« Éditos

De la pertinence de la critique constructive

On a alors droit à des prises de position péremptoires souvent proférées par des individus qui, de toute évidence, ne connaissent pas le produit en question et ne l’ont pas essayé. Des jugements hâtifs et définitifs, souvent insultants pour le concepteur du produit en question, son fabricant ou ses utilisateurs, dont les conséquences sont parfois graves. À son époque, soit bien avant Internet, Jean-Jacques Rousseau disait fort à propos : «La critique est une chose bien commode : on attaque avec un mot, il faut des pages pour se défendre.»

En plus des pseudos spécialistes et des Joe Connaissant, certains individus ayant le QI d’une méduse ne se gênent pas pour critiquer ou tout simplement insulter des chercheurs, des designers, ou des ingénieurs hautement qualifiés qui ont parfois passé des décennies à mettre au point un produit, que ce soit une moto ou un équipement de moto, en fonction d’un cahier des charges précis. À titre d’information, la méduse est, avec tous les membres de la famille des cnidaires (éponges, coraux, oursins, étoiles de mer, huîtres, anémones de mer…), un des rares animaux à ne pas avoir de cerveau, mais un système nerveux primitif, formé de neurones, qui lui permet de réagir aux stimuli et de coordonner ses mouvements —, ce qui ne l’a pas empêchée de traverser les millénaires, sans réellement évoluer cependant. 

Je comprends tout à fait que chacun a une pratique personnelle de la moto et des besoins particuliers correspondant à cette pratique ou à ses moyens financiers, mais ce n’est pas parce qu’un produit ne nous intéresse pas ou est hors de nos moyens qu’il faut le descendre en flammes, sans raison apparente, soit par ignorance, soit par malveillance, soit pour poursuivre un agenda personnel. Dans tous les cas, critiquer un produit sans le connaître ni l’avoir essayé est stupide, tout simplement.

Et puis, il y a aussi des personnes travaillant pour une marque concurrente ou pour un constructeur, qui poursuivent des buts cachés en tentant de détruire un produit ou une réputation à des fins partisanes. Ce qui est encore plus déplorable.

Au siècle dernier, avant Internet, on vivait sous la coupe des élites. La parole était accaparée par des spécialistes et le grand public n’avait pas son mot à dire, ce qui était frustrant pour le citoyen lambda. Et parfois dommageable, dans la mesure où cette personne était souvent l’utilisateur final du produit concerné. De plus, lesdits spécialistes n’étaient pas toujours pertinents, qualifiés ou indépendants. Cependant, ils avaient le mérite d’être connus ou identifiables, ce qui les rendait imputables. 

Aujourd’hui, on est passé d’une oligarchie à une démocratie populiste. La parole s’est libérée, démocratisée, mais pas toujours pour le mieux. On vit désormais sous le joug de la démagogie et de l’anonymat. Un grand nombre d’utilisateurs des réseaux se cachent derrière un profil flou ou un pseudo énigmatique. On ne connaît ni leur historique ni leurs qualifications, pas plus que les agendas qu’ils poursuivent. 

Sans oublier l’utilisateur qui se plaint toujours du prix, quels que soient les produits concernés. Devant ses jérémiades, un collègue se plaît à dire à la blague que «ce n’est cher que pour les pauvres», ce en quoi il n’a pas tout à fait tort. Néanmoins, je pondérerais son commentaire en disant que, souvent, ce n’est pas le prix qui est le réel problème, mais le besoin qu’on a du produit et l’utilité réelle qu’il représente pour nous.

En fait, le prix dépend de nombreux facteurs hautement subjectifs, comme la réputation de la marque, la désidérabilité d’un produit pour une personne donnée, le besoin réel qu’il en a ou la capacité dudit produit à résoudre un problème pour cette personne. Des critères objectifs entrent aussi en compte dans l’établissement du prix d’un produit, quel qu’il soit, dont la R et D, les matériaux utilisés, la qualité intrinsèque du produit, son efficacité réelle, son lieu de fabrication, la qualification ou l’origine de la main-d’œuvre ou encore son coût de revient. Ce qui fait que, selon nos besoins, notre usage particulier ou nos convictions, le prix peut alors devenir un critère excluant. La règle intangible du «bon prix», c’est quand le vendeur et l’acheteur sont contents tous les deux !

Cette année, ça fait 40 ans que je travaille comme journaliste spécialisé et que j’essaie des motos, mais aussi des produits afin d’informer mes lecteurs. Chez Motoplus.ca, un article de présentation sert à informer les gens que le produit en question existe, où il est disponible et à quel prix. Nos essais ont pour but d’évaluer le produit et de rendre compte de ses qualités et défauts. Bien sûr, les essayeurs, et moi-même, sommes des humains avec notre propre subjectivité, et nos possibles erreurs de jugement, malgré  toute l’expérience accumulée. Mais nos descriptions, récits, avis sont toujours guidés par une exigence : l’honnêteté. En aucun cas, il ne s’agit d’une incitation à vous le faire acheter. Vous êtes assez grand pour savoir comment dépenser votre argent et déterminer vos besoins. Mais, c’est bien de pouvoir le faire en connaissance de cause. Cependant, dans mes essais, je fais attention de ne pas émettre de critiques infondées ou de jugements péremptoires. Car même si j’ai des goûts personnels et des préférences, j’écris pour un lecteur qui a ses propres goûts, ses propres préférences et mérite tout mon respect.

Tout le monde a une pratique différente de la moto et personne ne détient la vérité en la matière. Que nous aimions les sportives, les customs, les routières, les motos d’aventure ou les motos tout-terrain, nous sommes tous légitimes. Chacun est libre de faire ce qu’il veut et d’acheter le produit qui lui convient sans devoir se justifier ou s’excuser sur la place publique. Nous n’avons pas tous les mêmes goûts, les mêmes besoins, le même budget, ni la même pratique et chacun choisit en fonction de ses critères personnels. À nous de respecter les goûts et les besoins des autres. Un peu de tolérance et de respect ne fait pas de mal en l’occurence.

On vit une époque merveilleuse. Jamais, depuis longtemps, n’avons-nous eu autant de choix qu’aujourd’hui. Nous devrions nous en réjouir plutôt que de nous en plaindre ou de critiquer sans raison. Et quand nous ne sommes pas satisfait d’un produit ou du service à la clientèle d’un fabricant, nous avons la possibilité de le dire, posément et avec respect. Pour le bien de tous.

«Les négateurs ne sont pas des critiques. Une haine n’est pas une intelligence. Injurier n’est pas discuter», écrivait Victor Hugo, un homme qui savait de quoi il parlait, lui qui a vécu en exil à cause de ses prises de position.