L’ombre des ailes
Publié le 26 mars 2016
Notre collaborateur Zef Enault, rédacteur-en-chef de l’excellent magazine Fast&Lucky, a été invité au lancement des nouvelles Moto Guzzi V9 Roamer et Bobber, au siège social de la marque à Mandello del Lario, sur les rives du magnifique lac de Côme. Il nous fait les présentations d’usage…
Moto Guzzi, cette bonne vieille marque aux fans frénétiques, n’en demandait pas tant : la mode des motos « essentielles » fait rage, sa légendaire légitimité en la matière la porte sur cette nouvelle vague. Une deuxième vie pour le vieil aigle. La Guzzi V9 ouvre le bal.
Par Zef Enault, photos DR.
La route se rétrécit et dans les passages à l’ombre, des tâches humides et sournoises se nichent. Mais ça passe. L’ouvreur ne désarme pas et les trois Guzzi V9 que nous emmenons rayent le goudron coulé autour du lac de Côme. Je souris de la présentation officielle que nous avons quittée une heure plus tôt, toute en barbus, sacoches en cuir et couple à 3 000 tr/mn. L’arsouille s’est liée à tout jamais à la moto, rien n’y fera, même les modes les plus cool et têtues.
À contre emploi, la Guzzi V9 Roamer montre plusieurs qualités. Elle est stable, très saine de comportement, ses pneus Pirelli Sport Demon ne faillissent pas, elle freine correctement malgré son ABS Continental qui prolonge les distances sur surfaces bosselées. Au moins peut on déconnecter l’antipatinage, lui-même réglable selon deux modes.
Un subit retour à la raison m’offre un autre panorama, celui du lac, de ses maisons pittoresques et de son histoire industrielle. Roberto Carlo, ingénieur du groupe Piaggio (Moto Guzzi appartient à Piaggio Group et la plupart des ingénieurs et designers ne sont pas affiliés à une marque mais à toutes celles du groupe, soit Aprilia, Piaggio et Guzzi), me rappelait la veille que la plupart des sous-traitants de Moto Guzzi ont leurs usines là, pas très loin du lac de Côme. MT Moto Equipments pour les cadres, Gilardoni pour les cylindres et les culasses, Domino pour les guidons, poignées et commodos… La mécanique et la chaudronnerie sont ici une passion historique. Moto Guzzi fête ses 95 années à Mandello del Lario.
De l’air
Roberto revenait aussi le soir précédent sur le moteur de la V9 : « Nous ne pouvions pas augmenter la cylindrée du bicylindre de la V7. Et nous devions construire un moteur plus moderne pour qu’il soit un peu plus puissant et propre à passer les normes Euro4. Plusieurs solutions nous ont permis de le dépolluer, comme des passages d’air dans les cylindre, une admission d’air au niveau des gaz d’échappements, deux sondes lambdas indépendantes, une cartographie d’injection travaillée en ce sens… Nous avons ainsi pu conserver un refroidissement par air, qui correspond selon nous à ce type de moto, pure et conforme aux fondements de la marque. » Un petit tour dans le musée Guzzi montrait pourtant la créativité de la marque italienne dès ses débuts : l’expérimentale trois cylindres de 1932, la 250 monocylindre à compresseur de 1938 ou le premier bicylindre 500 à refroidissement liquide ( !) de 1937. L’aigle avant-gardiste a bien vieilli, il se veut aujourd’hui gardien du temple.
Or la V9 a bénéficié de cette expérience, pour sûr, et elle allie aujourd’hui des sensations agréables grâce à ce moteur souple, plus vif que le V7, dont on arrondit les montées en régime jusque 4000/5000 tr/mn, et sa partie-cycle rassurante, facile et maniable. Dommage que l’un des sous-traitants italien n’ait pas glissé dans le catalogue des accessoires une paire d’échappements ronflants. Il ne lui manque que ça. Et un compte-tours. Mais il y a un mais. On peut obtenir le compte-tours en choisissant dans le même catalogue d’options le dispositif MG-MP (Moto Guzzi Multimedia Platform, kit 2S000759), qui consiste en une prise USB fixée sur la colonne de direction et reliée au boîtier électronique, d’une part, et à un smartphone fixé au guidon d’autre part. Il suffit de télécharger ensuite l’application Moto Guzzi V9, et nous voilà parés d’un compte-tours, mais aussi d’une myriade d’informations diverses, de la température extérieure à l’angle pris en virage, en passant par la puissance délivrée en temps réel. L’avant-gardisme ancestral a ici été préservé…
Revenons au lac et au bref arrêt qui a stoppé notre groupe. Je suis avec un américain, éditeur de Cafe Racer TV à Pittsburgh aux Etats-Unis, quelques journalistes italiens et l’importateur Moto Guzzi et Aprilia à Honk Kong. Tous apprécient la V9, tous lui trouvent de beaux airs de moto classique donc moderne, et tous témoignent de cette tentation mondiale à retrouver des plaisirs originels, qu’ils soient sensationnels ou visuels. Là, y avait de la mondialisation…
Je me retrouve au guidon du Bobber, version « méchante » de la V9. Et c’est vrai qu’elle agresse particulièrement le fessier avec sa selle rude (une selle plus confortable est disponible en option). Son gros pneu avant de 130, un Continental Milestone, fait craindre le pire en matière de comportement routier, et la maniabilité est plutôt une bonne surprise, bien qu’inférieure à celle de la Roamer. La direction se verrouille plus en entrée de virage, moins capable d’improvisation. La position de conduite change, avec un guidon à cintre plat, plus court, mais pas contraignant pour les bras ou l’assise. Les suspensions Kayaba choisies pour les deux versions de la V9 sont d’ailleurs bien plus efficaces et confortables que celles qui équipent les V7. Roberto Carlo m’expliquera plus tard la raison : « Le fournisseur des suspensions de la V7 est une petite entreprise familiale espagnole, rachetée en même temps que Derbi en 2001. Il ne possède pas la même technologie ni la même capacité de production qu’une grosse entreprise comme Kayaba. » La V9 n’emporte pas la palme du pullman, elle ne ruine pas non plus les reins à chaque bosse.
Nous retrouvons ainsi l’usine de Mandello, après un trop court trip d’une centaine de kilomètres. La V9, surtout version Roamer, pousse à retrouver nos routes secondaires, prendre le temps de la balade, aller moins loin et prendre plus de temps… En anglais, Roamer signifie vagabond.
Fiche technique V9 Roamer (Bobber)
INFORMATIONS GÉNÉRALES
- Poids (sans essence) : 199 kg
- Hauteur de selle : 785 mm (Roamer) — 780 mm (Bobber)
- Capacité essence : 15 L
- Consommation : Non mesurée
- Autonomie : Non mesurée
- Durée de l’essai : Non mesurée
- Prix : 11 090$ (Roamer) — 11 590 $ (Bobber)
MOTEUR
- Moteur : Bicylindre en V ouvert à 90°, quatre temps, refroidi par air et huile.
- Distribution : par culbuteurs, deux soupapes par cylindre
- Puissance : 55 ch à 6 250tr/min
- Couple : 46 lb-pi à à 3000 tr/min
- Cylindrée : 853 cc
- Alésage x course : 84 x 77 mm
- Rapport volumétrique : 10,5 : 1
- Alimentation : injection électronique Magnetti-Marelli
- Transmission : 6 rapports
- Entraînement : par arbre et cardan
PARTIE-CYCLE
- Cadre : double berceau tubulaire en tubes d’acier
- Suspension : fourche inversée télescopique diam. 40 mm, bi-amortisseurs Kayaba
- Empattement : 1 465 mm
- Chasse/Déport : 26,4° / 125,1 mm (Roamer) — 116,1mm (Bobber)
- Freins : simple disque avant Brembo diam. 320 mm, simple disque arrière diam. 260 mm. ABS de série
- Pneus : Pirelli Sport Demon
100/90R19 à l’avant — 150/80R16 à l’arrière (Roamer)
130/90R169 à l’avant — 150/80R16 à l’arrière (Bobber)