elles n’offrent pas la rigueur d’une S1000RR, par exemple. L’excellence de ce châssis est indéniable. On l’avait déjà noté lors de l’essai de la 9T originale. Sous ses airs faussement rétro, le cadre tubulaire minimaliste affiche un équilibre général remarquable complété par le moteur Boxer dont le centre de gravité bas — une spécificité de la gamme R — participe à l’agilité des nineT et à leur maniement aisé en toute circonstance. Seul bémol, la fourche plonge de façon exagérée au passage des bosses ou lors de freinages appuyés par rapport à une suspension avant Telelever.
Globalement, la suspension des nineT est ferme et sèche. Trop même dans le cas particulier de la Scrambler et de l’Urban G/S dont la vocation multiroute réclamerait plus de souplesse, surtout en sentier. La fourche (même celle de la 9T qui est réglable) ne se montre pas au niveau du Telelever. L’arrière réagit mieux, même s’il tape un peu le postérieur sur chaussée dégradée. Il suffit d’ajuster la précontrainte du ressort pour contrer ce comportement sec.
Les nineT permettent cependant d’adopter une conduite sportive et de se faire plaisir sans retenue sur les routes sinueuses, à condition de ne pas brusquer la mécanique. Elles préfèrent en effet un pilotage coulé, à l’ancienne. Les freinages de trappeurs, les accélérations de dragster et le passage des rapports à la volée ne sont pas leur tasse de thé. En fait, ce genre de conduite agressive les déstabilise et leur fait perdre de leur superbe. Sur les Heritage Classic, on enroule du câble en douceur. On se cale sur un rapport intermédiaire et on danse d’une courbe à l’autre en modulant l’accélérateur et en freinant progressivement. On caresse la pédale de frein question de placer la moto sur l’angle et de resserrer la trajectoire.
Sur l’autoroute, on cruise pépère en sixième en comptant sur les reprises fantastiques du Boxer lorsque vient le temps de doubler ou de s’extraire du trafic.
Au niveau du freinage, les étriers radiaux Brembo qui équipent les R nineT sont puissants et faciles à moduler, procurant une intensité de ralentissement rassurante.
Malgré la présence d’un demi-carénage sur la Racer et d’un tête de fourche minimaliste sur l’Urban G/S et la 9T accessoirisée, la protection contre les éléments est minimale. Ces appendices aérodynamiques ont une vocation davantage esthétique que pratique. Dans le cas du carénage Givi installé par Claude sur sa Pure, il se montre nettement plus efficace, bien qu’il alourdisse légèrement la direction.
En passant d’une machine à l’autre, on note des différences subtiles de comportement. Malgré leur roue avant de 19 pouces, la Scrambler et l’Urban G/S ne sont pas moins agiles que les trois autres nineT, au contraire, surtout avec leurs pneus mixtes neutres. La Racer est la plus pataude du groupe et celle dont la direction est la plus lente, suivie par la 9T. La Pure et la Scrambler sont vives et agiles. Ce sont les plus neutres du lot.
En termes de confort, l’Urban G/S offre une selle plus épaisse dont on apprécie le moelleux sur de longs trajets. Quant à la Racer, elle est spartiate et met votre squelette à mal après quelques kilomètres seulement. Le confort ne fait pas partie de son vocabulaire, c’est le moins qu’on puisse dire. Et, à moins d’être jeune et en forme, ce n’est pas une moto avec laquelle on voudra voyager. De plus, son design limite les modifications ergonomiques au minimum. Les trois autres proposent un confort moyen en raison de leurs selles fines et fermes, mais aussi de leurs suspensions perfectibles. On l’aura compris, les nineT ne sont pas des voyageuses au long cours ni des aventurières, façon R1200GS. À chacun son rôle.
Dans le cas de la Scrambler et de l’Urban G/S, leur ergonomie n’est pas vraiment adaptée à la conduite debout sur les repose-pieds, ce qui est dommage pour des machines qui, visuellement, incitent à la randonnée champêtre. Leur plus grand débattement de suspension fait qu’elles se débrouillent marginalement mieux que leurs sœurs routières sur les sentiers en graviers tapés et permettent de belles glissades du pneu arrière à l’accélération.
Esprit Vintage et performances modernes
Esthétiquement réussies, les Heritage Classique de BMW sont des motos qui subliment l’esprit Vintage tout en offrant des performances conformes à ce qu’on attend d’une moto moderne. Elles exsudent des sensations surannées et nous font redécouvrir des plaisirs oubliés, comme se balader le nez au vent sur les routes secondaires ou se tirer la bourre entre copains, à l’ancienne. Entre deux bistrots, en empruntant occasionnellement un sentier forestier large et rapide.
Mais la principale réussite de ces BMW, c’est l’équilibre de leur châssis et le charme de leur bicylindre à plat refroidi à l’air. Certainement le plus enivrant et le plus réussi des Boxer. Celui qui distille le plus de sensations à défaut d’être le plus performant. Tout ça avec un minimum d’électronique. Les nineT sont des motos de pilotes, pas de gamers ou de programmeurs.
Comme mes trois collègues qui ont succombé aux charmes de ces néo-rétros allemandes, j’avoue avoir un faible pour ces motos qui me rappellent pourquoi je me suis intéressé à la moto étant jeune et pourquoi je continue à rouler après plus de quatre décennies passées en deux roues sur les routes du globe. Ce sont des motos qui suintent la passion par tous les pores de leur carrosserie et nous font sentir jeunes, vivants.