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...le risque aussi, malheureusement !

Photo: © Dave Beaudoin

Quand j’ai entamé ma carrière de motard, en 1972 — le bon temps des cyclos et des mobylettes —, j’étais convaincu qu’il était impossible d’éprouver plus de plaisir en deux-roues motorisé qu’à cette époque-là. Que plaisir et passion étaient des valeurs associées à la jeunesse, qu’elles rimaient avec témérité et rébellion et, qu’avec l’âge, l’habitude ou la sagesse, elles s’estomperaient, au point de disparaître.

En fait, il n’en est rien. Aujourd’hui, 51 ans plus tard, ma passion a décuplé. Avec l’expérience, le plaisir que j’éprouve à moto s’exprime différemment, certes, mais avec encore plus d’acutesse. J’ai acquis une expertise qui me permet aujourd’hui de savourer pleinement l’éventail des situations que je rencontre à moto. Que ce soit sur route — je parcours bon an mal an 40 000 km par saison — ou sur piste, même si je me suis mis à cette discipline relativement tardivement, ce que je regrette, bien entendu.

Pourtant, plus nous accumulons d’expérience et plus nous sommes confrontés aux dangers, aux aléas de la circulation, aux accidents. Quand je prends la route, j’essaie de profiter au maximum de chaque instant, comme si c’était le dernier. J’analyse avec plus d’acuité et de lucidité les risques auxquels je suis amené à faire face au quotidien. Et j’ai le sentiment de faire entièrement corps avec ma moto, comme si nous ne formions qu’une seule et même entité.

La gomme de mes pneus se désintègre à chaque tour de roue, kilomètre après kilomètre, laissant sur l’asphalte de fines billes de caoutchouc, traces tangibles de mon passage sur Terre. Plus je roule, plus mon pneu se dégrade. Jusqu’à s’user complètement et me laisser en rade si je ne le remplace pas à temps. Pour moi, c’est pareil. Chaque sortie  me rend plus vivant, plus heureux, mais plus vulnérable aussi. Je m’approche chaque fois davantage de ma destination finale. C’est inéluctable, ne m’en déplaise !

À chaque périple, mon âme s’étiole un peu plus, me donnant parfois l’impression de se disperser en lambeaux le long du parcours. Sans laisser de trace visible. Sans rien montrer de concret au terme du voyage, si ce n’est une nouvelle ride, une nouvelle cicatrice, une nouvelle réminiscence. Et des joies indescriptibles. Des moments où je navigue entre exaltation et extase, où je frôle le bonheur, le divin ! Difficile de raconter ces instants de grâce à quelqu’un qui ne les a pas expérimentés. Ils font partie du domaine de l’intime et s’inscrivent dans mon code génétique qu’ils modifient de façon durable. Il y a aussi ces rencontres furtives, ces moments d’éternité que je partage  avec des amis chers ou de parfaits inconnus et qui finissent par peupler ma vie, mes rêves, mon imaginaire. Qui donnent un sens à cette fugue illusoire en forme de dérobade.

« Pour un plaisir, mille douleurs, » disait François Villon. Et ma carcasse vieillissante ne peut lui donner tort. Les courbatures d’antan sont devenues douleurs chroniques que même les meilleurs anti-inflammatoires ne peuvent masquer.

Vivre pour rouler ou rouler pour vivre… la distinction entre les deux est parfois ténue, sauf que si je ne roulais pas, je mourrais assurément. En m’adonnant à ma passion, je pars peut-être à petit feu, mais je suis heureux et libre. Car il n’est pas question de vivre sédentaire, de devenir esclave de la routine. « Le plaisir nous fait oublier que nous existons, l’ennui nous le fait sentir, » disait Saint-Foix.

Je me sens parfois comme un chat qui aurait épuisé six de ses vies et qui essaierait d’allonger la dernière qu’il lui reste au-delà du raisonnable. Retarder l’échéance un peu plus longtemps, jouir de l’instant encore un peu. Une dernière fois. Pour le fun !

Quand il ne me restera plus que 21 grammes à perdre, j’espère que mon âme inusable, enfin libérée des contraintes temporelles et terrestres, reprendra la route et poursuivra mon périple jusqu’à la fin des temps. Je lui souhaite alors de trouver une sœur avec qui partager ses souvenirs et ses plaisirs. Car plaisir non partagé n’est plaisir qu’à moitié.

2 réponses à “Le plaisir croît avec l’usage…”

  1. Stephane T

    Superbe texte que tu nous partages à nouveau Didier

    La moto nous fait sentir vivant et tu l’exprimes mieux que quiconque.

    Le risque fait partie de la vie et la vie est une partie que nous perdrons tous à la fin , mais l’on sait jamais exactement quand cette partie finira , et une partie est faite pour être joué jusqu’à la fin, alors aussi bien en profiter.

    Ça fait également plusieurs décennies que je roule à moto et mon corps Commence à me faire ressentir le poids des années et des chutes passées.

    N’empêche j’essaie de rouler le plus longtemps possible, puisque comme les impôts la mort est la seule autre certitude.

    D’ici là, comme dirait l’autre, j’aspire à être immortel et pour l’instant, tout se passe bien.

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  2. Jean Meunier

    Beau papier,

    J’en suis a la même pensée que d’aller faire une belle randonnée moto, y a rien de mieux pour se ressourcer de plaisir de voir et ressentir la nature t’envahir de tout le corps et du mental.

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