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L'Ace Cafe, ancienne patrie de la H2

Photos Charles Seguy et F&L. 

Le seul truc que je me voyais faire avec la H2, c’était l’emmener sur un des lieux historiques du sprint, l’Ace Cafe à Londres. Lui faire renifler l’époque rebelle des Ton-up boys, rockers, motards, qui se tiraient la bourre entre deux bistrots, le temps d’un air de juke box. J’aurais préféré marcher sur les pas des kaminari zoku, mêmes dingues de la moto issus des classes laborieuses japonaises, plus tard réunis sous le terme bōsōzoku. Mais je suis trop fauché pour ça. On va me dire que la H2 n’a rien à voir avec les café racers des ton-up boys, justement égard à son prix et surtout au fait qu’on ne peut pas la bricoler, mais je m’en fous. Impossible de la battre entre deux bars, c’est tout ce qui compte.

Sauf que l’Ace Cafe est à 550 kilomètres de chez moi. Je me fais mon sprint en solo.

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C’est parti pour un aller-retour express Paris-Londres

8 heures et des cacahuètes, je décolle de ma région parisienne. Pontoise, N184 puis A16, ça brouillasse fort. Sur la première quatre voies, je me suis vu invincible avec toute l’électronique embarquée. Je pousse un peu la trois, genre 5 mm d’ouverture de gaz, mais là-dessus tout millimètre prend des proportions de décamètres. Le compte-tours miaule, l’arrière se met à l’équerre ! La route humide, le pneu arrière Bridgestone RS10 pas bien sculpté et le mode KTRC 1, ça s’accommode mal d’une route pourrie. Je partais peinard, je deviens tendu. Je tâte le frein arrière pour tester l’ABS. Et au premier feu rouge, je passe en mode pluie, avec petit parapluie au tableau de bord, c’est mignon. On est loin du ton-up boy spirit, pas vrai ? Ils n’étaient pas assis sur 225 ch (avec le silencieux Akra), eux. Leur problème, c’était plutôt les freins et les pneus.

Premier arrêt dans la Somme

Premier arrêt dans la Somme

Je ne me souviens plus si je suis parti avec le plein. Premier arrêt dans la Somme, j’y vois rien. Toujours pas à l’aise. Je traque les traces de gasoil sur la bretelle de sortie. Y a pas grand-monde sur l’aire, j’en prends pour 14 € d’essence, le réservoir ne devait pas être plein. Café, cigarette, et ça repart, plus efficace que les barres au chocolat.

Deux amis avaient déjà roulé avec la H2, ils trouvaient le confort et la position super, ils s’attendaient à pire etc. Ils sont sûrement faits en caoutchouc. Faut pas déconner, on est sur des bracelets, le buste allongé sur le large réservoir, la nuque tordue pour voir devant. On m’a dit que j’étais probablement pas assez grand. On m’a toujours dit ça… Je finis par m’y faire, la selle est large et longue. Parfois en appui sur le réservoir, parfois sur les repose-pieds, parfois sur les bracelets, je varie. Longue séance de gainage.

Par bonheur, ça bouffe un doberman. Nouvel arrêt après 160 kilomètres, je calcule 9 l/100 à environ 6 000 tr/min de croisière (un peu plus de 140 km/h). Je détends ce qu’il me reste de physique. Un gars m’aborde, me demande si c’est bien elle, la nouvelle H2, le truc furtif dingue. Elle ruine peut-être mes cervicales, mais elle me gonfle l’égo, et c’est très bien parce que c’est un truc dont on a de plus en plus besoin, par ces temps superficiels.

La H2 se paye une balade en train

La H2 se paye une balade en train

J’approche Calais, le ciel se découvre, j’ose des excès. L’expérience vaut le coup de se lever tôt. Je ne sais pas si on vit les dernières heures des moteurs à pétrole, mais peu de bécanes raclent le fond des sensations avec autant de vigueur, d’allégresse, de mépris pour les lois physiques. Le régime moteur grimpe aux rideaux comme un jeune chat excité. C’est vif, fort, on n’ouvre pas en grand comme ça. L’énorme avantage de ces motos surgonflées est là, dans l’appréhension, la méfiance. Un peu comme les grosses GSX-R du début des années 90 ou la Kawa 750 turbo, en beaucoup plus salé. Dans un bruit dingue.

Dans le train, sous la Manche, on m’aborde encore. Même ceux qui n’y connaissent rien sont attirés par sa gueule de poisson des tréfonds. Ses ailerons, sa peinture chromée noire, son drôle de petit cadre en tubes d’acier, le quatre cylindres qui déborde…

Sur la M20, l’autoroute entre Douvres et Londres, je fais gaffe. Les radars anglais peuvent être vicieux. Le drame de la H2 se joue dans cette angoisse permanente. Son démon appartient à d’autres temps. Les cinglés de la North Circular Road, au bord de laquelle s’est installé l’Ace Cafe en 1938, ou les timbrés du périph’ parisien dans les années 80. La H2, c’est un missile ultrasonique tiré depuis ces moyen-âges mécaniques.

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L’Ace Cafe London : la légende en prend un coup !

12h45, j’arrive dans la banlieue de Londres, Paris est un village à côté. Le bordel de circulation et de panneaux dans tous les sens… Dans les bouchons, le moteur chauffe les pattes. Doux et plein très bas dans les tours grâce au compresseur, il se tire bien de ces horreurs. La moto est haute, à cause justement du compresseur placé au-dessus de la boîte de vitesses. Je tourne en rond pendant deux heures avant de trouver l’Ace Cafe.

Je m’attendais à un immense truc à cause des photos grand angle que j’avais vues. C’est un petit bistro de bord de route, peint en blanc, dans une banlieue un peu glauque, fidèle à l’esprit des années 50/60. L’intérieur plus classe ne rappelle pas, lui, l’esprit café rocker. Un peu déçu, j’en sors assez vite. Dehors, deux mecs me posent plein de questions. Ils s’étonnent de me voir rouler avec cette Kawa déjà mythique à quelques jours de l’hiver, ils me demandent en rigolant si je suis médecin ou dentiste, rapport au prix de la moto. Eux roulent en Honda NTV 650 et Suzuki SV 650.

L’air sent le vinaigre, la bouffe grasse, l’humidité.

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Je me hâte, le train du retour est à 17h30 et je veux rentrer par des routes plus petites, humer l’Angleterre profonde. Retour sur la North Circular Road. Même s’il n’y avait pas de radar, ce serait impossible de rejouer au café racer tellement y a de bagnoles.

Twinckenham, Croydon, je me perds à nouveau. Je prends quand-même le temps de passer devant le circuit de Brands Hatch. Les routes superbes, avec visibilité, m’offrent l’occasion de tirer sur les mi-régimes, de pousser la trois jusque 14 000 tr/mn, le régime maxi. Concentration. La H2 se balance pas mal dans les virages, elle est surtout super stable, moyennement maniable parce qu’assez lourde (238 kg selon Kawa) et qu’elle emmène un gros pneu arrière de 200 de large. Les suspensions sont fermes, sportives.

La H2 aime par dessus tout les bouts droits, le grand air, l’espace. Le moindre de ses membres s’est musclé pour ça : un sprint effréné. Le hurlement du moteur trahit sa folie. Jamais les gars qui se tiraient la bourre avec leur Triumph ou leur BSA n’auraient pu soupçonner une telle possibilité. Inimaginable tant qu’on ne l’a pas vécu.

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Retour par le train et A16 en sens inverse. J’ai fini par me faire à la position, complètement couché. Il faut se plier à ce genre de machine, elle ne fera pas l’effort, son but est ailleurs.

22h30 et de fréquents arrêts, je rentre chez moi. 1 267 bornes dans la journée là-dessus, genre de sprint moderne. Puisque se tirer la bourre entre deux bistrots n’est plus jouable.

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En langage chiffré

  • Coût total (bouffe, essence, train) : 180 $ (environ), dont 55 € de train A/R
  • Kilométrage total : 1 267 km
  • Conso moyenne : 9,2 l/100 km
  • Prix de la Kawa H2 : 31 000 $
  • Toutes les infos techniques ici.

Julien, inspiré par la H2, c’est ici !

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