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Rouler pour rester jeune!

Photos : Didier Constant, Patrick Laurin, Nathalie Renaud, Husqvarna

Récemment, je me suis fait contrôler pour un excès de vitesse. Que voulez-vous, on ne s’assagit pas avec l’âge, parait-il. Alors que j’étais en train de déployer la béquille de ma moto, j’ai remarqué, en regardant dans mon rétroviseur, que le jeune policier s’approchait de moi, lentement, avec méfiance, la main posée sur la crosse de son revolver. Puis, quand j’ai retiré mon casque et qu’il a vu ma tête grise, il s’est détendu un peu. Il faut admettre qu’avec mon blouson de cuir aux couleurs vives et mon casque «Replica», il est difficile d’évaluer mon âge lorsque je suis sur ma moto, surtout depuis que j’ai perdu du poids. Je peux facilement passer pour un jeune, particulièrement à haute vitesse. 

Rouler vite n’est pas l’apanage des seuls jeunes. Les vieux aussi savent mettre du gaz…

Un motocycliste aux cheveux gris inspire confiance, non seulement aux représentants des forces de l’ordre, mais aussi aux commerçants et aux quidams ordinaires. Il rassure. Son âge vénérable étant pour beaucoup, synonyme de sagesse et de prudence. 

Il y a encore quelques années, les papys à moto étaient une denrée rare. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Plusieurs des amis qui font de la moto avec moi régulièrement ont dépassé la soixantaine depuis longtemps, certains ayant même franchi le cap des 75 ans. Mais,  ils sont toujours jeunes de cœur. «On n’arrête pas la moto parce qu’on est vieux, on devient vieux parce qu’on arrête la moto,» prétend l’adage. Ça me rappelle un t-shirt de l’AMA (American Motorcycle Association) que j’avais vu au Grand Prix des États-Unis, il y a quelques années, et qui portait l’inscription «Life begin at 60!» Dans ce cas précis, le slogan faisait référence à la vitesse (60 miles à l’heure ou 100 km/h) à laquelle les motards commencent à se sentir vivre, pas à l’âge auquel ça leur arrive. 

Moi, dans mes derniers jours comme cinquantenaire (photo prise en 2017)

Comme je l’ai mentionné dans un billet précédent, je conduis un deux-roues motorisé (cyclomoteur, vélomoteur et petite cylindrée), puis une moto de 125 cc ou plus depuis plus de cinquante ans, presque sans interruption. C’est donc dire que j’ai de l’expérience à revendre et pas mal de kilomètres au compteur. Au cours de ces cinq décennies, j’ai visité cinq continents — Afrique, Amérique, Asie, Europe et Océanie —, à moto — sur route, sur circuit, en sentier. L’Antarctique est le seul continent où je n’ai pas encore posé les pneus. Et l’an dernier, j’ai dépassé le cap du million de kilomètres parcourus à moto, soit l’équivalent de 25 tours du monde. Bon an mal an, ça donne une moyenne de 20 000 kilomètres par année, avec des pointes à 55 000 kilomètres lors de mes saisons les plus productives. En même temps, je n’ai pas de mérite, je roule à moto toutes les semaines, de mai à novembre, à raison de trois jours par semaine, dans le cadre de mes essais routiers et de mes voyages. Depuis 1985, je passe quasiment toutes mes vacances à moto et, de 2011 à 2020, j’ai organisé des voyages en Europe pour des clients québécois et français qui sont tous devenus des amis proches. 

Moi aujourd’hui. Vous voyez une différence vous?

La moto est une passion que j’ai chevillée au corps depuis l’adolescence. «Tout ce qui n’est pas passion est sur un fond d’ennui,» a écrit le romancier et voyageur émérite Henry de Montherlant. Déclaration à laquelle je souscris tout à fait. Et pour être sûr de ne pas m’ennuyer une seule journée de ma vie, adulte, j’ai fait de cette passion mon gagne-pain, fidèle à la devise de Confucius : «Fais de ta passion ton métier, et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie.» 

Cette année, ça fait exactement 40 ans que j’exerce le métier de journaliste/essayeur, avec le même entrain, la même curiosité et le même émerveillement qu’au premier jour. S’émerveiller, c’est ce qui nous permet de ne pas vieillir et de rester passionné. D’éviter la lassitude et l’indifférence.

Trois beaux vieux qui savent rouler… vite et bien. De g. à d. Richard Turenne, Didier Constant  et Christophe Albert. Les 3 Mousquetaires! (2017)

Grâce à ma longue expérience, je suis toujours en mesure de rouler rapidement et proprement, sans forcer ni me fatiguer exagérément. La technique compense le vieillissement. La sagesse, la planification et la prévoyance, la fougue perdue. De plus, les équipements modernes et la technologie (ABS, régulateur de vitesse, boîte robotisée, suspensions semi-actives…) viennent au secours de mes os usés. Car, avec le temps et les kilomètres, en plus de l’expérience, j’accumule les maux divers : lombalgies, maux de dos, tendinites diverses. Le squelette, les articulations et les muscles montrent les signes d’une usure certaine que même les exercices de musculation, de renforcement et les séances de physiothérapie ne parviennent pas à effacer totalement. Entrer dans une combinaison de cuir est de plus en plus compliqué. Me déhancher sur un circuit ou négocier un sentier technique, debout sur les repose-pieds, de plus en plus ardu et douloureux.

Pourtant, malgré la douleur, je ne peux me résoudre à raccrocher les cuirs. «La vieillesse est un naufrage,» aurait écrit François-René de Chateaubriand*, pour évoquer la déchéance physique et mentale liées au vieillissement. 

À nous quatre (Didier Constant, Richard Turenne, Claude Privée, Alain Paquin) nous totalisons 277 ans et près de 200 d’expérience! Photo prise en 2018

Aujourd’hui, j’ai l’intime conviction que la passion est une porte ouverte sur le rêve, l’utopie, la vie. Un remède qui m’aide à supporter les affres de la routine et de l’ennui. C’est une forme de folie constructive qui éloigne la mort — de l’âme comme du corps —, un voyage intérieur, une espérance, un espoir indicible. C’est ma seule échappatoire possible. Une façon de m’inscrire dans une certaine forme d’immortalité. Bien que la vie soit une maîtresse exigeante qui réclame souvent le tribut ultime. «Je lui ai donné mon cœur, mais elle voulait mon âme!» chante Bob Dylan dans «Don’t think twice, It’s all right!». Elle m’a pris des amis, mais aussi des idoles de jeunesse que je pleure encore aujourd’hui. 

Jeune «vieux» en action (2025)

En ce qui me concerne, je vais continuer de rouler encore quelques saisons, je l’espère. Ce n’est pas comme si j’avais autre chose à faire de toute façon. Mais, surtout, je suis bien trop jeune pour arrêter la moto et commencer à vieillir. 

Photo d’ouverture : de g. à d. : Olivier Wagner, Claude Privée et Didier Constant. Photo prise lors de la manche du Championnat d’Europe d’Endurance Classique 2019, sur le circuit Paul Ricard, au Castellet.

*Une citation reprise par le général de Gaule dans son livre «Mémoires de Guerre» pour commenter l’attitude de Pétain, le vieux maréchal de France (il était âgé de 84 ans quand il est devenu chef de l’État français, en 1940), pendant la Seconde Guerre Mondiale.

4 réponses à “La moto après 60 ans”

  1. Rémi Barrette

    Tellement vrai cet adage «On n’arrête pas la moto parce qu’on est vieux, on devient vieux parce qu’on arrête la moto».
    Pour ma part je continue à rester jeune dans ma 71e année d’âge dont près de 54 sur la selle d’une moto.

    D’ailleurs l’été passé, un copain et moi avons fait en partie les routes du Bue Ridge et Smockey Mountains plus la Dragon Tail, et une partie Sud de la Natchez Trail. Plus visité les musées Wheels Through Time à Maggie Valley en Caroline du Nord, et le Barber’s Museum à Birmingham en Alabama.Tout ça en 11 jours dont 9 sur la route. Pas pire pour 2 p’tits vieux sur des motos trop lourdes.

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  2. Olivier Wagner

    Très cher Didier, j’ai revendu ma moto à regret car ma force ne compense plus ma petite taille et son poids (une Deauville Honda) devenait vraiment un problème pour moi. J’ai le projet de passer à un engin plus petit, une 500, voire une 350 cc, dès que je pourrai. En attendant je nourris ma passion du deux roues en ne ratant aucun GP moto et en travaillant d’arrache-pied au montage de mon film documentaire sur Eric Offenstadt et en traînant à chaque fois que c’est possible sur les circuits. Mais je dois bien avouer, et surtout en ce moment où plein de motards sillonne ma région de France, que je les regarde avec envie. J’ai le souvenir de balades avec toi bien agreables. Bonne route. 🙂

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    • Didier Constant

      Salut Olivier. Désolé d’apprendre que tu es à pied pour le moment. Je te souhaite de trouver quelque chose à ton goût et correspondant à tes envies du moment très rapidement. Il y a plein de belles machines d’environ 350 cc (Royal Enfield, Honda GB350, CFMoto, etc) pour rouler cool et sillonner ta magnifique région. En espérant aller te rendre visite à Barcelonnette bientôt mon ami. Bises !

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