Alors, pourquoi arrêter ?
Publié le 27 janvier 2023
Ce qui est triste en vieillissant, c'est que personne ne peut voir que vous êtes toujours jeune à l'intérieur. Et cette année, j’ai franchi un cap. J'ai officiellement l’âge de prendre ma retraite pleine et entière. Je devrais m’en féliciter, mais je n'y parviens pas. Je ne me sens pas encore prêt à délaisser un travail et une passion qui m’ont permis de me réaliser et de devenir qui je suis aujourd'hui. En plus, j’ai un bon patron… je travaille à mon compte !
Photos © Didier Constant, Pierre Desilets, Denis Vayer, Patrick Laurin, Dainese, DR
Je sais que le titre de cet éditorial va sûrement faire sursauter certains de mes amis français qui font face à un projet de loi inique et injustifié visant à repousser l’âge de la retraite. Je veux qu’ils sachent que je les comprends et que je les soutiens. Mais, sur un plan personnel, il n’est pas l’heure de me mettre en mode pause.
Je n’ai jamais pensé à la retraite. Pour être franc, je ne pensais même pas atteindre cet âge canonique qui est le mien aujourd’hui. J’ai droit à une retraite de l’Éducation nationale française depuis 5 ans — elle me verse une misère pour mes quelques années de service —, et je deviens éligible à ma pension du Canada à la fin du mois de janvier. Pourtant, je vais continuer à travailler. Par choix, pas par nécessité.
Confucius — je sais, on lui attribue beaucoup d’aphorismes — aurait dit « Choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie ». C’est ce que j’ai fait. De fait, je n’ai jamais eu l’impression de travailler depuis que j’ai pris cette décision. Certains diront que je suis un privilégié, mais peu choisissent d’abandonner une carrière sécurisée pour poursuivre une passion. C’est ce que j’ai fait. Du coup, je ne suis pas riche, mais il y a peu de gens aussi heureux que moi de se lever le matin pour aller bosser.
« Choisir, c’était renoncer pour toujours, pour jamais, à tout le reste, et la quantité nombreuse de ce reste demeurait préférable à n’importe quelle unité », écrit André Gide. J’ai choisi et renoncé. Mais quel parcours ! Je n’ai ni regrets ni remords !
Mon métier m’a tant apporté. Des amis indéfectibles, des expériences et des plaisirs intenses, des souvenirs inoubliables. Il m’a permis de rencontrer des légendes de la moto* — Yvon Duhamel et sa famille, dont ses fils Miguel et Mario eux aussi légendes à part entière, Freddie Spencer, Kevin Schwantz, Wayne Gardner, Christian Sarron, Valentino Rossi, Giacomo Agostini, Ruben Xaus, Bernard Garcia, Eric Offenstadt, Cyril Neveu, Gaston Rahier, Hubert Auriol, Thierry Sabine… — dont certains sont devenus des amis. Il m’a permis d’assister à des événements mythiques — Grands Prix, WSBK, Championnat du monde d’endurance, Paris-Dakar, Six Jours d’enduro, Rallye de l’Atlas, raid Harricana… —, de prendre part à certains autres — Endurance Classic, Sunday Ride Classic, California Superbike School, Championnat de France d’endurance « Power 25 », Coupes Moto Légende, Championnat CSBK, Coupe Kawasaki Ninja 300…) —, de participer à des lancements mémorables, en Allemagne, en Afrique du Sud, en Australie, en Espagne, aux États-Unis, en France, en Grande-Bretagne, au Japon, au Portugal… —, d’essayer les meilleures motos et de découvrir certains des plus beaux circuits du monde.
J’ai aussi eu la chance de rencontrer et d’interviewer des célébrités hors du monde de la moto — la Reine Elizabeth II et son mari le Prince Philip, René Lévesque, Jacques Parizeau, Jean Charest, Pierre-Elliott Trudeau, Coluche, Johnny Halliday, Julien Clerc, les Garçons Bouchers, Charlélie Couture, Samantha Fox, Jane Seymour, Louis Malle, Louis Plamondon, Richard Desjardins… — ainsi que des personnalités du monde sportif (foot, athlétisme, handball, lutte WWF).
Sans oublier les nombreux voyages que ce métier m’a permis de faire autour du globe, seul ou avec des amis, des aventures qui nourrissent encore mes souvenirs et me tiennent chaud au cœur.
Je pourrais continuer pendant des pages à citer tout ce que la moto m’a apporté, mais je pense que vous avez compris mon point. Quand je regarde tout ce que j’ai accompli au cours de mon existence, je considère avoir une vie bien remplie. Je ne suis pas pour autant pressé de partir les pieds devant. Si je me fie aux statistiques canadiennes sur l’espérance de vie des hommes, il me reste environ 15 ans à vivre. C’est beaucoup et peu à la fois. Et je compte bien en profiter au maximum.
Mais, ce qui me tient le plus à cœur aujourd’hui, c’est de voir mon petit-fils grandir et essayer de lui inculquer le sens de la passion — que ce soit la moto ou autre chose importe peu, c’est lui qui choisira — et de l’hédonisme. Le sens de la famille, de l’amitié et de la fidélité aussi. Je veux bien sûr passer un maximum de temps avec ma femme et mon fils adorés, mais aussi mes vieux potes qui me supportent depuis tant d’années. Ça va de soi. Sinon à quoi bon vivre ?
Comme le prétend l’adage, « On n’arrête pas la moto parce qu’on est vieux, mais on devient vieux parce qu’on arrête la moto ! » C’est pour ça que je vais continuer à travailler… dans la moto. Vive les cadences infernales 😉
* Cette liste n’est pas exhaustive. Je m’excuse auprès de ceux que je n’ai pas nommés. Mais je pense très fort à eux quand même…
Le travail c’est la santé est une chanson de Henri Salvador