« Essais

Trop peu trop tard ?

Par Costa Mouzouris — Tradaptation : Didier Constant — Photos par Brian J. Nelson

Les temps changent. Il y n’a pas si longtemps, les 600 Supersport étaient révisées tous les deux ans. Et je ne parle pas de changements cosmétiques mineurs, mais de refonte complète. De métamorphose, au sens kafkaïen du terme. Si vous achetiez une CBR600RR, une GSX-R600 ou encore une ZX-6R à la fin du siècle dernier, il ne fallait pas vous projeter dans l’avenir ni contracter d’emprunt sur 6 ans — ce que les constructeurs vous proposent aujourd’hui —, car votre achat était par essence transitoire. Et votre monture démodée avant même que vous ayez eu le temps de compléter son rodage.

Inaugurée en 1999, la Yamaha R6 vivait au rythme d’un calendrier légèrement décalé. Elle a connu trois itérations en huit ans, entre sa sortie et 2007, soit environ une tous les trois ans.

Au début des années 2000, les grilles de la classe Supersport étaient généreusement fournies. Il s’agissait de la catégorie la plus populaire en Amérique du Nord, et de loin.

Yamaha_R6-Lancement-09

Puis, la survenance de la crise économique de 2008 a changé la donne. Le revenu disponible des jeunes hommes dans la vingtaine — le créneau achetant majoritairement des Supersport — ayant connu une forte baisse du jour au lendemain, les ventes ont plongé vers les abimes. Lors des neuf premières années de production de la R6, Yamaha en a vendu 110 000 unités aux États-Unis seulement. Puis 40 000 lors des 9 années qui ont suivi la crise.

Et les effets se sont fait ressentir sur les courses de Supersport dont les grilles se sont rétrécies comme une peau de chagrin, forçant les constructeurs à allonger l’intervalle de mise à jour de leur 600. Dans le cas de la R6, elle n’a pas été remaniée au cours des 11 dernières années. Une éternité donc !

Mais, comme je le disais plus haut, les temps changent. Et je me retrouve ainsi au circuit de Thunderhill Raceway en Californie pour essayer la quatrième génération de la R6 de Yamaha. Une moto qui bien que visuellement différente n’est qu’une évolution du modèle précédent.

Yamaha_R6-Lancement-01

On ne change pas une moto qui gagne ?

Mais il existe peut-être une autre raison au fait que les Supersport n’ont pas évolué au cours de la dernière décennie. Peut-être ont-elles atteint un niveau de sophistication tel qu’il est devenu difficile de les améliorer sans se lancer dans une course à l’armement. Et dans des dépenses pharaoniques. Et pour quel résultat, en fin de compte ?

Depuis 2015, la R6 a remporté 56 titres sur les 58 disputés dans les catégories Supersport et Superstock du championnat Moto America, sans oublier les 200 Miles de Daytona de cette année. Sur une moto inchangée depuis 2006, comme ses principales concurrentes d’ailleurs.

Autant de raisons qui ont amené Yamaha à conserver le moteur de 599 cc et le cadre deltabox en aluminium du modèle précédent. Une décision qui « fait du sens » économiquement parlant. Le moteur utilise l’accélérateur électronique ride-by-wire qui a été introduit en 2006. Cependant, il est mieux exploité sur la nouvelle moto. Conservés également les injecteurs doubles, le système d’admission électronique YCC-T qui permet d’augmenter le couple à bas régime, ainsi que l’embrayage à glissement limité introduit sur le modèle de génération précédente. C’est à peu près tout.

Yamaha_R6-Lancement-02

Qu’a-t-on changé alors ?

Le style de la R6 est dérivé de celui de la R1, qui s’inspire de celui de la Yamaha YZR-M1 MotoGP. Le nouvel accastillage est plus efficace d’un point de vue aérodynamique et offre au pilote une meilleure protection contre les éléments ainsi qu’une résistance au vent réduite. Les phares DEL logent sous le nez du carénage et le feu arrière, également à DEL, prend place dans un capot de selle révisé. Le réservoir de carburant est maintenant réalisé en aluminium et est 1,2 kg plus léger. Il est remodelé dans sa section arrière, près de la selle, pour un ajustement plus confortable. Le siège est également plus plat et moins incliné vers l’avant de sorte que vous ne vous écrasez plus les bijoux de famille sur le réservoir.

La grande amélioration au niveau du groupe motopropulseur vient de l’ajout de l’antipatinage et des modes de conduites D-Mode paramétrables. Le contrôle de traction utilise des capteurs aux roues avant et arrière et possède six niveaux d’intervention en plus de pouvoir peut être désactivé. On retrouve également trois modes de conduite (A, STD, B) qui assurent une cartographie d’injection respectivement plus souple. Pour la première fois de sa carrière, la R6 reçoit un système ABS (obligatoire pour l’homologation Euro 4), mais il est non-réglable et ne peut pas être déconnecté. La moto est précâblée pour recevoir un shifter électronique accessoire de Yamaha (290 $) qui n’est opérant que pour monter les rapports.

Yamaha_R6-Lancement-08

La suspension est confiée à Kayaba. À l’avant, la R6 dispose d’une fourche inversée de 43 mm (41 mm sur l’ancienne) dont les réglages d’amortissement de précontrainte, de compression et de détente sont situés au sommet des tubes de fourche. Pratique ! Le té de fourche inférieur possède une section médiane amincie afin d’induire une certaine flexibilité au niveau du train avant en raison de la rigidité accrue des tubes de fourche de plus gros diamètre, mais aussi afin de maintenir une sensation d’équilibre. Les disques de frein avant passent à 320 mmm (+ 10 mm) alors que les étriers de frein et le maître-cylindre radial sont issus de la R1.

Si vous êtes un adepte de la piste, vous pouvez également vous procurer le contrôleur d’enregistrement et d’analyse de télémétrie Yamaha (Y-TRAC). Ce système utilise un GPS et dispose de la connectivité Wi-Fi pour transférer les données de roulage vers une tablette Android ou un iPad. Le prix de cet accessoire n’a pas encore été rendu public au Canada, mais aux États-Unis, il se détaille 899 $.

Yamaha_R6-Lancement-03

En piste !

Pour les séances sur piste, nos hôtes ont changé les pneus Bridgestone S21 d’origine par des R10 offrant une meilleure adhérence. La météo prévoyant de la pluie, ils ont également apporté des pneus de pluie Bridgestone W01. Nous avons eu la chance de rouler dans des conditions sèches et humides. Nos R6 étaient également équipées du shifter électronique.

Ça fait plus de trois ans que je n’ai pas piloté une Supersport sur un circuit, et après de nombreux lancements de motos de classe ouverte, j’ai oublié comment se comporte un moteur qui tourne à 16 000 tr/min et comment il faut le maintenir dans les tours pour générer de la puissance et de la vitesse. Cela nécessite une concentration différente de celle requise pour piloter une moto de classe ouverte, principalement quand on essaye de conserver les révolutions dans la partie grasse de la bande de puissance, qui, sur la R6, débute au-delà de 12 000 tr/min. Vous devez jouer du levier de vitesses sans cesse, ce qui souligne l’avantage apporté par le shifter. Il suffit en effet de tenir l’accélérateur ouvert en grand et de lever votre orteil gauche pour monter les rapports.

Aux fins de comparaison, nos hôtes ont mis à notre disposition des R6 2016. C’est alors que les changements effectués sur la R6 2017 sont devenus immédiatement évidents. Le moteur des deux modèles fait preuve d’une très grande similitude, et pour cause. Seule la présence du shifter qui vous permet de ne pas couper les gaz fait une réelle différence vous faisant probablement gagner plusieurs dixièmes de seconde au tour.

Yamaha_R6-Lancement-04

Lors de ma première sortie au guidon du modèle 2016, j’ai bloqué le frein arrière dans le premier tour. J’avais oublié qu’il ne disposait pas de l’ABS. Sur la nouvelle R6, l’ABS fonctionne parfaitement, de manière complètement transparente, même dans les virages plus serrés de Thunderhill, ce qui fait qu’on l’oublie. La sensation au levier est également grandement améliorée, offrant une meilleure progressivité et une rétroaction plus précise.

La plus grande différence de comportement se situe probablement au niveau de la direction, qui est plus précise sur la nouvelle moto. Dans le virage 5, une version miniature du tire-bouchon de Laguna Seca, j’ai dû corriger ma trajectoire en sortie, étant entré trop serré. Ça m’a pris quelques tours pour m’adapter à cette différence de comportement entre les deux machines, au niveau de la direction.

Après le déjeuner, la pluie a commencé à tomber fortement. Je suis sorti pour une séance sur les pneus de pluie. J’ai initialement sélectionné le mode de conduite B, le plus doux, mais je suis rapidement passé en mode STD, car le B s’est avéré trop doux pour l’adhérence incroyable des pneus W01. Même l’ABS est resté essentiellement imperceptible, se déclenchant seulement une fois à l’arrière.

Yamaha_R6-Lancement-05

Une espèce en voie de disparition ?

Longtemps considérées comme l’archétype de la moto sportive, les Supersport sont aujourd’hui une espèce menacée d’extinction. En lançant une nouvelle R6, Yamaha tente de réanimer ce segment moribond. Pourtant, je ne suis pas certain que les autres constructeurs japonais — à l’exception peut-être de Kawasaki — suivront Yamaha et mettront à jour leur moyenne cylindrée sportive bientôt. Si on en croit les rumeurs venues d’Europe, Honda arrêterait la production de la CBR600RR qui, dans sa configuration actuelle, ne rencontre pas les exigences de la norme Euro4. Et pour laquelle une mise à jour efficace visant la conformité à la future norme Euro5 représenterait un investissement colossal vu l’état délétère du segment. Même chose chez Suzuki qui abandonnerait la GSX-R600 pour les mêmes raisons. Et du côté de Triumph, l’arrêt de mort de l’excellente Daytona 675 a d’ores et déjà été signé au profit de la Street Triple RS.

Les 600 SS ont fait leur temps semble-t-il. Et elles sont aujourd’hui trop chères pour constituer une alternative économique aux sportives de classe ouverte ou aux roadsters extrêmes. L’année dernière, la Yamaha était la moto la moins chère de sa catégorie, à seulement 11 999 $ (13 799 $ pour la Honda, 13 399 $ pour la Kawasaki et 12 299 $ pour la Suzuki).

Cependant, les améliorations dont le modèle 2017 a bénéficié ont fait grimper son prix à 13 999 $, ce qui en fait la moto la plus chère de sa classe. Avec son arsenal électronique complet, elle est la sportive la plus technologiquement avancée, cependant.

Pour un pilote à la recherche de la meilleure pistarde du marché — plus maniable et plus facile à piloter rapidement sur piste qu’une hypersportive d’un litre —, la R6 2017 est probablement le meilleur choix disponible ici bas. Mais cela sera-t-il suffisant ?

Yamaha_R6-Lancement-12

FICHE TECHNIQUE

Yamaha_R6-Lancement-11

INFORMATIONS GÉNÉRALES

  • Poids tous pleins faits : 190 kg
  • Hauteur de selle : 850 mm
  • Capacité essence :  17 L
  • Consommation : Non mesurée
  • Autonomie : Non mesurée
  • Durée de l’essai : piste seulement — 5 séances
  • Prix : 13 999 $
  • Coloris : bleu, blanc perle/argent, noir mat

Yamaha_R6-Lancement-13

MOTEUR

  • Moteur : quatre cylindres en ligne, DACT, 4 soup./cylindre, refroidissement liquide
  • Puissance : 118 ch à 14 500 tr/min
  • Couple : 45,5 lb-pi à 10 500 tr/min
  • Cylindrée : 599 cc
  • Alésage x course : 67 x 42,5 mm
  • Rapport volumétrique : 13,1 : 1
  • Alimentation : injection électronique Mikuni à corps de 41 mm, 2 injecteurs. Accélérateur électronique ride-by-wire
  • Transmission : 6 rapports
  • Entraînement : par chaîne

Yamaha_R6-Lancement-07

PARTIE CYCLE

  • Suspension : fourche inversée Kayaba, tubes de 43 mm ajustable en compression, détente et précontrainte du ressort ; monoamortisseur Kayaba à réservoir séparé, ajustable en compression, détente et précontrainte du ressort
  • Empattement : 1 375 mm
  • Chasse/Déport : 24°/97 mm
  • Freins : 2 disques de 320 mm et étriers à quatre pistons à fixation radiale à l’avant, fixation radiale ; simple disque de 220 mm avec étrier simple piston à l’arrière. ABS de série
  • Pneus : Bridgestone Battlax S21
    120/70ZR17 à l’avant
    180/55ZR17 à l’arrière

GALERIE

Vidéoclip