Escapade corse en Honda Africa Twin
Publié le 28 janvier 2016
Notre collaborateur Zef Enault, éditeur de l’excellent magazine français Fast & Lucky, a découvert la nouvelle Honda CRF 1000 L Africa Twin en Corse, à la fin du mois de janvier. Il nous raconte son périple de plus de 1 800 km en deux jours, avec une remontée express sur Paris.
Texte : Zef Enault/Fast & Lucky — Photos : David Reygondeau, Fabrice Berry et Zef Enault
La technique
Vous n’y couperez pas. On va faire bref, mais vous y aurez droit. Le bicylindre parallèle est parallèle pour une raison simple, qui ne doit rien aux délicieux fruits du hasard : la compacité. Le V-twin historique de l’Africa Twin, 650 de 1988 ou 750 de 1990, s’étendait dans la longueur de la moto, pesait lourd (deux culasses, etc.) et rehaussait le centre de gravité. Le nouveau bicylindre, calé à 270° pour favoriser la traction, parait minuscule en comparaison. La course assez courte du piston (75,1 mm) évite aussi d’avoir des cylindres hauts. Honda voulait pour la 1000 une moto plus fine encore, pas trop longue, respectueuse des fondamentaux de la moto, soit un moteur coupleux et une partie cycle facile, légère, avenante. Parce qu’elle a été pensée pour le tout-terrain, la clé pour comprendre l’Africa Twin nouvelle. En témoigne le système de distribution Unicam, plus léger, repris des CRF 250 et 450, avec un seul arbre à cames qui attaque directement les soupapes d’admission et utilise un basculeur pour les soupapes d’échappement. En témoigne la pompe à eau enfermée dans le carter d’embrayage pour la protéger en cas de chute et limiter la longueur des conduits. En témoigne le carter d’huile plat sous le moteur pour favoriser la garde au sol. Ou encore les pneus étroits (90 x 21 devant, 150 x 18 derrière). Et aussi le bras oscillant en aluminium.
J’avais dit bref…
L’esprit double-usage et comparaison n’est pas raison
Quai d’embarquement d’Ajaccio, samedi, 21 h. Une BMW R 1200 GS ultra équipée (bagagerie, selle confort, feux longue portée, GPS, poignées chauffantes, suspensions pilotées ESA…) vient se placer à côté de « mon » Africa Twin. Un grand gaillard descend, bien 1m85, lunettes fines, propre sur lui, un genre de cadre ou d’ingénieur, très sympa : « C’est la nouvelle Honda, c’est ça? » Il lui tourne autour. « Elle a l’air fine, légère. Elle fait combien de cm3? Ah! On ne dirait pas. Rien à voir avec ma 1200 GS. Elle est très jolie. » Nous palabrons sur l’esprit aventurier, les motos légères, l’Afrique où il a vécu cinq mois avec une Yamaha XTZ 660. Et tombons d’accord, les BMW R 1200 GS et Honda Africa Twin 1000 ne partagent finalement pas grand-chose.
Un minimum de culture double-usage s’impose pour apprécier l’Africa Twin. Une moto de sentier c’est : une jante avant de 21 pouces, des débattements de suspension d’au moins 180 mm à l’avant, des pneus fins, un empattement plutôt long, une position de conduite droite et une finesse au niveau de l’entrejambe qui permet de bien contrôler la moto debout, en appui sur les repose-pieds, des suspensions souples en début de course, adaptées aux gros chocs. Exit donc les BMW R 1200 GS, Yamaha 1200 Super Ténéré, etc.
Le concessionnaire
Ajaccio, 18 heures, face au port de commerce, mais le vendredi cette fois. J’ai roulé en groupe toute la journée, sur l’invitation de Honda. Nous avons avalé 200 bornes, dont une trentaine en chemin. J’ai pu essayer la version à boîte mécanique, puis la version DCT (double embrayage), discuté, échangé. Des journalistes de la presse régionale découvraient le tout-terrain, amusés et étonnés. D’autres, aguerris, n’en revenaient pas de la facilité de la 1000 en sentier, dont Didier Ganneau, ancien chef des essais à Moto Journal. Tout le monde a repris l’avion le soir même. Maintenant je me rends chez Lucchini Motos, concessionnaire Honda local. Il organise une soirée de lancement de l’Africa Twin, une dizaine de motos stationnent sur son stationnement, certains partent l’essayer. Francis Lucchini s’exprime ainsi : « L’Africa Twin attire pas mal de monde. Ici, en Corse, les gens roulent en double-usage. On va retrouver une clientèle que nous avons peut-être perdue. Je ne crois pas qu’elle viendra de chez BMW. Même si Honda commence à utiliser les mêmes techniques commerciales : pour 15 € par mois, on peut inclure dans le crédit de l’Africa Twin le coût de l’entretien, un moyen de fidéliser le client. »
La montagne
Samedi matin, 10 h. Les nuages encombrent un ciel tiraillé entre le gris et le bleu sombre. J’avise, jette un coup d’œil aux montagnes, tourne la tête vers la mer… Je reviens vers la montagne et j’aperçois des crêtes enneigées. Elles m’appellent. Sortie d’Ajaccio, direction Bastia, je bifurque après une quinzaine de kilomètres sur la droite, j’essaie de me diriger à vue vers les monts neigeux. J’ai récupéré une Africa Twin à transmission DCT double embrayage, dont j’explique rapidement le fonctionnement. Les six rapports passent automatiquement, ce qui n’a rien à voir avec un variateur puisque des rapports passent (comme dans les ministères). Selon quatre modes (D, S1, S2 et S3), les montées en régime privilégient plus ou moins le haut du compte-tours. Des capteurs informent un calculateur sur la position de la poignée de gaz, le rapport engagé, le régime moteur, etc. Le système, très intuitif, fonctionne à la perfection et, s’il rebute en théorie, je recommande la pratique chez votre concessionnaire du coin, juste par curiosité. Faut bien vivre avec son temps, n’est-ce pas? À l’usage, le mode S2 m’a paru être le meilleur.
Me voilà donc libéré du passage de rapports, jusqu’à ce que je regrette, dans une descente un peu sèche (je parle de route, pas de bistrot) un manque de frein moteur. Astucieux, Honda a laissé la possibilité de reprendre le contrôle : une double gâchette au commodo gauche permet de monter ou descendre les vitesses, de forcer le système en quelque sorte. Et je retrouve du frein moteur.
D’épingles en lacets, je relance le twin en permanence. 95 ch et 73 lb-pi de couple à 6 000 tr/min. Il n’aime pas trop tomber sous 2 500 tr/min, mais déborder au-delà de 7 500 tr/min ne le fait pas souffrir du tout. Je reste dans une plage de régime entre 3 500 et 6 500 tr/min, calé sur le mode S2. J’ai laissé l’antipatinage à son premier stade (sur trois), pour sentir le pneu arrière se dérober parfois, sur le gravier ou les plaques humides. Au stade trois, il coupe trop souvent.
J’atteins Auccia, puis Tavera. Plus je monte, plus la route est mouillée, voire enneigée. 9° au tableau de bord il y a un quart d’heure, 6° maintenant : j’approche du col de Scalella. Sale surprise, à trois kilomètres avant le terme de l’ascension, la route est fermée, la falaise s’éboule. Un monticule de terre rond, haut d’un mètre, barre la route. Pensez donc, une formalité. Je grimpe sur la bosse et me retrouve sur une route déserte, méfiant tout de même, j’imagine le Corse suffisamment cinglé pour tester une vieille 306 Maxi ou une Saxo VTS préparée rallye sur ce genre de portion fermée à la circulation.
Préjugé, je n’ai rien croisé, si ce n’est une chèvre (préparée rallye raid).
En taquinant le moteur, je lui ai trouvé un léger caractère avec un regain de verve à 5 000 tr/min, une sonorité savamment travaillée, un « broap » gras de 1000 cm3, quelques pétarades à la décélération… Il vit, pour un moteur Honda. Plein, rond, efficace, avec ce supplément d’âme qui fait souvent défaut aux motos de cette marque. À croire que Honda vit en vase clos, des ingénieurs coupés du monde, qui parfois, coup de bol, ingénient du bon côté de la tendance. C’était le cas avec la VFR 750 en 1986, l’Africa Twin la même année, la CBR 900 en 1992, puis la Hornet en 1998…
Je trouve enfin la neige. Traquer la neige en Corse, faut être pervers.
Le virage corse
Je redescends vers Porticcio et la route de la Moyenne Corniche. La température est remontée aussi vite que je suis descendu : 14°. Là les virages sont larges, ouverts, mais les voitures ont remplacé les animaux de la montagne. L’Africa Twin se montre stable sur l’angle. En bord de mer, un homme en KTM 990 SMT m’aborde, sans plus de salut : « Alors, elle est bien? C’est la version DCT? » La résurrection de l’Africa Twin ne s’est pas faite sans tapage. Trop de monde ici, je regarde la météo sur mon téléphone, le sud de l’île est sous la pluie, le nord s’en tire mieux, juste couvert. Je prends la route entre Ajaccio et Calvi par la côte. Le virage corse y déploie toute sa perfidie. Il s’ouvre, accueillant, promesse d’une belle vitesse de passage en courbe, pour se refermer dans un éclat sardonique (la police), écroulé de rire devant ma face blême et le train avant de la Honda se trémoussant sous l’effet du double disque.
Je redécouvre toute la magnificence du double-usage, je revis. Des souvenirs de jeunesse et d’attaque en 600 XLR réactivent mes réflexes d’improvisation. Magie des pneus étroits, surtout l’avant en 90 de large, qui évite le piège moderne dans lequel la majorité de motos dites double-usage s’enferme : le train avant lourd, avec des suspensions fermes, une jante de 17 pouces et un pneu de 120 de large… Un train avant conçu pour le circuit. Celui de l’Africa Twin frétille un peu, la fourche renvoie toutes les informations en temps réel, mais pour l’improvisation, il n’y a pas mieux. Prendre les freins sur l’angle (freinage à la progressivité exemplaire) se fait sans réticence, le cerveau se libère, l’esprit double-usage étend sa paisible ampleur. Sur circuit, l’Africa Twin ne fera pas d’étincelles, à part sous ses repose-pieds. Sur route, elle donnera un plaisir simple, finalement moderne. L’ère complexe que nous vivons appelle paradoxalement de nombreux intervalles de simplicité.
Je regarde à droite, à gauche, hume l’air parfumé de mimosa, ressens les courants d’air chauds puis froids… La pratique de la moto est profondément humaine, elle éveille le corps. La bagnole l’anesthésie.
L’église grecque de Cargèse
Les virages se sont enchaînés inlassablement, sans provoquer aucune fatigue. L’attaque en double-usage est gage de détente et non de concentration. Arrivé à Cargèse, la nuit s’annonce au loin. Je vois plusieurs clochers, mais j’avance vers celui de l’église grecque, indiquée par des panneaux. Elle a été édifiée à la demande de la colonie grecque, forte de 525 personnes au XIXe siècle, elle-même issue d’une autre colonisation, vieille de presque deux millénaires. Je m’assieds devant le portail, qui fait face à l’autre église, de l’Assomption. J’envisage le voyage. L’Africa Twin en Grèce, facile. Puis à Istanbul, au Kazakhstan, pourquoi pas l’Inde…
Le tout-terrain
L’énorme avantage de cette moto, plus que tout autre, c’est sa finesse pour un 1000 cm3. Le moteur porté loin devant, le réservoir en tôle pas trop large, la hauteur selle/repose-pieds parfaite et la selle étroite facilitent la position debout. Le guidon large donne un contrôle parfait. Même avec les pneus Dunlop Trailmax d’origine (avec chambre à air pour faciliter le montage de pneus hors route), sur terre sèche, la Honda se comporte comme une grosse double-usage. Elle masque presque ses 242 kg (version DCT, 10 kg de moins pour la boîte manuelle et 100 ml d’huile en moins), sauf à basse vitesse et à l’arrêt. Son train avant n’embarque pas vers l’extérieur comme c’est le cas avec ses consœurs, elle se comporte plutôt comme une BMW F 800 GS.
Un interrupteur marqué d’un gros G (pour Gravel, pas d’idée saugrenue) a été placé derrière le tableau de bord, sur la cache du phare : il actionne un mode tout-terrain qui laisse la roue arrière patiner.
La hauteur de selle? 850 mm, assez élevée, mais ça ne veut pas dire grand-chose. La selle fine compense la hauteur. Je mesure 1,67 m et n’ai pas eu de problèmes, sauf peut-être en tout-terrain. La selle se règle en hauteur et permet de gagner 2 cm.
L’autoroute
Dimanche, 8 h, l’énorme traversier crache ses petites autos et la Honda sur le quai de Toulon. Dans trois heures, j’ai rendez-vous au Pouzin, en Ardèche, avec Julien et Olivier. Puis à 14 h à Villevocance chez Alain. Faut pas traîner. Autoroute, la bulle protège moyennement bien à 150 km/h au compteur, mais ce n’est pas le plus gênant. À cette allure stabilisée, en mode S1, la consommation ne descend pas sous les 7,5 l aux 100 km, soit environ 240 km d’autonomie en conservant un litre de réserve. Plutôt élevée la conso.
Pour le reste, pas de fatigue, la selle se montre étonnamment confortable, de nombreux points de fixation s’offrent pour sangler les sacs.
Et puisque je pointe des défauts, un autre me vient à l’esprit, le frein de stationnement de cette version DCT, à la place de la poignée d’embrayage. Il fonctionne bêtement avec une poignée coincée par un ergot et bloque les freins. Quand on démarre la moto, un voyant rouge s’allume au tableau de bord mais tellement de voyants s’allument en tournant la clé… On peut malgré tout passer la première et s’élancer avec le frein de stationnement enclenché, ça m’est arrivé plusieurs fois, pénible. Étrange que Honda ne l’est pas associé, comme pour la béquille, à un capteur pour couper le moteur une fois le mode D sélectionné.
Encore un point noir : régler la contrainte du ressort de fourche nécessite une clé de 19. J’ai utilisé la mienne, une clé à cliquet avec douille 12 pans, et même en l’actionnant doucement, l’écrou anodisé bleu s’abîme salement. Indigne.
À Loriol, je prends la sortie. Une demi-heure plus tard, nous sommes dans les chemins avec Julien et Olivier, après deux heures passées sur l’autoroute à plus de 150. C’est ça la vraie liberté (les magazines disent polyvalence).
Ils ont dit…
Au Pouzin, en Ardèche, les jeunes bouetteux Julien et Olivier, chacun possesseur d’une Africa Twin 750 de 1993, trépignaient d’impatience. Malheureusement, Julien s’est cassé les métacarpes de la main droite la veille. Dégoûté. Il a laissé le guidon à Olivier, crosseux averti, ancien champion de dirt-bike. Après quelques kilomètres dans les chemins : « On ne dirait pas une 1000! Elle est facile, le moteur est un vrai Honda, souple, efficace. Finalement, je me suis vite fait au DCT. Elle se manie avec beaucoup plus d’aisance que nos 750. Seul truc, je ne trouve pas le sabot moteur assez enveloppant. »
À Villevocance, toujours en Ardèche, Alain et Laurence ont parcouru une dizaine de bornes en duo, me laissant leur KTM 1290 Adventure (qui m’a fait penser à un gros roadster) : « L’agilité est excellente et les suspensions Showa fonctionnent super bien. La confiance est immédiate. Le moteur manque un peu de gnac pour moi… » Laurence, passagère avertie : « Je n’ai pas ressenti de vibrations, la selle est confortable et les poignées de maintien bien placées. Et j’aime bien le bruit! »
Et il y aurait tant à dire encore.
Mais j’ai essayé de faire court, voyez-vous…
FICHE TECHNIQUE
INFORMATIONS GÉNÉRALES
- Poids tous pleins faits (ABS/DCT) : 228 kg (232/242)
- Hauteur de selle : 850 à 870 mm
- Capacité essence : 18,8 litres
- Consommation : 7,4 L/100 km
- Autonomie : 254 km
- Durée de l’essai : 1879 km
- Prix : 13 999 $ (base) — 14 299 $ (Tricolore) — 14 999 $ (DCT)
MOTEUR
- Bicylindre en ligne Unicam à 270°, 8 soupapes, refroidissement liquide
- Cylindrée : 998 cm3
- Alésage x course : 92,0 mm x 75,1 mm
- Puissance : 95 ch à 7 500 tr/min
- Couple : 73 lb-pi à 6 000 tr/min
- Transmission : Boîte mécanique à 6 rapports/Boîte automatique DCT à 6 rapports avec modes route et TT
- Entraînement : par chaine
PARTIE CYCLE
- Cadre double berceau acier
- Suspension : Fourche inversée Showa de ø 45 mm entièrement réglable. Monoamortisseur Showa Pro-Link à réservoir séparé réglable en précharge, compression et détente.
- Empattement : 1 575 mm
- Chasse x déport : 27,50° x 113 mm
- Freins : double disque avant de 310 mm étriers 4 pistons, simple disque arrière de 310 mm étrier 2 pistons. ABS deux canaux débrayable sur la roue arrière.
- Jantes : Aluminium à rayons
Av. 21M/CxMT2.15
Ar. 18M/CxMT4.00 - Pneus : Dunlop D610 TrailMax
Av. 90/90 — R21
Ar. 150/70R18