« Essais

Triumphalement sportive !

Photos : Alessio Barbanti, Matteo Cavadini, Paul Barshon,Triumph, DR

Optimiser

« Je déteste ce mot, compromis. Il ne correspond absolument pas au travail que nous faisons. Je parle moi d’optimisation. » Stuart Wood, chef ingénieur de la marque Triumph, entré chez Triumph en 1987, connaît par cœur toute l’histoire de Triumph « période Hinckley » puisqu’il l’a en grande partie écrite. Quand je lui demande si la nouvelle Street Triple 765 résulte d’un compromis assez génial entre facilité sur route et efficacité sur circuit, fruit de dix ans de Street Triple, il répond ainsi. « Évidemment nous avons un cahier des charges à respecter, dont le prix final de la moto est un élément important. À partir de tous les paramètres que nous avons décidés au préalable, avec mon équipe d’ingénieurs, je cherche donc à optimiser. Atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé en prenant le temps et les moyens de parvenir au plus haut niveau possible. Sans compromis. Ceci concerne chaque pièce que nous dessinons, et l’accord global entre toutes ces pièces. Parce qu’on trouve parfois des solutions vraiment efficaces dans un domaine, et on s’aperçoit ensuite qu’elles nuisent à un autre paramètre tout aussi important. Il m’arrive de ne pas en dormir… »

L’approche qu’évoque Stuart Wood fait la personnalité de la Street 765. Elle a atteint un niveau d’efficacité impressionnant. D’un regard lointain, il est facile de se dire « Ouais, encore une nouvelle Street. Et on va dire qu’elle est mieux que l’ancienne. » Là, autant ne pas aller plus loin. Mais si on détaille les raisons pour lesquelles elle est effectivement plus aboutie et performante que l’ancienne, l’histoire devient passionnante.

Plus de punch, moins de poids !

2017-triumph-street-triple-Action-01

Ce premier essai a débuté sur des routes catalanes, un peu au nord de Barcelone, sous la pluie. Le parcours s’est vite faufilé entre des montagnes basses, parsemées de routes tordues. Freinages modérés sur le bitume mouillé, accélérations tempérées, angle mini… La Street RS assure un capital confiance hyper élevé. Parce qu’elle est fine à l’entrejambe, légère (186 kg tous pleins faits), douée d’un équilibre rare entre maniabilité et stabilité (je ne dirai plus compromis…), que son freinage se dose avec une superbe progressivité dans l’arrivée de sa puissance, que les suspensions travaillent avec la même progressivité tant en confort qu’en maintien de la stabilité de la moto… C’est une foule de petites choses pensées çà et là qui débouchent sur cette impression générale de sérénité et de facilité. Évidemment, il s’agit là du modèle RS, le plus cher, le mieux équipé (amortisseur Öhlins STX 40, fourche Showa BPF de 41 mm, étriers de frein avant Brembo Monobloc M50, pneus Pirelli Diablo Supercorsa SP…), le plus performant (moteur trois cylindres porté à 123 ch à 11 700 tr/mn).

Je discute plus tard avec Felipe Lopez, pilote de développement pour Triumph, qui travaille avec son frère David au sud de Barcelone, toute l’année, pour concevoir et tester les parties cycles des prototypes de la marque. Tous deux sont ingénieurs châssis et pilotes. Felipe m’explique : « Notre objectif sur la nouvelle Street, c’était de travailler sur la stabilité. Nous avions un nouveau cadre, assez proche de l’ancienne Street 675, mais avec un moteur plus puissant à loger dedans. Donc la moto allait potentiellement atteindre une vitesse maxi plus élevée et avoir des accélérations plus fortes. Pour la stabilité, nous avons ouvert très légèrement l’angle de la colonne de direction pour obtenir plus de déport au sol, paramètre le plus important. Nous avons voulu aussi concentrer au maximum les masses vers l’avant de la moto, parce que plus de poids sur l’avant garantit aussi plus de stabilité. Évidemment, il ne faut pas aller trop loin non plus pour conserver un équilibre global. Ensuite, il a fallu rehausser le point d’ancrage du bras oscillant. Plus il est dans l’axe du pignon de sortie de boîte et de la couronne de la transmission, plus l’effet de chaîne sera atténué. C’est-à-dire que la moto sera plus neutre à l’accélération. » L’effet de chaîne : phénomène physique qui lève le bras oscillant à l’accélération et produit une force qui vient lutter contre l’affaissement de l’amortisseur lors de cette même accélération. L’idéal, c’est quand ces deux forces tendent à s’annuler, mais pas complètement non plus afin que le pilote ressente ce moment. Pas simple…

2017-triumph-street-triple-detail-11

Felipe me parle aussi des nouvelles jantes, un kilo plus légères que les anciennes. « On ne se rend pas compte à quel point ça change tout ! Essaie un jour de changer de jante sur ta moto et d’en monter une plus lourde, tu vas le sentir tout de suite. Tu vas perdre beaucoup de maniabilité et de neutralité. Pareil pour les freins, les étriers et les disques doivent peser le moins lourd possible. Entre ceux de la Street S et ceux de la RS, il y a encore un kilo d’écart. Et ce sont des masses non suspendues. » Il me raconte enfin comment il a déplacé du poids qui était, sur l’ancien modèle, logé dans la boucle arrière. « Ce sont de petits éléments, des fils ou un boîtier, que nous avons recentré pour concentrer le poids. La boucle arrière pèse 1,6 kg de moins que l’ancienne. »

On reprend la route. Le ciel se dégage, la route aussi. Elle est maintenant large, avec de longs virages rapides, des lignes droites. Puis on traverse quelques patelins. Le moteur 765 cc ne se comporte plus tout à fait comme le 675. La puissance a augmenté de 16 % et le couple de 13 % (56,7 lb-pi à 10 800 tr/mn, assez haut perché). Les chevaux sont maintenant tout en haut, la 765 tonne fort entre 8 000 et 12 500 tr/mn, comme une petite teigne. À bas et mi régimes, elle paraît plus creuse que l’ancienne, ou en tout cas la différence entre la puissance en haut et le coffre en bas est plus importante. « Nous voulions cet effet « boost » à haut régime, commente Stuart Wood. La Street Triple RS représente notre moto sportive désormais, puisqu’on ne fabrique plus la Daytona depuis cette année. » Ce moteur sera d’ailleurs la base des futurs moteurs qui équiperont les Moto2 en GP, puisque Triumph remplacera Honda en tant que motoriste de la catégorie (probablement dès l’année prochaine). Jean-Luc Mars, patron de Triumph France, revient sur la récente histoire de Triumph. « En 2014, la marque a pris un virage décisif. Nous avons abandonné d’anciens projets pour nous recentrer sur trois segments : les Classic, les aventurières et les roadsters. Nick Bloor, le PDG, en a décidé ainsi, après de multiples études. Donc nous avons abandonné le créneau de la sportive. Mais on sait bien que cette pratique perdurera, surtout sur circuit, en loisir. C’est pour ça que la Street RS existe, aussi performante qu’une sportive, plus facile au quotidien, et moins chère. » Et c’est pour ça que Triumph a tenu à ce qu’on essaie la Street RS sur le circuit de Barcelone.

Une sportive à grand guidon ?

2017-triumph-street-triple-Action-12

Cette piste large, longue (4,4 km), avec une ligne droite en descente, ne devait pas forcément convenir à la Street. Elle y a pourtant été flamboyante. Stable, maniable, efficace. Je m’attendais à ce que le large guidon soit un handicap, qu’il engendre du mouvement. La piste est en plus bosselée. La Triumph n’a pas sourcillé, jamais. Même poussée assez loin : avec un collègue, on suivait David Lopez, le frère de Felipe (les pilotes de développement). Il nous emmenait de plus en plus rapidement. Ça a fini en bagarre monumentale, à un rythme vraiment élevé. Rien n’a perturbé l’équilibre de la RS. Seul le régime moteur devait être maintenu au-delà de 8 000 tr/mn, parce que là encore, le moteur est un peu mou en dessous, en conduite sportive. Autre truc auquel il faut faire attention, le mode moteur engagé (la Street est blindée d’électronique, de la poignée de gaz ride-by-wire à l’antipatinage, en passant par l’ABS [déconnectable], et donc les modes moteur, au nombre de cinq). Je suis parti à un moment en mode ‘Route’ et il était impossible de sortir correctement des virages sur l’angle, l’électronique jugulait la puissance. En mode ‘Piste’, plus rien de tout ça. Ce fut l’occasion de vérifier l’efficacité de l’électronique.

Celle des suspensions est bien plus bluffante. « Une bonne suspension, m’éclaire Felipe Lopez, c’est une suspension qui offre l’éventail de réglages le plus large possible. Les réglages que nous avons choisis pour le circuit, ici, n’ont rien à voir avec ceux que tu avais sur la route ce matin. Et ça transfigure la moto. Voilà à quoi on reconnaît de bonnes suspensions. Il n’y a pas de secret, ce genre de suspension coûte cher. D’où le prix plus élevé de la RS ».

2017-triumph-street-triple-Action-09

Je réfléchis maintenant et ne vois pas quel autre roadster de moyenne cylindrée serait capable d’une telle facilité sur route et d’une telle efficacité sur circuit. Le train avant trop vif de la Yamaha FZ-09 manque de stabilité, l’encombrement du quatre cylindres de la Kawa Z 900 n’offre pas la même facilité et la même légèreté… Peut-être la nouvelle Suzuki GSX-S 750, à essayer bientôt…

Le travail autour de la  Triumph Street Triple 765 RS a atteint des sommets. La moto née de ces recherches et tests permanents n’a aucun défaut, pour un roadster sportif. Et c’est peut-être son seul défaut (malgré son moteur pas assez vif à mi-régimes). Parce qu’une moto dont on n’arrive pas à cerner quelques limites, dont on ne perçoit pas quelques petits travers attachants n’a pas la densité de personnalité qu’une moto au caractère plus bosselé.

Au Canada, la RS arrivera chez les concessionnaires de la marque en avril, alors que la S et la R sont attendues en juin. Il faudra donc se montrer patient.

2017-triumph-street-triple-Action-14

FICHE TECHNIQUE

INFORMATIONS GÉNÉRALES

2017-triumph-street-triple-rs-Studio-01

  • Poids tous pleins faits : 186 kg
  • Hauteur de selle : 825 mm
  • Capacité essence :  17,4 L
  • Consommation : Non mesurée
  • Autonomie : Non mesurée
  • Durée de l’essai : 300 km (route et piste)
  • Prix : 14 000 $
  • Coloris : Noir, gris mat argenté

MOTEUR

2017-triumph-street-triple-detail-10

  • Moteur : 3 cylindres en ligne, DACT, 4 soup./cylindre, refroidissement liquide
  • Puissance : 123 ch à 11 700 tr/min
  • Couple : 56,7 lb-pi à 10 800 tr/min
  • Cylindrée : 765 cc
  • Alésage x course : 77,99 x 53,38 mm
  • Rapport volumétrique : 12,65 : 1
  • Alimentation : injection électronique multipoint. Accélératuer électronique ride-by-wire
  • Transmission : 6 rapports
  • Entraînement : par chaîne

PARTIE CYCLE

2017-triumph-street-triple-detail-02

  • Suspension : fourche inversée Showa BPF, tubes de 41 mm ajustable en compression, détente et précontrainte du ressort ; monoamortisseur Öhlins STX40 à réservoir séparé actionné par une biellette, ajustable en compression, détente et précontrainte du ressort
  • Empattement : 1 450 mm
  • Chasse/Déport : 24,5°/103 mm
  • Freins : 2 disques flottants de 310 mm et étriers Brembo Monobloc M50 quatre pistons à l’avant, fixation radiale ; simple disque de 220 mm avec étrier simple piston à l’arrière. ABS Continental déconnectable de série
  • Pneus : Pirelli Diablo Supercorsa SP
    120/70ZR17 à l’avant
    180/55ZR17 à l’arrière

Galerie