L’électronique n'y est pas étrangère
Publié le 8 décembre 2025
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que je ne suis pas un fervent défenseur de l’électronique, même si je reconnais que certains dispositifs sont efficaces, particulièrement au niveau de la sécurité. Cependant, j’ai constaté récemment, comme l’a démontré le dernier salon de Milan, que certains fabricants en font un usage abusif, uniquement dans le but de nous soutirer plus d’argent et de nous ôter une partie du contrôle sur notre passion.
Le but principal de l’électronique est de réduire la puissance phénoménale de certaines motos à des niveaux acceptables, à des fins de sécurité, mais surtout de contrôle. Elle a initialement émergé sur la scène de la compétition, lors du passage des moteurs à deux temps de 500 cm3 aux moteurs à quatre temps de 1000 cm3 ultra-puissants. Son but avoué était de réguler le frein moteur de ces machines, ce qui a conduit par la suite au développement du contrôle de la traction et de l’antiwheeling.
Sur la route, la prolifération de l’électronique découle des mêmes intentions, auxquelles se mêlent des contraintes environnementales et de sécurité routière. En effet, le développement de l’électronique est un mal nécessaire auquel ont consenti les constructeurs, au début des années 2000, à l’époque de la sortie de la Suzuki Hayabusa et de la Kawasaki ZX-12R, deux motos qui développaient des puissances avoisinant les 200 chevaux et dépassaient les 300 km/h, des vitesses socialement inacceptables de nos jours. Devant la menace d’interdiction de ce type de motos, les principaux constructeurs, japonais et européens, ont conclu un pacte non officiel appelé «gentleman agreement» visant à limiter électroniquement la vitesse maximale des motos sportives hautes performances à 299 km/h.

1988 : commercialisation du premier système ABS de série par BMW
Les premières technologies électroniques ayant vu le jour sont l’injection, sous la poussée des normes antipollution, puis l’ABS, développé dès les années 1990 par BMW en partenariat avec Bosch. Plus tard, des systèmes plus avancés, comme le contrôle de motricité (Traction Control) et le contrôle de stabilité en virage (MSC) ont vu le jour. Depuis la décennie 2010, une myriade de fonctionnalités ont fait leur apparition sur les motos, telles que les suspensions actives/semi-actives, les quickshifters, les centrales inertielles, les accélérateurs Ride by Wire, les modes de conduite, ainsi que les radars avant/arrière et les régulateurs de vitesse adaptatifs.
La présentation européenne de la nouvelle KTM 1390 Super Adventure S EVO, la semaine dernière, permet à l’électronique de franchir un cap et de développer un contrôle encore plus important sur la conduite d’une moto. L’escalade technologique est vraiment lancée.
Même si certains consommateurs demandent plus de sûreté, plus de technologie et de performance, requêtes appuyées par les normes environnementales et de sécurité toujours plus contraignantes, ce ne sont pas tous les utilisateurs qui y sont favorables.

La nouvelle KTM 1390 Super Adventure S EVO en action
Car, au-delà des bienfaits apportés par certains de ces dispositifs, il faut réaliser qu’ils permettent avant tout aux constructeurs d’augmenter leurs revenus à un moment où la demande est en baisse et que leurs profits décroissent. Et il y a peu de chances qu’ils fassent marche arrière, comme l’illustre la décision de Yamaha d’équiper leur gamme CP2 de béquilles électroniques, après avoir milité pendant des années pour une certaine forme de simplicité dans ce domaine. Chez plusieurs marques — et plus seulement BMW —, on voit apparaître des multitudes de packs optionnels (principalement électroniques) qui font grimper le prix de leurs motos de façon artificielle. Sur certaines motos, ces packs peuvent parfois totaliser près de 10 000 $, ce qui est énorme. Aujourd’hui, le cap des 20 000 $ — avant options — est franchi par un nombre grandissant de motos.
Lélectronique soulève des interrogations légitimes, que l’on soit favorable ou non à sa mise en œuvre. D’abord, elle crée une distanciation entre le pilote et sa machine, dans la mesure où ses décisions d’humain sont filtrées par une multitude d’algorithmes qui s’ingèrent dans cette relation privilégiée, mais, en plus, elle crée une ségrégation entre les utilisateurs. Par ailleurs, la capacité de ces «aides» électroniques à changer la personnalité d’une moto est à prendre en compte. Il est déjà compliqué de s’adapter et de bien comprendre UNE moto. Alors, si tous les paramétrages possibles permettent d’en avoir plusieurs dans une même machine, le pilote lambda saura-t-il en tirer profit, sans recourir à un ingénieur, comme c’est le cas des pilotes de MotoGP? Ou sera-t-il perdu devant la multitude de paramètres qui s’offrent à lui?

Casque Cardo Beyond GT
De plus, l’électronique cause un niveau de stress non négligeable chez bon nombre de motocyclistes. Il suffit de regarder les commodos d’une Honda Africa Twin Adventure Sports ES DCT 2026 ou d’essayer de remettre rapidement à zéro les partiels sur une BMW R 1300 GSA, sans parler des possibilités infinies de réglages de la nouvelle KTM 1390 Super Adventure S EVO pour réaliser que des opérations routinières, autrefois simples, s’effectuant en pressant un simple bouton, sont devenues complexes et, par le fait même, onéreuses. Prenez le cas des systèmes de démarrage sans clef, par exemple, et vous comprendrez ce que je veux dire.
Sans oublier les pannes que tous ces dispositifs peuvent engendrer. Dernièrement, dans ma recherche d’une moto pour Motoplus.ca, je discutais avec un mécanicien d’un concessionnaire multimarque de la région de Montréal qui me disait que la majorité des interventions et réparations qu’ils effectuaient touchaient l’électronique. Les pannes d’origine mécanique sont de plus en plus rares en fait.

Shoei GT3 Air EyeLight
Comme si ce n’était pas suffisant, l’électronique envahit désormais le secteur des équipements de moto. Lors du dernier salon EICMA, plusieurs équipementiers — Cardo, Sena, Schuberth, ou Shoei, en coopération avec EyeLight — ont dévoilé des casques munis de systèmes intégrés d’atténuation du bruit (ANC), de communication sophistiqués ou encore d’affichage tête haute HUD (Head-up Display). En plus d’alourdir les casques de façon significative, ces technologies font grimper leur prix de 500 $ ou plus, pour atteindre des sommets. De son côté, BMW a développé toute une gamme de vêtements et d’accessoires connectés (BMW ConnectedRide) pour sa gamme de scooters électriques. On n’arrête plus la technologie. Et je n’ai pas encore évoqué l’intelligence artificielle, qui s’immisce subrepticement dans notre univers.
Quand on interroge les motocyclistes sur la raison principale pour laquelle ils aiment la moto, une majorité d’entre eux citent la liberté, en premier lieu. Mais où est cette liberté aujourd’hui, quand partir en balade n’est plus une question de secondes — le temps d’enfiler son casque et ses gants —, mais de minutes, dans le meilleur des cas. D’autant que, sur de nombreuses motos, les options personnelles sélectionnées par les pilotes se réinitialisent au mode par défaut, chaque fois que l’on coupe le contact.

Vêtements connectés BMW ConnectedRide
Mon expérience récente me laisse perplexe face à l’avenir de la moto et de sa pratique. Je ne suis pas certain de vouloir laisser l’intelligence artificielle permettre à ma moto de lire dans mes pensées et de conduire à ma place. Même si elle finirait par le faire certainement mieux que moi. Personnellement, je pense qu’il serait temps que les constructeurs adoptent une attitude plus avisée vis-à-vis de l’électronique et que la mise au point des systèmes qu’ils développent soit mieux agencée et moins intrusive. Il est temps de redonner un certain contrôle aux motocyclistes sur la conduite de leur moto. Et sur son coût d’achat et d’utilisation. Qu’en pensez-vous?

