Ne m’appelez plus Miss Bonnie!
Publié le 20 mars 2016
Profitant d’une invitation de Triumph dans le cadre de la Bike Week de Daytona, je suis allé brûler de la gomme sur l’asphalte floridienne pendant 48 heures, question de me dégourdir les jambes, les doigts et les méninges en plus de réchauffer ma vieille carcasse au soleil. Une occasion en or de découvrir la nouvelle Street Twin 900 qui a changé de nom dans sa métamorphose.
Texte : Didier Constant — Photos : © Didier Constant, Triumph et DR
Il est tôt. À peine 9 heures. Mais il fait beau et déjà chaud. Le soleil est au rendez-vous. Comme souvent en Floride, à cette période de l’année. Je roule sur la route panoramique A1A entre Daytona Beach et St-Augustine, lieu d’accostage du conquistador Ponce de Leon en 1513 et plus ancienne ville d’Amérique du Nord. À droite l’océan Atlantique, à gauche la rivière Matanzas et ses marais, particulièrement nombreux au nord de Flagler Beach. Selon la direction dans laquelle on tourne la tête, on a les narines chatouillées par les embruns marins ou les relents nauséabonds des marécages. Au fil des kilomètres, on reconnait un large éventail d’arômes magiques. Tantôt, c’est le parfum des bougainvilliers, tantôt celui des palmiers, tantôt celui des chênes rouges. Et toujours l’odeur particulière de la chaleur du sud-est des États-Unis. Car la chaleur possède une senteur particulière. Qui n’est pas la même selon que l’on se trouve à Daytona Beach, aux Baux-de-Provence ou à Ouarzazate. Ici, elle est lourde, épaisse et se mélange à l’odeur âcre des marais et à celle graisseuse des « fast-foods ».
Alors que je vagabonde dans mes pensées, un pélican qui me suit depuis environ un kilomètre décide de tourner brusquement à gauche, vers la rivière, me coupant le chemin. À ce moment-là, j’apprécie l’efficacité du simple disque avant qui me permet de l’éviter de justesse. Sur cette route aussi droite qu’un cierge, les distractions sont rares, mais elles peuvent être fatales. Depuis que j’ai quitté Daytona, il y a environ 45 minutes, je n’ai pas croisé cinq sportives. Que des customs, des bitzas invraisemblables ou des Boss Hoss ornés de flammes.
Sur le bord de l’océan, de magnifiques maisons sur pilotis aux couleurs pastel égaient le paysage. On dirait qu’elles s’enfoncent dans le sable. En fait, c’est le niveau de l’eau qui monte. Inexorablement. Au gré du réchauffement climatique. Les experts prédisent que dans quelques années une grande partie de la Floride sera engloutie par les eaux. Mais nul ne sait si ça sera dans dix ans, dans 20 ans ou dans cinquante. En attendant, les snowbirds (les retraités venus du Canada ou du nord des États-Unis pour passer l’hiver dans le sud) coulent des jours paisibles, sans se soucier du lendemain. Il est vrai que dans leur cas, l’horizon est à court terme. Ils partiront les pieds devant avant d’avoir les pieds mouillés.
Au guidon de la Street Twin, je roule en mode pépère. C’est à peine si je dépasse 110 km/h. Et ce n’est pas l’absence de carénage qui me dicte cette cadence sénatoriale, mais une certaine langueur. Je me laisse aller au farniente. Je profite de l’instant. C’est à peine si je ressens la pression du vent sur mon cou et mes épaules. En fait, j’aurais plus à me plaindre de la selle qui me tanne le cuir. Les suspensions quant à elles sont adéquates et je n’ai rien à leur reprocher. Il faut dire que le revêtement est lisse comme un miroir.
Cette route, je l’ai parcourue des dizaines de fois. Je suis un habitué de Daytona Beach. Je m’y suis rendu en pèlerinage chaque première semaine de mars de 1985 à 2010, pour la Bike Week. Plus pour les courses que pour le rassemblement de Bikers qui, je dois le reconnaitre, ne m’excite pas vraiment le poil des pattes. À l’époque glorieuse des 200 Miles, les plus grands pilotes du monde s’y retrouvaient pour lancer leur saison. J’ai ainsi assisté, témoin privilégié, aux exploits des Kenny Roberts, Freddie Spencer, Eddie Lawson, Wayne Rainey, Kevin Schwantz, Mat Mladin et, bien entendu aux cinq victoires de Scott Russell et de Miguel Duhamel, les deux recordmen de l’anneau mythique.
Pourtant, après un hiatus de six ans, je suis content de me retrouver dans cet environnement familier. Les hordes de motos ont déserté les rues de la ville, même sur Main Street où la circulation est relativement fluide. Le cirque s’est déplacé plus au nord, en bordure de l’autoroute 95, à Destination Daytona où loge le gigantesque concessionnaire Harley-Davidson de Bruce Rossmeyer. C’est là, aujourd’hui que se réunissent la plupart des participants à la Bike Week quand ils ne sillonnent pas les routes de la région.
La Street Twin est l’une des cinq machines de la nouvelle génération Classics de Triumph. Elle est inédite. Elle perd même son patronyme au profit des Bonneville T120 qui grimpent en cylindrée, tout comme les Thruxton 1200. La Street Twin, c’est le modèle d’entrée de gamme de cette famille reconstituée. Elle est propulsée par un bicylindre parallèle de 900 cc à huit soupapes, refroidi au liquide (une nouveauté dans cette gamme rétro), combiné à une boîte à cinq rapports. Elle se distingue par des jantes à bâtons et par un simple disque de frein à l’avant. Visuellement, elle en jette. Très réussie, particulièrement dans sa robe rouge à bandes blanches.
Même si je suis un amateur de motos classiques et de néo rétros, ça fait longtemps que je n’ai pas conduit une Triumph de cette famille. La dernière était une Speedmaster, en 2004. À Daytona, déjà. Pour être franc, elle ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. Je n’aimais pas son look, sa position de custom et je la trouvais fade, sans caractère et sous motorisée. Rien à voir avec la Ducati 1000 GT sortie à la même époque et qui m’avait carrément envoutée.
À ses commandes, je découvre un poste de pilotage dépouillé, dans le plus pur esprit vintage. Un simple compteur de vitesse circulaire, très réussi d’un point de vue esthétique, mais pas de compte-tours. Il indique la vitesse en kilomètres à l’heure et en miles à l’heure, le rapport engagé, le niveau d’essence et le kilométrage total. Plus deux indicateurs. Un pour l’huile, l’autre pour le moteur. L’écartement des leviers d’embrayage et de frein s’ajuste.
Basse, compacte et fine, la Street Twin est d’une facilité déconcertante à piloter. Encore plus quand on l’enfourche après avoir passé une heure au guidon d’une Triumph Explorer XCa. À l’aise autant que confortable sur cette route bucolique, elle se montre vraiment dans son élément en ville. En arrivant à St-Augustine où j’ai décidé de faire une pause pour le déjeuner, je découvre une machine joueuse et vivante qui se faufile dans la circulation urbaine avec une vivacité étonnante. Il faut dire que la Triumph est équilibrée. Avec 48 % du poids réparti sur l’avant, le travail de recentrage des masses porte ses fruits. Et l’utilisation d’une roue de 18 pouces à l’avant renforce la stabilité de la Triumph, sans nuire à sa vivacité.
L’Anglaise se démarque également par une selle basse qui culmine à 750 mm, ce qui la rend accessible au plus grand nombre, même aux pilotes de petit gabarit ou aux femmes. Les plus grands, ceux qui dépassent le mètre quatre-vingt se plaindront du repli excessif des jambes. Mais, dans l’ensemble, le bilan est plutôt positif.
Avec son look néo rétro qui fait se hérisser la barbe des hipsters, la Triumph est élégante. C’est l’une des plus belles motos de sa catégorie. Elle attire les regards et fait tourner les têtes sur son passage. D’autant que son ramage est à la hauteur de son plumage. Le bicylindre vertical dont le vilebrequin est calé à 270° s’ébroue dans une mélopée mélodieuse. Une sonorité qui est bien rendue par les deux échappements coniques d’origine. Bien qu’il ne soit pas un monstre de puissance, le moulin britannique est enjoué et démonstratif. Il affiche un couple supérieur de 18 % par rapport au modèle précédent et son comportement est méconnaissable. La mécanique a retrouvé vie et affiche une vigueur étonnante à bas et moyen régimes. Rien à voir avec le moteur anémique de la Moto Guzzi V7, une de ses principales concurrentes. En fait, il crache 54 ch à 5900 tr/min, pour un couple qui s’établit désormais à 59 lb-pi à 3230 tr/min. Sur route rapide, la Street Twin n’a aucune difficulté à atteindre les 165 km/h (au compteur), vent dans le dos. Elle tire sans faillir jusqu’à l’approche de la zone rouge.
Douceur et facilité sont deux caractéristiques de la Bonnie que l’on retrouve au niveau de l’embrayage dont le levier ne requiert aucun effort, mais aussi de la boîte de vitesse à cinq rapports qui est aussi souple que précise. Les vitesses passent avec une facilité étonnante et se verrouillent à coup sûr. La première est longue et nécessite parfois de faire glisser l’embrayage au décollage, mais le couple élevé du twin facilite les démarrages.
En l’absence de tachymètre, on conduit à l’ancienne, c’est-à-dire à l’oreille. Au feeling. Lequel ne manque pas, car les sensations sont au rendez-vous sur toute la plage de puissance. La Street Twin surprend, étonne, séduit. D’autant qu’elle vibre peu, grâce à ses deux arbres d’équilibrage.
La consommation d’essence qui, selon Triumph, a baissé de 36 % se stabilise aux alentours de 4,5 L/100 km pour une autonomie théorique d’environ 270 km avec le nouveau réservoir de 12 litres de capacité. Le réservoir de plus petite contenance contribue à abaisser le poids de la Street Twin de 225 kg à 217 kg comparativement à la Bonneville 2015.
La position de conduite très naturelle, le dos droit, les bras légèrement repliés et les jambes bien calées incite à rouler, d’autant que le confort des suspensions est plutôt bon. La fourche n’appelle pas de commentaires particuliers et les bi-amortisseurs arrière font bien leur boulot en solo, sur des routes au revêtement impeccable, comme c’est le cas en Floride. À aucun moment, je n’ai manqué de garde au sol ni n’ai été victime d’un tassement de vertèbres au passage des irrégularités de la chaussée.
Malgré ses allures de mamie british, la Street Twin est raccord avec son époque. Et elle ne craint pas de faire des emprunts à la technologie moderne. Elle propose en effet un accélérateur électronique Ride-by-Wire, un système d’injection électronique de carburant, un antipatinage, un freinage ABS, des phares à DEL et un port USB, sous la selle, pour recharger votre téléphone intelligent ou votre GPS en roulant.
Pour les amateurs de personnalisation, Triumph propose aux futurs propriétaires de Street Twin une foule d’accessoires et trois ensembles à installer vous-même ou avec l’aide de votre concessionnaire : le kit Scrambler, le kit Brat Tracker (mon préféré) et le kit Urban.
Après quelques heures à me balader dans les rues de St-Augustine, je reprends le chemin du retour, en passant par l’intérieur des terres cette fois-ci. J’emprunte la route 207 jusqu’à Palatka, la 17 jusqu’à Deland, plus au sud, puis la 92, pour remonter sur Daytona Beach. Même si on n’est pas en présence de routes viroleuses, on découvre quelques sinuosités au fil des kilomètres. Suffisamment pour constater l’efficacité du châssis dont la géométrie du cadre double berceau est idéale. La Triumph tient la route comme une Guzzi de la belle époque. C’est peu dire. Sa partie cycle est rigide et précise à la fois. Le train avant inspire confiance et fait preuve d’une belle sportivité. La Street se montre agile et négocie les petits virages avec maestria. Dans les courbes ouvertes rapides, elle reste stable sur ses appuis et ses suspensions classiques font du bon boulot, tant que la chaussée reste en bon état. Les pneus Pirelli Phantom au dessin familier pour ceux d’entre nous qui ont découvert la moto dans les années 80 sont efficaces et offrent une bonne adhérence, sur surface sèche à tout le moins (désolé, mais je n’ai pas eu de pluie lors de mon bref séjour en Floride).
Sur une moto aussi facile à piloter, dotée d’une bande de puissance souple et linéaire, la présence d’un antipatinage est sûrement redondante, mais il vous sortira peut-être d’embarras sous la pluie, surtout si vous êtes trop optimiste du poignet droit. Je ne pense pas l’avoir déclenché une seule fois lors de cette balade.
De retour à mon hôtel après une magnifique journée et quelque 300 kilomètres de route, je ne ressens pas de fatigue excessive. Une légère douleur aux fessiers, mais rien de bien incommodant. Pas comme si je venais de me taper un 100 km à vélo (ce que je ne fais jamais, rassurez-vous). La Street Twin m’a réconcilié avec les Bonneville. Par ses performances raisonnables, sa tenue de route impeccable, mais surtout par son supplément d’âme. Elle démontre hors de tout doute qu’une moto basique au look néo-rétro peut se conjuguer au quotidien. La simplicité et l’efficacité au menu. Avec un surplus de caractère en exergue. Un cocktail délicieux! Surtout sous le soleil de la Floride. Dommage que la Triumph ait changé de patronyme. J’aimais bien Miss Bonnie, moi!
FICHE TECHNIQUE
INFORMATIONS GÉNÉRALES
- Poids à sec : 198 kg
- Hauteur de selle : 750 mm
- Capacité essence : 12 L
- Consommation : 4,5 L/100 km
- Autonomie : 270 km
- Durée de l’essai : 300 km
- Prix : 9 900 $/10 900 $
MOTEUR
- Moteur : bicylindre parallèle décalé à 270°, SACT, 8 soupapes, refroidi par liquide
- Puissance : 54 ch à 5 900 tr/min
- Couple : 59 lb-pi à 3 230 tr/min
- Cylindrée : 900 cc
- Alésage x course : 84,6 x 80 mm
- Rapport volumétrique : 10,55 : 1
- Alimentation : injection électronique multipoint
- Transmission : 5 rapports
- Entraînement : par chaîne
PARTIE-CYCLE
- Cadre : berceau tubulaire en acier avec bras oscillant tubulaire en acier
- Suspension : fourche KYB 41 mm/débattement de 120 mm. Bi-amortisseur KYB, réglable en précontrainte/débattement de 120 mm
- Empattement : 1 439 mm
- Chasse/Déport : 25,1°/102,4 mm
- Freins : simple disque de 310 mm/étriers à 4 pistons; un disque de 282 mm (ABS et unifié)/étrier à piston unique. ABS de série.
- Pneus : Pirelli Phantom
100/90R18 à l’avant
150/70R17 à l’arrière
VERDICT RAPIDE
ON AIME BIEN
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ON AIME MOINS
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