Le boulon manquant
Publié le 23 septembre 2013
Notre collaborateur Ugo Levac a eu l'occasion de passer quelques jours en compagnie de la Yamaha XV950 Bolt au début de l'automne. Voici le récit de ses aventures avec la belle d'Iwata City…
Texte : Ugo Levac– Photos : Didier Constant et Ugo Levac
Les constructeurs sont aux prises depuis quelque temps déjà avec le problème du renouvellement de la clientèle. Le départ éventuel des baby-boomers laissera un trou béant dans le sport qui doit être comblé. Chacun y va de son approche. Dans le cas du créneau custom, Yamaha mise sur sa toute nouvelle Bolt pour amener les jeunes à s’intéresser à la moto et éventuellement passer à une autre Star de plus grosse cylindrée par la suite…
Plus qu’une inspiration
Yamaha a beau définir sa Bolt comme une moto d’initiation au motocyclisme, force est de reconnaitre qu’elle pourrait satisfaire un éventail beaucoup plus large de clients que les seuls débutants. Elle ne s’adresse peut-être pas à l’acheteur potentiel d’une Roadliner, mais elle a quand même beaucoup à offrir. À commencer par un design franchement réussi. Yamaha décrit son style comme étant minimaliste. Une forme de retour à la base, une interprétation moderne des customs de la vieille école aux dires des créateurs. Chez Yamaha, on évite de prononcer le nom de Harley-Davidson, mais tous les gens que nous avons croisés lors de cet essai prenaient immanquablement la XV950 pour une Sportster 883. La ressemblance est frappante dans les courbes et les proportions de la machine. De plus, le nom de Yamaha est d’ailleurs absent de da moto à l’exception d’un petit logo sur le dessus de l’aile arrière. Mais la Bolt est plus qu’une habile copie de la bonne vendeuse de Milwaukee. On retrouve ça et là bien des détails modernes uniques qui lui permettent de se distinguer.
Il n’empêche que lorsque je suis arrivé chez le patron pour récupérer la XV950, mon œil aussi a été mystifié. Mais, il suffit de s’approcher et de la détailler du regard, pour que la signature visuelle de la Bolt se précise et pour qu’on apprécie son unicité. Personnellement, j’adore le feu arrière DEL qui apporte une touche de modernité et de distinction. Il ne semble pas déplacé et s’intègre bien à l’ensemble tout en confirmant l’identité contemporaine de la Star. Les appliqués métalliques brossés sur les échappements, le silencieux et le couvercle de batterie sont également modernes sans avoir l’air futuristes. L’entraînement final par courroie assure une facilité d’entretien remarquable et une douceur de roulement certaine.
Lorsqu’on prend place à bord de la Bolt, on remarque immédiatement la faible hauteur de la machine. La selle culmine à peine à 690 mm du sol. La moto étant en plus relativement étroite, on pose les deux pieds au sol avec assurance. On est assis plutôt droit, avec les mains posées naturellement sur les grosses commandes massives noires. La position de conduite est neutre, un poil étirée, mais on est à des lustres des positions extrêmes et inconfortables de plusieurs customs. On relève la Star de sa béquille sans effort, malgré son poids tous pleins faits de 247 kg. Devant soi, les commandes sont limitées au strict nécessaire; un indicateur de vitesse numérique avec une nacelle chromée qui fait sobre et moderne à la fois. Ce compteur affiche la vitesse et, au choix, l’heure, le kilométrage total ou un des deux totalisateurs partiels. Cependant, le contraste de l’écran est trop faible et, à moins que le soleil ne soit directement au-dessus de votre épaule, il est quasi impossible à lire, particulièrement avec des lunettes fumées. Par ailleurs, on ne retrouve ni tachymètre ni jauge à essence (un témoin s’allumera avant la panne) ni indicateur de température.
Un petit poumon, de grandes respirations
Le moteur injecté prend vie sans hésitation. Il ne rouspète jamais au démarrage, même lors des matinées plus fraîches de la fin septembre. Le V-Twin de 942 cc, ouvert à 60 degrés et refroidi à l’air développe 54 chevaux soit un de plus que la Sportster. Par ailleurs, la Yamaha développe plus de couple que l’Américaine. Elle reprend la même motorisation que la V-Star 950. Cependant, la Bolt a perdu pas moins de 31 kg par rapport à cette dernière et son empattement est plus court de 115 mm, à 1 570mm.
Ce moteur de cylindrée relativement modeste, en comparaison des mastodontes de 1600 et 1700 cc qui sillonnent nos routes, a du cœur au ventre. Sa sonorité est profonde, au point où j’étais inquiet d’importuner mes voisins. Ceci dit, elle n’est pas déplaisante, seulement très présente. On sent bien les pulsations à l’arrêt et la moto tremble assez généreusement, offrant en prime un massage subtil des organes internes. On est loin du tremblement d’une Dyna qui ferait presque claquer des dents à l’arrêt, mais on sent très bien les pulsations. J’avoue qu’un sourire de satisfaction s’est greffé sur mon visage tout de suite après la mise en route du moulin.
La commande d’embrayage demande peu d’effort au levier, mais le pied doit y aller de manière franche. Un gros clonk se fait entendre. Chaque passage de rapport est accompagné d’un bruit mécanique ajoutant au côté industriel du moteur. Le couple est au rendez-vous. Si les chevaux sont un critère important pour un pilote de sportive, le couple l’est tout autant pour l’amateur de custom. Dans le cas de la Bolt, il s’établit à 59,3 lb/pi, ce qui est particulièrement généreux pour un moteur de ce type. La XV950 décolle sans hésitation d’un arrêt, dans une belle sonorité grave. Lorsque l’on pose les pieds au sol à l’arrêt, la jambe droite est la plupart du temps accotée sur le cache du filtre à air. Par chance, il ne devient pas chaud et n’est pas trop envahissant. Dans la circulation dense, on note une certaine chaleur au niveau des échappements, sous la cuisse, toujours du côté droit.
La protection offerte par cette Star est dans la norme pour ce type de monture. Sur l’autoroute, on est exposé aux éléments, mais on ne souffre pas de turbulences. Le vent arrive sur le haut du torse et sur le bas des jambes. La position reste bonne, mais lorsqu’il vente beaucoup, on doit s’agripper un peu plus fermement au guidon que l’on trouve alors soudainement un peu trop éloigné. La selle en forme de cuillère épouse parfaitement le fessier. Elle n’a comme réel défaut que celui de ne pas permettre de changer de position lorsque les kilomètres s’accumulent.
Les reprises sont tout à fait satisfaisantes, même à 90 km/h en cinquième. Cependant, si on tente d’ouvrir grand les gaz en bas de 80 km/h, le twin commence à toussoter. La Bolt n’a que cinq vitesses et bien que j’ai cherché la sixième quelques fois, le moteur de cette Yamaha paraît tourner à un régime décent à vitesse d’autoroute. Difficile de préciser ce régime puisqu’il n’y a pas de tachymètre…
En raison de la monotonie du réseau routier, l’ennui a commencé à m’envahir rapidement. J’ai donc forcé l’allure un peu pour réaliser que la Bolt n’avait pas été construite pour rouler à vive allure. Elle est plus à l’aise aux vitesses légales. Baissez le rythme aux alentours de 100/105 km/h et tout rentrera dans l’ordre. En regardant dans les rétroviseurs lors des changements de voies, j’ai pu me rendre compte que ceux-ci étaient toujours affublés de légères, mais constantes vibrations qui rendent la visibilité plus difficile. Les repose-pieds vibrent aussi constamment et, dans une moindre mesure, le guidon et la selle. Par chance sans que ça ne provoque de chatouillement.
Écroué par les routes nordiques
En cherchant un endroit pour faire une ou deux belles photos d’ambiance, je me suis dit qu’une petite virée sur mes routes préférées dans les Laurentides me permettrait de vérifier comment la Bolt se comportait dans cet environnement nordique tout en m’offrant l’occasion de trouver des décors intéressants. J’ai d’abord pris soin de faire le plein. La contenance d’à peine 12 litres du réservoir m’inquiétait. J’ai fini par rejoindre les routes secondaires. Là, les couleurs chaudes de l’automne commençaient à faire leur apparition. Malheureusement, les bosses et autres pièges à motocyclistes aussi. Le chemin que j’ai emprunté sur la XV950 est devenu carrément dangereux avec le temps, tellement il y a des bosses. Sur plusieurs customs, le débattement réduit des suspensions peut se traduire par une expérience pénible sur les routes dégradées. Notre monture d’essai ne fait pas exception à cette règle. La suspension avant fait un bon travail et l’arrière se débrouille pas trop mal dans les situations que l’on peut qualifier de normales. On sent bien les dénivellations et les craquelures dans le bitume, mais ce n’est pas trop désagréable. En revanche, quand on arrive sur une route cahoteuse, l’arrière renvoie un bon coup dans la colonne, lequel vous fera claquer des dents. J’ai dû traverser environ une douzaine de zones de construction sans bitume lors de ce périple; la Bolt s’est bien comportée dans la petite roche. Mieux que mon rythme cardiaque en tout cas.
En virage prononcé, les repose-pieds frottent rarement au sol, tant qu’on garde à l’esprit qu’on pilote une custom et non la dernière sportive dotée d’une garde au sol infinie. La Bolt ne demande qu’un faible effort pour se mettre sur l’angle, cependant une très faible, mais constante pression doit être maintenue sur le guidon pour éviter que la moto ne cherche à se redresser en virage. Elle change de cap avec une aisance étonnante. Dans les virages à basse vitesse, on sent que la direction de la Bolt veut tomber vers l’intérieur. Ça reste subtil et c’est dû en partie à la combinaison du pneu avant plus mince et de plus grand diamètre que l’arrière. Sur une route en serpentin, traversant les forêts laurentiennes, j’étais un peu craintif et mon rythme se maintenait à peine au-dessus des vitesses permises. En un mot, je me traînais. Si jamais vous vous emportez, sachez que le frein avant à disque à pétale de 298 mm, pincé par un étrier à deux pistons, vous ralentira sans tracas, aidé au besoin par son jumeau arrière à simple piston. Les freins sont faciles à moduler, mais nous aurions préféré un peu plus de sensation au levier. Rien de dramatique cependant.
Lors de mon retour, je commençais à me ressentir de cette expédition laurentienne. J’avais faim et la fatigue s’installait. J’ai repensé à mes premières années à moto. Lorsque j’allais au bout du monde avec ma douce pour avaler un hamburger et que je revenais par des chemins perdus. La Bolt ne me permettrait pas ce genre de périple. Les accommodations pour ma passagère sont minimales, la contenance du réservoir force à prévoir chaque sortie et la suspension arrière impose d’emprunter des routes en bon état. Puis j’ai eu un éclair de lucidité. J’ai enfin compris. Là n’était pas la vocation de la Yamaha. Cette moto est une compagne principalement urbaine. Pour aller frimer un peu au bistro du coin, ou au Dairy Queen, ou encore pour faire une petite expédition sur les rives du St-Laurent. Pour ce genre de mission, la Bolt prend tout son sens.
Yamaha offre un catalogue d’accessoires permettant de personnaliser sa monture et même de la rendre un peu plus apte au tourisme léger. Il est possible d’ajouter un dossier pour le passager, un pare-brise, des sacoches souples et une selle plus confortable. Elle est si peu gourmande en carburant — sa consommation moyenne se situe à seulement 4,35 L/100 km —, qu’après presque 200 kilomètres dans le Nord, le témoin de réserve ne s’était toujours pas allumé. Comme quoi il reste possible de s’éloigner un peu de son domicile.
J’ai profité de ce que j’avais la Bolt pour quelques jours et que la température était au beau fixe pour aller rendre visite à mon vieux père. Quand il a vu la Yamaha, il l’a trouvée vraiment belle. Il est allé juste qu’à dire : «si j’avais une moto à m’acheter ce serait celle-là!»
Pourtant, Yamaha vise une clientèle jeune qui n’a pas le goût de rouler avec une moto de papy. Une clientèle qui n’a pas nécessairement le budget des baby-boomers non plus. On parle d’hommes entre 25 et 45 ans. Dans le cas des femmes, l’âge visé importe moins aux yeux du constructeur puisque c’est plutôt la combinaison de la selle baisse et de l’étroitesse de la plate-forme qui constituerait un réel atout pour ces dernières.
Avec un prix d’à peine 8999$, Yamaha atteint directement sa cible selon nous. Il existe une version R qui offre moyennant un supplément de 200$ une selle au fini suède, un réservoir d’amortisseur arrière séparé de couleur bronze et la mention Bolt sur le réservoir. Il faudrait vraiment avoir un boulon manquant pour cracher sur une offre comme ça.
Fiche technique
- Poids tous pleins faits: 247 kg
- Hauteur de selle : 690 mm
- Capacité essence : 12 L
- Consommation : 4,35 L/100 km
- Autonomie : 276 km
- Durée de l’essai : 475 km
- Prix : 8 999$ (9 199$ pour la version R)
MOTEUR
- Moteur : bicylindre en V à 60°, SACT, 8 soupapes, refroidi par air
- Puissance : 54 ch à 5 500 tr/min
- Couple : 59,3 lb-pi à 3 000 tr/min
- Cylindrée : 942 cc
- Alésage x course : 85 x 83 mm
- Rapport volumétrique: 11,5:1
- Alimentation : injection à corps d’admission de 35 mm (2)
- Transmission : 5 rapports
- Entraînement : par courroie
PARTIE-CYCLE
- Suspension : fourche télescopique, diam 41 mm, , dénuée de réglages; deux amortisseurs pneumatiques à réservoir accolé de haute qualité; précontrainte réglable.
- Empattement : 1 5740 mm
- Chasse/Déport : 25 degrés/103 mm
- Freins : 2 disques de 298 mm avec étriers 4 pistons à l’avant; simple disque de 245 mm avec étrier double piston à l’arrière.
- Pneus : Bridgestone S20
120/70ZR17 à l’avant
180/55ZR17 à l’arrière
Verdict rapide
- Bon rapport qualité/prix
- Design réussi
- Moteur costaud et communicatif pour la cylindrée
ON AIME MOINS
- Le manque d’allonge du V-Twin
- La suspension arrière un peu rude sur revêtement dégradé
- Le compteur numérique difficile à lire
- L’absence de compte-tours