L’âge de la maturité
Publié le 2 août 2016
Après 15 ans de bons et loyaux services, la FJR1300 est remise au goût du jour par Yamaha afin de répondre aux besoins des motocyclistes à la recherche d’une GT qui allie sportivité et confort au long cours. J’ai essayé une version ES à suspension électronique à l’occasion d’un voyage éclair en duo, dans les Mille Îles.
Photos : Didier Constant, Dave Beaudoin, Roger Yip et Yamaha
Lancée en 2001 (deux ans plus tard au Canada), la FJR1300 a été conçue à la fin des années 1990. C’était dans un autre siècle. Un autre millénaire. À une époque où les grosses routières sportives dominaient la route. Aujourd’hui, ces mastodontes du bitume n’évoluent guère et sont en voie d’extinction. Comme la Honda ST1300 qui a été mise au rancart et n’est plus au catalogue du Géant Rouge en 2016. Elles sont encore quatre à se disputer l’hégémonie d’un créneau qui rétréci comme une peau de chagrin : la BMW R1200RT, la Kawasaki Concours 1400, la Moto Guzzi Norge GT 8V et la Yamaha FJR1300. Cette dernière n’est ni la plus puissante ni la plus grosse, mais certainement la plus équilibrée. Et la meilleure vente du secteur.
Depuis 2003, j’ai conduit toutes les versions de la FJR1300, même celle à boîte semi-automatique. La dernière en date était un modèle 2013 revampé. La mouture 2016 dont je dispose pour ce voyage avec mon épouse, dispose d’une suspension électronique, d’une nouvelle boîte à six rapports réclamée à cor et à cri par les propriétaires du modèle depuis des années déjà, d’un feu arrière à DEL, d’un tableau de bord revisité et est conforme à la nouvelle norme européenne Euro 4. Elle est donc prête pour poursuivre sa glorieuse carrière pendant encore quelques années.
Les Mille Îles par les routes secondaires
Profitant d’une semaine de vacances, ma femme et moi décidons de partir trois jours en Ontario par le chemin des écoliers afin de nous détendre et, accessoirement, tester la FJR1300ES. Nous établirons notre camp de base à Belleville et rayonnerons autour de la Baie de Quinte et du Comté du Prince Edward où nous passerons un après-midi au magnifique parc Sandbanks.
Au départ de Montréal, vers 10 heures, il fait déjà chaud. Pour nous rafraîchir un peu les idées, je choisis de suivre la route 338 à partir de Vaudreuil en longeant le canal de Soulange et le Saint-Laurent jusqu’à Cornwall. Cette route panoramique rejoint ensuite l’ancienne route 2, aussi appelée Kings Highway 2, qui reliait auparavant Windsor à Halifax, avant la construction de l’autoroute 401.
Le Saint-Laurent est un long fleuve, parfois tranquille, et quasiment rectiligne. Comme tout en Amérique du Nord, les autoroutes, les rues et la pensée. Par moment, il fait un petit crochet, pour éviter une Île qui abrite une résidence secondaire sur la frontière virtuelle entre le Canada et les États-Unis. Ébahi, je me remplis les yeux de la majesté du panorama. Je me laisse réchauffer par le soleil qui plombe. Je me régale des arômes qui chatouillent mes narines. Le bonheur tient à peu de choses. Il suffit en fait d’avoir une moto, une belle route et quelqu’un avec qui partager ce cadeau de la vie que les caisseux ne connaîtront jamais. Pourtant, malgré la magnificence du décor — on se croirait dans un paysage de Van Gogh — mon esprit vagabonde. Erre entre questionnements existentiels, réflexions existentialistes et considérations bassement matérielles.
Au guidon de la FJR, je roule à l’ancienne. C’est-à-dire vite et en tout confort. Et je ne peux m’empêcher de penser à ce temps révolu où la moto était un espace de liberté dans lequel on pouvait s’épanouir. S’exprimer. Paradoxalement, aujourd’hui l’industrie nous vend des aventurières de plus en plus sophistiquées avec lesquelles on ne voyage plus — en tout cas pas comme avant — sinon pour se plaindre du confort de nos montures suréquipées après une heure de route. Et en roulant si lentement que le temps nous rattrape, inexorablement.
Les grosses GT comme la FJR vivent leurs dernières heures de gloire. Et les atouts dont elles jouissaient exclusivement jadis — puissance, confort, tenue de route impériale, vitesse — sont aujourd’hui l’apanage de machines sinon plus efficaces, à tout le moins plus polyvalentes. Des motos plus légères, plus maniables, mieux suspendues et encore plus équipées. Et bien qu’elle développe 146 chevaux, la Yamaha pèse presque 300 kg tous pleins faits, soit 70 kg de plus que la BMW S1000XR qui m’accompagne dans mes pérégrinations cette saison. En plus d’afficher un empattement de paquebot transatlantique. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir une direction neutre, une bonne maniabilité, un comportement sportif et une tenue de route exemplaire.
Sur la Route 2, le temps semble figé, pour peu que l’on sorte des agglomérations. Je suis persuadé que les premiers colons avaient, à quelques détails près, la même vue que nous sur le fleuve quand ils l’ont remonté à la découverte du pays. Seuls les champs aujourd’hui cultivés diffèrent. Ils dessinent des taches multicolores dans ce tableau impressionniste aux couleurs chatoyantes. Le bleu du Saint-Laurent se marie avec le vert des prés, le jaune des champs de maïs ou de blé, le marron des terres en jachère. De temps en temps, une grange rouge trahit une présence humaine dans ce paysage grandiose.
Comme nous ne partons que trois jours, la moto est peu chargée. Les deux valises sont pleines, dont une de choses dont nous espérons ne pas nous servir (combinaisons de pluie, gants en néoprène, vestes thermales, cagoules) ou d’accessoires de sécurité (cadenas, bombe anti-crevaison, bonbonne de nettoyant, chiffons, trousse à outils…). Un sac marin qui abrite notre linge pour le voyage est attaché sur le porte-paquet. À ce sujet, je déplore le manque de points d’ancrage où fixer sangles et tendeurs. Je suis obligé de les accrocher à la plaque d’immatriculation et à la poignée de maintien du passager pour les sécuriser en place. Ce n’est pas assez …
En roulant à un train de sénateur, la protection du carénage et de sa bulle ajustable électriquement, par un simple bouton au commodo gauche, est irréprochable. Mais il n’est pas nécessaire de la régler. En fait, c’est en position basse qu’elle se montre la plus efficace. Elle laisse passer suffisamment d’air pour garder le pilote au frais et ne génère pas trop de bruit. Si on la met en position haute, il fait soudainement plus chaud derrière le cockpit et le flot de l’air est redirigé sur le haut du casque. Mais dès qu’on augmente la cadence, les turbulences et le bruit deviennent une nuisance. Et pourtant, je roule avec des bouchons auditifs en tout temps. En bas, la bulle crée un tourbillon d’air au niveau des épaules et du cou. Le niveau sonore est très élevé. Avec la bulle réglée en position relevée, les turbulences nous secouent la tête de droite à gauche, d’avant en arrière, au fur et à mesure que la vitesse grimpe. Et le bruit est assourdissant. De plus, ma femme se plaint d’un mouvement d’air important dans l’espace situé entre elle et moi. Et déplore une poussée dans le dos à haute vitesse. C’est là que l’on mesure les progrès accomplis sur les pare-brise des motos modernes. Dans les circonstances, je choisis de laisser la bulle en position basse pour le reste du voyage.
De Brockville à Kingston, nous suivons la route panoramique des Mille Îles où nous arrêtons souvent pour prendre des photos. En me garant sur le bas côté de la route, je me rends compte du poids imposant de la Yamaha. Chaque manœuvre à basse vitesse réclame attention et doigté. Mais une fois en mouvement, la FJR retrouve son aplomb. À proximité de Gananoque, la perle des Mille Îles, je m’engage sur la 401 pendant quelques kilomètres pour contourner des zones de travaux. Et là, j’apprécie davantage l’ajout du sixième rapport qui permet d’abaisser le régime à vitesse stabilisée. Le moulin tourne de 600 à 800 tr/min moins vite qu’en 5e sur l’ancien modèle, selon Yamaha. Ce qui a pour effet de réduire les vibrations et la consommation d’essence. Depuis mon départ de Montréal, la consommation se situe aux alentours de 5,4 L/100 km. Pour une autonomie de plus de 420 km à ce rythme.
Après une pause d’une heure dans le Vieux Kingston, je décide de rejoindre l’autoroute, question de voir ce que la FJR1300 a dans le ventre. J’ajuste la suspension sur « Hard », (pilote + passager + bagages), je sélectionne le mode « Touring », j’enclenche le régulateur de vitesse et je m’élance à l’assaut des 70 derniers kilomètres à un rythme nettement plus enthousiasmant. À 140 km/h en sixième, le quatre en ligne de 1298 cc refroidi au liquide ronronne presque. Il est doux, exempt de tremblements. L’empattement long et le poids de la moto lui permettent de jouer sa partition avec maestria. La Yamaha est stable, plantée dans le bitume, sa direction neutre et précise. Si j’étais en Allemagne, j’essaierais de voir si elle maintient ce même comportement à des vitesses indécentes. Mais en Ontario, je me retiens. Je n’ai pas envie de passer la nuit en prison et de rentrer à Montréal en bus, le portefeuille allégé de quelques milliers de dollars durement gagnés. À vitesse d’autoroute, la consommation monte à 5,9 L/100 km. Ce qui est tout à fait raisonnable dans les circonstances.
En utilisation routière sportive, les pneus Bridgestone BT-023 s’avèrent un bon choix pour ce type de machine. Ils sont neutres et n’alourdissent pas la direction, ils offrent une adhérence suffisante pour rouler de façon sportive et une longévité au-dessus de la moyenne en plus de donner un bon retour d’information sur la traction disponible. J’aimerais essayer des gommes plus récentes afin de voir si le comportement de la FJR est bonifié.
Arrivé à Belleville après 427 kilomètres de routes principalement secondaires, je suis content de prendre une bonne douche et de marcher un peu. J’ai mal au cul, malgré mes shorts Moto-Skiveez. La largeur excessive de la selle la fait non seulement paraitre plus haute qu’elle l’est en réalité (même si je l’ai réglée au plus bas, soit à 805 mm, je suis sur la pointe des pieds à l’arrêt), mais elle est ferme et possède des arêtes saillantes qui causent des douleurs à la longue. De plus, la position de conduite penchée légèrement vers l’avant, les bras tendus, tire les muscles du bas de mon dos. Et j’ai les jambes engourdies, car trop repliées. À moins de pouvoir rouler constamment à très haute vitesse au guidon de la FJR, on s’aperçoit qu’elle est moins confortable qu’une aventurière moderne. Même constat de la part de ma passagère qui est ankylosée. Et dont les oreilles bourdonnent encore une demie heure après notre arrivée.
Nous profitons de notre soirée à Belleville pour nous promener en ville et prendre un repas décent. L’art de la gastronomie n’est pas encore très répandu en Ontario. Il faut parfois se contenter du peu que l’on trouve et remettre les agapes à plus tard.
Escapade à la plage
Pour ce voyage de trois jours, j’ai laissé cartes routières et GPS à la maison pour rouler à l’instinct. En faisant confiance à mon cerveau reptilien. Partir sans but ni préavis. Dès lors qu’on planifie, l’aventure disparait pour faire place à la routine et à l’ennui. Pour profiter de la moto au maximum, il faut savoir faire place à l’improvisation. Ne pas analyser à l’excès. Arrêter de réfléchir un instant pour ressentir. S’imprégner de l’environnement. Se laisser guider par les événements. Profiter des rencontres.
Le matin du deuxième jour, nous quittons l’hôtel assez tard, vers 9 h 30, pour aller dans le Comté du Prince Edward. Nous empruntons les routes les plus sinueuses que nous trouvons pour aller déguster un petit-déjeuner gastronomique à Picton, le village branché du coin. Là, je connais un petit bistro, « The Bean Counter Cafe » qui fait de l’excellent café, même s’il est équitable, et un pain aux bananes succulent. Pour les amateurs de pâtisserie, je recommande aussi le gâteau à la rhubarbe, mélange de quatre-quarts et de muffins qui est une vraie tuerie.
Le Comté du Prince Edward est un endroit charmant, fait de villages pittoresques et de décors qui évoquent la fin du 19e siècle. La vie s’y écoule à un rythme lent. Humain. Les routes tournicotent au gré des fermes et des champs cultivés, mais aussi des obstacles naturels. Dans cet environnement presque anglais, la FJR1300ES se sent plus à l’aise. Elle virevolte dans les grands virages rapides avec aisance, stable, imperturbable, homogène. Malgré ses presque 300 kg, elle affiche un train avant incisif et ne bouge pas d’un poil sur l’angle. On dirait presque une sportive. Elle est bien desservie par une répartition équilibrée de ses masses et fait preuve d’une maniabilité surprenante en dépit de son empattement long de 1 545 mm. C’est dans ce genre de terrain qu’elle est la plus agréable à conduire. Et sur les grandes routes rapides, à l’Allemande, où elle laisse ses qualités dynamiques s’exprimer.
Dans le Comté du Prince Edward, on trouve aussi le magnifique Sandbanks Provincial Park qui borde le lac Ontario, avec ses rivages de sable fin et ses eaux chaudes. Un lieu magique où nous décidons de pique-niquer en amoureux et passer une partie de l’après-midi à lézarder au soleil, sur la plage.
De retour à Belleville, en fin de soirée, nous finissons cette journée superbe chez « Paulo’s Italian Trattoria » une pizzéria du centre historique qui a l’avantage d’être ouverte tous les soirs tard. La bouffe y est correcte, sans plus, et le décor sympa, quoi que kitch.
Le dimanche matin, c’est le temps du retour à Montréal. Par les routes secondaires, jusqu’à Brockville, puis par la 401 et la 40 pour la fin du parcours. Un chemin qui ne fait que confirmer les impressions ressenties les deux jours précédents. Dont la douceur extrême du quatre en ligne puissant et coupleux, le freinage excellent, les suspensions électroniques efficaces et faciles à régler. Mais aussi un poids élevé, une certaine lourdeur de direction et une position de conduite qui taxe les vieux squelettes comme le mien.
Vive le tourisme à l’européenne !
Après 15 ans de carrière, la Yamaha FJR1300ES a atteint la maturité et s’impose comme une routière de haut niveau. Sportive, rapide et imperturbable, elle est une authentique Gran Turismo à l’européenne. Une moto faite pour rouler longtemps et vite sur des autobahns sans limites de vitesse. Chez nous, elle est un peu handicapée par l’environnement routier castrateur dans lequel elle doit évoluer au quotidien, forcée de jouer les motos de tourisme pépères, un rôle contre nature qu’elle rechigne à remplir. Elle offre un bel équilibre et une homogénéité qui font rêver. Et qui préfigurent une nouvelle génération de GT légères, maniables et modulables. Des machines modernes au confort superlatif adaptées aux besoins des motocyclistes d’aujourd’hui. Capables de rivaliser avec les aventurières en terme de polyvalence et de facilité d’utilisation.
FICHE TECHNIQUE
INFORMATIONS GÉNÉRALES
- Poids tous pleins faits : 291 kg
- Hauteur de selle : 805/825 mm
- Capacité essence : 25 L
- Consommation : 5,9 L/100
- Autonomie : 420 km
- Durée de l’essai : 1177 km
- Prix : 19 499 $
MOTEUR
- Moteur : Quatre cylindres en ligne, 4— temps, DACT, refroidi au liquide, 4 soupapes par cylindre
- Puissance : 146 ch à 8 000 tr/min
- Couple : 102 lb-pi à 7 000 tr/min
- Cylindrée : 1 298 cc
- Alésage x course : 79 x 66,2 mm
- Rapport volumétrique : 10,8 : 1
- Alimentation : Injection électronique Mikuni à corps de 42 mm
- Transmission : six rapports
- Entraînement : par cardan
PARTIE-CYCLE
- Suspension : fourche télescopique inversée Kayaba à réglage électronique, diam 43 mm ; amortisseur Monocross Kayaba à réglage électronique.
- Empattement : 1 545 mm
- Chasse/Déport : 26 degrés/109 mm
- Freins : 2 disques de 320 mm avec étriers 4 pistons à l’avant ; simple disque de 282 mm avec étrier simple piston à l’arrière. ABS unifié de série.
- Pneus : Bridgestone BT-023
120/70ZR17 à l’avant
180/55ZR17 à l’arrière
VERDICT RAPIDE
ON AIME BIEN
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ON AIME MOINS
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