Le roadster survitaminé «Made in BMW»
Publié le 18 décembre 2013
Dans sa mutation en roadster extrême, la S1000R se voit amputée d'un «R» et perd son carénage intégral ainsi qu'une trentaine de chevaux. Cependant, elle conserve intacts son caractère rageur de sportive — on ne renie pas ses origines — et son pouvoir de séduction. Notre collaborateur Costa Mouzouris nous raconte sa première rencontre avec la belle Munichoise dénudée...
Texte : Costa Mouzouris- Photos : Daniel Kraus
Vous pourriez penser que la démarche logique pour BMW aurait été de dévoiler son nouveau roadster extrême en même temps que la supersportive S1000RR, tellement les deux machines sont proches et partagent un grand nombre d’éléments, mais vous auriez tort. C’est du moins ce que nous a révélé Alexander Buckan, le responsable du département du desing de BMW Motorrad, lors du lancement de la S1000R, à Majorque, en Espagne.
Personnellement, ça ne m’a pas surpris d’apprendre que la S1000R n’était pas dans les plans du constructeur bavarois lors du lancement de la S1000RR, en 2009. À l’époque, Stephan Zeit, le concepteur de la supersportive, m’avait confié qu’il s’était inspiré de la Suzuki GSX-R1000 2005 pour réaliser la moto qui allait dominer le plateau des sportives d’un litre. La GSX-R était alors la référence ultime en terme de performance. BMW s’est appliqué à battre les Japonais sur leur terrain, c’est-à-dire sur le créneau des supersportives, et y est parvenu brillamment.
En se concentrant si entièrement sur la performance, BMW n’a pas cru bon de consacrer des ressources financières et humaines à la mise au point d’un roadster dérivé de sa future sportive. Cependant, dès que la domination de la S1000RR s’est avérée, dans les salles d’exposition des concessionnaires comme sur la piste, et que celle-ci a humilié les sportives nippones dans les matchs comparatifs, il est devenu évident qu’un roadster offrant les mêmes qualités dans un ensemble plus polyvalent et plus convivial pourrait avoir un certain succès commercial.
Ainsi, il y a deux ans, les ingénieurs de BMW ont sélectionné une S1000RR sur la chaîne de montage et ont commencé par la débarrasser de son accastillage inutile. Ensuite, ils lui ont greffé un guidon tubulaire large et ont demandé aux pilotes essayeurs de la marque de la martyriser afin de voir comment elle se comporterait. Buckan avoue qu’il aurait aimé que le déshabillage de la RR soit une chose facile, mais ce ne fut pas le cas.
Les essayeurs adorèrent le caractère délinquant de la machine, mais elle s’avéra trop nerveuse pour être mise en production dans l’état. Le fait d’ôter le carénage de la RR eut pour conséquence de ruiner son aérodynamisme et la répartition de son poids. La moto avait une tendance exagérée à se cabrer, malgré l’électronique, et devenait difficile à piloter à haute vitesse. Les concepteurs sont donc retournés à la table à dessin et ont accouché de la S1000R que j’ai eu le plaisir de découvrir lors de ce lancement.
Même si elle a perdu un «R» dans sa transformation, la S1000R est un roadster de haute performance, facile à piloter. Pour parvenir à ce résultat, de nombreux changements ont été apportés. Pour contrer l’altération de la répartition des masses engendrée par la suppression du carénage intégral, l’empattement a été allongé de 22 mm, à 1 429 mm. L’angle de la colonne de direction a été ouvert de 0,8 degré pour s’établir à 24,6 degrés et le déport a augmenté de 5 mm passant ainsi à 98,5 mm. L’absence de carénage et l’ajout d’un guidon tubulaire large et relevé affectaient la tenue de route de la machine, mais les changements apportés améliorent la stabilité de la S1000R à haute vitesse. La position de conduite a également été modifiée. Les repose-pieds ont été déplacés vers l’avant, le guidon est plus haut et plus reculé tandis que la hauteur de selle diminue légèrement pour culminer à 814 mm. Les jantes de 17 pouces de la S1000R sont chaussées de pneus Pirelli Diablo Rosso Corsa à gomme sportive, de taille importante, soit 120/70 à l’avant et 190/55 à l’arrière. Le poids tous pleins faits de la machine atteint 207 kg.
Comme il est de coutume lors de la métamorphose d’une sportive en roadster — sauf chez KTM dont la puissance de la SuperDuke 1290 est demeurée à 180 ch —, la puissance du moteur a été réduite et sa courbe modifiée pour offrir plus de présence à bas et moyen régimes. Le quatre cylindres en ligne de 999 cc de la BMW développe désormais 160 ch (contre 193 ch pour la S1000RR), pour un couple de 83 lb-pi. Bien que le couple maxi soit délivré à 9 250 tr/min, soit 500 tours plus tôt que sur la RR, la R produit 7,5 lb-pi de couple supplémentaire jusqu’à 7 5000 tr/min. Les rapports de boîte sont identiques à ceux de la RR, mais le rapport de transmission final est plus court (2,65 sur la R contre 2,59 sur la RR).
Mis à part ces modifications, le roadster reprend toutes les caractéristiques haut de gamme de la sportive, à savoir un embrayage antidribble, un accélérateur électronique Ride-by-Wire, des modes paramétrables, un ABS course partiellement intégral, un contrôle de stabilité ASC (Automatic Stability Control), une suspension complètement ajustable et un amortisseur de direction. On retrouve même certaines options destinées à la compétition, comme l’antipatinage DTC (Dynamic Traction Control) et la suspension semi-active DDC (Dynamic Damping Control), ajustable électroniquement.
Le DTC est inclus dans l’ensemble «Sport» offert à 950$, ainsi que le sélecteur de vitesse électronique (Quick Shifter). Avec cette option, vous bénéficiez des modes «Dynamic» et «Dynamic Pro», lesquels s’ajoutent aux modes de série, «Road» et «Rain». Ils intègrent le contrôle de l’accélérateur, de l’ABS, de l’ASC et du DTC.
La S1000R est l’une de ces machines qui brillent plus en personne qu’en photo. Avec ses lignes anguleuses, elle affiche un look futuriste — pas autant que celui de la Kawasaki Z1000 cependant — qui porte le style roadster à un nouveau sommet. Un peu comme l’Aprilia Tuono V4 l’a fait à sa sortie. Si le style de la BMW est réussi dans son ensemble, tout se gâte sous la ligne du demi-carénage supérieur. Les carters apparents et les échappements proéminents et bruts trahissent en effet le fait que la machine a été dessinée pour être dotée d’un carénage complet. BMW commercialise un sabot moteur qui fait partie intégrante de l’ensemble «Dynamic» (775$). Cet ensemble comprend également la suspension semi-adaptative ajustable électroniquement.
Lors de ce lancement automnal en Europe, la météo n’a pas vraiment coopéré. Le matin de notre balade dans les montagnes environnant Majorque, il faisait à peine 3 degrés Celcius. Heureusement pour nous, nous avons été épargnés par la neige qui est tombée lors des journées précédant notre arrivée et a nuit aux journalistes des premières vagues. Par chance, nos motos étaient équipées de poignées chauffantes.
La S1000R propose une position de conduite droite, typique des roadsters, avec suffisamment de dégagement pour les jambes. En action, le quatre en ligne émet une sonorité envoutante. On ne peut pas parler d’une note assourdissante, mais plutôt d’une mélopée riche et grave. En ville, je ne pouvais pas m’empêcher d’ouvrir la manette des gaz en grand pour entendre son hurlement caractéristique à haut régime.
Le premier rapport est long, mais les autres sont relativement rapprochés. On peut ainsi se promener sur le dernier rapport, en ville, sans que la moto rechigne et se mette à brouter. Grâce au rapport final raccourci, le moteur tourne à environ 5 000 tr/min à 115 km/h. À ce régime, on ressent quelques vibrations qui embrouillent légèrement les rétroviseurs, mais n’atténuent pas le plaisir de conduite ni le confort.
Au fur et à mesure que nous nous dirigions dans les montagnes, les routes devenaient de plus en plus serrées et tortueuses. Une heure après notre départ, elles étaient presque trop extrêmes, même pour une Supermotard. Nous étions confrontés à des épingles très serrées se refermant sur elles-mêmes, à des angles de plus de 180 degrés par moments. Dans cet environnement, la S1000R manquait d’espace pour s’exprimer.
En raison de sa géométrie de direction adoucie, la moto ne semblait pas aussi bien plantée que sa sœur sportive à l’attaque. D’autant plus que la piètre qualité du revêtement majorcain n’inspirait pas vraiment confiance. Le matin, durant la réunion de presse, nos hôtes nous ont mis en garde sur le peu de grip qu’offrait le bitume blanchâtre que l’on trouve sur la majorité des routes des Baléares. Ce que nous avons pu vérifier rapidement. Dans les conditions météorologiques peu favorables qui sévissaient alors, l’asphalte avait autant d’adhérence qu’une coquille d’œuf. Dans les virages serrés, le pneu avant collait à peine suffisamment, ce qui induisait des mouvements saccadés au niveau de la direction. À d’autres moments, les deux pneus perdaient de l’adhérence, l’avant en premier, puis l’arrière, même si nous roulions à des vitesses peu élevées. Pas très rassurant. En après-midi, alors que la température grimpait péniblement, mais assez pour réchauffer entièrement le bitume, nous avons pu augmenter la cadence, sans pour autant chercher à tester les limites du freinage ou de l’inclinaison en virage.
Nos motos d’essai étaient équipées du DDC et du DTC et les différents modes se sont avérés utiles dans les circonstances. Selon le mode sélectionné, le caractère de la moto changeait radicalement. Personnellement, je suis resté en mode «Road» la majeure partie du temps, même si j’étais tenté de passer en mode «Rain» en raison du manque de grip, pour avoir la pleine puissance du moteur, le maximum d’ABS et d’anticabrage. Originalement, le DDC était réglé à «Normal», mais le manque de traction m’a incité à choisir le réglage «Soft» dans le but d’améliorer la tenue de cap.
L’un des domaines dans lequel les BMW excellent, c’est celui de la gestion du moteur. Et le roadster en est l’exemple parfait. Il se montre docile à souhait quand vous le désirez, comme lorsque l’on évolue dans la circulation dense, et se mute en machine à sensations quand vous sélectionnez un des modes «Dynamic». Il se transforme alors une moto délinquante qui fait grimper votre rythme cardiaque à toute allure. De mon, côté, je me suis tenu tranquille, mais j’ai pu observer les débordements de certains de mes confrères, lesquels ne se gênaient pas pour faire des «wheelies» à tout bout de champ. L’électronique de la moto permet de tels excès occasionnels et il est toujours possible de désactiver l’ABS, l’antipatinage et l’anticabrage si vous disposez de l’ensemble «Sport».
Plus tard dans la journée, nous avons piqué plein sud pour retourner à notre hôtel en empruntant des routes plus larges et plus roulantes, au bitume noir et agrippant. J’ai alors sélectionné le mode «Dynamic», l’ajustement de suspension «Hard» et j’ai commencé à mettre du gros gaz. Ainsi réglée, la moto était plus stable et moins sensible aux impulsions du pilote, un phénomène typique des roadsters, amplifié par le large guidon. La S1000R inspirait confiance dans les grands virages rapides se montrant très stable, même à des vitesses supérieures à 160 km/h. Elle était dans son élément.
À ces vitesses, la protection réduite devint problématique et il était difficile de garder le gaz ouvert en grand longtemps. Alors que nous roulions sur une route droite et déserte, parfaitement asphaltée, j’ai pu pousser la machine jusqu’à 220 km/h (il y avait encore de la marge et la BMW aurait pu aller encore plus vite) avant que j’aie l’impression que mes bras allaient lâcher prise, réalisant ainsi la futilité de l’exercice. J’ai donc choisi de ralentir et de terminer la balade à un rythme plus civilisé. Cependant, ça m’a permis de comprendre pourquoi les ingénieurs de BMW ont réduit la puissance maxi sur la R.
Conclusion
Même si à l’origine BMW n’avait pas l’intention de décliner sa S1000RR en roadster, le résultat est impressionnant. La qualité et la finition sont au rendez-vous, tout comme la technologie embarquée qui n’a rien à envier à celle que l’on trouve sur la RR. De plus, la puissance est phénoménale. Dans des conditions normales, la tenue de route est irréprochable et l’ergonomie plus conviviale et polyvalente que sur la sportive.
BMW a même prévu une longue liste d’accessoires optionnels pour transformer la S1000R en moto de tourisme rapide — sac de queue, sac de réservoir, sacoches latérales et même une petite bulle de carénage — avec laquelle on peut avaler les kilomètres en tout confort. Sans oublier les pièces à vocation esthétique en fibre de carbone ou en aluminium taillé dans la masse pour rehausser son allure.
Offerte au prix agressif de 14 700$, la S1000R offre la performance de sa sœur sportive dans un ensemble plus polyvalent et convivial, à 3000$ de moins. En fait, elle coûte 2 500$ moins cher que la K1300R et 1 350$ de moins que la R1200R. Ce qui la place en concurrence directe avec l’Aprilia Tuono RSV4R ou la Triumph Speed Triple ABS. La guerre des roadsters européens est ouverte!
FICHE TECHNIQUE
INFORMATIONS GÉNÉRALES
- Poids tous pleins faits: 207 kg
- Hauteur de selle : 814 mm
- Capacité essence : 17,5 L
- Consommation : Non mesurée
- Autonomie : Non mesurée
- Durée de l’essai: 300 km
- Prix : 14 700 $ (de base)
MOTEUR
- Moteur : 4-cylindres en ligne, 4-temps, double arbre à cames en tête, refroidi par eau, 4 soupapes par cylindre
- Puissance : 160 ch à 11 000 tr/min
- Couple : 82,60 lb-pi à 9 250 tr/min
- Cylindrée : 999 cc
- Alésage x course : 80 x 49,7 mm
- Rapport volumétrique: 12,0:1
- Alimentation : injection électronique
- Transmission : six rapports
- Entraînement : par chaîne
PARTIE-CYCLE
- Suspension : Fourche inversée Ø 46 mm, réglable en compression et en amortissement; monoamortisseur arrière simple, ajustable en précontrainte et détente.
- Empattement : 1 439 mm
- Chasse/déport : 24,6 degrés/98,5 mm
- Freins : deux disques avant Ø 320 mm avec étriers à 4 pistons à fixation radiale; simple disque arrière Ø 220 mm avec étrier à 2 pistons; ABS BMW Motorrad Race débrayable
- Pneus : Pirelli Diablo Rosso Corsa
120/70ZR17 à l’avant;
190/55ZR17 à l’arrière.
Verdict rapide
ON AIME BIEN
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ON AIME MOINS
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